Reed Brody : « La plus grande leçon du procès Habré, c’est que la justice est à portée de main »

02.05.2017

Reed Brody a lutté aux côtés des victimes d’Hissène Habré jusqu’à ce que sa culpabilité soit confirmée en appel en avril. Alors qu’il était l’invité de TRIAL International, il a livré les éléments-clé de cette saga judiciaire.

L’arrestation d’Augusto Pinochet à Londres en 1998 a été un tournant pour la justice internationale. Cela a créé un effet papillon et a donné aux gens l’espoir de poursuivre leurs propres dictateurs. L’idée que les survivants pouvaient avoir accès à la justice internationale était nouvelle, puissante et enthousiasmante. Je ne savais pas grand-chose sur Hissène Habré lorsque des ONG tchadiennes m’ont contacté en 1999 pour que je les défende. Mais c’était le moment propice, et les survivants avaient une telle soif de justice !

 

Les victimes sont la pierre angulaire de la justice internationale

Dans les crises impliquant des violations des droits humains aujourd’hui, les victimes restent souvent dans l’ombre. Qui a déjà entendu le récit des survivants du Soudan du Sud, par exemple ?

L’affaire Habré constitue un excellent contre-exemple. Le courage et la ténacité des victimes ont été incroyables. Le fait qu’ils aient été à l’origine de la poursuite d’Habré est l’un de plus beaux aspects de cette aventure.

Avec le temps, j’ai développé des liens personnels avec de nombreuses victimes. Certains ont été hébergés par ma famille, nous leur avons fourni des soins médicaux. Voir Habré sur le banc des accusés est devenu une mission personnelle ! Lorsque les victimes ont foi en vous, il est difficile d’abandonner. Quand Habré a été arrêté pour la première fois, mon fils n’était même pas encore né. Aujourd’hui, il a 17 ans.

C’est grâces aux victimes que nous avons été capables de surmonter chaque obstacle. Quand la Belgique a abrogé sa loi sur la compétence universelle, Souleymane Guengueng, le fondateur du collectif des victimes, a raconté son histoire aux autorités belges et a sauvé la situation. Ils lui mangeaient dans la main !

 

Alimenter la flamme

Le procès Habré a commencé le 20 juillet 2015. C’était la première affaire de compétence universelle devant un tribunal africain. Le fait qu’une cour d’un pays jugent l’ancien chef d’Etat d’un autre pays pour des crimes graves était une première mondiale.

C’est pourquoi de nombreuses personnes nous ont dit que ça ne pourrait pas marcher. Mais plus les gens nous disaient qu’il n’y avait pas d’espoir, plus nous voulions leur prouver qu’ils avaient tort. Leur incrédulité a servi à alimenter la flamme qui nous habitait !

 

La ténacité paye

Le 27 avril 2017, les juges d’appel des Chambres extraordinaires africaines de la Cour du Sénégal ont confirmé la peine de perpétuité d’Habré pour crimes contre l’humanité, torture et crimes de guerre. Ils ont également chargé un fond pour localiser et saisir les biens d’Habré pour compenser les victimes.

La plus grande leçon que nous puissions tirer du procès Habré est que la justice est à portée de main, y compris pour des personnes ordinaires. Chaque survivant peut être Souleymane Guengueng ; chaque activiste peut être un « chasseur de dictateur ».

 

L’espoir naît de la création de précédents

Tout comme l’affaire Pinochet, le procès d’Hissène Habré a engendré une vague d’espoir. Lorsque les gens voient les victimes traîner leur dictateur en justice, ils commencent à se dire qu’ils peuvent le faire eux aussi.

Après la chute de Yahya Jammeh en Gambie, j’ai reçu des lettres me demandant si ce dernier pouvait aussi être traduit en justice. Nous nous sommes rendus à Banjul avec les représentants des victimes d’Habré et un avocat de TRIAL. Notre réponse était simple : oui, si nous nous retroussons les manches.

Reed Brody

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