Violences sexuelles : la face cachée de la crise burundaise

20.11.2018 ( Modifié le : 18.02.2020 )

Uta Simon a récemment travaillé pour la Commission d’enquête des Nations Unies sur le Burundi en tant que conseillère sur le genre et enquêtrice sur les violences sexuelles et fondées sur le genre. Entre autres activités, ses collègues et elle-même se sont rendus dans des camps de réfugiés à la rencontre de réfugiés burundais. Dans une interview avec TRIAL International, elle revient sur son travail et les défis liés à la documentation des violences sexuelles et fondées sur le genre.

« Cela fait près de 17 ans que j’enquête sur les violations des droits humains. De décembre 2017 à septembre 2018, j’ai intégré une Commission d’enquête des Nations Unies chargée de documenter les violations des droits humains au Burundi. Comme le gouvernement ne nous a pas autorisés à entrer dans le pays, nous avons mené des enquêtes à distance et des missions dans les pays voisins auprès de réfugiés burundais.

Notre recherche s’est également nourrie d’autres éléments, tels que des entretiens avec des experts, des recherches documentaires et l’analyse d’informations publiques. Toutes ces formes de recherche peuvent aider à corroborer des informations sur des violations des droits humains recueillies dans des témoignages.

Nous avons mené des entretiens dans des camps de réfugiés en Tanzanie, au Rwanda et en République démocratique du Congo, souvent dans des environnements où les personnes craignaient pour leur sécurité. C’est pourquoi nous avons fait un effort particulier pour établir une relation de confiance avec les personnes interrogées.

En tant qu’enquêtrice, je trouve important d’expliquer notre mandat et nos méthodes de travail. Cela permet d’assurer le consentement éclairé des personnes interviewées, et d’expliquer que nous ne sommes pas en mesure de leur prêter une assistance directe. »

 

Les violences sexuelles, une forme de violence parmi d’autres

« De nombreuses personnes rencontrées ont subi des violations multiples de leurs droits humains, dont les violences sexuelles ne sont qu’un aspect. Nous ne savons pas toujours avant les entretiens ce que la personne rapportera, ni quelles violations nous allons établir. C’est pourquoi il est souvent plus sensé d’adopter une approche intégrée pour enquêter sur les violences sexuelles, plutôt que de les traiter séparément.

Au sein de la Commission d’enquête sur le Burundi, tous les enquêteurs connaissaient les normes éthiques s’appliquant aux entretiens avec des personnes ayant subi des violences sexuelles. Par exemple, ils savaient comment éviter de contribuer à une re-traumatisation et rester attentifs à des indices qu’une personne pourrait avoir subi ce type de violence (tels que des hésitations, des ellipses dans leur récit ou des signes de gêne physique ou émotionnelle). Les survivants n’abordent souvent pas directement les violences sexuelles parce que leur souvenir est douloureux, et à cause de la stigmatisation qui y est rattachée. »

 

La victime au centre de notre approche

« En général, je commence par demander aux personnes de me raconter leur histoire. Cela leur permet de parler de ce qui compte pour elles, et réduit le risque de manquer des parties importantes de leur récit. Écouter et reconnaitre leur expérience est également important pour établir la confiance. Dans un second temps, je reviens sur certains points de l’histoire pour obtenir les détails nécessaires à l’enquête.

Une personne est toujours libre de choisir la manière dont nous utilisons ses informations. Certaines préfèrent ne pas divulguer du tout les violences sexuelles qu’elles ont subi. Cela explique que les violences sexuelles restent sous-rapportées, même dans le cadre d’enquêtes internationales. »

 

Comprendre le contexte

« Au Burundi, les femmes et les filles sont les principales victimes de violences sexuelles, même si nous avons également documenté des cas touchant des hommes. Mais la violence à l’égard des femmes ne se cantonne pas aux violences sexuelles. Afin d’appréhender la façon dont elles sont touchées par une crise, une analyse des rôles de genre spécifique au contexte est nécessaire.

Au Burundi par exemple, les violations des droits civils et politiques résultant de la crise politique (telles que les détentions arbitraires, les exécutions extrajudiciaires ou les disparitions forcées) ont ciblé principalement des hommes. Alors que les femmes ont rarement été directement visées, elles ont été touchées par ces violations en raison de leur rôle de genre.

Par exemple, les hommes sont souvent les principaux soutiens financiers de la famille, alors que le rôle traditionnel des femmes comprend les tâches domestiques et le soin aux enfants. En conséquence, dans un pays où de nombreuses personnes sont pauvres, la survie des femmes et des enfants est souvent menacée lorsque l’homme chef de famille est tué, emprisonné ou disparu. Dans son second rapport présenté en septembre 2018, la Commission d’enquête a mis un accent particulier sur la manière dont les femmes sont touchées par la crise en raison de discriminations fondées sur le genre. »

 

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