Ntumwa Maro, un seigneur de guerre sur le banc des accusés

Marocain est soupçonné d’être l’un des chefs les plus hauts gradés d’un groupe qui a tué, terrorisé et réduit en esclavage la population de Kalehe, dans une série d’attaques menées entre 2005 à 2007.

Le groupe Maï Maï mené par Marocain, qui a sévi sur le territoire de Kalehe, s’est livré aux pires exactions contre des civils : Pillages, incendies, viols, tortures, meurtres, esclavage, etc.

Le groupe était extrêmement bien organisé. Les villageois qui n’étaient pas tués lors des attaques étaient parfois amenés jusqu’à un quartier général du groupe, situé en pleine forêt. Là-bas, les victimes étaient réduites en esclavage, sequestrées, et torturées.

Ce groupe était connu pour ses pratiques barbares : torturer leurs prisonniers et les laisser pour mort, ligotés à un arbre durant des jours. Jeter les gens dans un trou creusé appelé « ANDAKI » où ils étaient torturés et soumis à des traitements dégradants…

Les femmes et les filles en particulier étaient faites prisonnières et réduites à l’esclavage sexuel. Certaines d’entre elles se voyaient aussi attribuer des « maris » de force. Cette situation a duré jusqu’à un an et demi pour certaines.

« J’ai été prise en otage par les militaires qui m’ont donné à l’un des leurs pour que je devienne sa femme. J’ai aussi été torturée dans un trou appelé ‘Andake’ », raconte une victime sous couvert d’anonymat.

 

PROCEDURE

Ntumwa Maro a été arrêté en août 2014.

Il est poursuivi pour crimes contre l’humanité par viol, emprisonnement, et autres actes inhumains de caractère analogue; ainsi que pour crimes de guerre, par esclavage sexuel, pillage, attaque contre la population civile et contre des bâtiments consacrés à la religion. Il est également poursuivi pour participation à un mouvement insurrectionnel.

Sa responsabilité pénale est engagée comme auteur direct pour avoir commis individuellement, conjointement ou par l’intermédiaire d’autres personnes, les crimes cités ci-dessus. En effet, une cinquantaine de victimes et témoins ont rapporté des exactions l’incriminant personnellement ainsi que des miliciens agissant sous son commandement.

Le prévenu a déjà reconnu, dans le dossier du Ministère Public en 2014 et en 2016, avoir participé à plusieurs attaques menées dans différentes localités en RDC.

Pour la première fois en RDC, TRIAL International a conduit des tests ADN sur les enfants de victimes d’esclavage sexuel nés durant leur captivité.

Le procès s’est ouvert le 13 avril 2018. 15 jours plus tard, la Cour Militaire du Sud-Kivu a condamné le Lieutenant-Colonel Maro Ntumwa à 20 ans de prison pour avoir orchestré ou autorisé des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité.

Le 12 juin 2018, la Haute Cour militaire a instruit l’appel de l’affaire à Bukavu.

En savoir plus sur la procédure

 

CONTEXTE

Entre 2005 et 2007, dans le territoire de Kalehe, le groupe armé Maï Maï dirigé en partie par Marocain a mené une série d’attaques contre la population civile.

En raison du niveau d’organisation du groupe et de sa force de frappe, l’armée congolaise a été forcée de se replier du territoire. Laissant la population civile sans aucune protection face aux attaques du groupe. Ce n’est qu’en 2007 que les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) ont réussi à reprendre possession du territoire perdu et à libérer les villages et leurs habitants.

A l’origine, dans les années 80, le phénomène Mai-Mai faisait référence à des mouvements d’auto-défense constitués au sein de la population civile afin de défendre leurs territoires contre les groupes armés. Or, le phénomène s’est transformé et certains de ces groupes sont désormais responsables de graves violations commises en toute impunité contre la population civile.

Avec plusieurs millions de victimes directes et indirectes depuis 1994, le conflit en RDC est le plus meurtrier depuis la fin de la seconde guerre mondiale.

Regardez le témoignage d’une victime

 

Malgré les menaces et intimidations de la part de ceux qu’ils dérangent, les acteurs congolais ont tenu bon.  Maitre Charles Cubaka Cicura est le porte-parole des avocats des parties civiles du procès Kavumu. Il nous livre son récit des faits.

 

Pouvez-vous nous parler de l’origine du dossier Kavumu ?

Les acteurs locaux sont à l’origine du dossier, car ce sont eux qui ont fait le lobbying pour que l’Etat et les autres partenaires internationaux s’impliquent dans l’affaire. Ce sont eux aussi qui sont au côté des victimes de violations des droits humains. La situation est souvent trop dangereuse pour que les victimes puissent dénoncer elles-mêmes leurs agresseurs car le risque de représailles est trop grand. Ce sont donc les acteurs locaux qui prennent le relai et se chargent des dénonciations et de la documentation des violations auxquelles ils sont confrontés.

En RDC nous devons faire face à de multiples défis au niveau des enquêtes, moyens logistiques, financiers, transports… C’est pour cela que je considère qu’une collaboration avec plusieurs partenaires est un pas en avant vers la réussite d’un procès.

 

Quelle a été l’ampleur des menaces qui ont pesé sur les témoins lors du procès ?

Des menaces réelles car plusieurs personnes avaient déjà été tuées par Jeshi La Yesu (Armée de Jésus), la milice de M. Batumike. Hommes et femmes, ont donc témoigné couverts de la tête aux pieds. C’était nécessaire car les témoins gênants passaient systématiquement à l’échafaud. L’assassinat du défenseur des droits humains Evariste Kasali Mbogo, qui dénonçait les crimes de Kavumu, en est d’ailleurs la preuve. Mais il y en a eu bien d’autres…

Certaines personnes ont néanmoins témoigné à visage découvert, et je crains pour leur sécurité.

 

Qu’en était-il de votre sécurité ? Vous êtes-vous senti en danger à quelque moment de l’enquête ou du procès ?

Au cours du procès nous craignions principalement que les miliciens viennent nous déloger de l’hôtel où nous dormions. Mais Dieu merci, cela ne nous est pas arrivé.

La profession d’avocat est toujours à risque. On ne sait pas toujours d’où viendra le danger. Avant Kavumu, j’ai déjà fait l’objet de plusieurs menaces. Mais je tiens bon, et je dois accepter les risques du métier. Depuis mon enfance, je hais l’impunité et l’injustice. C’est pour cela que j’ai décidé de devenir avocat, pour apporter ma contribution à la lutte contre l’impunité.

 

Il y a eu quelques tentatives qualifiées de « dilatoires » au cours du procès de la part des avocats de la défense, comment avez-vous, et les autres avocats des parties civiles, réagi face à ces prolongations du procès ?

Au sein du collectif des avocats des parties civiles, nous avons réagi à chaque fois en nous appuyant sur des textes légaux afin de couper court à ces manœuvres. Nous avons bénéficié de l’appui de TRIAL International surtout sur le volet judiciaire.

Batumike ne voulait pas que ce procès ait lieu et que la vérité éclate au grand jour. Il voulait à tout prix jouir de son immunité en tant que député provincial pour continuer à percevoir des rémunérations. Cela lui paraissait donc inimaginable que ses électeurs découvrent ses actes criminels.

 

Etes-vous, ainsi que les victimes, satisfaits du verdict ?

Nous avons été satisfaits du verdict. Mais maintenant, nous devons travailler pour que les victimes accèdent à une réparation matérielle. Les bourreaux ont été condamnés à des dommages et intérêts, mais je regrette que les frais de réparation n’aient pas été à la hauteur du préjudice. 5000 USD alloués à chaque victime ne saurait réparer le préjudice subi. Il reste aussi le problème de recouvrement de ces frais car la plupart des prévenus n’ont pas les moyens de verser cet argent aux victimes…

 

Que représente cette décision pour la lutte contre l’impunité en RDC ?

En règle générale, ce fut un grand jour pour la lutte contre l’impunité en RDC. Les personnes qui se croyaient intouchables de par leur rang social, ont compris que le respect de la justice s’applique à tout le monde. De plus, ce procès a donné aux délinquants et à ceux qui voudraient s’aventurer sur ce chemin, de bonnes raisons de reculer.

Bien sûr, les cas de crimes restent encore légion, et le chemin est encore long. Mais si à chaque fois, nous nous battons pour réprimer les auteurs de ces crimes, nous aurons contribué à faire baisser le taux de l’impunité, et des milliers des personnes accèderont à la justice.

 

Profil de Maitre Charles Cubaka Cicura

Après ses études universitaires, Me Charles Cubaka Cicura a suivi plusieurs formations sur la justice pénale internationale avec Avocats sans frontières. Ainsi que des formations sur l’assistance aux victimes de crimes graves devant les juridictions congolaises et les mécanismes régionaux et internationaux de protection des droits humains avec TRIAL International.

Il a ensuite pu mettre ses connaissances à profit lors de plusieurs affaires. Notamment le dossier Serge Maheshe : un journaliste de Radio Okapi assassiné à Bukavu en 2007. Le dossier Colonel Kibibi, un commandant des Forces Armées de la République Démocratique du Congo (FARDC), condamné en 2011 pour crimes contre l’humanité. Et celui du chef de guerre Kizima Sabin Lenine, condamné à la perpétuité en 2014 pour crimes contre l’humanité. Mais aussi le dossier Colonel Becker en 2017.

Il a à présent la double casquette d’Avocat au Barreau de Bukavu depuis 2006, et d’enseignant à l’Université officielle de Bukavu au grade de Chef de travaux.

 

M. George Weah a été élu Président de la République du Libéria le 26 décembre 2017. C’est la première fois, depuis la fin de la deuxième guerre civile en 2003, que le peuple a pu voter librement et sans la surveillance des casques bleus des Nations Unies.

Dans une lettre ouverte, 19 organisations de défense des droits humains demandent au Président Weah de saisir ce moment historique pour enquêter sur les crimes commis pendant la guerre et mettre fin à l’impunité dont jouissent les criminels de guerre.

La première et la seconde guerre civile au Libéria ont coûté la vie à des centaines de milliers de personnes et en ont déplacé bien davantage. Des crimes graves comprenant la torture, l’esclavage sexuel et des massacres tristement célèbres ont eu lieu durant ces sombres périodes. Or, aucun agresseur n’a encore été poursuivi dans le pays. Aujourd’hui, M. George Weah a l’opportunité d’ouvrir la voie à la justice au Libéria.

 

Cher Président Weah,

Votre élection et la passation pacifique du pouvoir au Libéria est un moment historique pour votre nation. Pendant la campagne, vous avez soutenu n’avoir jamais été impliqué dans les guerres civiles du Liberia. Nous vous prions de tirer parti de cette opportunité ainsi que du climat de bonne volonté que vous avez généré pour enfin rendre justice aux innombrables victimes du conflit armé qu’a traversé le Libéria durant quatorze ans.

Les organisations de défense des droits de l’homme soussignées encouragent votre administration à remplir les obligations relatives au Libéria d’enquêter et de poursuivre les atrocités commises en temps de guerre. La création de La Commission Vérité et Réconciliation du Libéria (CVR) est un premier pas important. La poursuite de l’ancien dirigeant du mouvement de Libération Unie du Libéria pour la Démocratie (ULIMO), Mohammed Jabbateh, condamné par un tribunal américain pour des crimes d’immigration qu’il aurait commis en temps de guerre, montre qu’une justice pour les victimes de la guerre civile est effectivement possible. Cette année pourrait également voir les procès de l’ancien ministre de la Défense du Front patriotique national du Libéria (NPFL) de Charles Taylor : Tom Woewiyu, aux États-Unis; celui de Martina Johnson, dirigeante du NPFL en Belgique; du commandant de l’ULIMO, Alieu Kosiah en Suisse; et d’Agnes Reeves Taylor au Royaume-Uni.

Vous avez aujourd’hui l’occasion d’assurer la justice pour ceux qui ont souffert des plus graves crimes causés par la première et la seconde guerre civile. Ces crimes, qui incluent des exécutions sommaires, la torture, le viol, l’esclavage sexuel, l’utilisation et le recrutement d’enfants soldats, sans oublier toutes les atrocités de masse commises, telles que les massacres au Carter Camp et à l’église luthérienne St. Peter, où des centaines de civils innocents ont été tués en une seule nuit, ne peuvent rester impunis. Malgré les obligations légales du Libéria en vertu du droit international humanitaire d’enquêter et de poursuivre les auteurs de violations graves, et la recommandation de la CVR de faire comme tel, le Libéria n’a pas encore tenu une seule personne responsable pour ces crimes.

Nous vous exhortons de faire de la responsabilité une priorité au sein de votre administration et d’assurer la protection des défenseurs des droits humains libériens, en particulier ceux qui travaillent sur des initiatives de responsabilité. En traitant le problème de l’impunité au Libéria et en tenant les auteurs de l’ère de la guerre civile responsables pour leurs crimes, vous êtes en mesure d’offrir au peuple du Libéria – celui qui vous a placé en fonction – la justice qu’il mérite.

 

Cordialement,

The Advocates for Human Rights
The Africa Center for International Law and Accountability
Africa Legal Aid (AFLA)
Amnesty International
Canadian Centre for International Justice
Centre for Accountability and Rule of Law
Center for Justice and Accountability
Civitas Maxima
EG Justice
FOCUS Liberia
The Global Justice and Research Project (GJRP)
Human Rights Center, University of California, Berkeley School of Law
Human Rights Watch
Justice and Peace Commission, Catholic Diocese of Gbarnga
Liberia Massacre Survivors Association
REDRESS
Rescue Alternatives Liberia (RAL)
The Southern African Centre for the Constructive Resolution of Disputes (SACCORD)
TRIAL International

En Bosnie-Herzégovine (BiH), comme dans d’autres régions du monde, lorsqu’il s’agit de violences sexuelles, on rejette souvent la faute et la honte sur les victimes plutôt que sur les responsables. Cette tendance néfaste, qui se manifeste aussi durant les procès, stigmatise et re-traumatise les victimes.

 

Les mythes liés au viol

Plus de 20 000 femmes ont été violées pendant la guerre en BiH. Le nombre exact de victimes de genre masculin est encore inconnu. La prévalence des mythes liés aux violences sexuelles lors des démarches pénales accroît leur calvaire.

Les mythes liés au viol transparaissent lorsque, par exemple, les victimes ne sont pas traitées de la même façon lors des audiences en fonction de leur histoire personnelle, de leur mode de vie et/ou de leurs expériences sexuelles.

D’autres mythes liés au viol reflètent des attitudes archaïques selon lesquelles certaines victimes de violences sexuelles ne se sont pas suffisamment « défendues ». Ces stéréotypes négligent le fait que souvent lors de ces incidents, la victime, paralysée par la peur, peut difficilement bouger.

Pour finir, les mythes liés à la crédibilité et à la honte peuvent suggérer que certaines victimes mentent à propos de l’incident qu’elles dénoncent. Par conséquent, ces mythes suggèrent que les victimes et non les agresseurs devraient avoir honte.

Les juges et les procureurs doivent faire preuve d’une grande délicatesse lorsqu’ils interrogent les victimes à propos de leur passé et des agressions qu’elles ont subies. Mais la stigmatisation est parfois si profondément ancrée dans la société que les gens ne se rendent pas compte que leurs questions ou remarques peuvent être blessantes.

 

Eviter la stigmatisation au tribunal

Les mythes liés au viol doivent être pris en considération afin d’éviter la stigmatisation des femmes qui ont trouvé le courage de s’exprimer publiquement à propos des agressions qu’elles ont subies.

Au tribunal, ces victimes devraient donc sentir que les autorités judiciaires œuvrent dans leur intérêt. Et qu’elles ne sont pas là pour les blâmer ou leur attribuer la responsabilité de ces actes.

« Sensibiliser la société aux manières insidieuses à travers lesquelles la stigmatisation se manifeste dans les salles d’audience, est la clé du combat pour venir à bout des mythes liés au viol, » a dit Kyle Delbyck, consultante pour le programme BiH de TRIAL international, et auteure d’un rapport* sur le sujet. « Les survivants ont déjà dû faire face à tant d’épreuves… Ce rapport est le premier pas pour faciliter l’accès des victimes aux poursuites judiciaires, et leur permettre d’obtenir des réparations. »

L’une des nombreuses solutions présentées dans ce rapport est celle d’informer les victimes du type de questions personnelles auxquelles elles devront répondre durant les audiences.

Une fois informées, elles seraient en mesure de reconnaître si certaines questions posées par la défense sont déplacées ou non. Cela leur permettrait aussi d’apporter le témoignage le plus précis possible.

Qui plus est, une connaissance préalable de ces procédures les aiderait à se détendre et à se sentir en confiance. Elles sauront, par exemple, qu’elles ont le droit de demander une suspension d’audience à n’importe quel moment si cette dernière devient trop éprouvante.

 

L’importance de la plaidoirie

En 2017, les Nations Unies et le gouvernement britannique ont publié un guide : Principles for Global Action visant à mettre en garde et traiter du problème de la stigmatisation liée aux violences sexuelles durant les conflits. Le rapport de TRIAL International contribue à ce processus.

La justice transitionnelle en BiH a vu des améliorations fulgurantes au cours des dernières années. Mais les victimes agressées durant la guerre font encore face à des difficultés. Des problèmes liés à la stigmatisation, dont parle ce rapport, à l’imposition de frais de justice quand leurs revendications sont rejetées, à l’accès inégal à une aide juridique gratuite. L’accès des victimes à la justice dépendra des différentes campagnes de plaidoiries qui seront menées.

« La sensibilisation des acteurs judiciaires et du public est un élément clé du combat de longue haleine auquel nous participons, » a conclu Adisa Fišić Barukčija, conseillère juridique et chargée de communication du programme BIH pour TRIAL International.

*Le rapport a été réalisé dans le cadre d’un projet soutenu par le gouvernement britannique

 

Avant que le destin ne l’amène sur la route des victimes de Kavumu, Georges Kuzma, un expert de justice et police, consultant pour Physicians for Human Rights (PHR) a mené des enquêtes liées au terrorisme et à la grande criminalité à travers le globe. Malgré ces précédentes expériences, ce procès a laissé une trace indélébile dans son parcours.

 

En mai 2013, vous avez été missionné par PHR pour soutenir des experts du Sud-Kivu dans des affaires de violences sexuelles liées au conflit en RDC. Quand et comment avez-vous réalisé l’ampleur de ces crimes ?

Mon mandat était de renforcer les capacités des praticiens de la santé, des enquêteurs et des magistrats dans la conduite des enquêtes et la documentation de violences sexuelles liées au conflit.

L’hôpital général de Panzi a été un de mes principaux partenaires en charge de cette problématique dans l’est de la RDC. Ensemble, nous avons identifié dès juin 2013 une série de crimes sexuels touchant une population ciblée : des fillettes, dans le village de Kavumu et ses environs.

Les crimes identifiés en 2013 ont abouti à deux condamnations. Mais la sérialité n’avait pas été mise en lumière à cette époque. Je crois qu’inconsciemment, nous ne pouvions pas imaginer l’horreur qui se préparait… Il a fallu qu’en mars 2014, sur une période d’un mois, sept nouveaux crimes soient rapportés pour que le doute ne soit plus possible. Tragiquement, de 2013 à 2016, 46 jeunes filles ont été victimes du même mode opératoire identifié.

Ensuite, outre le travail patient et minutieux réalisé par les médecins et les enquêteurs congolais avec le soutien de PHR et de TRIAL International, il a fallu convaincre les autorités judiciaires qu’il ne s’agissait pas de cas isolés indépendants mais plutôt d’un seul dossier. Cela laissait entrevoir une qualification pénale susceptible de se rapprocher des éléments de crimes internationaux.

 

Au fil des mois, une collaboration entre acteurs locaux et internationaux s’est établie. Comment cela a-t-il débuté avec TRIAL International ?

Début 2015, alors que les enquêtes sur les crimes de Kavumu occupaient mes journées et devenaient de plus en plus compliquées, Daniele Perissi de TRIAL International a contacté une collègue de PHR. Celle-ci lui a expliqué l’affaire Kavumu. A la fin de la réunion, Daniele a dit : « je crois que nous pouvons vous aider ».

Cette enquête, réalisée dans des conditions extrêmes, dû à la complexité et la récidive de ces cas, nécessitait l’implication d’acteurs nationaux qui, seuls, n’auraient pas eu les capacités de la faire aboutir. Il fallait que des experts internationaux viennent soutenir ce processus et apportent une méthodologie et des moyens complémentaires. Toutes les personnes et les organisations qui ont participé ont vraiment tiré à la même corde pour faire reculer l’impunité.

 

Vous avez une longue expérience dans les affaires criminelles. Quels sont les éléments saillants de l’affaire Kavumu ?

L’affaire est unique à bien des égards… D’abord par sa complexité légale, technique, mais surtout par sa dimension émotionnelle. Je garderai longtemps en mémoire l’image du visage triste et douloureux de ces jeunes filles lourdement blessées. Il faut réaliser que la majorité des victimes sont encore en vie et devront construire leur existence avec ces blessures.

La détresse des familles et des proches est palpable, ainsi que leur incompréhension face à cette situation : c’est toute la communauté de Kavumu qui a été touchée. La tension s’est ressentie le jour de l’ouverture du procès : un millier de personnes étaient présentes. Les familles des victimes comme celles des 18 prévenus étaient très attentives au déroulement des audiences et à la description des faits.

Chaque révélation, chaque prise de parole était attendue, scrutée et jugée par une assemblée curieuse et attentive. La population attendait avec impatience ce verdict avec l’envie de se reconstruire après ces crimes odieux.

 

Vous qui avez longtemps travaillé en RDC, pays tristement célèbre pour les violences sexuelles qui s’y commettent. Y a-t-il eu des avancées aux niveau juridique ?

La RDC a un passé douloureux, les corps et les âmes des congolais sont durablement blessés. Mais depuis mes premières missions dans le pays il y a huit ans, j’ai pu constater d’énormes progrès dans les enquêtes et les jugements en matière de violences sexuelles.

L’impunité est encore très présente, il faut absolument renforcer les capacités des enquêteurs, des magistrats, mais également des personnels de santé, pour une prise en charge holistique des violences sexuelles. Il faut également que priorité soit donnée au droit des victimes à des réparations, et à une vie sûre, digne et libre.

 

 

Le cabinet des ministres du Népal a annoncé, le 5 janvier 2018, la prolongation d’un an de la Commission Vérité et Réconciliation (TRC) et de la Commission d’enquête sur les disparitions forcées (CIEDP).

La création de ces deux organes de justice transitionnelle date de 2015, presque dix ans après la fin de la guerre civile.  Leurs mandats devaient arriver à terme l’année passée, mais dû aux milliers de plaintes qu’ils leur restaient à régler, leurs mandats ont été prolongés.

A l’époque, TRIAL International et quatre autres ONG se sont réjouies de cette décision. Mais elles ont, malgré tout, insisté sur le fait que la prolongation des mandats des organes de justice transitionnelle ne devait être qu’un premier pas dans le plus grand effort de responsabilisation.

Aujourd’hui, ces conclusions restent d’actualité. Le travail de ces organismes est titanesque. L’horloge semble tourner de plus en plus vite chaque année, et l’histoire continue à se répéter : les victimes de guerre népalaises attendent toujours justice et réparation.

Lire la lettre ouverte de 2017 de TRIAL International sur les organes de justice transitionnelle

Communiqué de presse
Pour publication immédiate

 

L’ACAT, l’OMCT et TRIAL International expriment leur consternation concernant la décision rendue par la Cour d’appel de Tunis dans l’affaire Rached Jaïdane.

Ce jugement semble sonner le glas de la justice transitionnelle en ce qu’il considère comme prescrits les faits de torture subis par Rached Jaïdane en 1993 et pendant les 13 ans d’emprisonnement qui ont suivi. Au-delà de ce cas, ce sont des centaines, voire des milliers de victimes des ères Bourguiba et Ben Ali qui pourront ainsi voir leurs tortionnaires soustraits à la justice.

En outre, le jugement de la Cour d’appel contrevient de façon flagrante à la Convention contre la torture et à la décision rendue en octobre dernier par le Comité contre la torture à la suite d’une plainte déposée par Rached Jaïdane. Dans sa décision, le Comité avait fermement condamné la Tunisie pour de multiples violations de la Convention et avait demandé à l’Etat de reprendre l’enquête et de poursuivre les tortionnaires de Rached Jaïdane pour des infractions reflétant la gravité des faits.

Le jugement de la Cour d’appel jette enfin un sérieux doute sur la volonté mainte fois réaffirmée des autorités tunisiennes d’éradiquer le phénomène tortionnaire. La lutte contre l’impunité est indispensable non seulement à la réparation des victimes mais aussi à la prévention de la torture. La décision rendue dans l’affaire Jaïdane, soustrayant les tortionnaires à la justice envoie le message que les auteurs de violations graves des droits de l’homme peuvent continuer à officier en toute impunité.

L’ACAT, l’OMCT et TRIAL International appelle les autorités tunisiennes à réparer cette erreur est à prendre toutes mesures nécessaires pour se conformer à leurs engagements internationaux en mettant en œuvre la décision du Comité contre la torture.

 

Rappel des faits :

En 1993, Rached Jaidane, enseignant à l’université en France, se rend en Tunisie pour assister au mariage de sa sœur. Le 29 juillet, des agents de la Sûreté de l’Etat l’interpellent à son domicile, sans mandat. S’ensuivent 38 jours de détention au secret et de tortures au ministère de l’Intérieur sous la supervision directe de hauts responsables du régime sécuritaire de Ben Ali. Rached Jaidane est interrogé sur ses liens présumés avec un responsable du parti islamiste Ennahda vivant en exil en France. Sous les coups, il finit par signer, sans les lire, des aveux dans lesquels il reconnaît notamment avoir fomenté un attentat contre le parti de Ben Ali. Après 3 ans d’instruction judiciaire menée par un juge aux ordres, Rached Jaïdane est condamné à 26 ans de prison à l’issue d’un procès de 45mn. Il sera libéré en 2006, après 13 ans de torture et mauvais traitements dans les geôles tunisiennes.

 

L’histoire de Rached Jaïdane est emblématique du système tortionnaire tunisien, celui-là sur lequel les gouvernements post-révolution ont promis de tourner la page en rendant justice aux victimes. Et pourtant…

Juste après la révolution, Rached Jaïdane porte plainte pour torture. L’enquête est bâclée. Les tortures indescriptibles qu’il a subies sont qualifiées de simple délit de violence passible d’un maximum de cinq ans d’emprisonnement, au motif que le crime de torture n’existait pas dans le code pénal au moment des faits. Pourtant, bien d’autres options s’offraient au juge pour qualifier les faits de crime.

Le procès est sans cesse reporté. Le verdict tombe en avril 2015 : prescription ! Les faits sont considérés comme trop anciens. Les figures représentatives de la machine tortionnaire repartent libres.

La décision du Comité contre la torture, rendue à la suite d’une plainte déposée par l’ACAT et TRIAL international, s’inscrit à l’encontre de ce verdict. Elle est lourde de sens et d’exigences vis-à-vis de la justice tunisienne. Tout en rappelant à la Tunisie l’ « obligation (…) d’imposer aux auteurs d’actes de torture des peine appropriées eu égard à la gravité des actes », le Comité :

  • indique que la justice tunisienne ne peut nullement retenir la prescription comme elle l’a fait dans l’affaire Jaïdane ;
  • exige, dans les cas où les juges ne pourraient qualifier juridiquement de torture des actes commis avant 1999 (date d’incrimination de la torture dans le Code pénal), qu’ils retiennent une qualification reflétant la gravité des faits et permettant des poursuites.

Un appel clair à rompre avec les pratiques d’impunité qui, au-delà de la douleur qu’elles infligent aux victimes, constituent un blanc-seing donné aux forces de sécurité tunisiennes qui continuent aujourd’hui de recourir à la torture et aux mauvais traitements.