Durant les mois de septembre et d’octobre 2023, TRIAL International a contribué à la formation de centaines de magistrat·e·s nouvellement recruté·e·s par le gouvernement congolais en matière d’enquête et poursuite de crimes internationaux. Cette formation intervient à la suite du recrutement en fin 2022 de 5’000 magistrat·e·s visant à combler les carences en personnel de la justice congolaise.

La formation initiale des nouveaux·elles magistrat·e·s congolais·es

Le 18 juillet 2023 commençait la formation initiale de 3 mois que le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM), à travers l’Institut National de Formation Judiciaire (INAFORJ), offre au premier lot de 2’500 magistrat·e·s civils et militaires recruté·e·s en fin 2022 et qui prendront fonction d’ici la fin de l’année 2023. Dans ce contexte, TRIAL International a collaboré avec le CSM et l’INAFORJ afin d’insérer dans le curriculum de cette formation initiale une session de 3 jours sur les enquêtes et poursuites des crimes internationaux. TRIAL International a animé cette session durant le courant des mois de septembre et d’octobre 2023 à Kinshasa, Bukavu et Lubumbashi, les trois sites que les nouveaux·elles magistrat·e·s pouvaient choisir pour suivre leur formation.

 

Les compétences acquises dans la lutte contre l’impunité pour les crimes graves

Dans le cadre de la session de formation animée par TRIAL International, les magistrat·e·s ont pu acquérir les compétences de base pour enquêter et poursuivre les auteurs de crimes internationaux. L’analyse de la législation congolaise ainsi que de la plus récente jurisprudence nationale et internationale a permis aux participants d’identifier les éléments juridiques des crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide. La procédure pénale applicable a été examinée, ainsi que l’admissibilité et l’évaluation de la preuve. Les magistrat·e·s ont discuté des dernières évolutions dans la répression des crimes internationaux en RDC ainsi que des défis auxquels ils·elles seront confronté·e·s sur le terrain.

 

Le renforcement des ressources humaines de la justice congolaise

Avant le recrutement de fin 2022, les carences en personnel de la justice congolaise étaient criantes. En effet, on ne trouvait pas plus que 3’500 magistrat·e·s actif·ve·s dans le pays, ce qui fait quatre magistrat·e·s pour quelques 100’000 personnes. Cette pénurie s’intensifiait particulièrement dans les zones provinciales du pays, les conditions de travail étant moins complexes en ville. Le recrutement de 5’000 magistrat·e·s civils et militaires en fin 2022 et leur déploiement annoncé entre fin 2023 et l’année 2024 contribuera à pallier ces lacunes, en conformité avec les objectifs de la Politique Nationale de Réforme de la Justice. Il sera essentiel de pouvoir approfondir la formation de ces nouvelles recrues au-delà de la formation initiale et leur mettre à disposition des ressources financières adéquates ainsi que de l’équipement et de la logistique nécessaires afin d’effectuer un travail de qualité et promouvoir l’offre de la justice au bénéfice de la population congolaise.

 

Le programme de formation initiale des magistrat·e·s est organisé par le CSM à travers l’INAFORJ, avec l’appui du PNUD ainsi que d’autres partenaires techniques et financiers du gouvernement congolais en matière de justice, y compris TRIAL International.

Le vendredi 25 aout 2023, la Cour d’appel du Kasaï-central a condamné pour crimes contre l’humanité un milicien pour le meurtre et la décapitation de trois inspecteurs de l’enseignement, leur chauffeur et un conseiller du ministre provincial. Ces atrocités ont été perpétrées au plus fort de l’insurrection du groupe armé Kamuina Nsapu en avril 2017. Il s’agit de l’un des premiers procès pour crimes graves tenus par la justice civile dans le pays.

© TRIAL International

 

UNE COMPÉTENCE (INÉGALEMENT) PARTAGÉE ENTRE JUSTICE MILITAIRE ET CIVILE

Jusqu’en 2013, la lutte contre l’impunité pour les crimes internationaux en RDC était placée exclusivement entre les mains des tribunaux militaires. Selon les standards internationaux en matière de droits humains et administration de la justice, les enquêtes et poursuites des violations graves des droits humains devraient être menées par les juridictions ordinaires, à cause du manque d’indépendance et des interférences politiques et hiérarchiques dont peut souffrir la magistrature militaire.

En 2013, le parlement congolais a adopté une loi qui a élargi la compétence sur les crimes graves à la justice civile, notamment aux Cours d’appel. Malgré cette législation, force est de constater que les juridictions civiles ne se sont pas encore appropriées ces affaires, pour lesquelles la justice militaire continue à avoir le monopole. Depuis 2013, plus de 50 décisions ont été prononcées par les juridictions militaires et seulement deux décisions ont été rendues par les juridictions civiles.

 

UN RENFORCEMENT NÉCESSAIRE POUR LES JURIDICTIONS CIVILES

Face à cette léthargie, dans les dernières années plusieurs partenaires de la justice congolaise ont procédé à intégrer systématiquement les magistrats civils dans toutes les activités de renforcement de compétences sur cette thématique. En fin 2022, le gouvernement congolais a recruté 5’000 nouveaux magistrats qui vont renforcer les ressources de la magistrature dans les années à venir.

En coordination avec ses partenaires, TRIAL International renforce les capacités techniques et opérationnelles des juridictions civiles sur des affaires particulièrement complexes comme les crimes internationaux.

« La Cour d’appel du Kasaï-central a démontré que la justice ordinaire dispose des capacités nécessaires à faire la lumière sur des cas de crimes graves et en sanctionner les auteurs » explique Guy Mushiata, coordinateur national de TRIAL International en RDC. « Nous espérons que ce verdict montre la voie afin que la magistrature civile joue pleinement son rôle dans la lutte contre l’impunité ».

 

UNE AFFAIRE EMBLÉMATIQUE AU KASAI-CENTRAL

La région du Kasaï a connu un violent conflit qui a opposé entre 2016 et 2019 les forces de sécurité étatiques aux nombreuses milices qui appartenaient à l’insurrection Kamuina Nsapu. La population civile, prise en étau entre les factions armées, a subi de nombreuses atrocités, dont la plupart sont encore impunies. La Cour d’appel du Kasaï-central était confrontée à une affaire tristement célèbre de cette période. Le 30 avril 2017, une équipe d’inspecteurs de l’enseignement chargés de superviser l’épreuve nationale du baccalauréat avait été interceptée dans la localité de Bayamba (territoire de Kazumba, à environ 120 km de la capitale provinciale Kananga) à une barrière des miliciens dirigés par le général autoproclamé Kabue Ditunga. Trois inspecteurs, le conseiller du ministre provincial de l’enseignement et leur chauffeur ont été tués et décapités, leurs corps n’ont jamais été retrouvés.

À partir du 20 aout 2023, la Cour d’appel a traité le dossier en audience foraine dans le territoire de Kazumba où elle a entendu le prévenu Mulumba Kamuatoka Thomas, les familles des victimes ainsi que plusieurs témoins des crimes. La cour a aussi visionné une vidéo dans laquelle on voit le prévenu célébrer la décapitation des inspecteurs avec les autres miliciens du groupe.

À la fin du procès le prévenu a été condamné pour meurtre comme crime contre l’humanité et pour participation à un mouvement insurrectionnel. La cour a octroyé aux cinq familles des victimes – qui ont participé au procès représentées par un collectif d’avocat·e·s que TRIAL International a accompagné – des réparations judiciaires de 100’000 dollars américains chacune. La peine de mort a été prononcée à l’encontre du condamné. « La qualification retenue de crimes contre l’humanité montre bien la gravité des actes perpétrés. Nous nous inquiétons toutefois de l’utilisation de la peine de mort comme sanction infligée au condamné. Même si elle n’est pas appliquée en RDC, TRIAL International considère la peine de mort comme une violation du droit à la vie ainsi que du droit de ne pas être soumis à un traitement cruel, inhumain ou dégradant, droit qui est reconnu à tout individu, indépendamment des crimes commis » souligne Daniele Perissi, Responsable du programme Grands Lacs.

 

Lors de la 51ème session du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, en octobre 2022, le Conseil a renouve­lé le mandat du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme au Burundi, qu’il avait créé un an plus tôt, lors de sa 48ème session. Il a exprimé sa profonde préoccupation concernant les violations et atteintes aux droits de l’homme commises au Burundi et regretté le manque de coopération du Gouver­ne­ment burundais avec les organes et mécanismes dédiés aux droits humains.

© Ian McKellar/Creative Commons

Alors que de graves violations des droits humains se poursuivent au Burundi et que le Gouvernement a échoué à faire en sorte que leurs auteurs rendent des comptes ou à prendre au sérieux les inquié­tu­des soulevées par les acteurs burundais et internationaux, le Conseil ne devrait pas relâcher son atten­tion. Lors de sa 54ème session (11 septembre-13 octo­bre 2023), il devrait renouveler le mandat du Rapporteur spécial.

En outre, le Conseil des droits de l’homme devrait s’assurer que le Rapporteur spécial est pleinement en mesure de remplir son mandat, tel que défini dans la résolution 48/16, notamment de « surveiller la situation des droits de l’homme au Burundi, [de] faire des recommandations en vue de l’améliorer, [et de] recueillir, d’examiner et d’évaluer les informations fournies par toutes les parties prenantes en faisant fond sur le travail de la Commission d’enquête ». Afin de remplir ces fonctions de suivi et de documen­tation de la situation, le Rapporteur spécial a besoin de ressources financières adéquates, que le Secrétaire général devrait lui fournir, couvrant au moins un membre du personnel supplé­mentaire. (…)

Considérant la poursuite de graves violations des droits humains, l’absence de progrès dura­bles relatifs aux sujets d’inquiétude majeurs, notamment l’espace civique, les risques de violations supplémentaires, y compris en amont des élections législative de 2025 et présidentielle de 2027, les inquiétudes concernant le manque d’indépendance de la Commission nationale indépendante des droits de l’homme (CNIDH), et le refus continu du Gouvernement de coopérer avec les mécanismes onusiens et régionaux en charge des droits humains, nous sommes d’avis que que le Conseil doit poursuivre son examen minutieux de la situation des droits humains au Burundi.

Lors de sa prochaine 54ème session, le Conseil devrait adopter une résolution qui :

  • Renouvelle le mandat du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme au Burundi pour une année supplémentaire ;
  • Prie le Secrétaire général des Nations Unies de fournir au Rapporteur spécial toutes assistance et ressources nécessaires à l’accomplissement de son mandat;
  • Réitère que tous les États Membres du Conseil des droits de l’homme devraient observer les normes les plus strictes en matière de promotion et de protection des droits de l’homme, et engage vivement tous les États candidats à un siège de Membre du Conseil, y compris le Bu­run­di, à être attentif à ces normes ;
  • Exhorte le Gouvernement burundais à remplir ses obligations au regard du droit national et du droit international des droits de l’homme et à protéger l’espace civique, en respectant les droits à la liberté d’opinion et d’expression, de réunion pacifique et d’association, en garan­tis­sant les droits des DDH, et en créant un environnement sûr pour les organisations de la société civile ;
  • Exhorte le Gouvernement burundais à coopérer pleinement avec le Rapporteur spécial, y compris en lui permettant un accès au pays et en lui fournissant toutes les informations néces­sai­res au plein accomplissement de son mandat ;
  • Exhorte le Gouvernement burundais à coopérer de façon constructive avec le Haut-Com­mis­sariat des Nations Unies aux droits de l’homme, en particulier avec son bureau régional pour l’Afrique centrale, et de présenter un calendrier pour la réouverture de son bureau pays au Burundi ; et
  • Exhorte le Gouvernement burundais à reprendre une coopération pleine et entière avec les organes et méca­nis­mes africains, notamment la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples.

(Genève, le 29 août 2023) – L’ancien ministre algérien de la Défense Khaled Nezzar sera jugé en Suisse pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Après presque douze ans d’une procédure tumultueuse, l’annonce d’un procès fait renaître l’espoir pour les victimes de la guerre civile algérienne (1991–2002) d’obtenir enfin justice. M. Nezzar sera le plus haut responsable militaire jamais jugé au monde pour de tels crimes sur le fondement de la compétence universelle.

Une photo prise le 9 janvier 2016 montre l’ancien ministre algérien de la Défense Khaled Nezzar s’exprimant lors d’une conférence de presse à Alger. (© Ryad KRAMDI / AFP)

Le Ministère public de la Confédération (MPC) a transmis le 28 août 2023 au Tribunal pénal fédéral (TPF) un acte d’accusation à l’encontre de Khaled Nezzar. Les faits reprochés à l’ancien général algérien sont lourds : ils font état de crimes de guerre sous forme de torture, de traitements inhumains, de détentions et condamnations arbitraires ainsi que crimes contre l’humanité sous forme d’assassinats qui se seraient déroulés de janvier 1992 à janvier 1994, durant les premières années de la guerre civile. Le conflit qui a opposé le gouvernement algérien et divers groupes armés islamistes a fait près de 200 000 morts et disparus, ainsi que de multiples victimes de tortures, de violences sexuelles et d’autres violations massives de la part de l’armée algérienne autant que de ces groupes armés. Le procès à venir marque une étape historique dans la lutte contre l’impunité des crimes commis durant la « décennie noire », une loi d’amnistie garantissant en Algérie une impunité complète pour les atrocités commises par toutes les parties au conflit.

TRIAL International avait déposé en 2011 une dénonciation pénale contre Khaled Nezzar, menant à son interpellation rapide et à l’ouverture formelle d’une procédure à son encontre. Cette mise en accusation est accueillie positivement par l’organisation, qui plaide pour une ouverture du procès à bref délai. «Durant les presque douze années de procédure, l’état de santé du prévenu s’est dégradé et il ne serait pas concevable pour les victimes que leur droit d’obtenir justice leur soit maintenant nié», explique Benoit Meystre, conseiller juridique chez TRIAL International, avant de poursuivre : «le Tribunal doit rapidement faire la lumière sur les crimes commis en Algérie et la responsabilité que porte M. Nezzar, si l’on veut éviter un déni de justice».

Le combat des parties plaignantes pour mener Khaled Nezzar devant la justice a en effet été extrêmement éprouvant. Encore dernièrement, une victime a retiré sa plainte à la suite de pressions exercées sur sa personne depuis l’Algérie. Une autre plainte a été classée en 2023 du fait que la victime, vivant en Algérie, n’était plus joignable, laissant craindre le pire en ce qui la concerne. Une troisième victime est décédée récemment sans connaître l’issue du combat judiciaire qu’elle avait entamé en 2011.

Abdelwahab Boukezouha, l’une des cinq parties plaignantes, qui a fait preuve d’un courage indéfectible tout au long des presque douze années d’instruction, explique : «je ne me bats pas seulement pour moi, mais pour toutes les victimes de la décennie noire de même que pour les plus jeunes et les générations futures. Jamais plus un Algérien ou une Algérienne ne devra subir ce que j’ai moi-même vécu !».

L’instruction pénale et le futur procès contre Khaled Nezzar sont possibles en application du principe de compétence universelle, qui permet et parfois impose aux États d’enquêter et de poursuivre les personnes suspectées d’avoir commis des crimes internationaux, et ce, quel que soit le lieu où les crimes ont été commis et peu importe la nationalité des suspects et des victimes. TRIAL International souligne que le Général Nezzar deviendra le plus haut responsable militaire jugé où que ce soit dans le monde sur le fondement de ce principe. Il sera également le troisième accusé à comparaître devant le TPF pour répondre de sa participation dans des crimes internationaux.

Benoit Meystre conclut : «aucune autre poursuite concernant la décennie noire n’aura lieu, où que ce soit dans le monde. Ce procès est dès lors l’unique – mais aussi la toute dernière – opportunité de rendre justice aux victimes de la guerre civile algérienne».

 

Dans un jugement prononcé le 12 avril 2023, un tribunal congolais a, pour la première fois, exempté les victimes du paiement d’une « consignation », somme d’argent qui conditionne leur participation au procès en tant que parties civiles. Cette décision, première application d’une loi de décembre 2022, représente une avancée majeure pour l’accès à la justice de victimes de crimes de masse en République démocratique du Congo.

© TRIAL International

 

UNE NOUVELLE LOI SUR LA PROTECTION ET RÉPARATION DES VICTIMES DE CRIMES GRAVES

En effet, la loi promulguée le 26 décembre 2022 relative à la protection et à la réparation des victimes de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité, a rendu possible la suppression des frais de consignation et de justice en faveur de ces victimes. Cette disposition a trouvé par le jugement du 12 avril 2023 sa première application concrète. Elle devrait pouvoir être invoquée dans toutes les procédures futures de ce genre et ainsi éliminer l’un des obstacles à l’accès des victimes à la justice.

Pour pouvoir se constituer partie-civile dans un procès pénal et ainsi avoir une chance d’obtenir des réparations pour les crimes qu’elle a subis, les règles de procédure pénale congolaises imposent à toute personne de verser une consignation à la juridiction. Cette obligation vise notamment à décourager des démarches sans fondement ou abusives. Mais les victimes de crimes internationaux ont souvent tout perdu et se trouvent dans une situation financière extrêmement précaire. Il leur est donc généralement tout simplement impossible de mobiliser ces ressources conditionnant pourtant leur participation au procès et ainsi la reconnaissance des torts qui leur ont été faits.

 

L’ACCÈS A LA JUSTICE, PRIORITÉ DU GOUVERNEMENT CONGOLAIS

L’amélioration de l’accès à la justice, en particulier pour les plus démuni·e·s, est l’un des quatre objectifs prioritaires définis par la Politique Nationale de Réforme de la Justice adoptée par le gouvernement congolais en 2017. Outre un manque d’information sur leurs droits, l’éloignement physique des juridictions et d’autres dysfonctionnements structurels du système judiciaire congolais, les victimes rencontrent deux obstacles d’ordre financier lorsqu’elles souhaitent obtenir justice : les frais d’avocats et les frais de procédure.

« En supprimant les frais de consignation, la décision du tribunal militaire de Kananga ouvre la voie à de nombreuses autres victimes de crimes de masses en RDC qui restent en mal de justice » explique Daniele Perissi, responsable du programme de TRIAL International. « Nous espérons que le gouvernement congolais redouble ses efforts pour rapidement mettre en œuvre les autres dispositions de la loi de décembre 2022, y compris le début des opérations du Fonds national de réparation des victimes ».

 

UNE NOUVELLE CONDAMNATION DE MILICIENS DU KAMUINA NSAPU

Dans sa décision du 12 avril 2013, le tribunal a reconnu deux nouveaux membres de la milice des Kamuina Nsapu dirigée par Nsumbu Katende coupables de crimes de guerre par meurtre, torture, prise d’otage, pillage et destruction de biens. Ils ont été condamnés à perpétuité. Le tribunal a octroyé des réparations financières allant de 1000 et 40 000 dollars aux victimes de ces crimes qui ont participé au procès, représentées par un collectif d’avocat·e·s que TRIAL International a accompagné.

 

En 2024, la Haute Cour Militaire du Kasai a confirmé en appel la condamnation des accusés, en réduisant la peine de perpétuité à respectivement 20, 15 et 10 ans de prison. Elle a confirmé les crimes de guerre, les quatre crimes de meurtre, destruction de propriété, pillage et prise d’otages mais n’a pas retenu le crime de torture.

(Genève, le 16 août 2023) – Le Tribunal pénal fédéral (TPF) a ordonné à l’Office fédéral de la Justice (OFJ) de diffuser un mandat d’arrêt international contre l’ancien vice-président Rifaat al-Assad dans le cadre des poursuites dont il fait l’objet depuis 2013 pour son rôle présumé dans les crimes de guerre massifs commis dans la ville de Hama en février 1982. TRIAL International appelle les autorités suisses à rapidement mettre en accusation et juger celui que l’on surnomme le « boucher de Hama », aujourd’hui âgé de 85 ans.  

Après une longue enquête, dont la lenteur a été critiquée par TRIAL International, le Ministère public de la Confédération (MPC) avait enfin émis en novembre 2021 un mandat d’arrêt international contre M. al-Assad. Ce dernier venait tout juste de fuir la France, pays dans lequel il résidait jusqu’alors et où il avait été condamné à quatre ans de prison pour diverses infractions économiques. En décembre 2021, l’OFJ a cependant refusé la diffusion de ce mandat d’arrêt international.

Par arrêt du 19 juillet 2022 – gardé secret jusqu’à ce jour afin de s’assurer de l’efficacité de la mesure – le TPF a ordonné à l’OFJ de diffuser le mandat d’arrêt contre M. al-Assad, en confirmant au passage la compétence des autorités suisses pour poursuivre celui-ci et pour solliciter son extradition vers la Suisse.

Pour Benoit Meystre, conseiller juridique à TRIAL International, « Il est bienvenu que les autorités de poursuite se soient enfin décidées à requérir l’extradition de Rifaat al-Assad, même si l’on peut évidemment regretter qu’il ait fallu attendre le retour de ce dernier en Syrie pour exiger qu’il se présente devant la justice suisse ».

Pour rappel, TRIAL International a déposé en décembre 2013 dénonciation pénale auprès du MPC à l’encontre de Rifaat al-Assad, oncle de l’actuel dictateur Bachar al-Assad. Le « boucher de Hama » est depuis sous enquête pour son rôle présumé dans les massacres commis dans cette ville en février 1982. Les Forces de défense syriennes, commandées par Mr. al-Assad, s’y sont rendues coupables d’exécutions, de disparitions forcées, de viols et de torture d’une ampleur inimaginable. Les diverses sources font état de 10 000 à 40 000 personnes tuées en l’espace de trois semaines.

Plus de quarante ans après le Massacre de Hama, TRIAL International estime qu’il est plus que jamais nécessaire que l’enquête du MPC soit clôturée au plus vite afin qu’un procès puisse se tenir à brève échéance. En raison de l’âge avancé de Rifaat al-Assad, toute attente supplémentaire risque de priver les victimes d’un procès visant à leur rendre justice.

Consultez la décision du TPF ici.

Le rapport d’activité 2022 de TRIAL International est désormais disponible ici.

(c) Guy Oliver and IRIN

Pour recevoir une copie papier, merci de contacter le secrétariat de TRIAL.

Pour découvrir ou redécouvrir le rapport d’activité 2021, cliquez ici.

(Berlin, 21 April 2022) – L’ouverture du premier procès de compétence universelle en Allemagne pour les graves crimes commis en Gambie est une étape majeure pour la justice, ont déclaré aujourd’hui Human Rights Watch, la Commission Internationale de Juristes, Reporters sans frontières et TRIAL International. Une Foire aux Questions sur le procès, qui s’ouvre le 25 avril 2022, a été publiée par la coalition d’ONG et une séance d’information se tiendra le 21 avril.

Bai L. était un membre présumé du célèbre escadron de la mort connu sous le nom des « Junglers », mis en place par le président de l’époque Yahya Jammeh au milieu des années 1990. Le règne de Jammeh, qui a duré 22 ans, a été marqué par une oppression systématique et des violations généralisées des droits de l’homme, notamment des actes de torture, des exécutions extrajudiciaires, des disparitions forcées et des violences sexuelles à l’encontre d’opposants réels ou supposés au régime de Jammeh. Les procureurs allemands accusent Bai L. d’être impliqué en tant qu’ancien chauffeur des Junglers dans la tentative de meurtre de l’avocat Ousman Sillah, ainsi que dans les meurtres du journaliste Deyda Hydara et de l’opposant présumé Dawda Nyassi.

« Je veux que justice soit faite pour mon père et pour toutes les autres victimes de Yahya Jammeh et de ses forces de sécurité », a déclaré Baba Hydara, fils de Deyda Hydara et partie plaignante dans le procès. « Toutes les personnes impliquées dans le meurtre de mon père devront faire face à la justice et nous ne nous arrêterons pas tant que chacune d’entre elles ne sera pas traduite devant un tribunal. »

Le document de questions-réponses fournit :

  • des informations générales sur l’accusé,
  • une description des crimes reprochés,
  • une explication de la compétence universelle en Allemagne,
  • des détails sur les efforts déployés en Gambie visant à engager la responsabilité des auteurs d’atrocités, et
  • l’importance de l’affaire pour les victimes et la justice internationale.

Ce procès est possible car l’Allemagne reconnaît la compétence universelle pour certaines violations graves du droit international, ce qui permet d’enquêter et de poursuivre des crimes internationaux quel que soit le lieu où ils ont été commis et indépendamment de la nationalité des suspects ou des victimes.

Les autorités allemandes ont été particulièrement proactives dans la conduite de poursuites judiciaires sur la base de la compétence universelle, a déclaré le groupe d’ONG. En janvier, un tribunal allemand a reconnu un ancien officier des services de renseignement syriens coupable de crimes contre l’humanité et l’a condamné à la prison à perpétuité, dans une première affaire de ce type.

Bai L. a été arrêté en mars 2021 et se trouve depuis lors en détention préventive.

 

*Des représentants de Human Rights Watch et de la Commission Internationale de Juristes ainsi que des groupes de victimes seront sur place à Celle le 25 avril 2022 et disponibles pour commenter le procès.*

*Le groupe organise une réunion d’information virtuelle via Zoom afin de discuter de l’affaire Bai L. ainsi que des efforts plus larges visant à engager la responsabilité des auteurs de crimes commis par le gouvernement de Yahya Jammeh de 1994 à 2017.*

 

Jeudi 21 avril, 17 :00 – 18 :30 CET (15 :00-16 :30 GMT) 

https://us02web.zoom.us/j/86339443468?pwd=WDRESTVQM05tcTNNZjdKVzN0RXVUdz09   

Password:  Justice

Pour accéder au document de questions-réponses sur le procès en Allemagne contre Bai L., veuillez visiter : https://trialinternational.org/wp-content/uploads/2022/04/FAQ_FR-final.pdf
Pour d’autres rapports de Human Rights Watch sur Yahya Jammeh, veuillez visiter : https://www.hrw.org/tag/yahya-jammeh
Pour d’autres rapports de Human Rights Watch sur la justice internationale, veuillez visiter : https://www.hrw.org/topic/international-justice
Pour d’autres rapports de Human Rights Watch sur la Gambie, veuillez visiter : https://www.hrw.org/africa/gambia
Pour plus d’informations, veuillez contacter :

A New York, Balkees Jarrah (Anglais, Arabe): +1-202-841-7398 (mobile); ou jarrahb@hrw.org. Twitter: @balkeesjarrah

A Abuja, Mausi Segun (Anglais): +1-646-207-4264 (mobile/WhatsApp); or segunm@hrw.org. Twitter: @MausiSegun

A Berlin, Wolfgang Buettner (Anglais, Allemand): +49-17-180-226-83 (mobile); or buettnw@hrw.org. Twitter: @w_buettner

A Cologne, Whitney-Martina Nosakhare (Anglais, Allemand): +49-16-337-010-60 (mobile); or nosakhw@hrw.org. Twitter: @nosakhw

A Paris, pour la Commission Internationale de Juristes: Reed Brody (Anglais, Français, Espagnol, Portugais), +1-917-388-6745 reedbrody@gmail.com Twitter: @reedbrody

A Genève, Babaka Mputu (Anglais, Allemand, Français): b.mputu@trialinternational.org

Les membres de TRIAL International sont invité·e·s à participer à l’Assemblée générale (AG) de l’organisation qui aura lieu le mercredi 14 juin à partir de 18h30 au sein de ses locaux, situés au 95 rue de Lyon à Genève.

 

ORDRE DU JOUR DE L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE

  1. Accueil par la Présidente

  2. Approbation de l’ordre du jour et du procès-verbal de l’Assemblée générale 2022

  1. Présentation du rapport d’activité 2022 et du plan d’action 2023

Le directeur exécutif et divers membres du staff présenteront les activités de l’année écoulée ainsi que les actions envisagées ou déjà entreprises en 2023.

Il sera voté la décharge au Comité pour sa gestion.

  1. Modifications statutaires relatives à la composition du Comité et à la durée du mandat de ses membres

Les membres sont appelé·e·s à se prononcer sur le nombre de membres composant le Comité (5 à 9), sur la durée des mandats (passage de 2 à 3 ans pour les nouveaux membres) et sur une limite maximale de 12 ans.

  1. Élections des membres du Comité 

Réélection de la Présidente : Leslie Haskell

Réélection des membres sortant·e·s: Philippe Bovey, Yves Daccord, Sonja Maeder Morvant, Sacha Meuter.

Élection de nouveaux·elles membres : Florence Hentsch

  1. Comptes et bilan 2022, montant de la cotisation, nomination de l’organe de révision des comptes 2023

Les comptes et le bilan 2022 seront présentés sur place.

L’article 7 al. 4 let. c des statuts de l’organisation laisse la compétence de fixer le montant des cotisations à l’AG.

Le Comité propose ainsi à l’AG de maintenir les cotisations au même montant que l’année précédente soit :

    • CHF 70 pour les membres individuels (CHF 25 pour les étudiant·e·s, les personnes de moins de 25 ans et celles au bénéfice de l’AVS/AI)
    •  CHF 110 pour les couples
    • CHF 200 pour les personnes morales

Le Comité propose à celle-ci d’entériner le choix de retenir GAS Global Audit Service SA comme réviseur des comptes pour l’année 2023.

 

DOCUMENTS-CADRE

Procès-verbal de l’Assemblée générale 2022

Rapport d’activité 2022

Rapport de GAS Global Audit Service SA relatif aux comptes 2022

Modifications statutaires proposées

Le Tribunal Militaire de Garnison d’Uvira a condamné à perpétuité Munyololo Mbao, alias Ndarumanga et ancien chef d’un groupe armé Raia Mutomboki en République Démocratique du Congo (RDC) le 15 mai 2023. Parmi les crimes contre l’humanité retenus contre Ndarumanga figure le crime de grossesse forcée, une première mondiale devant un tribunal national.

 

© Trial International

 

Le crime de grossesse forcée : un précédent historique devant un tribunal national

Malgré le fait que le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI) ait intégré pour la première fois en 1998 le crime de grossesse forcée dans la liste des crimes de guerre et crimes contre l’humanité, ce n’est qu’en 2021 que ce crime a été poursuivi par la CPI, dans le jugement rendu dans l’affaire Dominic Ongwen, un ancien combattant de l’Armée de résistance du seigneur dans le nord de l’Ouganda.

Compte tenu de la fréquence des violences reproductives dans les contextes de conflit, la spécificité du crime de grossesse forcée est l’attention portée au droit des femmes à une autonomie personnelle et reproductive ainsi qu’au droit à la famille. La définition du crime requiert la détention illégale d’une ou plusieurs femmes, mises enceintes de force, avec l’intention spécifique de modifier la composition ethnique d’une population ou de commettre d’autres violations graves du droit international.

Trois femmes ayant connu ce sort ont été entendues durant le procès. Une des victimes témoigne : « Après avoir été kidnappée par les hommes de Ndarumanga en 2012 quand j’étais mineure, je suis restée emprisonnée pendant deux ans. Ndarumanga lui-même m’utilisait comme esclave sexuelle et pour préparer à manger. Il m’a imposé de relations sexuelles à maintes reprises et m’a rendue enceinte deux fois. J’ai été maltraitée par lui et ses hommes quand j’ai essayé de fuir et j’ai été obligée d’accoucher mon premier enfant en captivité ».

Le Tribunal a considéré que, lors de la captivité de ces trois femmes, Ndarumanga avait l’intention de commettre d’autres crimes graves à leur égard, y compris le viol. Cela était suffisant pour prouver ce crime contre l’humanité, même en l’absence de l’intention de modifier la composition ethnique d’une population.

« Il était important pour nous de considérer également les conséquences du crime sur les enfants issus du viol et des grossesses forcées. Ces enfants subissent un préjudice particulier qui doit être pris en compte pour qu’ils soient reconnus comme victimes directes et pour que la justice puisse leur octroyer des réparations spécifiques, notamment des mesures pour assurer une scolarisation et un soutien socioéconomique, médical et psychologique approprié » ajoute Chiara Gabriele, conseillère juridique principale de TRIAL International en RDC.

Il s’agit de la première fois qu’un tribunal pénal national reconnait le crime de grossesse forcée comme crime international prévu par le Statut de Rome de la CPI.

 

Justice pour les victimes à la fin du procès

Afin de juger les crimes commis par Ndarumanga, le Tribunal Militaire de Garnison d’Uvira s’est rendu en audience foraine à Mwenga, au plus près des 121 victimes qui se sont constituées parties civiles dans cette affaire. Le procès s’est déroulé du 8 au 15 mai 2023 et a permis aux juges d’entendre des dizaines de victimes et témoins des événements.

A la fin du procès, le Tribunal a reconnu Ndarumanga responsable de crimes contre l’humanité par meurtre, torture, viol, esclavage sexuel, grossesse forcée, emprisonnement et autres actes inhumains. Le chef de guerre a écopé d’une peine de prison à vie et une compensation financière a été prononcée en faveur de toutes les victimes. La responsabilité civile de l’État congolais n’a pas été reconnue pour les crimes en question.

TRIAL International a soutenu la documentation des crimes commis par Ndarumanga et a accompagné les avocat·e·s des parties civiles dans la procédure.

« Nous nous réjouissons pour ce verdict favorable aux victimes qui voient leurs droits affirmés avec la condamnation de Ndarumanga. Nous estimons que l’État congolais aurait dû être sanctionné sur le plan civil pour ne pas avoir protégé sa population pendant la longue période de commission des crimes. Néanmoins, cette affaire représente une avancée très importante pour la lutte contre les violences sexuelles en période de conflit de par la reconnaissance du crime de grossesse forcée » explique Daniele Perissi, responsable du programme en RDC de TRIAL International.

 

La population civile victime de crimes systématiques pendant plus de 10 ans

Les Raia Mutomboki, ou « les citoyens en colère » en swahili, sont des mouvements locaux d’autodéfense qui se sont structurés en groupes armés et qui opèrent dans la province du Sud Kivu. Ces groupes ont pris de l’ampleur à partir de 2011 en réaction aux attaques commises contre la population par la milice rwandaise FDLR (Forces démocratiques pour la libération du Rwanda), facilitées par un vide sécuritaire lié à la restructuration de l’armée congolaise.

La faction « Ndarumanga » des Raia Mutomboki, quant à elle, s’est disputée le contrôle de plusieurs zones dans les territoires de Walungu et Shabunda en menant des attaques armées répétées entre 2012 et 2021, parfois contre d’autres groupes armés présents dans la région, parfois en coalition avec certains groupes armés contre l’armée congolaise. Lors de ces attaques, de nombreuses exactions ont été commises contre la population civile.

Suite à son arrestation en novembre 2021, les crimes de Ndarumanga ont fait l’objet d’une enquête judiciaire menée par les autorités militaires de poursuite qui a conduit à sa mise en accusation en aout 2022 pour crimes contre l’humanité.

 

Le travail de TRIAL International sur ce dossier est mené dans le cadre de la Task Force Justice Pénale Internationale du Sud Kivu, un réseau informel d’acteurs internationaux qui collaborent afin de soutenir le travail des juridictions congolaises dans l’enquête et la poursuite des crimes de masse en RDC.

Conflit en Ukraine et responsabilité des acteurs économiques : la compétence universelle plus que jamais au service de la lutte contre l’impunité

TRIAL International, en collaboration avec Civitas Maxima, Center for Justice and Accountability (CJA), ECCHR, FIDH et REDRESS, publie aujourd’hui l’édition 2023 du Rapport annuel sur la compétence universelle (Universal Jurisdiction Annual Review, UJAR). L’utilisation croissante du principe de la compétence universelle et extraterritoriale pour faire reculer l’impunité des crimes internationaux est soulignée par le rapport, qui récence 27 nouvelles affaires l’an dernier, sur les 93 couvertes par le UJAR. Cette tendance a été renforcée, d’une part, par la mobilisation de nombreuses autorités de poursuite nationales face aux atrocités commises sur le territoire ukrainien suite à l’invasion russe, d’autre part par des nouvelles enquêtes visant des acteurs économiques.

© REUTERS / Stringer

 

Avancées de la compétence universelle en 2022

Le UJAR recense les affaires relevant de la compétence universelle et extraterritoriale pour les crimes internationaux de génocide, crimes de guerre, crimes contre l’humanité, torture et disparitions forcées. L’année 2022 a été marquée par des avancées importantes dans ce domaine avec notamment des condamnations historiques en Allemagne (Anwar Raslan), en Suède (Hamid Noury) et en France (Kunti Kamara). Suite à ces décisions, le nombre de condamnations prononcées sur la base de la compétence universelle ou extraterritoriale recensées depuis la première parution du UJAR en 2015 s’élève à 78.

 

L’élan en faveur de l’Ukraine devrait être étendu à l’ensemble des crimes commis

Les atrocités commises suite à l’invasion russe en Ukraine ont déclenché une mobilisation sans précédent tant des autorités de poursuite nationales que des institutions internationales comme la Cour pénale internationale. Au moins 11 enquêtes ont été lancées à travers l’Europe et le Canada sur la base de la compétence universelle. Si cette mobilisation est fondamentale, elle ne doit cependant pas faire oublier le besoin de justice dans d’autres contextes.

 

CHIFFRES-CLÉS 2022

 

Les acteurs économiques sous la loupe de la justice

2022 a également vu l’augmentation des procédures judiciaires mettant en cause la responsabilité d’acteurs économiques basés en Europe pour crimes internationaux. 12 enquêtes sont en cours notamment en France, en Suède et en Suisse contre des entreprises,  leurs cadres dirigeants et/ou des hommes d’affaires concernant leur implication présumée dans des crimes internationaux. Ces applications prometteuses de la compétence universelle et extraterritoriale sont notamment le résultat d’efforts de longue date de la société civile visant à mettre tous les auteurs de crimes face à leurs responsabilités, y compris les entreprises les plus puissantes.

« L’année 2022 a été marquée par un élan sans précédent en faveur de la compétence universelle. Pour soutenir et pérenniser cet engagement des juridictions nationales dans la quête de justice, chaque État devrait plus fermement assumer ses obligations de combattre ces crimes en se dotant de ressources adéquates et de cadres législatifs appropriés », a souligné Philip Grant, Directeur exécutif de TRIAL International.

 

À propos du UJAR 2023

Le UJAR 2023 a été rédigé par Shoshana Levy. Cette publication a bénéficié du généreux soutien de la Oak Foundation, de la Taiwan Foundation for Democracy et de la Ville de Genève.

 

À propos de la compétence universelle

Le principe juridique de compétence universelle est fondé sur l’idée que les crimes internationaux sont d’une nature si grave qu’ils constituent une atteinte à tous les êtres humains et que la lutte contre l’impunité dont jouissent les responsables de ces crimes ne devrait pas connaître de frontières. En vertu de ce principe, les États ont l’obligation de poursuivre les suspects/es de crimes internationaux se trouvant sur leur territoire – et ce quelle que soit la nationalité des suspects et de leurs victimes, et indépendamment du lieu de commission des crimes.

 

Télécharger le UJAR 2023

(disponible uniquement en anglais)

Cet article n’existe qu’en anglais. Pour le lire, cliquez ici.

Le 1er mars 2023, trois miliciens du groupe armé Raia Mutomboki Bralima ont été condamnés par le Tribunal Militaire de Garnison de Bukavu (province du Sud Kivu) pour crimes contre l’humanité. Les trois prévenus ont été condamnés à entre dix et vingt ans de prison pour meurtre, viol, esclavage sexuel, torture et autres actes inhumains.

Le Tribunal les a également condamné au paiement de réparations allant de 1’700 à 4’000 USD attribuées aux vingt victimes représentées lors du procès. L’État congolais a été reconnu responsable et condamné à prendre en charge toutes les mesures d’accompagnement psychologique et médical des victimes souffrant encore des conséquences des actes susmentionnés.

© TRIAL International

Les Raia Mutomboki au Sud Kivu

Les Raia Mutomboki sont des mouvements locaux d’autodéfense qui se sont structurés en groupes armés et qui opèrent dans l’est de la RDC, notamment dans la province du Sud Kivu.

Ces groupes ont pris de l’ampleur entre 2011 et 2012, en réaction à la prise de contrôle des centres miniers et aux attaques contre la population par la milice rwandaise FDLR (Forces démocratiques pour la libération du Rwanda), facilitées par un vide sécuritaire lié à la restructuration de l’armée congolaise.

La création et la mobilisation de ces mouvements d’autodéfense a attiré les membres de l’élite politique et militaire. Plusieurs commandants de l’armée nationale ont fait défection pour les rejoindre et ont contribué à leur développement en recrutant des jeunes de la place ainsi qu’en prenant le contrôle des principales concessions minières ou autres ressources naturelles.

Plusieurs dizaines de groupes Raia Mutomboki ont opéré dans le Sud Kivu ces dernières années. Parfois des coalitions se sont formées, mais elles ont eu une durée limitée, chaque groupe ayant sa structure et ses ambitions.

 

Des attaques répétées entre 2017 et 2021

En 2016, la région de Nindja, dans le territoire de Kabare, a connu une situation de tensions politiques suite à la mort du chef coutumier local et la lutte pour sa succession. Le groupe Raia Mutomboki Bralima a décidé de s’insérer dans cette dynamique en soutenant l’un des prétendants au poste de chef coutumier.

C’est ainsi que, au cours des années 2017 à 2021, cette milice a lancé des attaques répétées contre les populations civiles de multiples villages dans le territoire de Kabare. Durant ces attaques, les miliciens dépouillaient toute victime capturée, incendiaient les maisons de la population, pillaient leur bétail, enlevaient des femmes et des jeunes filles qui étaient soumises à des viols et réduites en esclavage sexuel.

 

La procédure judiciaire

Des ONG de la société civile avaient documenté les crimes commis par le groupe Bralima ainsi que d’autres milices actives sur le même territoire et avaient soumis des dénonciations à la justice. Les forces étatiques n’étant pas stationnées dans ces localités, les individus responsables de ces crimes n’ont pu être appréhendés qu’après d’intenses affrontements dans la zone et suite à une reddition collective de plusieurs miliciens auprès de la base locale de la mission de maintien de la paix de l’ONU en RDC (MONUSCO) en 2021.

Parmi les individus qui ont rendu les armes, trois ont été identifiés par la justice comme des combattants actifs du groupe Bralima et ont été reconnus par les victimes comme faisant partie des responsables directs des crimes subis. Suite à des enquêtes complémentaires menées entre 2022 et début 2023, les autorités judiciaires ont renvoyé les trois prévenus au procès qui s’est tenu en audience foraine au courant du mois de février à Walungu.

TRIAL International a appuyé l’ONG congolaise qui a fourni une sensibilisation et un accompagnement aux victimes pour qu’elles puissent participer au procès, et a coordonné le travail du collectif d’avocats qui a représenté les victimes tout au long de la procédure judiciaire.

« Les avocats des victimes, accompagnés par TRIAL International, ont obtenu la séparation des poursuites visant deux factions différentes de la milice Raia Mutomboki. Cela a permis de mieux étayer la responsabilité pénale des 3 prévenus membres du groupe armé Bralima et de prouver la responsabilité de l’État congolais pour n’avoir pas empêché la commission des crimes dans cette partie du territoire national. Nous allons nous investir pour que les crimes commis par les autres membres du mouvement Raia Mutomboki répondent de leurs actes devant la justice conformément à la loi », explique Ghislaine Bisimwa, conseillère juridique de TRIAL International en RDC.

Ce verdict intervient à la suite d’autres procédures judiciaires que la justice congolaise a mené contre les chefs des groupes Raia Mutomboki dans les dernières années, notamment l’affaire Kokodikoko en 2019 et l’affaire Hamakombo en 2020. Plusieurs procédures sont en cours concernant d’autres groupes Raia Mutomboki.

 

Edit 05/06/2024: En juin 2024, la Cour Militaire du Sud Kivu a confirmé la condamnation des miliciens pour meurtre, vol et participation à un mouvement insurrectionnel. Cependant, la qualification de crimes contre l’humanité n’a pas été retenue et les peines de prisons ont été réduite à 10 et à 5 ans.

 

Le travail de TRIAL International sur ce dossier est mené dans le cadre de la Task Force Justice Pénale Internationale du Sud Kivu, un réseau informel d’acteurs internationaux qui collaborent afin de soutenir le travail des juridictions congolaises dans l’enquête et la poursuite des crimes de masse en RDC.

 

Les régimes autoritaires et dictatoriaux ne sont pas les seuls à s’attaquer aux droits humains. Dans une économie mondialisée où les entreprises multinationales rivalisent avec les États pour le pouvoir, les abus commis par certains acteurs économiques montrent que les entreprises et les individus engagés dans des activités commerciales et financières, peuvent eux aussi causer des violations importantes du droit international.

© Guy Oliver / IRIN

Lorsque ces violations sont commises par des acteurs économiques liés à des régimes autoritaires, elles compromettent la transition démocratique, le respect des droits humains et l’État de droit, et peuvent contribuer au saccage de l’environnement et de graves atteintes à la santé. En ce sens, il semble tout à fait urgent de responsabiliser ces acteurs afin de renforcer la paix et la sécurité internationales, en plus de faire émerger un système économique mondial où la dignité humaine serait universellement respectée.

Depuis de nombreuses années, TRIAL International accroit ses efforts dans la lutte contre l’impunité des acteurs économiques dans des contextes de conflits et de situations de violence généralisée. Notre programme Procédures et Enquêtes Internationales, lancé en 2011, documente des cas de violations et dépose des plaintes afin de traduire en justice des individus et des entreprises soupçonnés d’avoir commis ou d’être complices de crimes internationaux.

  • En 2011, nous avons, conjointement avec l’ONG palestinienne Al-Haq, déposé plainte contre la filiale suisse de la société américaine Caterpillar, pour avoir prétendument aidé et encouragé la commission de crimes de guerre dans les territoires palestiniens occupés, en exportant des bulldozers utilisés pour détruire des habitations civiles. Si le Ministère public de la Confédération (MPC) a estimé que les forces de défenses israéliennes pouvaient bien avoir commis des crimes de guerre en recourant à ces bulldozers, il a jugé que l’entreprise ne pouvait pas être tenue pour complice de tels actes.
  • En 2013, conjointement avec l’Open Society Justice Initiative, nous avons déposé une plainte contre la raffinerie d’or suisse Argor-Heraeus SA pour avoir prétendument été complice de pillage, en raffinant de l’or extrait illégalement de mines dans une zone de conflit en République démocratique du Congo. Là encore, même s’il n’était pas contesté que l’or en question avait été pillé, le MPC a estimé que l’entreprise tessinoise n’avait rien, pénalement parlant, à se reprocher.

Depuis ces deux revers, les choses semblent enfin bouger positivement. En Suisse, le nouveau Procureur général de la Confédération a publiquement indiqué l’été dernier qu’il allait se pencher plus activement sur certaines affaires pouvant donner lieu à des soupçons de pillage. Or, le pillage est un crime de guerre qui, lorsque commis par des acteurs économiques, n’a jamais été poursuivi depuis la fin de la Seconde guerre mondiale !

Des enquêtes sont en cours et des procès pourraient bientôt se dessiner, mettant enfin en cause la responsabilité pénale d’acteurs économiques dans la commission de crimes de guerre. Trois dénonciations pénales, relatives à des faits de pillage de ressources naturelles, minières et énergétiques lors de conflits en Casamance, en République démocratique du Congo et en Libye, ont été déposées par TRIAL International devant le MPC. Il est grand temps que les tribunaux commencent à rendre des jugements de principe à même d’influencer la pratique d’entreprises multinationales ou d’hommes d’affaires véreux, dont les comportements peuvent contribuer à alimenter les conflits et à financer des groupes armés qui commettent des violations graves.

Ces procédures sont lentes et laborieuses. De notre côté, nous continuerons sans relâche à nous assurer que les entreprises, quelles que soient leur taille, leur structure ou la nature de leurs activités, respectent le droit international. Votre soutien demeure essentiel, dans ces affaires comme dans toutes les autres que nous portons aujourd’hui, en Suisse et dans le reste du monde.

Soutenez notre lutte contre l’impunité. Faites un don aujourd’hui !

Les nombreuses affaires gagnées en 2022 n’auraient pu avoir lieu sans votre soutien. Toute l’équipe de TRIAL International vous en est grandement reconnaissante. Nous nous engageons à continuer ce combat en 2023, et à travailler chaque jour pour obtenir vérité, justice et réparations pour les victimes et survivant·e·s des pires violences. Faites-un don pour y participer vous aussi !

A l’occasion du 12èmeanniversaire de la première tentative d’assassinat de Feu Audace Vianney Habonarugira, tué lors d’une deuxième tentative quatre mois plus tard, les ONG plaignantes dans le dossier rendent publique la décision de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) reconnaissant que la mort de M. Habonarugira est le résultat d’une action d’agents de l’État burundais couplée à l’inaction de ce dernier.


©TRIAL International / Landry Nshimiye Bujumbura_Radio Publique Africaine

7 mars 2023 – L’ACAT-Burundi, l’APRODH, le FOCODE, le FORSC et TRIAL International saluent la décision de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (la Commission africaine) dans le dossier concernant Feu Audace Vianney Habonarugira.

Ancien colonel démobilisé des Forces nationales de libération (FNL), Habonarugira avait été menacé à maintes reprises avant de faire l’objet d’une tentative d’assassinat perpétrée par des agents de l’État burundais le 7 mars 2011. Tombé dans le coma, il n’est sorti de l’hôpital qu’en fin juin 2011 et a commencé à vivre en clandestinité, toujours recherché. Mais cela ne lui a pas sauvé la vie. Piégé par un imposteur lui ayant donné rendez-vous le 14 juillet 2011, il sera retrouvé mort le lendemain. Son corps présentait des blessures par balles.

L’enquête judiciaire ouverte au Burundi sur la tentative d’assassinat n’a jamais abouti à un résultat concret. Le même constat concerne d’ailleurs l’enquête prétendument ouverte sur son exécution extrajudiciaire. « Force est de conclure qu’aucune enquête effective et impartiale n’a été réellement menée sur ces faits par les autorités burundaises », indique Me Armel Niyongere, Président de l’ACAT-Burundi. « Dans sa décision, la Commission africaine demande enfin au Burundi de mener une enquête approfondie sur l’exécution de Feu Habonarugira et les autres violations qu’il a subies », continue Me Niyongere.

« Qui plus est, la Commission africaine reconnaît que la famille de Feu Habonarugira a été elle-même victime d’actes de torture morale » met en avant Me Vital Nshimirimana, Président du FORSC, « et a droit à une réparation adéquate et suffisante », ajoute-t-il, « comme la Commission africaine l’affirme clairement ».

Et la Commission africaine va même plus loin. « Elle demande au Burundi de mettre en place des mécanismes pour lutter contre l’impunité généralisée en matière d’exécution extrajudiciaire et d’atteintes au droit à la vie », explique Pierre-Claver Mbonimpa, Président de l’APRODH. « Cela est pour nous un résultat important : la Commission reconnaît ainsi que le cas de Feu Habonarugira est loin d’être un cas isolé au Burundi», déclare aussi Mbonimpa.

En effet, des exécutions extrajudiciaires d’opposants ou d’anciens opposants au gouvernement burundais ainsi que d’autres assassinats à caractère politique ont continué depuis 2011, comme cela ressort de nombreux rapports sur la situation des droits humains au Burundi. Dans la grande majorité de ces cas, ni les auteurs, ni les commanditaires de ces crimes n’ont été poursuivis en justice.

« C’est pourquoi une réponse institutionnelle qui va bien au-delà de ce cas emblématique est nécessaire », souligne Pacifique Nininahazwe, Président du FOCODE. « Dans ce sens, la Commission africaine demande également aux autorités burundaises d’adopter toutes les mesures nécessaires pour que de tels faits ne se reproduisent pas, y compris en s’assurant de la pleine application de la Loi de 2016 sur la protection des victimes, des témoins et d’autres personnes en situation de risque », précise Nininahazwe.

Dans sa décision sur le dossier Habonarugira, la Commission africaine revient également sur les recommandations qu’elle a formulées dans le rapport sur sa mission d’établissement des faits au Burundi en 2015 et en demande la mise en œuvre. A l’époque, la Commission africaine avait recommandé, entre autres, « l’établissement au Burundi d’un tribunal spécial ayant le soutien de la communauté internationale et dont les mandats incluraient de tenir pour pénalement responsables les auteurs des violations des droits de l’homme et autres exactions ». Cette recommandation demeure toujours très pertinente mais n’a jamais été mise en application. Depuis, la Cour pénale internationale (CPI) a ouvert une enquête – qui est toujours en cours – sur les crimes graves commis au Burundi entre 2015 et 2017, cadre temporel qui peut d’ailleurs être étendu si certaines conditions sont remplies.

« Un message fort de lutte contre l’impunité au Burundi a été envoyé par la décision de la Commission africaine », conclut Pamela Capizzi, Responsable du Pôle d’expertise juridique au sein de TRIAL International. « Les autorités burundaises doivent maintenant faire preuve de bonne volonté, en mettant promptement en œuvre les recommandations qui leur ont été adressées et en s’engageant pour de bon dans un processus crédible et durable de justice ».

La décision de la Commission africaine est disponible en pièce jointe (uniquement en français)

Le procès du chauffeur présumé de « l’escadron de la mort » gambien se poursuit en Allemagne

 (Berlin, 19 janvier 2023) – Un citoyen ghanéen qui a survécu au massacre d’environ 59 migrants originaires d’Afrique de l’Ouest par un escadron de la mort paramilitaire, en juillet 2005, en Gambie va témoigner devant une cour le 19 janvier 2023 dans la ville allemande de Celle, ont annoncé aujourd’hui ANEKED, Human Rights Watch, la Commission Internationale de Juristes, la Fondation Solo Sandeng et TRIAL International. L’escadron de la mort aurait été mis en place par l’ancien président gambien Yahya Jammeh. Le procès est celui de Bai L. qui est accusé d’avoir été impliqué dans les meurtres.

Martin Kyere seul survivant du massacre des migrants prise devant son portait à la Memory House de Aneked. Gambie, 2022

Martin Kyere, le ghanéen qui va témoigner, a été arrêté par les forces de sécurité gambiennes dans la ville de Barra en juillet 2005, aux côtés d’autres ressortissants d’Afrique de l’Ouest, notamment du Ghana, du Nigeria, du Sénégal, de la Côte d’Ivoire et du Togo. Jammeh suspectait apparemment les migrants d’être des mercenaires fomentant un coup d’État contre lui. Il aurait alors ordonné à l’escadron de la mort, connu sous le nom de « Junglers », d’assassiner les migrants. Seul Martin Kyere a réussi à s’échapper. Par la suite, il a rallié les familles des victimes et a demandé que justice soit faite.

« Moi-même et toutes les familles des victimes prions chaque jour pour que les auteurs du massacre de 2005 soient traduits en justice » a déclaré Oduro Mensah, le frère d’une victime ghanéenne du massacre. « Le témoignage de Martin est très important car il contribuera à faire la lumière sur les événements qui m’ont enlevé mon frère ».

En mars 2021, les autorités allemandes ont arrêté Bai L., un membre présumé des Junglers qui habitait à Hanovre. Son procès a commencé le 25 avril 2022 et devrait bientôt se terminer. Il s’agit du premier procès basé sur la compétence universelle à juger des atrocités commises durant la dictature de Jammeh. Un autre Jungler présumé, Michael Correa, 43 ans, a été inculpé aux États-Unis en juin 2020. Correa est accusé d’avoir torturé des détenus après une tentative de coup d’État manquée en Gambie en 2006. En Suisse, une enquête est en cours pour crimes contre l’humanité contre l’ancien Ministre de l’intérieur Ousman Sonko, depuis son arrestation en 2017.

Ce procès est possible car l’Allemagne reconnaît la compétence universelle pour certaines violations graves du droit international, ce qui permet d’enquêter et de poursuivre des crimes internationaux quel que soit le lieu où ils ont été commis et indépendamment de la nationalité des suspects ou des victimes. « Les autorités allemandes ont été particulièrement proactives dans les poursuites judiciaires sur la base de la compétence universelle », a déclaré le groupe d’ONG.

Les procureurs allemands accusent Bai L. d’avoir conduit, en tant que chauffeur des Junglers, ses complices sur différentes scènes de crimes entre décembre 2003 et décembre 2006. Il est accusé d’avoir été impliqué dans le meurtre de Deyda Hydara, journaliste et co-fondateur du journal gambien The Point, dans celui de Dawda Nyassi, opposant présumé de l’ancien président ainsi que dans la tentative de meurtre de l’avocat Ousman Sillah. Dans son rapport final, la Commission gambienne vérité, réconciliation et réparations (TRRC pour Truth Reconciliation and Repararions Commission) a recommandé la poursuite de Bai L. concernant les affaires Hydara et Sillah, ainsi que pour les meurtres des migrants originaires d’Afrique de l’Ouest en 2005. Bai L. a, lui-même, fourni des détails sur ces évènements lors d’interviews radio en 2013 et 2014.

En octobre 2022, Bai L. s’est exprimé pour la première fois depuis le début de son procès, il a affirmé que les détails partagés sur ces meurtres lors des interviews de 2013 et 2014 étaient basés sur des éléments qui lui avaient été racontés par d’autres personnes et qu’il n’avait pas fait partie des Junglers.

D’autres témoins qui se sont exprimés jusqu’à présent comprennent des enquêteurs allemands , d’anciens soldats gambiens, le juge d’asile allemand qui a interrogé Bai L. ainsi que Ida Jagne et Nian Sarang Jobe qui étaient dans la voiture que conduisait Deyda Hydara lorsqu’il a été tué. Pap Saine, co-fondateur du journal The Point avec Deyda Hydara, le journaliste Baba Hydara, fils de Deyda Hydara, Fatou Sillah, fille d’Ousman Sillah et Omar Nyassi, fils de Dawda Nyassi ont également témoigné.

Dr. Peer Stolle, l’avocat de Martin Kyere, a déclaré que « le témoignage de Martin Kyere est très important pour le procès car il est le seul témoin qui a survécu au massacre. Sa déclaration va illustrer une nouvelle fois la nature généralisée de l’attaque contre la population civile ordonnée par le président Jammeh et exécutée par les Junglers ».

Le règne de Jammeh qui a duré 22 ans a été marqué par une politique d’oppression systématique accompagnée de graves violations des droits humains à l’encontre de tout opposant réel ou supposé à Jammeh, notamment des actes de torture, des exécutions extrajudiciaires, des disparitions forcées et des violences sexuelles. Bien que le massacre des migrants soit l’une des atrocités les plus meurtrières commises durant le régime de Jammeh, leurs familles attendent toujours que justice soit faite et que des comptes soient rendus. L’engagement infatigable de Martin Kyere pour la vérité et la justice l’a amené à traverser le Ghana pour retrouver les familles des personnes qui avaient voyagé avec lui, ce qui a permis de faire la lumière sur le massacre.

Des fonctionnaires de l’ère Jammeh auraient entravé les tentatives précédentes d’enquêtes sur le massacre, y compris l’enquête conjointe menée par les Nations Unies et la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) en 2008.

La campagne « Jammeh2Justice », composée de victimes de l’ancien régime ainsi que d’activistes gambiens et internationaux, a indiqué que le gouvernement devrait prendre des mesures concrètes pour traduire Jammeh et ses complices en justice.

Le Procureur général gambien Dawda Jallow et le président de la CEDEAO Omar Touray ont récemment commencé à discuter de la création d’un tribunal hybride pour la poursuite des violations des droits humains par et sous l’ancien président Jammeh. Le gouvernement a également annoncé qu’il prévoyait de créer un bureau du procureur spécial chargé de préparer des preuves pour les procédures.

Pour plus d’informations, veuillez contacter :

Peer Stolle, avocat de Martin Kyere et Ida Jagne, à Berlin (Allemand, Anglais) : stolle@dka-kanzlei.de, +49 30 446792 16

Patrick Kroker, avocat de Baba Hydara et de Omar and Modou Nyassi, à Berlin (Allemand, Anglais, Français): info@patrickkroker.net, +49 170 8136258 ; Twitter: @pkroker2

Nana-Jo Ndow, ANEKED, à Berlin (Anglais, Français, Espagnol, Portugais), nanajo.ndow@aneked.org, +49 17628233831; Twitter: @theANEKED

Reed Brody, Commission Internationale de Juristes, à Barcelone (Anglais, Espagnol, Français, Portugais) : reedbrody@gmail.com, +1-917-388-6745 ; Twitter : @reedbrody

Elise Keppler, Human Rights Watch, à New York (Anglais, Français): kepplee@hrw.org, +1-917-687-8576; Twitter: @EliseKeppler

Olivia Gerig, Chargée des relations avec les médias, TRIAL International, à Genève (Allemand, Anglais, Français), o.gerig@trialinternational.org, +41 22 321 61 10 ; Twitter : @Trial

Le 13 décembre 2013, alertée de sa présence en Suisse, TRIAL International déposait une dénonciation pénale à l’encontre de Rifaat Al-Assad auprès du Ministère public de la Confédération (MPC) pour sa responsabilité présumée dans le massacre commis dans la ville syrienne de Hama en février 1982.

TRIAL International et le défenseur des droits de l’homme Anwar Al-Bunni reviennent aujourd’hui sur les moments-clés du dossier, dont l’instruction en Suisse n’est pas encore clôturée, neuf ans après l’ouverture de l’enquête à l’encontre de celui que l’on surnomme « Le boucher de Hama ».

Photo of destruction in Hama following the Hama Massacre in 1982
Photo of destruction in Hama following the Hama Massacre in 1982.

Une procédure qui cristallise énormément d’espoir…

Le 19 décembre 2013, une instruction pour crimes de guerre s’ouvrait à Berne contre Rifaat Al-Assad – l’oncle de l’actuel président syrien – qui était en février 1982 à la tête des « Brigades de défense ». Les troupes de Rifaat Al-Assad sont suspectées d’avoir participé au siège et à l’assaut de la ville de Hama aux côtés d’éléments de l’armée régulière syrienne. Durant presqu’un mois, les habitants de Hama ont été pris au piège, en proie des bombardements incessants de l’artillerie, sans électricité et sans possibilité de s’approvisionner.

Selon diverses sources, plusieurs dizaines de milliers de personnes – majoritairement civiles – auraient trouvé la mort dans ce qui a été l’un des pires carnages de l’histoire syrienne. Des quartiers entiers de la ville auraient également été détruits durant les quatre semaines d’assaut.

Anwar Al-Bunni se souvient : « je vivais encore en Syrie lorsque j’ai appris qu’une enquête s’était ouverte contre Rifaat Al-Assad en Suisse. J’étais très heureux qu’une organisation se préoccupe de Hama. Ce dossier était la preuve que la poursuite des membres du régime était possible. Il allait ouvrir la voie à d’autres procédures ».

Plus de 40 ans après le massacre, la nécessité de la poursuite pénale de Rifaat Al-Assad reste indiscutable et les espoirs d’une mise en accusation et d’un procès sont intacts.

Selon Anwar Al-Bunni “le massacre de Hama constitue un moment charnière dans la prise de contrôle du pays par le clan Al-Assad. Au-delà de la poursuite de Rifaat Al-Assad sur le plan pénal, c’est la responsabilité de son frère Hafez et celle d’autres responsables du régime qui est mise en évidence grâce à ce dossier », raison pour laquelle il est aujourd’hui impératif que justice soit rendue aux victimes du massacre.  

… et des incertitudes

Dans le cadre de la procédure ouverte à son encontre en Suisse, Rifaat Al-Assad a été brièvement entendu en septembre 2015 par le MPC, alors qu’il se trouvait à nouveau de passage à Genève. Il s’agit de l’unique audition du prévenu dans cette affaire, laquelle est intervenue plusieurs années avant qu’il ne fuie l’Europe pour retourner en Syrie, où il se trouve maintenant et est protégé par le régime.

En effet, en octobre 2021, Rifaat Al-Assad a quitté la France, pays dans lequel il résidait, alors qu’il était condamné depuis 2020 à quatre ans de prison pour des infractions financières (blanchiment d’argent et détournement de fonds publics). Cette condamnation a été confirmée en appel, puis définitivement par la Cour de cassation le 7 septembre 2022.

Selon Anwar Al-Bunni, « l’annonce de sa fuite a été une immense déception pour les Syriens et les circonstances de son départ posent beaucoup de questions. Comment la France a-t-elle permis qu’il quitte le territoire alors qu’il faisait l’objet d’une condamnation pénale et qu’il faisait l’objet d’un contrôle judiciaire ? ».

En Suisse, la procédure concernant le massacre de Hama ne semble plus avoir progressé outre mesure depuis son départ. Selon Benoit Meystre, conseiller juridique à TRIAL International, « le retour du prévenu en Syrie ne signifie pas que justice ne puisse plus être rendue. Les autorités doivent poursuivre leur travail dans le respect des engagements internationaux pris par la Suisse, terminer leur enquête et renvoyer Rifaat Al-Assad en jugement ».

Le prévenu est aujourd’hui âgé de 85 ans ce qui rend d’autant plus nécessaire que des démarches soient entreprises à court terme en vue d’un renvoi en jugement.

 

La compétence universelle : un outil au service de la justice et des victimes des crimes commis en Syrie

L’exercice de la compétence universelle – cet instrument juridique qui rend possible la poursuite de Rifaat Al-Assad en Suisse alors même que le massacre a été commis en Syrie – a d’ores et déjà fait ses preuves s’agissant des crimes commis dans le pays. C’est le cas en Allemagne où s’est déroulé le procès historique d’Anwar Raslan, un haut fonctionnaire du régime condamné à la prison à perpétuité en janvier 2022 pour crimes contre l’humanité à savoir de nombreux actes de torture, des assassinats ainsi que des violences sexuelles.

« Le procès de Coblence a mis en évidence les crimes contre l’humanité commis par le régime. Il a apporté de la lumière dans les ténèbres » explique Anwar Al-Bunni avant de préciser : « les procédures initiées sur la base de la compétence universelle sont très importantes car elles envoient un message fort aux responsables des crimes syriens. Ils ne peuvent plus se cacher et ne sont plus intouchables ».

À ce titre, Anwar Al-Bunni insiste sur la nécessité d’une coopération toujours plus étendue entre organisations syriennes et internationales de même que sur la mise à disposition par les États, de moyens plus efficaces pour poursuivre les auteurs des exactions perpétrées en Syrie : « il y a actuellement dix procédures ouvertes à l’encontre de responsables syriens entre les Pays-Bas, l’Allemagne, la Suède, la Belgique, l’Autriche et la Suisse et ces États doivent collaborer dans le but d’une justice plus efficace ».

Et Anwar Al-Bunni de rappeler que la poursuite et la condamnation de responsables syriens sur la base de la compétence universelle « donne également un message d’espoir aux victimes des crimes commis ailleurs dans le monde notamment en Turquie, en Égypte, en Iran, au Yémen, en Algérie, en Tunisie, au Venezuela ».

 

Le courage des victimes à souligner

 Les procédures pénales initiées contre les responsables du régime syrien ne pourraient avoir lieu sans la participation des victimes, dont le courage et la persévérance constituent des exemples d’humilité. Selon les mots d’Anwar Al-Bunni « je suis fier du courage démontré par les victimes, qui prennent des risques importants en venant témoigner dans ces procédures afin que justice soit rendue alors qu’elles ont, pour certaines d’entre elles, encore de la famille en Syrie ».

À la question de savoir ce qu’il souhaiterait leur dire, Anwar Al-Bunni répond sans hésitation : « j’aimerais encourager toutes les victimes à rester fortes. Plus fortes elles seront, plus faibles seront les bourreaux ».

Anwar Al-Bunni :

Anwar Al-Bunni est né à Hama en 1959. Il est avocat et défenseur des droits humains. En Syrie, il a défendu de nombreux prisonniers politiques avant d’être incarcéré pour son activisme. Il a quitté la Syrie en 2014 et a obtenu l’asile en Allemagne où il réside actuellement. Il est à l’origine de la poursuite et de la condamnation d’Anwar Raslan dans ce pays.

Anwar Al-Bunnni a été nommé parmi les cent personnes les plus influentes de 2022 par le magazine Time pour sa lutte contre l’impunité des crimes commis en Syrie aux côtés de l’avocat Mazen Darwish, syrien lui aussi.

 

Lire l’article en arabe sous format pdf ici

Le 25 novembre 2022, Philip Grant, co-fondateur et directeur de notre organisation, a reçu le doctorat honoris causa de l’Université de Bâle en reconnaissance du travail qu’il mène depuis vingt ans avec TRIAL International dans la lutte contre l’impunité. A cette occasion, il dévoile où, quand et comment tout a commencé…

25 novembre 2022 – Prof. Wolfgang Wohlers (gauche) remet à Philip Grant (centre) le doctorat honoris causa de l’Université de Bâle © Université de Bâle / Christian Flierl

 

 

Vertiges

 

« Never doubt that a small group of thoughtful, committed citizens can change the world;

indeed, it’s the only thing that ever has. »

Margaret Mead

L’envol

TRIAL International fut en quelque sorte enfantée dans la carlingue d’un avion.

La surprise fut si grande que, les yeux écarquillés et les sourcils en suspension, je levai la tête de mon journal et tendis le cou, scrutant le regard de mes compagnons de cabine à la recherche d’une confirmation. Mais je paraissais être le seul à avoir ressenti cette espèce de vertige qu’un trou d’air peut causer, lorsque le cœur vous remonte dans la gorge. Le vol TR02 à destination de Genève n’avait cependant toujours pas quitté le tarmac. Le vertige, c’est bien le Général qui l’avait provoqué.

Car le Général venait d’être arrêté.

Sur la photo qui accompagnait l’article, les deux Bobbies postés devant le 20 Devonshire Place paraissaient mal à l’aise. Les bras croisés, leur casque bombé vissé bas sur la tête, ils faisaient face à une nuée de journalistes et de drapeaux. Que faisaient-ils là, à veiller devant The London Clinic ? Leur mission consistait certainement à empêcher qu’une personne non autorisée  un paparazzi au chômage depuis le récent décès de la Princesse du peuple ? un justicier solitaire ?  ne pénètre l’établissement hospitalier pour s’approcher du Général. À moins qu’il ne s’agît de prévenir que l’hôte de marque qui s’y faisait traiter ne s’en échappe, peut-être avec l’appui d’une grande admiratrice, l’ex-Dame de fer en personne.

En tout cas, ni les deux policiers ni les journalistes et les manifestants présents, ni le Général alité et désormais arrêté, ni en réalité qui que ce soit d’autre ce week-end-là ne mesuraient exactement la portée du feuilleton qui venait de débuter dans la capitale britannique. Le premier épisode d’une longue saga politico-judiciaire commençait en ce mois d’octobre 1998 et ses rebondissements aussi nombreux que spectaculaires durant les seize prochains mois allaient, pour bien longtemps, représenter le prototype même de la manière dont la justice pour les crimes de masse pourrait et, peut-être enfin, devrait s’incarner.

 

Coup d’État et coup d’éclat

Je ne vis pas le paysage défiler et la ligne d’horizon disparaître. L’avion avait depuis longtemps pénétré les nuages quand je réussis enfin à quitter l’article des yeux. « Mandat d’arrêt international ! ». « Procureur espagnol ! ». « Torture et disparitions forcées ! ». Alors que nous glissions justement au-dessus du quartier de Regent’s Park, où la clinique se trouvait, je sentis que l’arrestation d’Augusto José Ramón Pinochet Ugarte, ancien président du Chili, réunissait les ingrédients nécessaires et suffisants pour qu’une histoire riche en potentialités et capable de faire bouger les lignes prenne racine. L’embastillement du général putschiste, figure caricaturale des juntes militaires sud-américaines  surtout lorsqu’il prenait la pose au milieu d’une forêt de képis, bras croisés et yeux cachés derrière des lunettes sombres  permit, le temps d’un vol fantastique, à une petite idée de prendre corps : il fallait impérativement rééditer ce génial coup d’éclat.

Une idée, ce n’est pas encore une vision. Ça peut le devenir si l’on s’y accroche et s’y consacre. Si on la partage, la confronte, l’affine. Si on prend le temps et sacrifie l’énergie pour la faire cheminer du domaine de la pensée au règne du réel : bref, si on en fait quelque chose. L’idée initiale se cristallisa très vite et très simplement dans la volonté de reproduire, pour commencer, la « jurisprudence » Pinochet chez moi, en Suisse. Pays de tous les tourismes  sa nature spectaculaire, ses soins médicaux de pointe, ses services financiers et bancaires hors normes, son hôtellerie et son industrie du luxe irréprochables, ainsi que les innombrables conférences internationales qu’elle héberge attirent du beau monde – la Suisse offrait pourtant au jeune juriste remuant et féru d’histoire que j’étais, un défi de taille en raison d’une législation ancienne, lacunaire et complexe, fédéralisme oblige.

 

PinoCHet

La Suisse, Pinochet y avait au demeurant laissé des traces. Par le plus grand des hasards, et sans avoir évidemment pu à l’époque l’anticiper, j’avais déjà grossièrement défendu, quelques années plus tôt, la possibilité d’y arrêter l’ex-dictateur. Sa détention londonienne raviva ce souvenir endormi. Environ deux ans auparavant, l’auguste Pinochet devait en effet se rendre en Suisse. Il était devenu simple chef des forces armées après avoir largement perdu en 1988 un référendum qui aurait dû le maintenir au pouvoir. À la suite d’une précédente visite en 1994, la rumeur voulait qu’il souhaitât y revenir, possiblement pour rencontrer des industriels de l’armement. Le Conseil fédéral, fait rarissime, eut le courage un peu idiot de le déclarer persona non grata, en prononçant formellement une interdiction d’entrée sur le territoire. Démarche stupide pour l’assistant au Département de droit constitutionnel de l’Université de Genève que j’étais à l’époque et qui argumentait auprès de ses collègues qu’il fallait, au contraire, laisser le tortionnaire en chef chilien revenir fouler le sol de l’aéroport de Zurich, et immédiatement lui passer les menottes. Invoquer les termes tout à fait clairs de la Convention contre la torture des Nations unies, qui prévoyait précisément ce cas de figure, ne me valut pas le respect de mes confrères. « Ce n’est pas ainsi que les choses se passent », m’avaient-ils rétorqué alors. Jusqu’à ce que la photo des deux Bobbies prise en ce mois d’octobre 1998 ne confirme précisément l’inverse, et me gratifie d’une décharge d’adrénaline que je n’ai, à ce jour, pas encore épuisée.

 

98, année juridique

Il est vrai que le contexte s’y prêtait, tant la question de la justice pour les crimes les plus graves était dans l’air du temps en 1998. Exactement trois mois plus tôt, un événement lui aussi historique, et constitutif d’une étape majeure dans le combat contre l’impunité, s’était tenu à Rome, dont mon vol initiatique survolait maintenant le Palais des Congrès. À terre, le 17 juillet, une conférence diplomatique avait accouché de rien moins que du texte fondateur de la première Cour internationale permanente chargée de juger les crimes les plus atroces et massifs que l’être humain peut commettre envers ses semblables.

À l’issue d’une nuit marathon, le Statut de Rome de la Cour pénale internationale était finalement très largement approuvé (Chine, Israël et États-Unis nonobstant), à la satisfaction mesurée mais bien réelle de 120 États, de multiples organisations de la société civile et d’innombrables militants des droits humains épuisés par six semaines de mobilisation. Quatre jours plus tôt, des centaines de milliers de gens avaient défilé dans un bonheur et un déferlement de fierté monstres. Non pour encourager les négociateurs, les diplomates, les universitaires et les représentants des ONG à tenir bon pour poser les jalons d’un nouvel ordre planétaire fermement fondé sur le droit, mais pour célébrer la victoire des Bleus en finale de la Coupe du monde de football. Le symbolique coup de marteau final de cette mémorable conférence diplomatique n’avait été, quant à lui, suivi par aucune manifestation de masse, aucun cri de joie. Pas un trophée ne fut remis aux actrices et acteurs de cette avancée majeure. Les médias qui couvrirent l’événement prirent certes acte d’un développement nouveau, positif, reflétant la réalité des nouvelles relations internationales issues de la chute du mur de Berlin, mais sans être convaincus qu’une digue contre la barbarie venait réellement d’être érigée. Seule l’épreuve du temps le dirait.

 

Civilisation et ballon rond

Cinquante-trois ans avant la conférence de Rome, la déclaration d’ouverture de Robert H. Jackson avait à peine débuté qu’il en était déjà à formuler l’essentiel. Le procureur étasunien avait tout juste commencé à s’adresser aux quatre magistrats internationaux chargés de juger vingt-quatre des principaux responsables des horreurs nazies. Et déjà, le ton se voulait prophétique : « Les méfaits que nous avons à condamner et à punir ont été si calculés, si nuisibles et si dévastateurs que la civilisation ne saurait tolérer qu’ils soient ignorés, car elle ne pourrait survivre à leur répétition », lança-t-il à la face du monde et à celle des accusés, poursuivis pour avoir mis en place et alimenté la plus monstrueuse et la plus efficace machine à tuer de l’Histoire. On ne peut ignorer  et donc laisser impunis  des crimes d’une telle ampleur sans mettre en péril la survie même de la civilisation. Pendant qu’à l’été 1998 une partie de cette civilisation célébrait  ou pleurait  encore le 3 à 0 infligé au Brésil, une autre, bien plus petite, disposait enfin d’un outil pour prendre au sérieux l’appel lancé quelques décennies auparavant par l’honorable Jackson dans la salle d’audience 600 du tribunal de Nuremberg, que mon vol imaginaire se poursuivant, m’avait permis de deviner, quelques kilomètres plus bas, au travers d’un hublot mal lavé.

Cette mise en garde prémonitoire, mais bien vite écartée, guerre froide oblige, fut comprise par les idéalistes réunis dans la capitale italienne comme un principe sur lequel désormais bâtir. Si Rome ne s’est pas construite en un jour, le Statut de Rome prendrait lui aussi du temps pour déployer ses effets. Mais la digue contre la barbarie avait enfin trouvé ses architectes. Le travail pouvait débuter.

 

Frêles résultats

Jusqu’en 1998, la justice pour les crimes de droit international, que ce soient les génocides, les crimes contre l’humanité ou les crimes de guerre, avait très largement tâtonné. Certes, dès les années 1960, l’Allemagne avait relancé un certain nombre de procès d’anciens nazis. Bien entendu, Adolf Eichmann avait été kidnappé, jugé et condamné à Jérusalem en 1961. En France, Maurice Papon avait lui aussi été jugé et condamné, précisément en 1998 et avant lui, Klaus Barbie, ou encore Paul Touvier avaient été reconnus coupables. Ici ou là, des enquêtes et des procès s’étaient tenus devant des instances nationales. Pour leur part, les deux tribunaux pénaux internationaux mis en place quelques années plus tôt pour juger respectivement les atrocités commises en ex-Yougoslavie et au Rwanda n’avaient à leur actif, en cette année charnière, que trois condamnations pour le premier, deux pour le second. Le tableau de chasse paraissait des plus maigres : point d’accélération fulgurante ou de réel mouvement de fond, point de doux vertige permettant d’espérer que les atrocités du passé ne viendraient plus hanter le présent. Rien en tout cas qui puisse préfigurer de massives avancées dans la lutte contre l’impunité.

Ce n’est pourtant pas que la matière manquât. Depuis la Seconde Guerre mondiale, les « crimes calculés et dévastateurs » auxquels Jackson faisait référence s’étaient moult fois reproduits, dans un déferlement de violence décliné sous toutes les latitudes, adapté à tous les goûts et dégoûts : de la partition indo-pakistanaise aux dictatures latino-américaines, de l’Angola au Zimbabwe, de l’Algérie à la guerre de Corée, des rues de Budapest à celles du Bangladesh, de Madagascar au Vietnam, de la Palestine à l’Afghanistan, une vaste légion de génocidaires, criminels contre l’humanité, tortionnaires, criminels de guerre ou auteurs de disparitions forcées avait laissé des cicatrices vives et profondes dans la chair et l’histoire de nombreux peuples. Pour leur part, les procédures pénales engagées étaient misérablement rares. L’un des artisans du Statut de Rome, le professeur Cherif Bassiouni, se lamentera des années après la création de la Cour pénale internationale qu’entre 1945 et 2008, 866 personnes aient été poursuivies par des tribunaux internationaux ou nationaux. Déplorer que des centaines de militaires et de responsables civils, souvent de très haut rang, aient eu à rendre des comptes ? Étrange propos ! Mais derrière ce chiffre, le vertige guettait.

 

Disproportions

Au lieu de devenir avocat puis de diriger une ONG, j’aurais pu être physicien. Le monstrueusement grand et le ridiculement petit m’ont toujours fasciné. La question des proportions, des échelles de grandeur, cette difficulté avec laquelle notre cerveau est appelé à concevoir des choses pour lesquelles l’évolution ne l’a pas formé me fait toujours intellectuellement vibrer. Envisager l’atome et ses comportements quantiques improbables reste un délicieux exercice d’abstraction auquel je cède épisodiquement sans, je l’avoue, réussir à y porter sérieusement une longue attention, tant les questionnements sans fin et surtout sans réponses me submergent vite. Contempler les astres et essayer de trouver une place et une pertinence à ce que Carl Sagan appelait notre « petit point bleu pâle » m’a toujours paru un peu plus jouissif, voire poétique. Mais tout comme pour l’infiniment petit, l’idée de notre risible finitude dans un univers où espace, temps et matière s’entremêlent, entraîne bien vite l’esprit dans ce trouble qui nous assaille lorsqu’une disproportion trop énorme agresse la raison et l’empêche d’opérer. Cet abîme vertigineux, je l’ai franchi tellement de fois en contemplant les efforts de justice de mes semblables. Car Bassiouni se lamente malheureusement à juste titre. Sur la balance de la justice, 866 accusés se trouvent dans un splendide isolement sur l’immense plateau qui leur est réservé. De l’autre côté figurent en effet selon le professeur, durant les mêmes années 1945 à 2008, 92 millions de personnes tuées au cours des plus de 300 conflits internationaux ou guerres civiles. Un rapide et bien pathétique calcul  92 millions divisés par 866  nous donne un individu poursuivi pour 106’235 personnes tuées. Soit moins de… 0,001%. Vertige insensé, qui ne prend en considération que les morts, et non les actes de torture, les viols, les destructions d’hôpitaux ou d’écoles, les actes de pillage, les atteintes à l’environnement, ou la souffrance des familles qui attendent de connaître le sort de leur proche disparu. Comment quantifier tout cela ? Faut-il encore diviser le pourcentage par deux, par trois, par dix ?

Évidemment, à ce niveau, comme pour l’atome ou pour la galaxie, les chiffres ne veulent plus dire grand-chose. « La mort d’un être humain est une tragédie, celle d’un million d’entre eux est une statistique », disait à raison l’un des plus grands experts en la matière, le moustachu Petit Père des peuples. Chassons donc ce vertige. Il reviendra de toute manière au galop au moment de considérer cette fois-ci les moyens alloués à la justice pour poursuivre ces hordes de suspects. Une étude rendue il y a quelques années démontrait que les budgets dévolus sur une période de quinze ans à tous les tribunaux internationaux ou hybrides chargés de juger les atrocités commises dans les Balkans, au Rwanda, en Sierra Leone, au Timor oriental ou encore au Cambodge correspondaient à ce qui était dépensé en… deux ou trois jours de festivités olympiques lors des Jeux de Sotchi en 2014 ! Depuis, la disproportion n’a fait qu’empirer. Qu’un nouveau détour footballistique me soit permis : la facture de la Coupe du monde 2022 au Qatar s’établit, paraît-il, à quelque chose comme 220 milliards de dollars. Le budget annuel de la Cour pénale internationale (qui couvre, lui, une année entière d’enquêtes et de procès, et non seulement quatre semaines de dribles et de corners) s’élève à 155 millions de dollars. Il est évidemment simpliste de comparer ballon rond et institution judiciaire, mais l’exercice a le mérite d’indiquer où l’humanité place ses incompréhensibles priorités. 220 milliards divisés par 155 millions : la Coupe l’emporte sur la Cour par un facteur de 1430. Vertigineuse disproportion dont, là encore, presque tout le monde se foot, pardon, se fout.

 

Couteau suisse

Lorsque mon avion toucha terre quelques heures plus tard, ces chiffres m’étaient inconnus. J’avais en revanche vaguement à l’esprit la réalité qu’ils recoupaient, ce que l’on nomme l’impunity gap, cet énorme et inexcusable gouffre qui existe entre l’ampleur des crimes commis et la maigreur des poursuites engagées, et qui découle, en partie du moins, de la disproportion scandaleuse entre les moyens alloués aux efforts judiciaires et les besoins de justice en tant d’endroits de la planète.

Il serait cependant trompeur de faire croire qu’entre l’arrestation de Pinochet et la création concrète de TRIAL International en 2002, la vision d’un nouveau type d’organisation non-gouvernementale permettant de commencer à combler cet abîme était clairement formulée. Un point était cependant clair : le but ne serait pas de colmater ce gouffre en faisant du « chiffre », en essayant de générer autant de procédures que possible. Je n’avais pas, et n’ai toujours pas, la prétention qu’un jour ce type de crimes sera pleinement éradiqué et que l’ensemble – ou même la majorité – des bourreaux seront jugés. En revanche, j’avais la conviction profonde, largement renforcée depuis, alors que je flottais encore dans l’inspiration de ce moment historique, qu’il était possible d’utiliser le droit devant toute une série d’instances différentes, à la manière d’un couteau suisse : le droit pourrait, entre autres fonctions, tour à tour ou en même temps, représenter un puissant instrument de changement, un possible outil de prévention et un moyen de transformation des victimes, tout en demeurant un instrument fabuleusement malléable. Le droit non comme réponse à tous les dérèglements du monde, mais comme la possibilité probablement plus qu’on ne le pense, si l’on y recourt avec sérieux et imagination, notamment de saisir des instances méconnues, de poser des questions nouvelles, de se glisser dans certains interstices institutionnels non encore visités.

 

Exposition « Là-bas, comme ici » de Jérôme Hentsch à l’occasion des 20 ans de TRIAL International, à l’espace FLUX Laboratory à Genève. © TRIAL International

 

Prévenus et prévention

En premier lieu, le changement peut très directement découler d’une procédure juridique – surtout une procédure pénale, avec la punition dont elle est assortie – lorsque ceux (et, fort rarement, celles) qui jouissent des privilèges de l’impunité, appréhendent que cet état de quiétude puisse ne plus être durable. Il arrivera à l’équipe de TRIAL International à de nombreuses reprises d’obtenir, suite au dépôt de solides dossiers devant des institutions judiciaires fonctionnelles, que tel ministre d’un régime répressif, suspecté de crimes contre l’humanité, soit subitement arrêté ou encore que des dizaines de membres d’un groupe armé se retrouvent du jour au lendemain en prison, mettant d’un coup fin à l’immonde pratique de viols de fillettes dont ils se rendaient jusque-là encore régulièrement coupables.

Au-delà de cet effet premier qui permet à la justice de se saisir physiquement du corps du suspect et d’encelluler celui-ci, le droit recèle bien d’autres potentialités. L’effet préventif en est un. Il est souvent présenté comme un acte de foi : on espère que l’interdiction d’un comportement par le biais de normes juridiques affectera directement des personnes qui, sans celle-ci, pourraient être amenées à commettre le comportement en question. En gros, il y a moins de meurtres, moins de viols et moins de vols parce que le meurtre, le viol et le vol sont interdits et réprimés. Il devrait en être de même des atrocités dont il est ici question. Les violateurs en puissance ne passent pas à l’acte ou leur élan criminogène perd de sa force en raison de la peine encourue. Il est incroyablement difficile de quantifier cet aspect de l’effet préventif de la loi, même si l’on a beaucoup écrit à son sujet.

En revanche, on a beaucoup moins réfléchi à la manière dont les institutions, notamment les forces armées, intègrent dans leur domaine de compétence et leur manière de fonctionner les nuances issues de jurisprudences rendues par les tribunaux, en particulier les tribunaux internationaux. Un fascinant sujet de recherche, à ma connaissance encore à entreprendre, pourrait consister à vérifier la façon dont les longs et méticuleux jugements rendus par exemple par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie ou la Cour pénale internationale percolent, peu à peu, dans les textes régissant les forces armées tout autant que dans les têtes des gens appelés à les appliquer. C’est un sujet d’étude négligé, mais ô combien captivant. Il permettrait à lui seul de justifier tous les efforts pour créer des institutions judiciaires s’il était démontré que des jugements rendus ont concrètement contribué à prévenir des débordements inadmissibles, à minimiser ou à empêcher des violations. Il est assez fou de penser, mais c’est bien la réalité, qu’une poignée de juges internationaux engagés et perspicaces, comprenant le rôle historique qui leur échoit lorsqu’ils interprètent les principes et les règles découlant de telle ou telle convention, peuvent concrètement contribuer à canaliser la conduite des armées du monde entier. Et ainsi épargner que des hôpitaux, des écoles ou des biens culturels soient visés ; qu’un blocus naval et ses atteintes obscènes à la vie ou à la santé de populations entières soit imposé ; ou que telle arme barbare soit utilisée. Cela non pas parce que le risque de poursuites inquiète tel ou tel troufion, son supérieur ou le ministre en charge, mais parce qu’en amont, les normes clarifiées par ces jugements auront petit à petit été comprises, digérées et tant bien que mal appliquées sur les terrains d’opération.

 

Lignes rouges

Il reste beaucoup, beaucoup de jugements à rendre, pour illustrer, clarifier et préciser certains des principes et des règles contenus dans de multiples conventions internationales. Ces développements verront le jour lorsque nous aurons réussi à poser devant les bonnes instances, au travers de bons cas, les bonnes questions.

L’une de ces questions se posa avec une acuité tragique alors que mon vol pénétrait l’espace aérien de la Syrie, avec quelques années d’avance sur la réalité, et que les masques à oxygène tombèrent subitement du plafond de la carlingue, eu égard au risque d’inhaler les gaz mortels que Bachar lâchait alors sur son peuple… Elle se formula ainsi : au-delà de l’interdiction claire du recours à de telles armes, comment le droit doit-il appréhender les facilitateurs qui rendent leur emploi possible ? Comment en particulier une entreprise européenne devrait-elle se comporter lorsque des composants chimiques qu’elle exporte peuvent être employés à la création d’armes prohibées ? La question deviendra dramatiquement concrète lorsque les lignes rouges pourtant tracées par la communauté internationale seront, à de multiples reprises, franchies par des nuages de gaz sarin ou de chlorine. Concrète certes, mais à ce jour toujours sans réponse.

Au fil des escales du vol TR02, de nouveaux passagers embarquèrent, quelques-uns d’abord, puis de plus en plus nombreux à vouloir s’engager dans cette lutte contre l’impunité. Des personnes absolument formidables, souvent jeunes, toujours brillantes et motivées (y compris des fanatiques de football, je ne suis point rancunier), prenaient place à mes côtés pour prendre part à ces réflexions et envisager nos stratégies. Notre aéronef reliait désormais le Myanmar à la Silicon Valley, et nous discutions entre autres de la responsabilité pénale des géants technologiques, dont la scandaleuse inaction permettra à un régime militaire d’utiliser leurs plateformes de communication digitale pour parfaire ses opérations de nettoyage ethnique. Tant d’autres questions devraient encore être soulevées. Depuis, nos pérégrinations intellectuelles se poursuivent et trouveront, j’en suis sûr, des réponses concrètes qui peu à peu se diffuseront et s’imposeront dans un avenir prochain.

Par exemple, comment, poursuivre un État – et ses dirigeants – pour des atrocités commises par une société militaire privée au service de celui-ci, mais dont il nie l’existence même, ou en tout cas dément la contrôler ? Des victimes étrangères peuvent-elles venir chez nous demander réparation du dommage causé par leurs autorités au moyen d’armes que nous leur avons vendues ? Comment envisager une quelconque responsabilité pénale lorsque des armes autonomes commettent et commettront probablement toujours plus largement, sans intervention humaine, hormis peut-être celle des créateurs d’algorithmes, des crimes de guerre ? Lorsque des atrocités sont commises, quelle responsabilité encourent les facilitateurs et les complices, ces armées de l’ombre à qui le crime profite et qui profitent de l’ombre, lorsque les règles ne sont pas clairement énoncées et les précédents inexistants (par exemple, au hasard, les marchands de biens culturels pillés par des groupes hallucinés qui permettent à ces groupes de financer leurs abominations) ? Une réponse juridique à chacune de ces questions existe. Alors que le voyage se poursuivait au-dessus de la Russie, puis virait vers l’Irak, il nous restait à trouver l’endroit et la bonne manière de les poser, et de créer, puis de renforcer l’organisation qui les formulerait.

 

Transformations

Après la capacité du droit à être outil direct de changement et à exercer un effet préventif, le troisième axe de la vision pour TRIAL, ébauchée au cours de ce vol tantôt fictif, tantôt réel, fut une conséquence, elle aussi directe, de l’arrestation de Pinochet : l’idée que les victimes pouvaient elles-mêmes être actrices de transformation. Porteuses de droits, elles pouvaient devenir porteuses d’espoir. Le droit, mis à leur disposition par des juristes motivées, expert·es et engagé·es, leur permettrait de reconquérir une partie de leur dignité. Les instances judiciaires deviendraient ainsi le forum où aboutirait leurs exigences de justice, de vérité et de réparations. De victimes à titulaires de droits, les survivantes et les survivants d’atrocités pourraient participer à cette quête élémentaire. L’énoncé était noble, quoique compliqué à mettre en œuvre. Il exigerait courage, abnégation et obstination.

Les survivantes et les survivants peuvent en effet avoir peur, être menacé·es, ne pas vouloir justice, vérité et réparations, ou ne les désirer qu’en partie, ou peut-être plus tard. Les stigmates peuvent être encore vifs, voire ravivés par des procédures judiciaires. Le passage du temps peut rendre l’épreuve de la justice inconcevable et les attentes être lourdement déçues. Aucune procédure n’est jamais gagnée d’avance, toute affaire peut être perdue.

Plusieurs victimes participèrent directement à la création de TRIAL International, signe que l’organisation plaçait d’emblée la défense de leurs intérêts au cœur de son combat. Cet aspect de notre identité n’a guère changé. Il en a découlé des moments de vérité, qui légitiment l’immense énergie et le temps souvent très long investis dans de tels dossiers.

Ainsi de Semka, victime de violences sexuelles qui, après avoir mis longtemps à se décider, s’est pleinement investie dans sa quête de justice en faisant le difficile choix de l’assumer ouvertement, malgré le risque de stigmatisation. « J’ai transféré mon fardeau de mes épaules aux siennes », dira-t-elle après que TRIAL International l’eut soutenue jusqu’à la condamnation de son bourreau. « C’est toi la victime maintenant, et c’est moi la vainqueure ! »

Ainsi de cette autre victime de violences sexuelles dans un camp de détention qui, confrontée dans le bureau du procureur à un haut responsable militaire ayant décidé la mise en place de ces camps, a pu enfin raconter son histoire, être entendue et reconnue, et se rendre compte que la justice s’intéressait à elle. Nous l’avons écoutée nous expliquer, en sortant de son audition, qu’un après-midi passé à relater ce qui lui était arrivé, alors que le puissant suspect fraîchement arrêté était à quelques mètres d’elle, forcé de se taire pour la laisser parler, avait été plus déterminant que dix ans de psychothérapie ! Quelques heures durant, dans le petit bureau d’un procureur, l’idée de justice avait pour cette personne pris corps de manière absolument tangible et libératoire. Pour nous aussi, qui l’écoutions nous raconter son incroyable audition, soufflés par son témoignage, et qui contemplions cette incroyable idée de la justice comme acte de guérison.

 

Sculpteurs de justice

Enfin, l’arrestation du Général a permis d’illustrer de la plus belle des manières à quel point le droit est, comme un bloc de glaise, un produit malléable. Il est souvent et à juste titre répété que le droit est un outil de conservation sociale. Mais rien n’interdit de l’utiliser de manière imaginative et novatrice. Le combat pour la justice a besoin de sculpteurs engagés et experts. Cette capacité à donner du souffle, de l’ambition à des règles juridiques est d’autant plus palpable lorsque perdure un état patent d’impunité – cet abysse entre les crimes commis et le besoin de justice que le droit a justement vocation à franchir. Le Général n’a pas été arrêté parce qu’il y avait un doute sur les déductions fiscales qu’il souhaitait faire valoir au cours de travaux somptuaires dans sa résidence secondaire. Question probablement fascinante pour les fiscalistes, mais insuffisante pour faire réellement bouger les fronts. C’est parce que des états d’impunité inadmissibles subsistent, comme Pinochet a pu si longtemps en bénéficier, qu’une relativement petite organisation comme TRIAL International peut, en s’adressant correctement à la bonne instance, faire avancer les choses. Victor Hugo aurait dit que rien n’est plus puissant qu’une idée dont le temps est venu. Au cours de mon tour mental de la planète en ce mois d’octobre 1998 à contempler les plaies passées du Chili, du Rwanda ou des Balkans, à envisager celles à venir en Syrie, au Burundi, au Népal, en Gambie, en République démocratique du Congo ou en Ukraine, il m’apparut que le temps de la justice était désormais clairement venu, cette idée si puissante qui se déclinerait un jour en un kaléidoscope de Printemps arabes, de mouvements #MeToo, Black LivesMatter ou dans l’aspiration encore naissante à la justice climatique.

 

« Pas possible » n’est pas possible

J’ai toujours été convaincu que ce n’est pas parce qu’un acte n’a jamais été posé que cet acte est impossible. Ma version du « Soyons réalistes, demandons l’impossible ! », scandé en Mai 68, est qu’avec les bonnes clés des portes peuvent s’ouvrir, y compris celles des tribunaux. Arrêter Augusto Pinochet, intenter un procès contre Slobodan Milošević, faire condamner Hissène Habré, tout cela paraissait inaccessible. Jusqu’à ce que ce que cela se produise. À son modeste niveau, en 20 ans d’existence, TRIAL International en a donné de nombreuses illustrations, dans et hors des prétoires. En voici certaines que je vous propose de survoler à bord du TR02.

Ce sont, par exemple, ces dirigeants de grands groupes qui se mirent à revoir leurs pratiques à la suite d’une perquisition chez un concurrent que nous accusions de complicité de crime de guerre pour avoir accepté de fondre en lingots l’or pillé par un sanguinaire groupe rebelle, des faits que peu de monde jusque-là considérait comme problématiques.

Ce sont des ministres en détention ou sous enquête, et des membres d’escadrons de la mort en attente de jugement ou déjà en procès, notamment dans cette paisible bourgade du nord de l’Allemagne que nous survolions, et où victimes et témoins se rassemblaient devant la salle d’audience.

Ce sont au-dessus de Brčko, en Bosnie, faiblement perceptibles à cette distance géographique et temporelle, les cris de joie d’enfants nés de ces innombrables viols durant la guerre de 1992 à 1995, qui se sont vus reconnaître, après des années de lutte, pour la première fois dans la région et probablement même en Europe, le statut de victimes civiles de guerre. Leurs larmes rendront alors hommage à leurs mères, des héroïnes qui, si souvent, furent contraintes de les élever autant dans le rejet que dans des conditions socio-économiques précaires.

Ce sont ces dizaines d’individus condamnés et ces milliers de victimes qui, enfin, obtiennent reconnaissance et réparations, en des lieux où jusqu’alors la justice n’était jamais venue.

Ce sont, comme il me fut brièvement donné de l’envisager alors que notre engin tournoyait au-dessus du Palais fédéral, des parlementaires qui s’activent, à la suite d’un plaidoyer efficace, pour changer une loi, retirer des conditions absurdes à la poursuite des criminels de guerre et introduire de nouvelles infractions pour se conformer au droit international.

Ce sont des biens saisis pour dédommager les survivants et leur permettre de repartir dans la vie.

C’est un procureur général qui reconnaîtra publiquement que ses services poursuivront dorénavant enfin le crime de pillage commis par des acteurs économiques, ce que personne n’a fait depuis les procès tenus dans ce Palais de justice de Nuremberg, laissé derrière nous.

Ce sont ces jugements novateurs qui protègent mieux l’environnement en temps de conflit ou qui définissent enfin ce qui constitue le crime de réduction en esclavage sexuel dans un pays où les groupes armés la pratiquent largement.

C’est la Cour d’État à Sarajevo, ville où j’atterrirai – cette fois-ci réellement – probablement vingt fois dans les années à venir pour y ouvrir notre première antenne locale, qui reconnut enfin qu’une victime de violences sexuelles peut obtenir directement devant elle des indemnisations, sans avoir à soumettre à l’issue du procès pénal une nouvelle requête devant la justice civile, procédure lente, coûteuse, dépourvue de mesures de protection adéquates, et que les survivantes n’empruntaient jamais.

C’est, tandis que le vol TR02 entrait dans l’espace aérien tessinois avec déjà Genève en ligne de mire, la décision prise par le Tribunal pénal fédéral concernant les immunités généralement reconnues aux anciens chefs d’État, qui désormais ne s’appliquent pas lorsqu’il s’agit de crimes internationaux.

C’est, alors que le Palais des Nations est visible depuis le hublot, une autorité chargée de retrouver les corps de personnes disparues qui reprend ses recherches, au grand soulagement des familles, car l’ONU a jugé que son inaction violait le droit international ; ou cette autre instance onusienne qui condamne un État, le poussant à instaurer un régime national de réparations pour les victimes de violences sexuelles.

C’est, alors que l’avion touche le sol de Cointrin, cet ancien chef de la police du Guatemala condamné comme complice de l’exécution extrajudiciaire de plusieurs détenus dans une prison de haute sécurité, à des milliers de kilomètres de la scène de crime.

 

Atterrissage et redémarrage

Je ne pouvais évidemment anticiper, ni même imaginer tout cela, en contemplant l’arrestation de Pinochet en 1998 à bord de ce vol qui eut – en partie du moins – réellement lieu, ou même lorsque TRIAL International fut portée sur les fonts baptismaux en 2002. C’est seulement petit à petit, à coup d’essais, d’affaires intentées, de plaintes déposées, d’instances saisies que l’idée de base se transformera en vision, que la petite structure constituée de bénévoles, bourrée de projets et de convictions, mais sans aucun moyen, se métamorphosera en organisation de juristes consacrée à cette idée banale et pourtant révolutionnaire, qu’il convient de prendre au sérieux les traités que les États ratifient et les lois qu’ils adoptent.

Convaincu que les potentialités du droit pouvaient mieux être exploitées, il me restait donc à convaincre à mon tour en rassemblant autour de moi et construire une institution capable de se pérenniser, de se muer de petite association suisse en structure internationale crédible et impactante. Au bout de cinq ans je sautai dans le vide (vertige, à nouveau), et quittai mon étude pour m’occuper à temps partiel, puis rapidement à temps plein, de cette organisation en voie de développement. Les seules garanties offertes étaient que les heures à investir seraient élevées et la rémunération basse. Pour le reste, rien n’était clair et certainement pas le fait que TRIAL International – en réalité Track Impunity Always de son premier nom – pourrait facilement et rapidement gagner des affaires, convaincre des bailleurs, grandir, s’épanouir et, peu à peu, ouvrir des antennes dans des zones de conflit ou des pays en transition.

Après vingt ans d’existence de TRIAL International, je rêve que les avancées juridiques auxquelles l’organisation a contribué, tout comme celles à venir contre les livreurs d’armes, les pilleurs de ressources naturelles en temps de conflit, les affameurs de guerre ou contre de bons vieux tortionnaires ordinaires et criminels de guerre, inciteront un jour une jeune personne idéaliste prête à débuter son propre voyage dans la vie. Je l’imagine profiter du trajet et du vertige qui l’accompagnera pour faire germer une idée à laquelle elle s’accrochera et se consacrera, qu’elle partagera, qu’elle précisera et qu’elle mettra ensuite en œuvre en rejoignant une organisation ou en créant la sienne.

C’est ainsi que le vertige vertueux issu de l’arrestation du vieux Général continuera d’être fécond. Et que l’enfantement de TRIAL International qui s’est ensuivi aura contribué à donner à l’idée de justice, ce besoin fondamental de l’humanité, une illustration concrète qui en inspirera d’autres.

 

Philip GRANT, directeur de TRIAL International

 

 

* ce texte a été publié pour la première dans le catalogue de l’exposition « Là-bas comme ici » de l’artiste genevois Jérôme Hentsch à l’occasion des 20 ans de TRIAL International.