Deux avocats congolais témoignent

02.01.2017

Pour la deuxième année consécutive, 8 avocats congolais ont suivi un coaching juridique personnalisé sur une année entière. Entre sessions théoriques et exercices pratiques, deux participants reviennent sur leur expérience.

 

TRIAL : Pourriez-vous vous présenter et expliquer comment vous avez entendu parler de la formation ?  

Me Ghilaine Bisimwa Naweza : Je suis avocate au Barreau de Bukavu depuis 2010 avec une spécialité dans les droits humains. Je suis également membre de l’Association des femmes juristes congolaises du Sud Kivu, qui défend et promeut les droits humains dans la région. J’avais déjà reçu une formation de TRIAL International par le biais de cette association, sur la documentation des violences sexuelles. Je l’avais trouvé très concrète, aussi j’ai candidaté dès que j’ai eu vent de ce coaching d’un an.

Me Jerry Ntondo Zahinda : Je suis avocat à Bukavu depuis près de 10 ans. Je suis aussi spécialiste des droits humains, j’ai donc beaucoup travaillé sur l’accès à la justice et le renforcement du système judiciaire national. J’ai entendu parler de cette formation par un ami du CICR de Bukavu. Le contenu de la formation m’a immédiatement intéressé, de même que la méthodologie fondée sur l’étude de cas concrets.

 

A quelles difficultés êtes-vous confronté dans votre métier d’avocat ?

Me Ghilaine : Il n’y a pas un seul, mais une multitude de difficultés qui se renforcent mutuellement. Au terme de cette formation, je mesure à quel point les magistrats sont peu formés aux instruments juridiques internationaux. Même quand un avocat les invoque pour son client, les juges se limitent à l’examen des normes internes sans aucune référence aux disposition du droit international, pourtant applicables.

Me Jerry : Les textes présentent en effet de sérieuses lacunes. L’arsenal juridique congolais est morcelé et inadaptés aux réalités juridiques et pratiques du pays. Il y a même des textes législatifs qui se contredisent entre eux ! Nous avons aussi des difficultés à rencontrer les victimes, car les infrastructures de transports sont déficientes et certaines routes ne sont pas sûres.

Me Ghilaine : Les avocats sont également découragés par le « deux poids, deux mesures » qui règne. Les personnes qui ont le bras long continuent d’échapper à la justice. Le clientélisme et le trafic d’influence vont bon train, et les évasions régulières des prisons anéantissent tous nos efforts.

 

Dans le cadre de la formation, vous avez été amenés à travailler sur des affaires réelles. Pouvez-vous nous en dire plus ?

 Me Jerry : J’ai défendu des victimes dans le procès de Mutarule. Trois chefs militaires étaient accusés d’avoir attaqué le village de Mutarule, pillé des maisons et fait une dizaine de morts. Grâce au conseil de TRIAL, j’ai pu améliorer mon analyse juridique et y inclure de la jurisprudence internationale. Psychologiquement, l’appui d’une ONG est rassurant, car le procès s’est déroulé sous très haute tension. Cela m’a donné le courage d’être beaucoup plus proactif. Les magistrats n’ont pas encore rendu leur jugement, mais le seul fait qu’un procès de cette ampleur ait pu voir le jour est une victoire pour nous.

Me Ghilaine : On m’avait confié l’affaire de la jeune Stella (nom d’emprunt), violée à 13 ans par un juge. Son dossier était au point mort depuis plus d’un an car le magistrat instructeur rechignait à poursuivre son confrère. La formation de TRIAL m’a permis d’établir un questionnaire précis pour la victime, et donc d’obtenir de meilleurs éléments à charge. Nous avons aussi exploré des pistes nouvelles pour la constitution de preuves. Grâce à nos efforts, un procès a été ouvert devant la cour d’appel de Bukavu.

 

Comment la formation a-t-elle changé votre manière de travailler ? 

Me Ghilaine :  Avant la formation, j’avais travaillé sur une affaire de viol, mais je ne savais pas quelles questions poser à la victime. Une autre fois, des femmes victimes d’esclavage sexuel ont fait appel à moi, et je n’avais pas de réponses à leur donner. Je suis désormais mieux armée pour approcher les victimes respectueusement tout en obtenant des éléments de preuve.

 Me Jerry : Avant, je n’avais pas de connaissances pour saisir la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples ou les organes onusiens. Plusieurs de mes affaires remplissaient les critères d’admissibilité, mais je ne savais pas par où commencer. Je sais aussi désormais comment invoquer des dispositions du Statut de la CPI, que je vais pouvoir appliquer lors de procès pour crimes de masse.

 

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