Dossier Khaled Nezzar : deux plaignants saisissent la Cour européenne des droits de l’homme

08.07.2025

(Genève et Strasbourg, 8 juillet 2025) – Deux plaignants dans l’affaire Khaled Nezzar ont saisi la Cour européenne des droits de l’homme lundi. Ils demandent que le déni de justice qu’ils ont subi du fait de la lenteur de l’enquête, finalement classée après le décès de l’accusé, soit reconnu.

L’ancien homme fort du pouvoir algérien, le général Khaled Nezzar, s’exprime, le 25 avril 2001 au centre culturel algérien à Paris, lors d’une la conférence de presse où il présentait ses mémoires. Quelque 70 personnes, appartenant pour la plupart au Collectif des familles de disparus en Algérie, ont manifesté contre la présence à Paris du général. (Photo de Thomas Coex / AFP)

La procédure pénale visant l’ancien ministre de la Défense algérien, pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis dans les années 1990, avait été ouverte en 2011 à la suite d’une dénonciation de TRIAL International. Il s’agissait alors de la première enquête en Suisse visant un haut responsable militaire étranger pour des crimes internationaux. Depuis lors, l’organisation a joué un rôle central dans la lutte contre l’impunité des crimes les plus graves, en accompagnant notamment les victimes et en documentant les faits. Les crimes allégués ont été commis dans le contexte de la « décennie noire », durant laquelle les forces armées placées sous l’autorité de Khaled Nezzar ont été impliquées dans des actes de torture, des exécutions extrajudiciaires et des disparitions forcées à grande échelle.

L’ouverture d’une telle procédure contre l’un des hommes les plus puissants d’Algérie au moment des faits, sur la base du principe de compétence universelle, avait constitué une étape majeure dans la lutte contre l’impunité. Mais ce n’est que le 28 août 2023 qu’un acte d’accusation a été déposé. L’accusé est décédé quatre mois plus tard, soit six mois avant son procès, dont la date avait été fixée à juin 2024. La procédure a été classée en conséquence.

Malgré une enquête ayant duré 13 ans – une attente éprouvante pour les victimes – les recours introduits par deux parties plaignantes pour faire constater une violation du principe de célérité, constitutive selon elles d’un déni de justice, ont été rejetés le 10 mars 2025. La Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral a en effet retenu que, examinée dans sa globalité, la durée totale de la procédure était « importante » mais apparaissait encore acceptable. Ni les longues périodes d’inactivité injustifiées, ni même la succession de cinq procureurs en charge du dossier n’ont été considérées comme des violations de l’obligation de célérité.

À défaut d’avoir pu participer au procès de Khaled Nezzar et d’espérer obtenir réparation pour les crimes graves dont ils ont souffert, deux plaignants, représentés par Me Orlane Varesano et Mes Sophie Bobillier et Sofia Vegas respectivement, portent maintenant leur combat vers la plus haute instance judiciaire européenne. Ils soutiennent que la Suisse a violé leur droit à un procès équitable, inscrit à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), en raison de la durée excessive de la procédure et des longues périodes d’inactivité injustifiées, alors même que l’âge avancé du prévenu et la gravité des faits sous enquête auraient dû imposer une instruction plus diligente.

« Nous dénonçons les carences organisationnelles ainsi que les interférences d’ordre politique qu’il y a eu dans cette affaire, documentées dans le dossier, qui démontrent à suffisance l’absence de réelle volonté de poursuivre Khaled Nezzar. Après 13 ans de procédure, marqués par 5 changements de procureurs, le classement de la procédure pénale a privé nos mandants d’un accès au juge. L’absence de reconnaissance de l’existence d’un déni de justice par les autorités suisses a été vécu comme une nouvelle forme de violence par nos mandants. Aujourd’hui, ils n’ont d’autre choix que de saisir la Cour européenne des droits de l’homme, afin d’enfin espérer être entendus et que leur souffrance issue de l’inertie de la procédure soit reconnue. »

Orlane Varesano, Sophie Bobillier et Sofia Vegas, avocates des deux parties plaignantes

L’absence d’un recours effectif en droit suisse pour faire valoir une violation du droit à être jugé dans un délai raisonnable constitue, selon eux, une double atteinte aux articles 6 et 13 de la CEDH.

TRIAL International partage cette analyse et appelle les autorités suisses à tirer dès à présent les conséquences de ce manquement. Dans l’intérêt des victimes et des survivant·e·s d’atrocités, l’organisation demande que des ressources suffisantes soient allouées au Ministère public de la Confédération, et que des mesures structurelles soient prises pour garantir que les procédures relatives aux crimes internationaux soient menées dans des délais compatibles avec les exigences de la CEDH.