Lois et pratique en matière de compétence universelle en Argentine
Les affaires relevant de la compétence universelle ont jusqu’à présent été principalement jugées et instruites en Europe ou en Amérique du Nord, avec une exception notable : l’Argentine. Près d’une douzaine d’affaires relatives à des crimes internationaux commis à l’étranger sont actuellement devant ses juges et procureurs. Afin de soutenir les praticien·ne·s du droit et les acteur·rice·s de la société civile engagé·e·s dans la constitution et le traitement de dossiers de crimes internationaux fondés sur la compétence extraterritoriale et universelle en Argentine, TRIAL International publie aujourd’hui un document d’information – disponible en anglais et en espagnol – qui donne un aperçu du cadre juridique du pays en matière d’enquête et de poursuite des crimes internationaux, ainsi que de son application pratique.
La compétence universelle des praticien·ne·s
En vertu du principe de compétence universelle, les États ont la possibilité, et parfois l’obligation, de poursuivre les responsables de crimes internationaux – à savoir le génocide, les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité, la torture et les disparitions forcées – quel que soit le lieu où le crime a été commis, la nationalité de l’auteur ou celle de la victime. Cependant, les cadres de juridiction universelle diffèrent d’un pays à l’autre, ce qui complique la tâche des praticiens du droit qui doivent monter des dossiers et plaider dans des juridictions qui leur sont peu familières.
Afin d’aider les avocat·e·s, les ONG et les représentant·e·s des victimes à élaborer leurs stratégies de contentieux, TRIAL International et l’Open Society Justice Initiative (OSJI) ont déjà publié 12 documents d’information analysant le droit et la pratique de la compétence universelle en Allemagne, en Angleterre et au Pays de Galles, en Belgique (également disponible en français), au Canada, aux États-Unis en Finlande, en France, en Norvège, aux Pays-Bas, en Suède et en Suisse. TRIAL International élargit désormais cette série en s’intéressant à des pays autres que les juridictions européennes et nord-américaines, en commençant par l’Argentine.
Cette série vise à favoriser une meilleure compréhension des systèmes judiciaires nationaux parmi les praticien·ne·s du droit afin de soutenir l’élaboration de stratégies de plaidoirie efficaces. Les recherches s’appuient principalement sur une analyse documentaire et sont complétées par des entretiens avec des expert·e·s juridiques tels que des procureur·e·s et des enquêteur·ice·s spécialisé·e·s, des avocat·e·s plaidant dans des affaires relevant de la compétence universelle, des universitaire·e·s spécialisé·e·s en droit pénal international et des ONG soutenant les victimes dans leur lutte contre l’impunité.
Défis et opportunités liés aux affaires relevant de la compétence universelle en Argentine
Le rapport annuel 2025 sur la compétence universelle (UJAR) recense et résume près de 100 affaires. En 2024, 36 nouvelles affaires ont été ouvertes ou rendues publiques dans le monde entier, et 27 personnes suspectes ont été condamnées en première instance ou en appel. Ces chiffres soulignent une fois de plus que la compétence universelle est un outil efficace pour lutter contre l’impunité des crimes internationaux.
En Argentine, il y a actuellement au moins sept affaires relevant de la compétence universelle en cours, qui figurent dans l’UJAR. Selon les données du ministère public argentin, des enquêtes fondées sur la compétence universelle ont été ouvertes dans le pays pour des crimes commis en : Azerbaïdjan, Bolivie, Chine, Colombie, Cuba, bande de Gaza, Israël, Myanmar, Nicaragua, Russie, Espagne, Turquie, Venezuela et Yémen (voir Pautas Generales de Actuación del Ministerio Público Fiscal de la Nación sobre Jurisdicción Universal). Au cours des 12 derniers mois seulement, les juges argentins ont émis des mandats d’arrêt internationaux dans trois affaires, visant notamment l’ancienne présidente birmane Aung San Suu Kyi, l’actuel président vénézuélien Nicolás Maduro et l’actuel président nicaraguayen Daniel Ortega.
L’Argentine a adopté, jusqu’à présent, le principe de la compétence universelle absolue, qui n’exige pas la présence des auteur·e·s ou des victimes sur son territoire, ni leur nationalité ou leur résidence en Argentine. Les associations et organisations qui défendent les droits collectifs peuvent également être reconnues comme parties civiles dans les affaires relevant de la compétence universelle en Argentine.
Toutefois, des défis importants subsistent. Parmi ceux-ci, on peut citer :
- l’absence d’unité spécialisée dans les enquêtes relevant de la compétence universelle,
- l’interprétation large du principe de subsidiarité dans certaines affaires, et
- le fait que la plupart des affaires relevant de la compétence universelle n’ont pas dépassé le stade de la déclaration de défense, les personnes accusées n’ayant pas été extradées et ne se sont pas présentées volontairement devant les tribunaux.
Certaines enquêtes sont également en cours depuis longtemps, comme celle ouverte pour les crimes commis en Espagne pendant la dictature franquiste, qui a débuté en 2010.
Le document d’information sur l’Argentine a été rédigé par Bénédict De Moerloose, de Peter Moreau, et Máximo Castex. Il sera présenté lors d’un événement organisé en collaboration avec l’Université de Buenos Aires le 24 avril 2025.