Revendiquer la promesse de responsabilité pour les crimes internationaux: Appel urgent à agir lors de la Journée européenne contre l’impunité, lancé par l’Initiative mondiale contre l’impunité

26.05.2025

Cette année, l’Initiative mondiale contre l’impunité (GIAI) célèbre la Journée européenne contre l’impunité dans un climat de vives inquiétudes, alors que la justice internationale et l’obligation de rendre des comptes font face à des menaces grandissantes et des attaques directes. Les conflits armés, la violence des États et les atrocités de masse se multiplient à travers le monde, tandis que de nombreux gouvernements et institutions internationales demeurent largement silencieux face à l’impunité généralisée et à l’application croissante de la politique du deux poids, deux mesures. Cet immobilisme sélectif porte préjudice aux droits des victimes et renforce les récits qui déshumanisent les survivant·es des crimes les plus graves.

Nous appelons l’Union européenne (UE) et ses États membres à prendre des mesures fermes, audacieuses et concertées en vue de faire respecter les droits humains et protéger les mécanismes de justice internationale. Ces efforts doivent être motivés par un engagement renouvelé en faveur des victimes et des survivant·es. Nous devons apporter notre aide à celles et ceux qui demandent justice et nous assurer que leurs droits, leur voix et leurs besoins restent au cœur de l’ensemble des procédures de justice et d’établissement des responsabilités.

Les pays européens et leurs alliés ont commémoré récemment le 80e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale, mais les bouleversements actuels et la recrudescence alarmante des conflits armés dans le monde ont donné un goût amer à ces célébrations. Ce sont les civil·es, en particulier les femmes et les enfants,[1] qui paient le plus lourd tribut à la violence. Les pertes humaines massives et l’effondrement de l’ordre fondé sur des règles ne sont pas de simples dommages collatéraux, ils sont le résultat de choix politiques délibérés et d’une absence d’action juridique qui exigent une réaction immédiate. Depuis près d’un an, les organisations de la société civile tirent la sonnette d’alarme face aux sanctions et aux menaces sans précédent qui visent la Cour pénale internationale (CPI), compromettant ses travaux essentiels en faveur des victimes et des survivant·es à travers le monde. Dans un contexte où la lutte contre l’impunité est soumise à une pression grandissante, le non-respect par certains États de leurs obligations juridiques et leur incapacité à faire respecter les décisions de la Cour internationale de justice (CIJ) sapent encore davantage les efforts déployés pour rendre justice dans les zones qui en ont le plus besoin.

Le soutien et le respect cohérents du système de justice internationale garantissent sa crédibilité et son efficacité. Le Parlement européen s’est fait l’écho de ces préoccupations et, à plusieurs reprises, a appelé l’UE à répondre aux attaques envers la justice internationale, en déclenchant notamment des mécanismes de protection, tels que la loi de blocage. À ce jour, aucune réponse ferme et commune n’a encore vu le jour, comme en témoignent le refus de l’Italie et de la Hongrie d’exécuter les mandats d’arrêt de la CPI et l’annonce par la Hongrie de son retrait du Statut de Rome de la CPI – autant d’actes qui sapent les valeurs fondamentales de l’UE. D’autres évolutions récentes ayant aussi contribué à fragiliser le droit international humanitaire – notamment l’intention récemment exprimée par l’Estonie, la Finlande, la Lettonie, la Lituanie et la Pologne de se retirer de la convention sur l’interdiction des mines antipersonnel, un instrument essentiel pour empêcher les crimes de guerre et protéger les civil·es – témoignent de nouveaux échecs en matière de lutte contre l’impunité. Cette dérive inquiétante fragilise le cadre juridique international et met en péril la vie et la santé mentale de millions de personnes, en donnant, de fait, carte blanche aux régimes autoritaires pour poursuivre, voire intensifier ces violations.

Parallèlement, les organisations de la société civile interviennent dans des conditions de plus en plus hostiles, y compris au sein de l’Union européenne. Les libertés civiles se sont dégradées à l’échelle mondiale et ont été fortement restreintes en Europe au cours des cinq dernières années. Cette situation a entraîné la criminalisation des défenseur·es des droits humains et des mouvements de solidarité venant en aide aux victimes de crimes internationaux. Par ailleurs, la suspension des ressources vitales, telles que les programmes de l’USAID et les coupes budgétaires de nombreux gouvernements européens, compromet la disponibilité de l’aide pour les plus vulnérables, notamment les femmes et les minorités, ainsi que les efforts visant à lutter contre l’impunité.

L’effet cumulatif de ces menaces permanentes appelle à un sursaut de solidarité et à un engagement collectif renforcé pour accompagner les victimes, les survivant·es et leurs communautés dans leur quête de justice, de vérité, de réparation et pour garantir que ces crimes ne se répètent pas.

« Nous n’avons pas besoin d’être nourris. Nous n’avons pas faim parce que nous manquons de nourriture. Nous avons faim parce que nous sommes en situation d’occupation, nous sommes en état de siège, nous sommes victimes d’un génocide. Ce n’est pas simplement de la nourriture que veulent les habitant·es de Gaza. Ce qu’ils veulent, c’est la liberté. C’est cela que nous voulons ».

Mosab Abu Toha, écrivain, poète et chercheur à Gaza, lauréat du Prix Pulitzer 2025 dans la catégorie Commentaire pour son portrait de la guerre à Gaza dans le New Yorker, s’exprimant le 6 mai 2025 dans l’émission Democracy Now!

À un moment où le monde est à un tournant décisif et historique, il est indispensable que l’UE mobilise pleinement les différents mécanismes et dispositifs dont elle dispose pour préserver le droit international et promouvoir la paix, la stabilité et la justice pour les générations futures. C’est pourquoi, à l’occasion de la Journée européenne contre l’impunité, la GIAI appelle l’UE et ses États membres à faire preuve de détermination, à protéger les institutions de la justice et à se tenir résolument aux côtés des victimes, des survivant·es et de leurs communautés dans la lutte mondiale contre l’impunité. Nous exhortons en particulier l’UE et ses États membres à :

  1. Réorienter les stratégies de sécurité pour qu’elles privilégient la sécurité humaine plutôt que l’approche militaire, en s’attaquant aux causes structurelles de l’impunité, telles que la corruption, la discrimination, le non-respect de l’état de droit et les masculinités militarisées. Cela inclut la mise en place de mécanismes de mise en accusation dans le cas de vente d’armes, afin de garantir que celles-ci ne contribuent pas à des violations du droit international humanitaire ;
  2. Empêcher la perpétration des crimes internationaux les plus graves, en toutes circonstances, notamment en respectant les mesures conservatoires ordonnées par la CIJ, en particulier celles qui exigent que les États empêchent les actes de génocide, facilitent l’accès à l’aide humanitaire et à l’aide donnant droit aux réparations là où elle est nécessaire, et conservent les éléments de preuve établissant les faits allégués pour tous les crimes internationaux ;
  3. Coopérer avec la CPI, notamment en exécutant les mandats d’arrêt, en remettant les suspect·es à la Cour, et en suspendant les relations diplomatiques avec les responsables des crimes les plus graves ;
  4. Adopter et mettre en œuvre des mesures de protection à l’échelle nationale et régionale, comme la loi de blocage de l’UE, en vue de soutenir les activités de la Cour pénale internationale et de protéger les personnes qui coopèrent avec elle ;
  5. Garantir les droits des victimes de crimes internationaux, notamment en veillant à ce qu’elles participent et accèdent de manière significative à la justice, y compris par la mise à disposition d’un accompagnement psychosocial, de services de traduction et de dispositifs complets de protection des témoins ;
  6. Soutenir les mécanismes de mise en accusation des Nations unies ainsi que les expert·es mandaté·es dans leurs efforts pour accéder aux victimes, enquêter, assurer leur protection, sensibiliser aux droits humains, et faire en sorte que justice soit faite pour les crimes internationaux ;
  7. Enquêter sur les crimes internationaux et poursuivre leurs responsables à l’échelle nationale, en adoptant les lois nécessaires et en renforçant les capacités des autorités nationales afin qu’elles soient en mesure de garantir la crédibilité, l’indépendance et l’efficacité des procédures, notamment en ayant recours à la compétence universelle et extraterritoriale ;
  8. Favoriser l’accès des survivant·s aux réparations, notamment en encourageant le recours à des sanctions ciblées et à des mesures visant au recouvrement des avoirs des auteur·rices de crimes internationaux comme moyen de soutenir la justice restaurative pour les communautés de victimes ;
  9. Veiller à ce que les systèmes de justice internationale bénéficient d’un soutien financier suffisant et durable, notamment la CPI, le Fonds au profit des victimes et les organisations de la société civile, en particulier les organisations locales œuvrant à améliorer la justice et l’établissement des responsabilités ;
  10. Garantir la transparence des efforts déployés à l’échelle nationale pour lutter contre l’impunité – un élément essentiel pour coordonner les actions, identifier les zones d’ombre et évaluer de manière pertinente les engagements des États, en publiant chaque année les données ventilées sur les procédures pénales en cours et passées relatives aux crimes internationaux.

 

À propos de l’Initiative mondiale contre l’impunité (GIAI)

L’Initiative mondiale contre l’impunité des auteurs de crimes internationaux : faire fonctionner la justice (GIAI) est un consortium constitué de huit ONG internationales et de la Coalition pour la Cour pénale internationale. Cofinancée par l’Union européenne, elle a pour vocation de contribuer à la lutte contre l’impunité en soutenant une approche holistique, intégrée et inclusive de la justice et de l’établissement des responsabilités pour les auteur·rices des graves violations des droits humains et de crimes internationaux.

Animée par cet engagement, la GIAI lance aujourd’hui sa Plateforme de gestion des connaissances, un espace numérique inclusif et multilingue conçu comme un centre de ressources pour la collaboration, l’apprentissage et le partage d’information.

« En cette Journée européenne de lutte contre l’impunité, j’exhorte l’UE à honorer ses obligations juridiques et morales en mettant en œuvre des lois et des politiques de gestion des frontières qui respectent les droits et protègent la vie des migrants et des réfugiés. Les pratiques actuelles les exposent à la torture, à l’esclavage et aux naufrages, qui peuvent constituer des crimes contre l’humanité, tandis qu’elles offrent un refuge aux criminels recherchés par la CPI. Les victimes veulent être entendues, disposer d’un espace sûr pour exprimer leurs opinions et leurs préoccupations, et avoir le sentiment que le système judiciaire est encore une source d’espoir. Il est vital de placer la voix des survivants au cœur de notre combat pour la dignité, la justice et la responsabilité. »

David Yambio, défenseur des droits humains et porte-parole de l’association Refugees in Libya.

[1] 2024 a été l’une des pires années jamais enregistrées dans l’histoire de l’UNICEF pour les enfants vivant dans des zones de conflit. Selon l’agence des Nations unies, plus d’un enfant sur six dans le monde vit aujourd’hui dans des régions affectées par des conflits.