Justice internationale : dernier recours pour certains, tracas pour d’autres

22.06.2018

La condamnation d’Eshetu Alemu en décembre dernier pour crimes de guerre a mis en lumière les possibilités qu’offre, aux victimes de crimes graves, la justice internationale. Mais celle-ci ne peut être efficace que si des moyens suffisants lui sont alloués. Valérie Paulet, spécialiste de la compétence universelle, examine la situation.

 

Quel message envoie la condamnation d’Eshetu Alemu, des dizaines d’années après les faits ?

 

Valérie Paulet : Premièrement, qu’il n’est jamais trop tard ! Comme nous l’ont montré les scènes de liesse lors de la condamnation d’Hissène Habré en 2017, le temps n’efface pas le traumatisme vécu par les victimes. L’affaire Eshetu Alemu est aussi la preuve qu’avec les moyens nécessaires et une vraie indépendance, les procureurs des « unités crimes de guerre » peuvent accomplir un travail formidable.

Les affaires de compétence universelle et extraterritoriales sont complexes. La recherche de preuve est rendue difficile par le temps écoulé, le fait que les crimes aient été commis à l’étranger, mais aussi à cause d’obstacles diplomatiques. C’est là tout l’intérêt des unités spécialisées. Elles sont composées de professionnels capables de surmonter ces difficultés et de faire preuve d’un acharnement étonnant.

On ne peut que regretter que le Ministère Public de la Confédération suisse (MPC) ne suive pas cet exemple dans tous les dossiers qu’il traite. La fusion en 2015 du département « entre-aide judiciaire » et de l’unité « crimes de guerre » est problématique, en termes d’allocation des ressources par exemple. Néanmoins, certaines annonces du MPC, comme celles de renvoi en procès de deux affaires libérienne et gambienne de crimes de guerre et crimes contre l’humanité, sont encourageantes.

 

En quoi les exactions commises par Eshetu Alemu relevaient-elles de la compétence universelle ?

 

V. P. : La compétence universelle est le plus souvent invoquée pour des crimes de torture, des crimes contre l’humanité, des crimes de guerre ou de génocide. En l’occurrence, Eshetu Alemu était accusé d’avoir participer à la « Terreur Rouge » qui a sévi en Ethiopie à partir de la fin des années 1970.

Il a été condamné pour avoir participé à des massacres, des tortures et supervisé la détention illégale, dans des conditions inhumaines et dégradantes, de plus de 300 personnes. Ces faits ont été qualifiés par le procureur néerlandais de crimes de guerre et par le procureur éthiopien de crimes contre l’humanité. En cela, les infractions commises par Eshetu Alemu relèvent en effet de la compétence universelle.

Cependant, il faut préciser qu’Eshetu Alemu a obtenu la nationalité néerlandaise dans les années 1990. Ainsi, les Pays-Bas et leurs juridictions étaient compétents pour le juger du fait de sa nationalité, et non en vertu du principe de compétence universelle.

 

Qui sont les détracteurs de la compétence universelle ?

 

V. P. : La compétence universelle est un caillou dans la chaussure des diplomates. Elle peut crisper les relations entre Etats, comme ce fut le cas entre le France et le Maroc lorsqu’un juge français a cité le chef des renseignements marocain à comparaître.

Mais en démocratie, la justice se doit d’être indépendante et ne peut donc pas être utilisée comme un instrument de négociation. La compétence universelle est un dernier recours pour des milliers de victimes qui ne peuvent obtenir justice dans leur pays. Elle permet d’empêcher un pays de devenir un refuge, ou safe haven, pour les criminels de guerre.

 

 

 

La compétence universelle vous intéresse ?

Valérie Paulet sera à Genève le 26 juin pour présenter le rapport Make Way for Justice #4, en partenariat avec la Geneva Academy. Plus d’informations sur l’événement  

 

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