Auteur/autrice : Communication Department
Le Human Rights and Justice Centre (HRJC) améliorera l’accès à la justice pour les victimes de violations de droits humains tels que : torture, disparitions forcées, exécutions extra-judiciaires et violences sexuelles, au Népal.
TRIAL International travaille au Népal depuis 2009. Le besoin d’accroître sa présence sur place s’est fait ressentir et l’organisation a maintenant établi son premier centre juridique à Katmandou.
Le HRJC fournira un support juridique gratuit et un service aux victimes, sans tenir compte de leurs affiliations passées, religieuses ou politiques. Il plaidera pour des cas au niveau national et international, une caractéristique rare dans le paysage népalais.
Une approche innovante et participative
Les employés du HRJC sont tous locaux. Le HRJC travaillera aussi avec un réseau d’avocats népalais de confiance, tous ont suivi une formation spéciale donnée par TRIAL International.
« Le HRJC est conçu pour être un centre pour les avocats des droits humains et les activistes » explique Ranjeeta Silwal, Coordinatrice droits humains. « Toutes les affaires sont sélectionnées et analysées par le HRJC avant d’être assignées, une par une, à l’avocat de notre liste qui conviendra le mieux. Un juriste du HRJC – spécialisé dans les questions de droits – suivra l’affaire tout au long de la procédure, en synergie avec l’avocat désigné et la victime. »
Le HRJC espère aussi permettre aux acteurs locaux, avocats et aux victimes elles-mêmes, de renforcer leur autonomie. Pour cela il fournira des formations spécialisées et des entraînements aux avocats, ainsi que de l’assistance légale aux ONGs qui travaillent dans le secteur de la documentation et du litige. Le HRJC organisera aussi régulièrement des ateliers d’autonomisation pour les victimes. Cela leur permettra de mieux comprendre leurs droits et d’être plus engagées dans la procédure.
Favoriser une vaste coopération
Enfin, le HRJC pense qu’une culture des droits humains au Népal doit aussi se construire au niveau structurel. C’est pour cela qu’il fera pression auprès des autorités locales pour des lois et une politique plus juste, tout en œuvrant pour que les décisions prises par les différents organes des Droits de l’Homme des Nations Unies soient mises en place.
Le Centre recevra l’aide de nombreux partenaires au Népal et à l’extérieur, comme par exemple : d’autres organisations non-gouvernementales, des corps diplomatiques, et des experts individuels.
« C’est en accord avec l’éthos de TRIAL de créer des ponts et travailler de façon collaborative. Tous les acteurs qui se battent contre l’impunité au Népal doivent se rassembler pour provoquer un changement durable », conclue Helena Rodríguez-Bronchú Carceller, responsable du programme Népal pour TRIAL International.
Lenin Bista a été recruté à l’âge de 11 ans par la guérilla Maoïste népalaise. Après avoir subi la guerre, la violence et les humiliations, il milite maintenant pour ses droits et ceux de ses pairs.
En août et novembre 2015, the Human Rights and Justice Centre (une organisation partenaire de TRIAL International), a organisé à Katmandou une formation* pour les anciens enfants soldats népalais. Lenin Bista y a assisté pour s’initier aux techniques de documentation et de plaidoyer au niveau international.
*Le projet est soutenu par l’ambassade allemande au Népal
Le Docteur Mukwege a fondé l’hôpital de Panzi à Bukavu en 1999. Depuis sa création, plus de 50 000 femmes, y compris les jeunes victimes de Kavumu, ont pu y être soignées. Il revient sur cette affaire qui a tant marqué les esprits.
Qu’avez-vous ressenti quand des mineurs de Kavumu, toutes victimes du même mode opératoire, ont commencé à affluer pour se faire soigner dans votre hôpital ?
L’afflux de ces enfants violées a constitué un véritable choc pour toute l’équipe de prise en charge médicale et moi-même. Des limites infranchissables étaient atteintes : l’impunité avait accouché l’innommable.
Le traumatisme était profond pour nous tous au bloc opératoire. C’est la première fois que j’ai vu toute l’équipe fondre en larmes. Même ceux qui habituellement expriment plus difficilement leurs émotions n’ont pas résisté. C’était très douloureux de voir ces petites innocentes souffrir suite à la bêtise humaine, dans un contexte sans protection, sans justice, en bref : sans recours.
Pouvez-vous nous parler un peu plus du travail des experts locaux en RDC et le rôle qu’ils ont joué ?
Les acteurs locaux ont joué un rôle très important en commençant par nos para-juristes qui n’ont pas cédé aux menaces des bourreaux et leurs complices. Pour chaque cas, ils prévenaient notre clinique juridique et notre équipe mobile faisait ensuite des déplacements périlleux pour aller chercher les victimes et les amener à l’hôpital de Panzi. Ce sont eux qui, en documentant et en collectant les éléments de preuve, recueillaient les premières informations relatives aux incidents.
Au niveau de l’hôpital, comment avez-vous procédé ?
La prise en charge holistique était conduite minutieusement. De manière pratique, l’hôpital réalisait : un examen physique général, un examen des lésions physiques avec photographies scientifiques, une évaluation psychologique et la rédaction d’un certificat médical. Souvent, comme les enfants arrivaient dans les 72 heures, un kit de prévention du VIH et des infections sexuellement transmissibles leur était administré immédiatement. Le traitement chirurgical suivait, en fonction de la localisation des lésions et de leur gravité.
Ces cas ont fait l’objet de deux publications scientifiques de notre part au niveau internationale puisque nous avions à faire à des situations jamais publiées*.
Nous continuons le suivi médical et psychologique étant donné qu’à ce jour la littérature scientifique ne nous dit pas quel sera l’avenir de ces futures femmes sur le plan sexuel, sur le plan de la fertilité et sur le plan psychologique. Ce travail de suivi est crucial pour l’avenir de ces enfants, même après le verdict.
Quelles ont été les difficultés majeures au long de cette enquête qui a finalement abouti à un procès historique ?
Les bourreaux avaient presque un statut d’immunité dans la société. Ils étaient intouchables. Et toute personne qui résistait à cet état de choses risquait de le payer de sa vie sans aucune conséquence pour les bourreaux. Il ne faut pas perdre de vue qu’il y eu des assassinats et mort d’hommes dans cette affaire.
De ce fait, les membres de V-Men**, mon équipe et moi-même, nous sommes rendus à Kavumu pour sensibiliser les hommes concernant ce fléau. Et pour qu’ils s’engagent contre l’omerta, les commérages, la corruption.
Il était de notre devoir de pallier à ce sentiment de peur général ressenti par la population lorsqu’elle devait s’exprimer sur le sujet.
Une autre affaire vous a-t-elle marqué de la sorte au cours de votre carrière ?
L’Assassinat de mes malades et de mon staff à l’Hôpital de Lemera en 1996.
Ils étaient inoffensifs, comme les enfants…
* La classification des lésions génito-urinaires et digestives basses chez les filles de moins de 5ans. Publiée dans le « Journal of Gynecology and Obstetric »
Le traitement des lésions génito-urinaires et digestives basses chez les fillettes de moins de 5 ans. Publié dans le « Journal of Gynecology and Obstetric »
**Mouvement en faveur de l’égalité du genre, lancé à New York il y à 10 ans. Le Docteur Denis Mukwege parraine le mouvement V-Men RD Congo
La Guinée équatoriale juridiquement condamnée à « poursuivre ou extrader » un dictateur gambien en exil
(Banjul, Gambie, 29 janvier 2018) – Les victimes de l’ancien gouvernement gambien de Yahya Jammeh et de leurs partisans ont réagi avec indignation à une déclaration du président équato-guinéen Teodoro Obiang Nguema selon laquelle il « protégerait » le dirigeant exilé de la justice.
« De quel droit un dictateur pourrait-il en protéger un autre ? », Demande Baba Hydara, fils de Deyda Hydara, rédacteur en chef du journal « The Point » assassiné en 2004. « Ceux d’entre nous dont les proches ont été tués, torturés ou violés en prison, fusillés pour avoir manifesté pacifiquement, ou même contraints à de faux programmes de traitement contre le VIH de Jammeh, ont droit à une justice qui ne sera pas niée, et nous nous battrons aussi longtemps qu’il le faudra. »
M. Jammeh a fui la Gambie en janvier 2017 pour s’exiler en Guinée équatoriale après avoir perdu les élections présidentielles de décembre 2016 au président actuel, Adama Barrow.
Dans une interview accordée le 17 janvier 2018 avec RFI et France 24, le président Obiang a déclaré qu’il n’avait donné aucune garantie sur l’immunité de Jammeh et qu’il « ferait analyse de toute demande d’extradition avec [ses] avocats. » Cependant, après avoir rencontré le président guinéen Alpha Condé, qui a pris part aux négociations du départ de Jammeh de la Gambie, Obiang a changé d’avis le 26 janvier et a déclaré qu’il rejetterait toute demande d’extradition. « Je suis totalement d’accord avec [Condé]. Il faut protéger [Yahya Jammeh], il faut le respecter en tant qu’ancien chef d’Etat en Afrique, car cela reste une garantie que les autres chefs d’Etat qui doivent quitter le pouvoir n’aient pas peur du harcèlement qu’ils pourraient subir à une date plus tardive », a déclaré Obiang.
Entre-temps, le président Barrow de Gambie a déclaré dans plusieurs interviews le 25 janvier qu’il était « plus que désireux » d’entamer des discussions sur l’extradition de Jammeh si un tel procédé était recommandé par la Commission de Réconciliation et de Réconciliation de la Gambie, un organisme établi par la législation.
« Les présidents Obiang et Condé n’ont pas le droit d’usurper la décision du peuple gambien quant à savoir si les crimes présumés de Jammeh devraient être poursuivis », a déclaré Madi Jobarteh, responsable du programme de l’Association des ONG en Gambie (TANGO). « L’Union africaine et la CEDEAO doivent soutenir nos revendications de justice, comme elles l’ont fait dans l’affaire Hissène Habré, et ne pas faire obstruction. »
La campagne visant à amener Yahya Jammeh et ses complices en justice, qui rassemble des victimes gambiennes et des groupes de droits nationaux et internationaux, a noté que la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants de 1984 ratifiée par la Guinée équatoriale en 2002, oblige les États à poursuivre ou extrader des tortionnaires présumés qui pénètrent sur son territoire. Le 20 juillet 2012, dans une décision unanime, la Cour internationale de justice a jugé qu’en raison de cette disposition «sans refuge» dans la convention sur la torture, le Sénégal devait poursuivre ou extrader l’ancien dictateur tchadien, Hissène Habré, contre qui il y a eu procès peu de temps après.
« En suggérant qu’une fois que vous avez été chef de l’Etat vous ne pourrez jamais être poursuivi quel que soit le crime que vous commettez contre votre peuple, Obiang et Condé veulent donner aux dirigeants carte blanche pour assassiner et torturer en toute impunité », a déclaré Ayeesha Jammeh, ce dernier ayant vécu l’assassinat de son père Haruna Jammeh et sa sœur Marcie, cousins de Yahya Jammeh, suite à leurs critiques de l’ancien dirigeant. « Nous les victimes gambiennes n’accepteront pas cela et je suis sûr que personne en Afrique ne le fera. »
Ironiquement, dans son discours d’adieu en tant que président de l’Union africaine deux jours plus tard, Alpha Condé a annoncé que « nous ne sommes plus un syndicat de chefs d’Etat qui se protègent mutuellement ».
En 22 ans de régime autocratique, le gouvernement de Jammeh a utilisé des meurtres, des disparitions forcées, la torture, l’intimidation, la violence sexuelle et des arrestations arbitraires pour réprimer la dissidence et préserver son emprise sur le pouvoir. En 2005, plus de 50 migrants, dont 44 du Ghana, ont été massacrés par les forces de sécurité de Jammeh. Jammeh a contraint quelque 9000 Gambiens – dont la grande majorité vit avec le VIH – à recevoir ses remèdes à base de plantes médicinales grâce à un simulacre qu’il nomma « programme présidentiel de traitement alternatif ».
La campagne a déclaré qu’elle cherchait l’extradition de Jammeh pour un procès en Gambie, mais a compris que cela pourrait prendre plusieurs années car les problèmes politiques, sécuritaires et institutionnels doivent être résolus avant que Jammeh puisse obtenir un procès juste pour promouvoir l’état du droit en Gambie.
« Le président Obiang, dont le gouvernement continue d’utiliser la torture, les arrestations arbitraires et les exécutions extrajudiciaires contre ses détracteurs, ne peut se cacher derrière une telle « solidarité africaine » pour priver le peuple de la justice de la Gambie », a déclaré Tutu Alicante, le directeur d’EG Justice, une organisation à la tête de la protection des droits de l’homme en Guinée équatoriale.
Les groupes participant à la Campagne comprennent : le Centre Gambien pour les Violations des Droits de l’Homme, l’Institut pour les Droits de l’Homme et le Développement en Afrique, Article 19 Afrique de l’Ouest, Coalition pour le Changement en Gambie, TANGO, EG Justice (Guinée Equatoriale), TRIAL International (Suisse), Human Rights Watch, Guernica 37 Chambres de Justice Internationale, Aids-Free World et La Fondation pour l’égalité des chances en Afrique. La page Facebook de la campagne est : https://www.facebook.com/Jammeh2Justice/
Comment TRIAL International est-elle née ? Son fondateur et Directeur Philip Grant retrace la genèse de l’organisation, intimement liée à son parcours personnel.
Militant de la première heure
J’ai toujours été actif dans le milieu associatif. A 17 ans, je tombe sur la Déclaration universelle des droits de l’homme : une révélation. Je voyais écrites noir sur blanc mes convictions les plus profondes sur la dignité humaine. J’ai commencé à militer pour les droits humains, notamment contre l’apartheid en Afrique du Sud, qui était le grand combat de l’époque. A la fin du cycle secondaire, étudier le droit m’est apparu comme une évidence.
10 ans plus tard, au milieu de mon doctorat, Pinochet était arrêté à Londres pour ses crimes au Chili. Deuxième tournant majeur : la justice internationale devenait une réalité et son champ d’application potentiellement immense. Cet événement a raffermi ma conviction intime que le droit est un formidable levier de changement.
Mais à l’époque, peu d’ONG œuvraient dans ce domaine. Amnesty International, par exemple, dénonçait les violations mais sans nommer, et encore moins dénoncer, les coupables. Il y avait un besoin qu’aucune structure existante ne remplissait : j’ai donc décidé de fonder ma propre organisation de lutte contre l’impunité en Suisse.
Les premières années
Quelques semaines avant l’entrée en vigueur de la Cour pénale internationale, en 2002, j’ai fondé TRIAL avec une poignée de victimes, de militants et d’avocats. Notre objectif était double : sensibiliser le public à la justice internationale et faire pression sur les autorités pour qu’elles arrêtent les suspects présents sur sol helvétique.
A partir du moment où TRIAL est née, je n’ai plus regardé en arrière. Nous assistions à un essor historique de la justice internationale et j’étais persuadé (je le suis toujours) de notre valeur ajoutée dans ce combat.
Nos premières plaintes étaient assez symboliques et n’ont pas abouti à l’ouverture de procédures. Mais il y avait un intérêt indéniable des médias et du public, nous recevions des signes encourageants qui nous ont incité à persévérer.
Ouverture à l’international
Les premières années, il y a eu plusieurs plaintes contre des suspects algériens, tunisiens, somaliens ou afghans. Mais les autorités suisses ne réagissant guère, nous avons développé de nouveaux modes d’intervention en nous tournant vers d’autres pays. La Bosnie-Herzégovine était sortie d’une affreuse guerre civile depuis plus de 10 ans, mais les procédures étaient totalement bloquées : il y avait pourtant des voies supranationales à explorer, par exemple la Cour européenne des droits de l’homme ou le Comité des droits de l’homme de l’ONU. Là aussi, nous avions la possibilité d’ouvrir des voies inexplorées pour redonner espoir aux victimes. C’est comme ça qu’est né le premier programme pays de TRIAL, en 2007.
A peu près à la même période, l’affaire Sperisen s’est ouverte en Suisse : les choses bougeaient enfin ! Nous avons ouvert dans la foulée les programmes Népal et Burundi, et je suis devenu salarié de TRIAL à plein temps, abandonnant définitivement mon cabinet d’avocat.
Une ONG dans la capitale des droits humains
Genève, où j’habite et travaille, était le lieu idéal pour lancer TRIAL : de hauts dignitaires y transitent pour des raisons diplomatiques, mais aussi à titre privé : luxe, écoles privées et cliniques de pointe attirent les puissants du monde entier.
Preuve de ce brassage, il est arrivé plusieurs fois que des victimes de crimes graves croisent leur agresseur en Suisse ! Je me souviens notamment d’une jeune demandeuse d’asile rwandaise placée dans le même centre que Félicien Kabuga, l’un des instigateurs du génocide de 1994. Cela donne parfois lieu à de véritables coups de théâtre, comme ce militant du Sahara Occidental qui, en pleine conférence sur les tortures qu’il a subies, a reconnu son bourreau dans l’auditoire !
Chercher sa valeur ajoutée
J’ai créé cette organisation car, à titre individuel, je cherche toujours à maximiser ma valeur ajoutée. Faire un travail qu’un autre pourrait faire, qui perpétue un ordre existant, ne m’intéresse guère. Et quand l’idée prend vie et fonctionne, c’est une belle satisfaction.
Il m’arrive bien sûr d’être las. Quand une procédure se compte en décennie, la tentation est grande de baisser les bras. Mais quand j’entends le récit des victimes, des atrocités qu’elles ont enduré et de leur détermination à se battre, et surtout quand l’on gagne des procès et que justice peut être rendue, je me dis que nous avons raison de poursuivre notre action.
Philip Grant, Directeur
Ntumwa Maro, un seigneur de guerre sur le banc des accusés
Marocain est soupçonné d’être l’un des chefs les plus hauts gradés d’un groupe qui a tué, terrorisé et réduit en esclavage la population de Kalehe, dans une série d’attaques menées entre 2005 à 2007.
Le groupe Maï Maï mené par Marocain, qui a sévi sur le territoire de Kalehe, s’est livré aux pires exactions contre des civils : Pillages, incendies, viols, tortures, meurtres, esclavage, etc.
Le groupe était extrêmement bien organisé. Les villageois qui n’étaient pas tués lors des attaques étaient parfois amenés jusqu’à un quartier général du groupe, situé en pleine forêt. Là-bas, les victimes étaient réduites en esclavage, sequestrées, et torturées.
Ce groupe était connu pour ses pratiques barbares : torturer leurs prisonniers et les laisser pour mort, ligotés à un arbre durant des jours. Jeter les gens dans un trou creusé appelé « ANDAKI » où ils étaient torturés et soumis à des traitements dégradants…
Les femmes et les filles en particulier étaient faites prisonnières et réduites à l’esclavage sexuel. Certaines d’entre elles se voyaient aussi attribuer des « maris » de force. Cette situation a duré jusqu’à un an et demi pour certaines.
« J’ai été prise en otage par les militaires qui m’ont donné à l’un des leurs pour que je devienne sa femme. J’ai aussi été torturée dans un trou appelé ‘Andake’ », raconte une victime sous couvert d’anonymat.
PROCEDURE
Ntumwa Maro a été arrêté en août 2014.
Il est poursuivi pour crimes contre l’humanité par viol, emprisonnement, et autres actes inhumains de caractère analogue; ainsi que pour crimes de guerre, par esclavage sexuel, pillage, attaque contre la population civile et contre des bâtiments consacrés à la religion. Il est également poursuivi pour participation à un mouvement insurrectionnel.
Sa responsabilité pénale est engagée comme auteur direct pour avoir commis individuellement, conjointement ou par l’intermédiaire d’autres personnes, les crimes cités ci-dessus. En effet, une cinquantaine de victimes et témoins ont rapporté des exactions l’incriminant personnellement ainsi que des miliciens agissant sous son commandement.
Le prévenu a déjà reconnu, dans le dossier du Ministère Public en 2014 et en 2016, avoir participé à plusieurs attaques menées dans différentes localités en RDC.
Pour la première fois en RDC, TRIAL International a conduit des tests ADN sur les enfants de victimes d’esclavage sexuel nés durant leur captivité.
Le procès s’est ouvert le 13 avril 2018. 15 jours plus tard, la Cour Militaire du Sud-Kivu a condamné le Lieutenant-Colonel Maro Ntumwa à 20 ans de prison pour avoir orchestré ou autorisé des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité.
Le 12 juin 2018, la Haute Cour militaire a instruit l’appel de l’affaire à Bukavu.
En savoir plus sur la procédure
CONTEXTE
Entre 2005 et 2007, dans le territoire de Kalehe, le groupe armé Maï Maï dirigé en partie par Marocain a mené une série d’attaques contre la population civile.
En raison du niveau d’organisation du groupe et de sa force de frappe, l’armée congolaise a été forcée de se replier du territoire. Laissant la population civile sans aucune protection face aux attaques du groupe. Ce n’est qu’en 2007 que les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) ont réussi à reprendre possession du territoire perdu et à libérer les villages et leurs habitants.
A l’origine, dans les années 80, le phénomène Mai-Mai faisait référence à des mouvements d’auto-défense constitués au sein de la population civile afin de défendre leurs territoires contre les groupes armés. Or, le phénomène s’est transformé et certains de ces groupes sont désormais responsables de graves violations commises en toute impunité contre la population civile.
Avec plusieurs millions de victimes directes et indirectes depuis 1994, le conflit en RDC est le plus meurtrier depuis la fin de la seconde guerre mondiale.
Regardez le témoignage d’une victime
Malgré les menaces et intimidations de la part de ceux qu’ils dérangent, les acteurs congolais ont tenu bon. Maitre Charles Cubaka Cicura est le porte-parole des avocats des parties civiles du procès Kavumu. Il nous livre son récit des faits.
Pouvez-vous nous parler de l’origine du dossier Kavumu ?
Les acteurs locaux sont à l’origine du dossier, car ce sont eux qui ont fait le lobbying pour que l’Etat et les autres partenaires internationaux s’impliquent dans l’affaire. Ce sont eux aussi qui sont au côté des victimes de violations des droits humains. La situation est souvent trop dangereuse pour que les victimes puissent dénoncer elles-mêmes leurs agresseurs car le risque de représailles est trop grand. Ce sont donc les acteurs locaux qui prennent le relai et se chargent des dénonciations et de la documentation des violations auxquelles ils sont confrontés.
En RDC nous devons faire face à de multiples défis au niveau des enquêtes, moyens logistiques, financiers, transports… C’est pour cela que je considère qu’une collaboration avec plusieurs partenaires est un pas en avant vers la réussite d’un procès.
Quelle a été l’ampleur des menaces qui ont pesé sur les témoins lors du procès ?
Des menaces réelles car plusieurs personnes avaient déjà été tuées par Jeshi La Yesu (Armée de Jésus), la milice de M. Batumike. Hommes et femmes, ont donc témoigné couverts de la tête aux pieds. C’était nécessaire car les témoins gênants passaient systématiquement à l’échafaud. L’assassinat du défenseur des droits humains Evariste Kasali Mbogo, qui dénonçait les crimes de Kavumu, en est d’ailleurs la preuve. Mais il y en a eu bien d’autres…
Certaines personnes ont néanmoins témoigné à visage découvert, et je crains pour leur sécurité.
Qu’en était-il de votre sécurité ? Vous êtes-vous senti en danger à quelque moment de l’enquête ou du procès ?
Au cours du procès nous craignions principalement que les miliciens viennent nous déloger de l’hôtel où nous dormions. Mais Dieu merci, cela ne nous est pas arrivé.
La profession d’avocat est toujours à risque. On ne sait pas toujours d’où viendra le danger. Avant Kavumu, j’ai déjà fait l’objet de plusieurs menaces. Mais je tiens bon, et je dois accepter les risques du métier. Depuis mon enfance, je hais l’impunité et l’injustice. C’est pour cela que j’ai décidé de devenir avocat, pour apporter ma contribution à la lutte contre l’impunité.
Il y a eu quelques tentatives qualifiées de « dilatoires » au cours du procès de la part des avocats de la défense, comment avez-vous, et les autres avocats des parties civiles, réagi face à ces prolongations du procès ?
Au sein du collectif des avocats des parties civiles, nous avons réagi à chaque fois en nous appuyant sur des textes légaux afin de couper court à ces manœuvres. Nous avons bénéficié de l’appui de TRIAL International surtout sur le volet judiciaire.
Batumike ne voulait pas que ce procès ait lieu et que la vérité éclate au grand jour. Il voulait à tout prix jouir de son immunité en tant que député provincial pour continuer à percevoir des rémunérations. Cela lui paraissait donc inimaginable que ses électeurs découvrent ses actes criminels.
Etes-vous, ainsi que les victimes, satisfaits du verdict ?
Nous avons été satisfaits du verdict. Mais maintenant, nous devons travailler pour que les victimes accèdent à une réparation matérielle. Les bourreaux ont été condamnés à des dommages et intérêts, mais je regrette que les frais de réparation n’aient pas été à la hauteur du préjudice. 5000 USD alloués à chaque victime ne saurait réparer le préjudice subi. Il reste aussi le problème de recouvrement de ces frais car la plupart des prévenus n’ont pas les moyens de verser cet argent aux victimes…
Que représente cette décision pour la lutte contre l’impunité en RDC ?
En règle générale, ce fut un grand jour pour la lutte contre l’impunité en RDC. Les personnes qui se croyaient intouchables de par leur rang social, ont compris que le respect de la justice s’applique à tout le monde. De plus, ce procès a donné aux délinquants et à ceux qui voudraient s’aventurer sur ce chemin, de bonnes raisons de reculer.
Bien sûr, les cas de crimes restent encore légion, et le chemin est encore long. Mais si à chaque fois, nous nous battons pour réprimer les auteurs de ces crimes, nous aurons contribué à faire baisser le taux de l’impunité, et des milliers des personnes accèderont à la justice.
Profil de Maitre Charles Cubaka Cicura
Après ses études universitaires, Me Charles Cubaka Cicura a suivi plusieurs formations sur la justice pénale internationale avec Avocats sans frontières. Ainsi que des formations sur l’assistance aux victimes de crimes graves devant les juridictions congolaises et les mécanismes régionaux et internationaux de protection des droits humains avec TRIAL International.
Il a ensuite pu mettre ses connaissances à profit lors de plusieurs affaires. Notamment le dossier Serge Maheshe : un journaliste de Radio Okapi assassiné à Bukavu en 2007. Le dossier Colonel Kibibi, un commandant des Forces Armées de la République Démocratique du Congo (FARDC), condamné en 2011 pour crimes contre l’humanité. Et celui du chef de guerre Kizima Sabin Lenine, condamné à la perpétuité en 2014 pour crimes contre l’humanité. Mais aussi le dossier Colonel Becker en 2017.
Il a à présent la double casquette d’Avocat au Barreau de Bukavu depuis 2006, et d’enseignant à l’Université officielle de Bukavu au grade de Chef de travaux.
M. George Weah a été élu Président de la République du Libéria le 26 décembre 2017. C’est la première fois, depuis la fin de la deuxième guerre civile en 2003, que le peuple a pu voter librement et sans la surveillance des casques bleus des Nations Unies.
Dans une lettre ouverte, 19 organisations de défense des droits humains demandent au Président Weah de saisir ce moment historique pour enquêter sur les crimes commis pendant la guerre et mettre fin à l’impunité dont jouissent les criminels de guerre.
La première et la seconde guerre civile au Libéria ont coûté la vie à des centaines de milliers de personnes et en ont déplacé bien davantage. Des crimes graves comprenant la torture, l’esclavage sexuel et des massacres tristement célèbres ont eu lieu durant ces sombres périodes. Or, aucun agresseur n’a encore été poursuivi dans le pays. Aujourd’hui, M. George Weah a l’opportunité d’ouvrir la voie à la justice au Libéria.
Cher Président Weah,
Votre élection et la passation pacifique du pouvoir au Libéria est un moment historique pour votre nation. Pendant la campagne, vous avez soutenu n’avoir jamais été impliqué dans les guerres civiles du Liberia. Nous vous prions de tirer parti de cette opportunité ainsi que du climat de bonne volonté que vous avez généré pour enfin rendre justice aux innombrables victimes du conflit armé qu’a traversé le Libéria durant quatorze ans.
Les organisations de défense des droits de l’homme soussignées encouragent votre administration à remplir les obligations relatives au Libéria d’enquêter et de poursuivre les atrocités commises en temps de guerre. La création de La Commission Vérité et Réconciliation du Libéria (CVR) est un premier pas important. La poursuite de l’ancien dirigeant du mouvement de Libération Unie du Libéria pour la Démocratie (ULIMO), Mohammed Jabbateh, condamné par un tribunal américain pour des crimes d’immigration qu’il aurait commis en temps de guerre, montre qu’une justice pour les victimes de la guerre civile est effectivement possible. Cette année pourrait également voir les procès de l’ancien ministre de la Défense du Front patriotique national du Libéria (NPFL) de Charles Taylor : Tom Woewiyu, aux États-Unis; celui de Martina Johnson, dirigeante du NPFL en Belgique; du commandant de l’ULIMO, Alieu Kosiah en Suisse; et d’Agnes Reeves Taylor au Royaume-Uni.
Vous avez aujourd’hui l’occasion d’assurer la justice pour ceux qui ont souffert des plus graves crimes causés par la première et la seconde guerre civile. Ces crimes, qui incluent des exécutions sommaires, la torture, le viol, l’esclavage sexuel, l’utilisation et le recrutement d’enfants soldats, sans oublier toutes les atrocités de masse commises, telles que les massacres au Carter Camp et à l’église luthérienne St. Peter, où des centaines de civils innocents ont été tués en une seule nuit, ne peuvent rester impunis. Malgré les obligations légales du Libéria en vertu du droit international humanitaire d’enquêter et de poursuivre les auteurs de violations graves, et la recommandation de la CVR de faire comme tel, le Libéria n’a pas encore tenu une seule personne responsable pour ces crimes.
Nous vous exhortons de faire de la responsabilité une priorité au sein de votre administration et d’assurer la protection des défenseurs des droits humains libériens, en particulier ceux qui travaillent sur des initiatives de responsabilité. En traitant le problème de l’impunité au Libéria et en tenant les auteurs de l’ère de la guerre civile responsables pour leurs crimes, vous êtes en mesure d’offrir au peuple du Libéria – celui qui vous a placé en fonction – la justice qu’il mérite.
Cordialement,
The Advocates for Human Rights
The Africa Center for International Law and Accountability
Africa Legal Aid (AFLA)
Amnesty International
Canadian Centre for International Justice
Centre for Accountability and Rule of Law
Center for Justice and Accountability
Civitas Maxima
EG Justice
FOCUS Liberia
The Global Justice and Research Project (GJRP)
Human Rights Center, University of California, Berkeley School of Law
Human Rights Watch
Justice and Peace Commission, Catholic Diocese of Gbarnga
Liberia Massacre Survivors Association
REDRESS
Rescue Alternatives Liberia (RAL)
The Southern African Centre for the Constructive Resolution of Disputes (SACCORD)
TRIAL International
En Bosnie-Herzégovine (BiH), comme dans d’autres régions du monde, lorsqu’il s’agit de violences sexuelles, on rejette souvent la faute et la honte sur les victimes plutôt que sur les responsables. Cette tendance néfaste, qui se manifeste aussi durant les procès, stigmatise et re-traumatise les victimes.
Les mythes liés au viol
Plus de 20 000 femmes ont été violées pendant la guerre en BiH. Le nombre exact de victimes de genre masculin est encore inconnu. La prévalence des mythes liés aux violences sexuelles lors des démarches pénales accroît leur calvaire.
Les mythes liés au viol transparaissent lorsque, par exemple, les victimes ne sont pas traitées de la même façon lors des audiences en fonction de leur histoire personnelle, de leur mode de vie et/ou de leurs expériences sexuelles.
D’autres mythes liés au viol reflètent des attitudes archaïques selon lesquelles certaines victimes de violences sexuelles ne se sont pas suffisamment « défendues ». Ces stéréotypes négligent le fait que souvent lors de ces incidents, la victime, paralysée par la peur, peut difficilement bouger.
Pour finir, les mythes liés à la crédibilité et à la honte peuvent suggérer que certaines victimes mentent à propos de l’incident qu’elles dénoncent. Par conséquent, ces mythes suggèrent que les victimes et non les agresseurs devraient avoir honte.
Les juges et les procureurs doivent faire preuve d’une grande délicatesse lorsqu’ils interrogent les victimes à propos de leur passé et des agressions qu’elles ont subies. Mais la stigmatisation est parfois si profondément ancrée dans la société que les gens ne se rendent pas compte que leurs questions ou remarques peuvent être blessantes.
Eviter la stigmatisation au tribunal
Les mythes liés au viol doivent être pris en considération afin d’éviter la stigmatisation des femmes qui ont trouvé le courage de s’exprimer publiquement à propos des agressions qu’elles ont subies.
Au tribunal, ces victimes devraient donc sentir que les autorités judiciaires œuvrent dans leur intérêt. Et qu’elles ne sont pas là pour les blâmer ou leur attribuer la responsabilité de ces actes.
« Sensibiliser la société aux manières insidieuses à travers lesquelles la stigmatisation se manifeste dans les salles d’audience, est la clé du combat pour venir à bout des mythes liés au viol, » a dit Kyle Delbyck, consultante pour le programme BiH de TRIAL international, et auteure d’un rapport* sur le sujet. « Les survivants ont déjà dû faire face à tant d’épreuves… Ce rapport est le premier pas pour faciliter l’accès des victimes aux poursuites judiciaires, et leur permettre d’obtenir des réparations. »
L’une des nombreuses solutions présentées dans ce rapport est celle d’informer les victimes du type de questions personnelles auxquelles elles devront répondre durant les audiences.
Une fois informées, elles seraient en mesure de reconnaître si certaines questions posées par la défense sont déplacées ou non. Cela leur permettrait aussi d’apporter le témoignage le plus précis possible.
Qui plus est, une connaissance préalable de ces procédures les aiderait à se détendre et à se sentir en confiance. Elles sauront, par exemple, qu’elles ont le droit de demander une suspension d’audience à n’importe quel moment si cette dernière devient trop éprouvante.
L’importance de la plaidoirie
En 2017, les Nations Unies et le gouvernement britannique ont publié un guide : Principles for Global Action visant à mettre en garde et traiter du problème de la stigmatisation liée aux violences sexuelles durant les conflits. Le rapport de TRIAL International contribue à ce processus.
La justice transitionnelle en BiH a vu des améliorations fulgurantes au cours des dernières années. Mais les victimes agressées durant la guerre font encore face à des difficultés. Des problèmes liés à la stigmatisation, dont parle ce rapport, à l’imposition de frais de justice quand leurs revendications sont rejetées, à l’accès inégal à une aide juridique gratuite. L’accès des victimes à la justice dépendra des différentes campagnes de plaidoiries qui seront menées.
« La sensibilisation des acteurs judiciaires et du public est un élément clé du combat de longue haleine auquel nous participons, » a conclu Adisa Fišić Barukčija, conseillère juridique et chargée de communication du programme BIH pour TRIAL International.
*Le rapport a été réalisé dans le cadre d’un projet soutenu par le gouvernement britannique
Avant que le destin ne l’amène sur la route des victimes de Kavumu, Georges Kuzma, un expert de justice et police, consultant pour Physicians for Human Rights (PHR) a mené des enquêtes liées au terrorisme et à la grande criminalité à travers le globe. Malgré ces précédentes expériences, ce procès a laissé une trace indélébile dans son parcours.
En mai 2013, vous avez été missionné par PHR pour soutenir des experts du Sud-Kivu dans des affaires de violences sexuelles liées au conflit en RDC. Quand et comment avez-vous réalisé l’ampleur de ces crimes ?
Mon mandat était de renforcer les capacités des praticiens de la santé, des enquêteurs et des magistrats dans la conduite des enquêtes et la documentation de violences sexuelles liées au conflit.
L’hôpital général de Panzi a été un de mes principaux partenaires en charge de cette problématique dans l’est de la RDC. Ensemble, nous avons identifié dès juin 2013 une série de crimes sexuels touchant une population ciblée : des fillettes, dans le village de Kavumu et ses environs.
Les crimes identifiés en 2013 ont abouti à deux condamnations. Mais la sérialité n’avait pas été mise en lumière à cette époque. Je crois qu’inconsciemment, nous ne pouvions pas imaginer l’horreur qui se préparait… Il a fallu qu’en mars 2014, sur une période d’un mois, sept nouveaux crimes soient rapportés pour que le doute ne soit plus possible. Tragiquement, de 2013 à 2016, 46 jeunes filles ont été victimes du même mode opératoire identifié.
Ensuite, outre le travail patient et minutieux réalisé par les médecins et les enquêteurs congolais avec le soutien de PHR et de TRIAL International, il a fallu convaincre les autorités judiciaires qu’il ne s’agissait pas de cas isolés indépendants mais plutôt d’un seul dossier. Cela laissait entrevoir une qualification pénale susceptible de se rapprocher des éléments de crimes internationaux.
Au fil des mois, une collaboration entre acteurs locaux et internationaux s’est établie. Comment cela a-t-il débuté avec TRIAL International ?
Début 2015, alors que les enquêtes sur les crimes de Kavumu occupaient mes journées et devenaient de plus en plus compliquées, Daniele Perissi de TRIAL International a contacté une collègue de PHR. Celle-ci lui a expliqué l’affaire Kavumu. A la fin de la réunion, Daniele a dit : « je crois que nous pouvons vous aider ».
Cette enquête, réalisée dans des conditions extrêmes, dû à la complexité et la récidive de ces cas, nécessitait l’implication d’acteurs nationaux qui, seuls, n’auraient pas eu les capacités de la faire aboutir. Il fallait que des experts internationaux viennent soutenir ce processus et apportent une méthodologie et des moyens complémentaires. Toutes les personnes et les organisations qui ont participé ont vraiment tiré à la même corde pour faire reculer l’impunité.
Vous avez une longue expérience dans les affaires criminelles. Quels sont les éléments saillants de l’affaire Kavumu ?
L’affaire est unique à bien des égards… D’abord par sa complexité légale, technique, mais surtout par sa dimension émotionnelle. Je garderai longtemps en mémoire l’image du visage triste et douloureux de ces jeunes filles lourdement blessées. Il faut réaliser que la majorité des victimes sont encore en vie et devront construire leur existence avec ces blessures.
La détresse des familles et des proches est palpable, ainsi que leur incompréhension face à cette situation : c’est toute la communauté de Kavumu qui a été touchée. La tension s’est ressentie le jour de l’ouverture du procès : un millier de personnes étaient présentes. Les familles des victimes comme celles des 18 prévenus étaient très attentives au déroulement des audiences et à la description des faits.
Chaque révélation, chaque prise de parole était attendue, scrutée et jugée par une assemblée curieuse et attentive. La population attendait avec impatience ce verdict avec l’envie de se reconstruire après ces crimes odieux.
Vous qui avez longtemps travaillé en RDC, pays tristement célèbre pour les violences sexuelles qui s’y commettent. Y a-t-il eu des avancées aux niveau juridique ?
La RDC a un passé douloureux, les corps et les âmes des congolais sont durablement blessés. Mais depuis mes premières missions dans le pays il y a huit ans, j’ai pu constater d’énormes progrès dans les enquêtes et les jugements en matière de violences sexuelles.
L’impunité est encore très présente, il faut absolument renforcer les capacités des enquêteurs, des magistrats, mais également des personnels de santé, pour une prise en charge holistique des violences sexuelles. Il faut également que priorité soit donnée au droit des victimes à des réparations, et à une vie sûre, digne et libre.
Le cabinet des ministres du Népal a annoncé, le 5 janvier 2018, la prolongation d’un an de la Commission Vérité et Réconciliation (TRC) et de la Commission d’enquête sur les disparitions forcées (CIEDP).
La création de ces deux organes de justice transitionnelle date de 2015, presque dix ans après la fin de la guerre civile. Leurs mandats devaient arriver à terme l’année passée, mais dû aux milliers de plaintes qu’ils leur restaient à régler, leurs mandats ont été prolongés.
A l’époque, TRIAL International et quatre autres ONG se sont réjouies de cette décision. Mais elles ont, malgré tout, insisté sur le fait que la prolongation des mandats des organes de justice transitionnelle ne devait être qu’un premier pas dans le plus grand effort de responsabilisation.
Aujourd’hui, ces conclusions restent d’actualité. Le travail de ces organismes est titanesque. L’horloge semble tourner de plus en plus vite chaque année, et l’histoire continue à se répéter : les victimes de guerre népalaises attendent toujours justice et réparation.
Lire la lettre ouverte de 2017 de TRIAL International sur les organes de justice transitionnelle
Communiqué de presse
Pour publication immédiate
L’ACAT, l’OMCT et TRIAL International expriment leur consternation concernant la décision rendue par la Cour d’appel de Tunis dans l’affaire Rached Jaïdane.
Ce jugement semble sonner le glas de la justice transitionnelle en ce qu’il considère comme prescrits les faits de torture subis par Rached Jaïdane en 1993 et pendant les 13 ans d’emprisonnement qui ont suivi. Au-delà de ce cas, ce sont des centaines, voire des milliers de victimes des ères Bourguiba et Ben Ali qui pourront ainsi voir leurs tortionnaires soustraits à la justice.
En outre, le jugement de la Cour d’appel contrevient de façon flagrante à la Convention contre la torture et à la décision rendue en octobre dernier par le Comité contre la torture à la suite d’une plainte déposée par Rached Jaïdane. Dans sa décision, le Comité avait fermement condamné la Tunisie pour de multiples violations de la Convention et avait demandé à l’Etat de reprendre l’enquête et de poursuivre les tortionnaires de Rached Jaïdane pour des infractions reflétant la gravité des faits.
Le jugement de la Cour d’appel jette enfin un sérieux doute sur la volonté mainte fois réaffirmée des autorités tunisiennes d’éradiquer le phénomène tortionnaire. La lutte contre l’impunité est indispensable non seulement à la réparation des victimes mais aussi à la prévention de la torture. La décision rendue dans l’affaire Jaïdane, soustrayant les tortionnaires à la justice envoie le message que les auteurs de violations graves des droits de l’homme peuvent continuer à officier en toute impunité.
L’ACAT, l’OMCT et TRIAL International appelle les autorités tunisiennes à réparer cette erreur est à prendre toutes mesures nécessaires pour se conformer à leurs engagements internationaux en mettant en œuvre la décision du Comité contre la torture.
Rappel des faits :
En 1993, Rached Jaidane, enseignant à l’université en France, se rend en Tunisie pour assister au mariage de sa sœur. Le 29 juillet, des agents de la Sûreté de l’Etat l’interpellent à son domicile, sans mandat. S’ensuivent 38 jours de détention au secret et de tortures au ministère de l’Intérieur sous la supervision directe de hauts responsables du régime sécuritaire de Ben Ali. Rached Jaidane est interrogé sur ses liens présumés avec un responsable du parti islamiste Ennahda vivant en exil en France. Sous les coups, il finit par signer, sans les lire, des aveux dans lesquels il reconnaît notamment avoir fomenté un attentat contre le parti de Ben Ali. Après 3 ans d’instruction judiciaire menée par un juge aux ordres, Rached Jaïdane est condamné à 26 ans de prison à l’issue d’un procès de 45mn. Il sera libéré en 2006, après 13 ans de torture et mauvais traitements dans les geôles tunisiennes.
L’histoire de Rached Jaïdane est emblématique du système tortionnaire tunisien, celui-là sur lequel les gouvernements post-révolution ont promis de tourner la page en rendant justice aux victimes. Et pourtant…
Juste après la révolution, Rached Jaïdane porte plainte pour torture. L’enquête est bâclée. Les tortures indescriptibles qu’il a subies sont qualifiées de simple délit de violence passible d’un maximum de cinq ans d’emprisonnement, au motif que le crime de torture n’existait pas dans le code pénal au moment des faits. Pourtant, bien d’autres options s’offraient au juge pour qualifier les faits de crime.
Le procès est sans cesse reporté. Le verdict tombe en avril 2015 : prescription ! Les faits sont considérés comme trop anciens. Les figures représentatives de la machine tortionnaire repartent libres.
La décision du Comité contre la torture, rendue à la suite d’une plainte déposée par l’ACAT et TRIAL international, s’inscrit à l’encontre de ce verdict. Elle est lourde de sens et d’exigences vis-à-vis de la justice tunisienne. Tout en rappelant à la Tunisie l’ « obligation (…) d’imposer aux auteurs d’actes de torture des peine appropriées eu égard à la gravité des actes », le Comité :
- indique que la justice tunisienne ne peut nullement retenir la prescription comme elle l’a fait dans l’affaire Jaïdane ;
- exige, dans les cas où les juges ne pourraient qualifier juridiquement de torture des actes commis avant 1999 (date d’incrimination de la torture dans le Code pénal), qu’ils retiennent une qualification reflétant la gravité des faits et permettant des poursuites.
Un appel clair à rompre avec les pratiques d’impunité qui, au-delà de la douleur qu’elles infligent aux victimes, constituent un blanc-seing donné aux forces de sécurité tunisiennes qui continuent aujourd’hui de recourir à la torture et aux mauvais traitements.
La Commission nationale des droits de l’homme (NHRC) exprime son inquiétude quant au retard de la justice transitionnelle au Népal. Des actions doivent être prises d’urgence, car les mandats des organismes concernés arrivent à expiration.
Le rapport montre* qu’entre 2000 et 2013, la Commission a demandé au gouvernement népalais de prendre des mesures concernant 735 dossiers de violation des droits. Mais, seules 103 de ces recommandations ont été prises en compte. Ce délai est un fardeau pour les victimes qui réclament justice, et mène souvent au découragement
La délégation du NHRC, qui a présenté le rapport à la présidente Bhandari, a également dénoncé l’absence de lois misent en œuvre et le manque de ressources allouées aux organes de justice transitionnelle. Ce qui nuit à leur efficacité et les laisse presque impuissants.
Le NHRC a souligné que retarder le processus de justice transitionnelle au Népal donne du crédit à l’état d’impunité.
Le temps presse pour les organes de justice transitionnelle
En outre, les mandats de la Commission Vérité et Réconciliation (TRC) et de la Commission d’enquête sur les disparitions forcées (CIEDP) prendront fin en février 2018.
Mais leur travail est loin d’être terminé. Le conflit a pris fin en 2006 et des milliers de victimes attendent toujours des réparations.
De plus, les anciens enfants soldats sont toujours mis au ban de la justice transitionnelle. Ce qui engendre de graves conséquences en les aliénant de la société.
« Les victimes de guerre ont assez souffert, le gouvernement népalais doit renforcer les mécanismes de justice transitionnelle afin d’aider les survivants à aller de l’avant », explique Lucie Canal, responsable intérimaire du programme Népal de TRIAL International.
*tous les chiffres sont pris d’un article publié par le Kathmandu Post
Le message d’Elsa Taquet
Lorsque nos forces s’unissent pour dénoncer et lutter contre les atrocités, la justice devient possible. Le cas de Kavumu en est la meilleur illustration, car il a vu l’ensemble des acteurs nationaux et internationaux combiner leurs efforts pour obtenir justice dans ce procès emblématique auquel j’ai eu la chance de participer.
Les crimes commis dans ce petit village de l’est du pays ont choqué la communauté internationale en raison de leur cruauté. Entre 2013 et 2016, 46 fillettes âgées de 8 mois à 12 ans, ont été enlevées et violées pendant la nuit, avant d’être abandonnées dans des champs alentours.
L’explication derrière ces actes renforce leur caractère sordide : les responsables présumés, membres de la milice « Yeshi Ya Yesu » (L’Armée de Jésus), prélevaient le sang de leurs jeunes victimes pour acquérir une protection surnaturelle contre leurs ennemis.
La complexité des faits et du mode opératoire utilisé par les agresseurs ont mis à mal les autorités nationales. Cest grâce à la collaboration de nombreux acteurs nationaux et internationaux, dont TRIAL International, qu’une enquête efficace a pu être menée. Grâce notamment à la participation de la police scientifique et de nombreux experts, autant dans le domaine médico-légale, que juridique ou psychologique, les victimes ont pu obtenir une assistance adaptée à leurs besoins. Les suspects ont été arrêtés et inculpés pour crimes contre l’humanité. Après des années d’impunité pour les crimes de violences sexuelles, le procès pour les petites filles de Kavumu représente un procès de taille.
TRIAL International s’est mobilisée sans relâche pendant deux ans aux côtés des victimes et de leurs familles. Nous nous sommes rendus à plusieurs reprises sur le terrain pour documenter ces crimes et avons travaillé quotidiennement avec les avocats congolais des victimes, pour consolider leurs plaidoiries et affiner leur stratégie juridique. Tout au long du procès, nous avons apporté notre expertise juridique et notre expérience sur les dossiers de crimes de masse pour permettre aux avocats d’aller chercher une condamnation pour crimes contre l’humanité.
En collaboration avec des ONG locales, nous avons en outre facilité l’organisation des examens médicaux et psychologiques des fillettes. Ces entretiens ont été vidéos-filmés pour leur éviter de répéter leur histoire durant le procès – un moment très éprouvant pour de jeunes victimes déjà fragilisées et qui souffrent aujourd’hui encore d’un profond traumatisme psychologique. Nous avons également accompagner les avocats du collectif des victimes dans leur requête pour que des mesures de protection exceptionnelles soient adoptées durant la procédure, en vue de protéger les petites filles contre une re-victimisation.
Les parents des victimes ont aussi été bouleversés par l’horreur des évènements et par l’atmosphère généralisée de terreur aux environs de Kavumu. Ils craignent toujours pour leur vie en raison des menaces et des représailles de la milice. Ce qui m’a le plus marquée lors de ce procès, c’est le contraste entre le désarroi de ces parents, confrontés aux souffrances de leurs enfants, et l’absence totale de remords des prévenus.
C’est parce que l’impunité reste la norme que de telles atrocités peuvent encore se produire. A Kavumu, la justice a finalement été rendue aux victimes par la condamnation de 11 miliciens à la prison à vie pour des violences sexuelles constitutives de crimes contre l’humanité. Ce verdict est une victoire pour la justice et les communautés affectées.
En soutenant notre action, vous aidez les victimes à Kavumu et ailleurs à traduire leurs bourreaux en justice et à retrouver la paix. Ensemble, envoyons un message d’espoir aux victimes du monde entier !
Elsa Taquet, Conseillère juridique pour la République Démocratique du Congo
@elsa_ct
P.S. : Votre don fait toute la différence ! Avec CHF 200, vous permettez à un défenseur des droits humains de documenter un crime grave ; avec CHF 500, vous financez la formation de deux avocats en RDC et contribuez ainsi à lutter contre l’impunité. Merci pour votre soutien !
Bukavu / Genève / New York, 13 décembre 2017. 11 miliciens ont été condamnés aujourd’hui pour des violences sexuelles contre 37 enfants, constitutives de crimes contre l’humanité. Une victoire pour les victimes, les familles, la communauté de Kavumu, les organisations mobilisées sur place et aussi pour la justice en RDC.
Après 17 jours d’audiences sous haute sécurité et une dizaine de témoins entendus dans un procès historique, la cour de Bukavu, déplacée en audience foraine dans le village de Kavumu, a rendu son verdict : 11 hommes, organisés en milice sous le contrôle du parlementaire local Frédéric Batumike, ont bien commis les viols.
C’est la première fois en RDC qu’un politicien en poste est reconnu coupable, en tant que supérieur hiérarchique, des crimes commis par lui-même et la milice qu’il contrôlait et finançait. Les 11 prévenus reconnus coupables de violences sexuelles ont été condamnés à la perpétuité, y compris Batumike.
Outre les viols des fillettes, les miliciens ont été condamnés pour leur participation à un mouvement insurrectionnel et le meurtre d’individus qui avaient dénoncé leurs exactions.
Les victimes et leurs familles « soulagées »
Cette issue est une victoire dans le parcours du combattant que vivent les victimes et leurs familles. Longtemps ignorées par les autorités locales, ce n’est qu’en 2016 – trois ans après les premières attaques – qu’elles ont entrevu la possibilité de voir les responsables condamnés.
Aujourd’hui, elles se disent satisfaites et soulagées : après des années à craindre de nouvelles attaques, ce verdict marque la fin de l’impunité dans le village.
« Ce verdict est un soulagement pour les victimes et leurs familles : après des années de silence motivées par la peur et le déni, leurs souffrances sont reconnues au grand jour. Le long travail de réhabilitation peut maintenant commencer pour ces jeunes filles » explique Me Charles Cubaka, le porte-parole des avocats des parties civiles.
Une réhabilitation facilitée par les 5’000 USD de réparations accordées à chaque victime de violences sexuelles. Les familles des individus assassinés, elles, ont chacune reçu 15’000 USD.
Un moment historique
Le procès Kavumu est un moment historique dans la lutte contre l’impunité des violences sexuelles en RDC, pour plusieurs raisons. D’une part, la systématique des attaques qui a permis de les caractériser comme crimes contre l’humanité. D’autre part, il est rare qu’un membre du Parlement encore en fonction voit ses privilèges immunitaires suspendus et soit traduit en justice, et que témoins et survivants voient leur identité protégée par la cour.
Le procès est également une première dans la mesure où des éléments de preuves médico-légales ont été recueillis d’une manière scientifique, méthodique et rigoureuse. Enfin, cette affaire a profité d’une collaboration historique entre les familles, les représentants de la société civile et les ONG, et des experts locaux, nationaux et internationaux.
Un procès aux nombreux rebondissements
Non pas que le procès se soit déroulé sans difficultés. Repoussées à de nombreuses reprises, les dates des audiences sont restées incertaines jusqu’au dernier moment.
Les prévenus, quant à eux, ont adopté diverses techniques dilatoires : négations en bloc, réfutation des témoignages et, dans le cas du député Batumike, tentatives répétées de décrédibiliser la cour. Son accusation de partialité envers deux juges a retardé le procès de plusieurs jours avant d’être rejetée. Il a passé la fin des audiences muré dans un silence buté, refusant de coopérer avec la cour.
Face à ces difficultés, les ONG qui ont accompagné et soutenu le procès retiennent la qualité des audiences.
« Les expertises et les nombreuses preuves ont mis en lumière l’organisation de la milice et sa hiérarchie. L’existence d’une systématique dans leurs crimes a été cruciale pour qu’ils soient reconnus comme des crimes contre l’humanité » explique Daniele Perissi, responsable du programme RDC de l’ONG TRIAL International.
Créer un précédent pour les autres victimes
« Ce procès prouve que quand l’enquête est bien menée et des preuves sont méthodiquement recueillies, le système judiciaire congolais a les capacités de rendre justice, même quand les accusés sont détenteurs de pouvoir et très bien organisés. A présent, charge aux autorités de généraliser ces efforts à l’ensemble de la RDC » ajoute Karen Naimer, Directrice du programme contre les violences sexuelles en zones de conflit de l’ONG Physicians for Human Rights.
L’impunité pour les crimes de masse restent la norme dans l’est de la RDC, en raison d’une situation sécuritaire volatile et de moyens insuffisants du judiciaire. Les exemples positifs comme celui de Kavumu sont essentiels pour redonner espoir aux victimes qui attendent encore justice.
Demain, 13 décembre, la Cour d’appel de Tunis va délibérer sur le sort des tortionnaires de Rached Jaïdane, arrêté et torturé en 1993 puis pendant ses 13 ans d’emprisonnement. Le 11 septembre dernier, le Comité contre la torture a condamné la Tunisie pour avoir violé la Convention contre la torture en assurant l’impunité des tortionnaires de Rached Jaïdane. La décision de la Cour d’appel révèlera si la Tunisie entend tenir ses promesses de justice et tourner la page sur ses heures sombres.
En 1993, Rached Jaïdane, enseignant à l’université en France, se rend en Tunisie pour assister au mariage de sa sœur. Le 29 juillet, des agents de la Sûreté de l’Etat l’interpellent à son domicile, sans mandat. S’ensuivent 38 jours de détention au secret et de tortures au ministère de l’Intérieur sous la supervision directe de hauts responsables du régime sécuritaire de Ben Ali. Rached Jaïdane est interrogé sur ses liens présumés avec un responsable du parti islamiste Ennahda vivant en exil en France.
Sous les coups, il finit par signer, sans les lire, des aveux dans lesquels il reconnaît notamment avoir fomenté un attentat contre le parti de Ben Ali. Après 3 ans d’instruction judiciaire menée par un juge aux ordres, Rached Jaïdane est condamné à 26 ans de prison à l’issue d’un procès de 45mn. Il sera libéré en 2006, après 13 ans de torture et mauvais traitements dans les geôles tunisiennes.
L’histoire de Rached Jaïdane est emblématique du système tortionnaire tunisien, celui-là sur lequel les gouvernements post-révolution ont promis de tourner la page en rendant justice aux victimes. Et pourtant…
Juste après la révolution, Rached Jaïdane porte plainte pour torture. L’enquête est bâclée. Les tortures indescriptibles qu’il a subies sont qualifiées de simple délit de violence passible d’un maximum de cinq ans d’emprisonnement, au motif que le crime de torture n’existait pas dans le code pénal au moment des faits. Pourtant, bien d’autres options s’offraient au juge pour qualifier les faits de crime.
Le procès est sans cesse reporté. Le verdict tombe en avril 2015 : prescription ! Les faits sont considérés comme trop anciens. Les figures représentatives de la machine tortionnaire repartent libres.
Par ce jugement, la justice tunisienne anéanti les espoirs de justice de Rached Jaïdane, mais plus généralement balaie d’un revers de main la promesse maintes fois réitérées de rendre justice aux victimes de Bourguiba et de Ben Ali.
Une décision fermement condamnée par le Comité contre la torture qui a notamment demandé à la Tunisie de reprendre l’enquête et de poursuivre les tortionnaires de Rached Jaïdane pour des infractions reflétant la gravité des faits.
Contact Presse :
ACAT (Action des chrétiens pour l’abolition de la torture) : Mariam Chfiri, mariam.chfiri@acatfrance.fr ; +33 (0)1 40 40 40 24/ +33 (0)6 28 75 47 94
OMCT (Organisation mondiale contre la torture): Camille Henry, ch@omct.org; +216 27 842 197