Des mots de Semka Agic, survivante de violences sexuelles

 

Plus de 20’000 femmes et hommes ont été violé/e/s en Bosnie-Herzégovine durant la guerre qui a fait rage de 1992 à 1995. Certaines victimes, comme Semka Agic, ont vu leurs bourreaux condamnés pour leurs actes, mais combien réclament encore justice ? Vous pouvez les aider.

Semka Agic, survivante de violences sexuelles. © TRIAL International

 

J’aimerais saluer le courage et la détermination des victimes en quête de justice. Elles osent briser le silence et témoigner. Elles endurent la longueur des procédures et les tentatives de stigmatisation. Elles confrontent leurs bourreaux et, une fois le verdict prononcé, elles se battent encore pour obtenir les réparations dues.

Qu’est ce qui leur donne la force de continuer ? La perspective d’obtenir justice : que les coupables rendent des comptes et que leurs souffrances soient enfin reconnues. Comme pour Semka Agic, que le fardeau de la honte change de camp. Une étape cruciale pour être en mesure de se reconstruire.

L’accès à la justice change des vies. Votre don aide les survivants et survivantes de violences sexuelles en temps de conflit dans leur quête de justice. En cette journée internationale de la solidarité, chaque geste compte et, grâce à deux de nos fidèles soutiens, tous vos dons seront doublés à partir d’aujourd’hui et jusqu’au 16 décembre !

 

Ensemble, construisons un monde où l’impunité n’a plus sa place.

Merci pour votre confiance, merci pour votre soutien,

 

Selma Korjenic, Responsable du programme Bosnie-Herzégovine et active au bureau de TRIAL International à Sarajevo depuis 11 ans.

La vérité, la justice et les réparations promises aux victimes de l’atroce conflit armé (1996-2006) n’ont pas eu le moindre début de concrétisation. Quinze ans après la signature de l’Accord de paix global, qui a conduit à la création d’une Commission vérité et réconciliation et d’une Commission d’enquête sur les disparitions forcées, les gouvernements népalais successifs n’ont pas été en mesure de mener à bien le processus de paix et de mettre un terme aux blessures et aux griefs qui persistent depuis la fin du conflit.

Les gouvernements népalais successifs n’ont jusque-là pas réussi à concrétiser les promesses de réparations, de justice et de vérité pour les victimes. @Philip Grant

Quatre organisations (Amnesty International, la Commission internationale des juristes, Human Rights Watch et TRIAL International) profitent de cet anniversaire pour souligner les atermoiements de l’État népalais. Le processus de justice transitionnelle annoncé à de nombreuses reprises fait en effet l’objet de blocages politiques.

 » La réticence des autorités népalaises à s’acquitter de leur obligation d’enquêter sur les crimes graves et d’en poursuivre les auteurs a aggravé la souffrance des victimes, sapé l’état de droit et augmenté le risque de violations futures « , a déclaré Meenakshi Ganguly, directrice pour l’Asie du Sud à Human Rights Watch (HRW). « Tant que la justice restera bloquée au Népal, les auteurs présumés de crimes internationaux commis pendant le conflit sont susceptibles d’être poursuivis à l’étranger en vertu du principe de compétence universelle », a-t-elle ajouté.

Le recours à cette solution semble être le seul espoir des victimes, car le respect des droits de l’homme par le Népal reste discutable. Cela a été démontré lors du dernier examen périodique universel (EPU) de ses performances en matière de droits de l’homme, qui a eu lieu en janvier au Conseil des droits de l’homme à Genève.

De nombreux États membres des Nations unies ont exprimé leur inquiétude quant aux retards et aux faiblesses du processus de justice transitionnelle et ont appelé le gouvernement à veiller à ce qu’un processus indépendant et fondé sur les droits puisse être mis en place.

« Le processus de justice transitionnelle du Népal doit apporter vérité, justice et réparation aux victimes et à leurs familles, ainsi que la responsabilité des auteurs et des garanties de non-récidive », a déclaré Cristina Cariello, responsable du programme Népal de TRIAL International. « Malgré les menaces et les intimidations, et des retards apparemment sans fin, les groupes de victimes ont été inébranlables dans leur demande de justice – pour être crédible, ce processus doit gagner leur confiance », a-t-elle observé.

 » Les partenaires internationaux du Népal doivent faire pression sur le gouvernement pour qu’il s’acquitte de ses obligations légales et respecte ses engagements en matière de justice et d’obligation de rendre des comptes, et se tenir prêts à soutenir un processus de justice crédible, a déclaré Nirajan Thapaliya, directeur d’Amnesty International Népal.  » Pour être crédible et couronné de succès, il est essentiel que tout processus de justice transitionnelle respecte les droits des victimes à la vérité, à la justice et aux réparations, ainsi que les autres normes relatives aux droits humains du droit népalais et international.  »

De 1996 à 2006, le Népal a été secoué par une guerre civile qui a fait plus de 13 000 morts, selon plusieurs sources. Environ 150 000 personnes ont fui les zones de conflit vers d’autres régions, principalement vers la capitale Katmandou.

 

Plus d’informations sur le Népal sur notre site web

Transitional justice: a make or break opportunity for Nepal?

Ahead of Nepal’s UPR, States must pull their weight in the fight against impunity

 

La Suisse a-t-elle raté une occasion historique de juger un criminel de guerre potentiel ? Il y a dix ans jour pour jour que TRIAL International déposait une dénonciation pénale contre l’ancien Ministre de la défense algérien Khaled Nezzar, le 19 octobre 2011. Dix ans également depuis l’ouverture d’une instruction pénale pour crimes de guerre. Suffisamment longtemps pour que le prévenu retourne en Algérie sans être inquiété. Et probablement assez longtemps pour douter qu’il ait à répondre un jour de son implication dans les nombreux actes de torture, exécutions extrajudiciaires et disparitions forcées qui ont eu lieu durant la Sale guerre qui a déchiré l’Algérie entre 1992 et 2002.

Cela fait environ un an que l’ancien Ministre de la défense est de retour en Algérie et il est peu probable qu’il ait à répondre des actes dont il est accusé devant un tribunal suisse. © AFP / Thomas Coex

Khaled Nezzar devra-t-il un jour faire face à des juges pour son implication dans la guerre civile algérienne ? Rien n’est moins sûr, tant la procédure ouverte en Suisse suite à la dénonciation pénale de TRIAL International traine en longueur. Depuis 2020, ce haut gradé de l’armée algérienne, ancien Ministre de la défense et de facto chef de la junte militaire qui a pris le pouvoir en 1991, est de retour dans son pays. Sans aucune chance pour la Suisse d’obtenir son extradition, et sans qu’aucune entraide judiciaire ne soit à envisager. Les innombrables victimes de la guerre civile – qui a couté la vie à 60’000 à 150’000 personnes et contraint des millions d’autres à se déplacer – craignent que sans un prochain renvoi en procès, l’ancien chef militaire aujourd’hui âgé de 83 ans n’aura jamais à répondre des accusations de crime de guerre qui pèsent contre lui.

La procédure ouverte en décembre 2011 par le Ministère public de la Confédération (MPC) est officiellement toujours en cours. Elle aura bientôt duré plus longtemps que la guerre civile algérienne elle-même… Mais le temps écoulé rend l’aboutissement de la procédure plus compliqué : les preuves matérielles sont plus difficilement accessibles, la mémoire des témoins, victimes et survivant/e/s s’estompe, le narratif de la mémoire collective change, évolue…

Comme dans d’autres affaires portées par TRIAL International, la lenteur de la procédure soulève des questions importantes. La Suisse manque-t-elle de moyens ? Les procureurs en charge des dossiers de crimes internationaux sont en effet peu nombreux, et le pôle Entraide judiciaire, Terrorisme, Droit pénal international et Cybercriminalité n’est pas assez spécialisé pour ne traiter « que » de crimes de guerre. Ou alors la politique étrangère helvétique justifierait-elle d’assurer une immunité « de fait » à certains prévenus? On rappellera que le Département fédéral des affaires étrangères avait mis en garde le procureur en charge du dossier que le cas Nezzar risquait de mettre à mal les relations bilatérales entre la Suisse et l’Algérie.

L’affaire Nezzar est pourtant une opportunité unique d’entendre les victimes et de rendre justice. La seule même, puisqu’aucune personne n’a jamais été jugée en Algérie ou ailleurs pour les atrocités commises durant la décennie noire. Le Tribunal pénal fédéral avait ouvert la voie par un arrêt de principe important en 2012 qui rejetait l’immunité des anciens dirigeants étrangers pour crimes internationaux, puis en reconnaissant dans un arrêt du 30 mai 2018 l’existence d’une guerre civile en Algérie, pourtant niée par Alger. Il est à regretter que les autorités de poursuite helvétiques ne continuent pas dans cette voie.

Le rôle de la Suisse dans cette affaire pourrait être plus important qu’on ne croit. L’Algérie a entamé une « paix à marche forcée », une pacification sans vérité ni justice. Le processus de réconciliation n’est pas satisfaisant, notamment à cause des amnisties offertes tant aux groupes islamistes armés –pour autant qu’ils n’aient pas été impliqués dans des massacres– qu’aux agents de l’Etat engagés dans la lutte antiterroriste. En traduisant Khaled Nezzar en justice, la Suisse affirmerait son engagement en faveur de la reconnaissance des responsabilités des auteurs de crimes commis à cette époque. Un signe fort, et une main tendue aux Algérien/ne/s en attente de justice depuis bientôt trente ans.

De retour en Syrie, après 36 ans d’exil forcé en France, Rifaat al-Assad échappe à la justice française. L’ancien vice-président syrien, pourtant condamné en appel à Paris le mois dernier à quatre ans de prison pour biens mal acquis, a pu quitter en catimini le territoire français et rentrer à Damas jeudi 7 octobre 2021. Une fuite qui compromet non seulement l’exécution de sa condamnation, mais aussi la procédure ouverte contre lui en Suisse pour crimes de guerre, suite une dénonciation pénale de TRIAL International en 2013.

Rifaat al-Assad fait l’objet de poursuite pour crimes de guerre pour son implication dans le massacre qui s’est déroulé dans la ville syrienne de Hama en 1982. © Creative Commons

Longtemps en disgrâce auprès du régime de Damas, Rifaat al-Assad, l’oncle du président syrien Bachar  al-Assad, est de retour au pays au lendemain de sa condamnation en France et de la saisie de ses biens dans plusieurs pays européens. Un retour en des terres desquelles il sera difficile de l’en déloger. TRIAL International déplore cette fuite, qui compromet par la même occasion les chances de voir Rifaat al-Assad être auditionné en Suisse par la Procureure en charge de l’enquête. Un renvoi en jugement pour les crimes de guerre dont il est accusé, reste pour sa part une éventualité. Mais l’échappée de celui que l’on surnomme parfois le « Boucher de Hama » pose un risque sécuritaire élevé, notamment pour les personnes ayant témoigné ou participé à cette procédure en Suisse, ainsi que pour les proches des parties plaignantes qui vivent en Syrie et s’exposent à des représailles du régime.

L’organisation regrette particulièrement le manque d’échanges et de collaboration entre la Suisse et la France pour éviter la fuite d’une personne suspectée d’avoir supervisé et participé aux crimes sanglants commis dans la ville de Hama en 1982. Le massacre qui s’y est déroulé a donné lieu à d’innombrables actes de torture et a couté la vie à des dizaines de milliers de personnes – près de 40’000 selon certaines estimations.

Force est de constater que les mailles de la justice laissent encore passer des prévenus soupçonnés des crimes les plus graves, permettant ainsi à un suspect de cette envergure – bénéficiant de moyens financiers importants et de nombreuses relations haut placées – de retourner dans un pays où il est intouchable.

Vingt ans après la création de la Cour pénale internationale, et dix ans après l’adoption en Suisse d’une loi de compétence universelle souhaitée par les autorités, il est tout simplement consternant de constater que Rifaat al-Assad a pu sans difficultés éviter les procédures judiciaires ouvertes contre lui, en France comme en Suisse.

TRIAL international en appelle aux autorités suisses afin que des mesures de protection soient mises en place en faveur des témoins et victimes. L’organisation demande aussi que Rifaat al-Assad soit immédiatement appelé à comparaître en Suisse par l’intermédiaire de son avocat. A défaut de quoi, les autorités de poursuite suisses devraient émettre un mandat d’amener afin de l’entendre, et cas échéant, le renvoyer en procès.

TRIAL International en appelle également aux autorités françaises pour qu’une enquête indépendante soit ouverte pour comprendre les circonstances de la fuite de Rifaat al-Assad, qui s’est déroulée alors même qu’il se trouvait sous contrôle judiciaire en France.

Le Groupe de travail des Nations Unies sur les disparitions forcées soutient les poursuites judiciaires des crimes commis sous la présidence de Yahya Jammeh et demande une nouvelle enquête internationale sur le massacre de plus de 50 migrants ouest-africains en 2005. Les recommandations de l’ONU demandant que tous les cas de disparitions forcées fassent l’objet d’une enquête en bonne et due forme et de poursuites judiciaires immédiates sont un signe positif, ont déclaré 17 organisations qui font campagne pour la justice en Gambie.

La décision de l’organe onusien est un signe d’espoir pour toutes les personnes qui sont sans nouvelles de proches disparus sous Jammeh en Gambie. © Jason Florio / TRIAL International

« Le processus doit aller au-delà de la recherche de vérité et les auteurs doivent être traduits en justice », indique le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires (GTDFI) dans un récent rapport de suivi. Présenté lors de la session du Conseil des droits de l’Homme qui vient de s’achever, ce rapport marque le soutien de la communauté internationale en faveur de la justice en Gambie. Il souligne en outre l’importance du travail de la Commission Vérité, Réconciliation et Réparations (TRRC), ainsi que la nécessité de poursuivre les auteurs présumés des crimes commis sous Yahya Jammeh.

« De la Cour pénale internationale aux Nations unies, le monde parle d’une seule voix : justice doit être rendue – et elle le sera–  pour les crimes commis sous le gouvernement de Yahya Jammeh », a déclaré Fatoumatta Sandeng, porte-parole de la campagne #Jammeh2Justice, et fille du leader de l’opposition Solo Sandeng, mort en détention en 2016. « Les amnisties et l’impunité ne sont tout simplement pas des options.

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Un verdict favorable aux victimes a été rendu le 21 septembre 2021, seulement 8 jours après l’ouverture du procès en audience foraine d’un chef de milice et de son complice au sein de l’armée congolaise, tous deux accusés de crimes de masse – dont des crimes environnementaux. Les faits remontent à 2019, lorsque la milice en question a pris le contrôle d’une partie du parc national de Kahuzi Biega (Sud Kivu) pour en exploiter illégalement les ressources naturelles. Elle a maintenu son joug sur les villages environnants au prix d’une extrême violence.

Le groupe armé finançait son effort de guerre notamment en abattant du bois pour en faire du charbon. © Axel Fassio/CIFOR (CC)

Le parc national de Kahuzi Biega, dans le Sud Kivu, est inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1980 pour sa faune et sa flore uniques. Mais en vue de protéger la zone, les autorités congolaises ont expulsé les communautés pygmées qui vivaient dans l’enceinte du parc.

Profitant du ressentiment de ces communautés autochtones, un ex-membre de l’armée congolaises (FARDC), Chance Muhonya Kolokolo, a formé un groupe armé pour regagner le contrôle d’une partie du parc. Officiellement, M. Muhonya prétendait vouloir défendre le droit des pygmées à vivre sur leurs terres ancestrales. Ses véritables motivations ont vite émergé : une exploitation des ressources protégées de Kahuzi Biega en vue de s’enrichir.

Une exploitation illégale mais hautement organisée

Concrètement, M. Muhonya et ses hommes ont abattu des arbres pour en vendre le bois et le charbon et creusé des mines pour extraire le minerai des sols. Avec l’argent de ces ventes, M. Muhonya achetait des armes pour sa milice. Le second prévenu dans le procès, Benjamin Mazambi Boji, est un officiel de l’armée qui aurait vendu ces armes.

Un système brutal et hautement organisé garantissait à M. Muhonya le contrôle des villages situés autour du parc : redevances prélevées sur le bois et le minerai extraits, travaux communautaires obligatoires et représailles violentes contre les civils pour les intimider et leur extorquer plus d’argent. Notamment, les villageois/es étaient emmené/e/s dans un trou creusé dans le sol et maintenu/e/s captifs/ves jusqu’au payement d’une rançon. Certain/e/s ont été également torturé/e/s et violé/e/s. Des affrontements réguliers avec d’autres factions armées ont encore empiré le sort des civils autour du parc national.

Parmi les exactions, on compte aussi l’enrôlement d’enfants soldats, dont la plupart avaient entre 12 et 15 ans au moment des faits. M. Muhonya les enlevait à leur famille pour les maintenir dans la peur, puis se servait des jeunes pour collecter les « taxes » sur les ressources, et aider à la vie de camp.

Arrestation et début de l’enquête

En mars 2020, les FARDC et les gardes du parc de Kahuzi Biega ont lancé une opération pour reprendre les terres occupées par les miliciens. Le 23 mai 2020, M. Muhonya a été arrêté et transféré à la justice militaire pour être poursuivi.

Le procès qui s’est ouvert quelques mois plus tard ne comportait pas de charges pour crimes internationaux. Les actes de violences étaient considérés comme des crimes de droit commun.

« Les crimes commis étaient nombreux, mais très étalés dans le temps, ce qui explique qu’ils aient été traités dans un premier temps comme des actes individuels » explique Chiara Gabriele, Conseillère juridique de TRIAL International qui a travaillé sur le dossier. « Mais toutes ces atrocités répondaient bien au même mode opératoire et à la même entreprise criminelle. Dans ce sens, nous avons démontré qu’il s’agissait bien de crimes de masse. »

Un complément d’enquête a donc été ouvert pour que l’ensemble des crimes de Chance Muhonya et Benjamin Mazambi Boji soient portés devant la justice. Le procès a été suspendu en attendant le résultat de ces enquêtes, notamment sur l’enrôlement et l’utilisation d’enfants soldats.

« Le témoignage d’enfants soldats est très important pour prouver la culpabilité de Chance Muhonya et de ses complices. Mais nous devons éviter à tout prix leur re-traumatisation : vu leur jeune âge, répéter leur histoire devant un tribunal peut être terrible. Avec l’aide d’un psychologue spécialisé en entretien d’enfants victimes d’abus, nous faisons en sorte qu’aucun/e d’entre eux/elles ne souffre une seconde fois » explique Ghislaine Bisimwa, Conseillère juridique de TRIAL basée à Bukavu.

Un verdict attendu

Du 13 au 20 septembre 2021, l’étape cruciale de l’audition des témoins et des victimes s’est déroulée en audience foraine, c’est-à-dire directement sur les lieux des crimes. Deux avocats formés à la poursuite des crimes internationaux ont été mandatés par TRIAL International pour représenter les quelques 90 victimes.

Dans son verdict du 21 septembre, la Cour militaire du Sud Kivu a condamné Chance Muhonya à la prison à perpétuité pour crimes contre l’humanité par meurtre, viol et autres actes inhumains et pour crimes de guerre par recrutement et utilisation d’enfant soldats.

Il a aussi été condamné pour violation et destruction d’aires protégées, sur la base des activités illégales de déforestation et d’exploitation de minerais qu’opéraient son groupe. « Cette décision constitue un précédent très important, notamment dans la mesure où la cour a reconnu la gravité des crimes environnementaux commis dans le parc national en lien avec les activités économiques illicites menées par le groupe armé » a réagi Guy Mushiata, Coordinateur du programme de TRIAL International basé à Bukavu.

Toutes les victimes ont obtenu des réparations allant de 3’000 à 10’000 USD. L’État congolais a quant à lui été reconnu comme civilement responsable. Son complice, le Major de l’armée congolaise Benjamin Mazambi Boji, soupçonné d’avoir facilité le transfert d’armes au groupe de Chance, a quant à lui été acquitté faute de preuves suffisantes.

Le procès d’appel s’est tenu en audience foraine à Bukavu en septembre 2022. Le 23 septembre la Haute Cour militaire a prononcé son verdict qui a confirmé la condamnation de Chance Muhonya à la prison à perpétuité pour crimes contre l’humanité. Les crimes d’enrôlement d’enfants soldats ainsi que les crimes contre l’environnement ont également été maintenus.

Le travail de TRIAL International sur ce dossier est mené dans le cadre de la Task Force Justice Pénale Internationale, un réseau informel d’acteurs internationaux qui collaborent afin de soutenir le travail des juridictions militaires congolaises dans l’enquête et la poursuite des crimes de masse en RDC.

Un op-ed de Jennifer Triscone*

 

Plus de dix ans après le début de l’un des conflits les plus meurtriers du XXIème siècle, les victimes des crimes les plus graves n’ont que très peu de moyens légaux pour espérer obtenir un jour justice. Pour pallier l’absence d’une juridiction internationale compétente, c’est donc naturellement que la plupart des acteurs de la société civile syrienne et internationale s’est tourné vers le principe de compétence universelle. Ce dernier permet en effet pour les États qui le reconnaissent d’instruire et de juger des crimes graves commis à l’étranger, indépendamment de la nationalité des victimes et de leurs bourreaux.

Récemment, plusieurs acteurs de la guerre en Syrie ont été poursuivis en justice pour leur participation dans des atrocités. © IHH Humanitarian Relief Fund (CC)

Ces derniers mois, la compétence universelle a fait les titres dans plusieurs pays européens, notamment en Allemagne avec la condamnation par un tribunal de Coblence d’un membre de l’appareil sécuritaire de Bachar al-Assad. Le 24 février 2021, la Haute Cour régionale de Coblence condamnait Eyad al-Gharib, un ancien membre des services de renseignement syriens, à quatre ans et demi de prison pour complicité de crimes contre l’humanité. Une première mondiale : en faisant usage de la compétence universelle, un tribunal étranger condamne un membre de l’appareil sécuritaire syrien toujours en place et confirme que le régime de Bachar al-Assad se rend coupable de crimes contre l’humanité.

Il s’agit d’un premier pas important dans la lutte contre l’impunité pour les crimes commis en Syrie qui a été rendu possible grâce au courage des victimes, des survivants, des témoins et de leurs familles. L’importance ne réside pas tant dans la condamnation d’un homme, mais dans celle d’un système de violence mis en place depuis de nombreuses années par le régime al-Assad. Espérons toutefois que ce n’est qu’un début, et que bien d’autres affaires suivront.

L’Allemagne n’est pas le seul pays européen à avoir été saisi d’actions en justice contre des membres du régime syrien. En mars et en avril 2021, des plaintes pénales ont ainsi été déposées en France et en Suède notamment, pour l’utilisation présumée d’agents chimiques par le Gouvernement al-Assad dans la Ghouta orientale en 2013 et à Khan Shaykhun en 2017. Une plainte similaire avait déjà été déposée en octobre 2020 en Allemagne.

 

Un chemin parsemé d’embuches

Les affaires de compétence universelle sont certes de plus en plus nombreuses, mais elles ne sont pas sans poser des difficultés aux ONGs qui enquêtent sur ces crimes, ni aux autorités de poursuite qui les instruisent, et ce pour plusieurs raisons.

Tout d’abord le cadre légal qui entoure le principe de compétence universelle varie en fonction des États concernés. Si de nombreux pays qui l’appliquent limitent son application, notamment à la présence de l’auteur sur le territoire, d’autres, à l’instar de l’Allemagne, sont partisans d’une compétence universelle plus souple. Malgré cette marge de manœuvre plus importante, il n’en demeure pas moins que l’ouverture d’enquêtes dépendra en partie de la bonne volonté des autorités de poursuite. Et ce sans compter que des obstacles politiques peuvent se manifester à différents stades de l’enquête, notamment lors de l’examen d’éventuelles immunités dont jouiraient les suspects.

L’enquête en elle-même, ensuite, peut se révéler fastidieuse. Parce que la scène de crime, les témoins et victimes se trouvent pour la majorité à des milliers de kilomètres du lieu de juridiction, mais aussi parce que certains pays sont pour l’heure difficilement accessibles. Les ONGs doivent alors mener des enquêtes à distance et ainsi redoubler de créativité et de prudence pour documenter les dossiers sur lesquels elles travaillent. Le même type de difficultés se pose pour les autorités de poursuite qui n’auront pas nécessairement la possibilité de passer par l’entraide pénale internationale et qui devront malgré tout mener leur enquête à terme.

Les ressources limitées qui sont allouées à ces affaires – et notamment aux unités de crimes de guerre spécialisées – sont elles aussi sources de difficultés majeures. Faute de ressources humaines et financières suffisantes, peu de procureurs et de juges sont effectivement chargés de travailler sur des dossiers de crimes internationaux. Par conséquent, les unités spécialisées se trouvent souvent débordées par les plaintes qu’elles reçoivent et n’ont que peu de temps à consacrer à chaque dossier.

Enfin, la protection des victimes, des survivants et de leurs proches, ainsi que des témoins est un élément primordial, ce dès l’ouverture d’une instruction et pendant toute la durée de celle-ci. Beaucoup de victimes et de témoins ne participent d’ailleurs pas aux procédures judiciaires par crainte de représailles, contre eux-même ou leurs proches restés sur place. A charge des autorités de déterminer, en fonction du contexte, comment garantir des mesures de protection efficaces. Une tâche compliquée par la rigidité de nombreux systèmes juridiques, qui font souvent dépendre la garantie de l’anonymat à l’existence d’un danger concret.

 

Une tribune pour exposer la vérité au grand jour

Les affaires de compétence universelle à l’étranger peuvent avoir un réel impact sur les communautés affectées par les crimes les plus graves. L’ouverture d’instructions pénales représente en effet une réelle opportunité pour les victimes de ces violences de pouvoir enfin raconter leur vérité, et d’être entendues par des autorités indépendantes et impartiales.

Il est d’ailleurs crucial que les communautés touchées puissent prendre part aux efforts de justice. Ce n’est qu’en intégrant les victimes et les survivants au processus de justice et en assurant la diffusion des informations sur les procès tenus à l’étranger, qu’un semblant de justice pourra commencer à être rendu en Syrie.

Ces dernières années ont vu un nombre toujours plus important d’instructions s’ouvrir contre des auteurs de crimes internationaux. En ce qui concerne la Syrie, la récente condamnation d’Eyad al-Gharib montre qu’il est possible de mener ces instructions à terme dans des délais raisonnables. Des efforts doivent désormais être fournis par l’ensemble des États qui reconnaissent le principe de compétence universelle pour suivre l’exemple de l’Allemagne et oser se saisir d’affaires de cette dimension. En particulier pour remonter la chaine de commandement et inquiéter des plus hauts responsables dans l’appareil d’État. Et ce sans négliger les autres parties au conflit, car l’image d’une justice partisane est un écueil à éviter à tout prix si l’on veut envisager un jour le début d’un processus de justice transitionnelle en Syrie.

 

*Jennifer Triscone est une avocate suisse et conseillère juridique au département Procédure et Enquêtes Internationales (PEI) de TRIAL International.

Une jeune fille dont le père n’est plus qu’une photo sur un téléphone portable, une femme qui ne sait pas où se trouve l’homme de sa vie, un fils devant l’immensité de la mer qui semble avoir avalé son père… Les images de Jason Florio montrent de façon poignante le vide laissé par les personnes disparues de force, arrachées à leurs proches. Une façon différente – mais complémentaire – d’aborder la thématique des disparitions forcées à l’honneur le 30 août, Journée internationale des victimes de disparitions forcées.

« La vérité, quelque pénible qu’elle soit, est préférable à l’incertitude. » Les proches de personnes disparues sont sans doute nombreux/ses à se reconnaitre dans cette citation d’Oscar Wilde. Bien souvent, les familles des victimes oscillent entre l’espoir et la désillusion, une véritable torture psychologique.

Nombreux sont les contextes dans lesquels des Etats se sont débarrassés de personnes gênantes et s’assurent d’une emprise sur la population en la menaçant de disparaître du jour au lendemain. Les disparitions forcées sont en effet une violation grave des droits humains, surtout lorsqu’elles sont perpétrées de manière systématique et à grande échelle : elles sont alors considérées comme un crime contre l’humanité. Depuis 2010, la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées (ICPED) engage la responsabilité des Etats signataires dans la lutte contre les disparitions forcées sur leur territoire. Elle assure notamment aux victimes le droit de connaitre le sort de leurs proches disparus, ainsi que d’obtenir justice et réparation.

Au cours de son travail, TRIAL International a rencontré – et a soutenu la quête de justice – de nombreux proches de personnes qui avaient été placées en détention sans laisser de traces ou enlevées. L’organisation s’est engagée pour les aider à savoir ce que ces êtres aimés sont devenus, et à amener les responsables de leur peine devant la justice… notamment au Mexique, au Népal ou en Gambie. Au cours d’une enquête sur le massacre en Gambie de plus de 50 migrants ouest-africains en 2005, l’organisation avait recueilli les témoignages de proches de personnes disparues, ainsi que du seul survivant connu. Au même moment, le photographe Jason Florio travaillait sur le même sujet. Un travail complémentaire, en ce sens que ses images incarnent les personnes dont TRIAL International a recueilli les histoires et illustrent le vide que ces disparitions forcées continuent de leur causer.

Les portraits de Jason Florio placent les sujets dans leur environnement. Il pose un regard bienveillant dans l’intimité de ces personnes, dont les proches disparus n’existent souvent plus que par une photo, un objet qui leur a appartenu…

 

Cet article a été produit avec le soutien financier de l’Union européenne. Son contenu est la seule responsabilité des auteurs et ne reflète pas nécessairement les positions de l’Union européenne.

Le 30 août marque la journée des victimes de disparitions forcées. Une occasion pour se renseigner plus avant sur ce crime international et pour saluer le courage des victimes qui, pendant de nombreuses années, se battent pour obtenir justice et vérité. Daniela Buchmann, responsable de projet à TRIAL International, nous parle des disparitions forcées et présente une partie du travail de l’ONG en la matière.

Les proches alternent entre l’espoir de retrouver la personne disparue et la résignation de ne jamais la revoir en ne sachant ni ce qui lui est arrivé ni pourquoi. © Jason Florio.

TRIAL International œuvre pour que les victimes de disparitions forcées aient accès à la justice. En deux mots, que sont les disparitions forcées ? 

Comme son nom le laisse deviner, une disparition forcée est le fait de contraindre une personne à disparaître. La Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées définit trois éléments pour identifier ce crime :

  • L’acte : la privation de liberté d’une personne (par exemple son arrestation, sa détention, son enlèvement ou autre);
  • Les auteurs/trices : des agents de l’État ou des personnes / groupes de personnes qui agissent avec l’appui de l’État;
  • La dissimulation du sort réservé à la personne disparue.

 

Selon cette même Convention, les proches des disparus sont également considérés comme victimes. Pourquoi ?

Exactement. Tout individu qui aurait subi un préjudice résultant directement d’une disparition forcée est reconnue comme une victime.

Tout d’abord, parce que l’incertitude quant au sort d’un être cher affecte profondément la famille et les proches. Ils alternent entre l’espoir de retrouver la personne disparue et la résignation de ne jamais la revoir en ne sachant ni ce qui lui est arrivé ni pourquoi. Cette incertitude doit être considérée comme une torture psychologique.

Par ailleurs, les proches sont souvent confrontés à des obstacles juridiques et sociaux dans leur vie quotidienne. Ces dommages sont une conséquence directe de la disparition. Par exemple, l’absence d’un père ou d’une mère qui assurerait abri, nourriture, éducation et soutien affectif a un impact déterminant sur la vie des victimes. De même, la perte d’une femme ou d’un mari qui garantit souvent un statut légal et social, peut aussi entrainer la perte d’un revenu, du partage des responsabilités du foyer, ainsi que des droits de propriété. Ceci cause également des dommages durables et irréparables dans la vie des victimes.

 

TRIAL International coordonne un projet transversal sur cette thématique. Peux-tu nous en dire plus ?

Depuis 2019, TRIAL International coordonne la mise en œuvre d’un projet intitulé « Renforcer la responsabilité et prévenir les disparitions forcées et les exécutions extrajudiciaires au Mexique, au Népal, en Gambie et au-delà ». Un consortium de 5 ONG basées dans divers pays participe au projet*.

Soutenus par l’Union Européenne, nous travaillons ensemble pour porter devant les autorités judiciaires des affaires de disparitions forcées, pour développer les capacités des acteurs/trices locales et pour échanger sur les meilleures pratiques en la matière.

Une partie du travail consiste à documenter des affaires, notamment commises lors de la guerre civile au Népal ou pendant les 22 ans de régime autoritaire en Gambie. Au Mexique, nos affaires concernent surtout les disparitions forcées de migrants d’Amérique Centrale. Ceci relie à son tour le Mexique à la Gambie, où nous faisons pression dans une affaire concernant la disparition de 50 migrants ouest-africains. Dans cette dernière affaire, l’ex-président Jammeh semble directement impliqué.

 

Quels sont les défis de ce projet et ses succès les plus récents ?

TRIAL International met en lien les divers acteurs/trices du projet. Même si tous œuvrent pour que les proches des disparu/e/s obtiennent justice, il n’est pas aisé de trouver des opportunités pour que nos partenaires collaborent directement entre eux. Au vu des spécificités des contextes dans lesquelles ils s’inscrivent, comment trouver un angle qui soit pertinent pour tous ? Mais il est surtout stimulant et fascinant de voir qu’en rassemblant nos forces et expertises, nous remportons de nombreux succès.

Un exemple marquant est la toute récente décision rendue par la Cour suprême en Gambie. Dans un jugement historique, elle a rejeté l’immunité d’un ancien membre de la junte militaire : Yankouba Tourray, accusé du meurtre de l’ex-ministre des finances gambien. Cette victoire ouvre la voie à d’éventuelles poursuites judiciaires contre toute personne impliquée dans des violations de droits humains pendant le règne de Yahya Jammeh, y compris contre Jammeh lui-même.

Encourager l’adoption de telles décisions historiques rend possible l’accès à la justice pour des centaines de victimes. Et ces victoires n’ont pas seulement un impact au niveau national, elles façonnent aussi un monde où l’impunité n’a plus sa place.

En contribuant à l’adoption de normes internationales, en partageant et en diffusant les bonnes pratiques, nous participons à la lutte contre l’impunité des disparitions forcées aujourd’hui et prévenons la commission des crimes de demain.

 

* Les partenaires de TRIAL International dans ce projet sont le Human Rights and Justice Center (HRJC) au Népal, l’Institute for Human Rights and Development in Africa (IHRDA) en Gambie, la Fundación para la Justicia y el Estado Democrático de Derecho (FJEDD) au Mexique et Swisspeace. Un projet soutenu financièrement par l’Union Européenne.

 

Cet article a été produit avec le soutien financier de l’Union européenne. Son contenu est la seule responsabilité des auteurs et ne reflète pas nécessairement les positions de l’Union européenne.

 

Un tribunal argentin se prononcera bientôt sur le recours dans la seule affaire de compétence universelle en cours concernant les crimes contre le peuple Rohingya commis au Myanmar. Une décision importante est attendue après le récent classement sans suite de l’affaire par le tribunal de première instance. Pour la première fois, un tribunal décidera comment l’exercice de la compétence universelle se rapporte à la Cour pénale internationale (CPI). La décision à venir pourrait créer un précédent important pour des affaires futures, en Argentine et ailleurs.

D’innombrables victimes au Myanmar regardent ce procès avec une lueur d’espoir. ©EU/ECHO/Pierre Prakash

Lire l’article en espagnol ici.

Une plainte déposée au nom des Rohingyas

En 2019, la Burmese Rohingya Organization UK (BROUK) a déposé une plainte en Argentine pour les crimes commis au Myanmar contre les Rohingyas, tels que massacres, violences sexuelles, torture et déplacements forcés.

Le 12 juillet 2021, le tribunal de première instance a classé l’affaire sur la base de l’existence d’une enquête en cours devant la CPI portant sur les crimes commis contre les Rohingyas. La partie plaignante a fait appel à la décision. La première audience d’appel aura lieu le 17 août 2021.

L’importance de la décision de la cour d’appel

La CPI est fondée sur le principe de complémentarité, ce qui signifie que la responsabilité de poursuivre les crimes internationaux incombe en premier lieu aux États. La prochaine décision de la Cour d’appel argentine marquera une étape importante : le principe de complémentarité de la CPI permet-il à un État d’enquêter et de poursuivre, en vertu de la compétence universelle, des allégations similaires à celles sous enquête par la CPI ? En d’autres termes, la CPI a-t-elle préséance sur les autorités nationales recourant à la compétence universelle ?

La partie plaignante considère que les enquêtes de la CPI se limitent aux crimes qui ont été partiellement ou totalement commis au Bangladesh et n’incluent pas les crimes qui ont été commis au Myanmar. Cet État, contrairement au Bangladesh, n’est pas partie au Statut de Rome de la CPI. Selon BROUK, il n’y a pas de conflit de compétence sur les crimes de torture, les meurtres et les viols commis uniquement au Myanmar, car ils ne seront pas couverts par les enquêtes de la CPI.

D’innombrables victimes au Myanmar regardent ce procès avec une lueur d’espoir. L’importance de la compétence universelle dans la lutte contre l’impunité a été largement reconnue ces dernières années. Le temps est maintenant venu pour les États d’assumer pleinement leur responsabilité de poursuivre les crimes internationaux.

Pour plus d’informations sur le droit et la pratique de la compétence universelle dans certains pays, veuillez consulter notre série de rapports sur la question.

Les autorités burundaises devraient libérer immédiatement et sans conditions l’avocat Tony Germain Nkina, condamné à cinq ans d’emprisonnement en juin 2021, très probablement à cause de ses activités passées en faveur des droits humains, ont déclaré aujourd’hui six organisations internationales de défense des droits humains.

Les poursuites contre Tony Germain Nkina et son emprisonnement sont un rappel inquiétant des risques qui pèsent toujours sur ceux qui faisaient partie du mouvement des droits humains au Burundi. ©Jean-Pierre-Aimé-Harerimana

Les organisations – Amnesty International, DefendDefenders (Projet des défenseurs des droits humains de l’Est et de la Corne de l’Afrique), Human Rights Watch, l’Initiative pour les droits humains au Burundi, Protection International Africa et TRIAL International – sont convaincues que le motif probable de l’arrestation de Tony Germain Nkina est son ancienne affiliation à l’Association pour la protection des droits humains et des personnes détenues (APRODH), l’une des principales organisations de défense des droits humains au Burundi jusqu’en 2015.

Les poursuites contre Tony Germain Nkina et son emprisonnement servent de rappel inquiétant des risques qui pèsent toujours sur ceux qui faisaient partie du mouvement des droits humains au Burundi, autrefois très dynamique. Les autorités burundaises devraient démontrer leur engagement à la protection des droits humains en libérant immédiatement Tony Germain Nkina et en abandonnant les charges contre lui. Les partenaires internationaux du Burundi devraient soutenir les appels à sa libération.

Tony Germain Nkina, avocat dans la province de Kayanza dans le nord du Burundi, a été arrêté le 13 octobre 2020 alors qu’il rendait visite à un client dans le cadre de ses activités professionnelles. Il a été brièvement détenu par le service de renseignement, puis transféré à la police, et enfin à la prison de Ngozi, où il est actuellement détenu.

Le mois d’octobre 2020 a été une période tendue à Kayanza suite à des attaques par un groupe armé dans les semaines précédentes, lors desquelles plusieurs personnes ont été tuées ou enlevées. Tony Germain Nkina visitait Kabarore, l’une des localités affectées, peu de temps après ces attaques. Les autorités l’ont accusé de collaborer avec le groupe d’opposition armé RED-Tabara (Mouvement de la résistance pour un état de droit au Burundi), auquel elles attribuent ces attaques, et l’ont inculpé pour atteinte à la sûreté intérieure de l’État.

Le 15 juin, le tribunal de grande instance de Kayanza a déclaré Tony Germain Nkina coupable de “collaboration avec les rebelles qui ont attaqué le Burundi” et l’a condamné à cinq ans d’emprisonnement et une amende d’un million de francs burundais (environ 500 dollars US). Son client, Apollinaire Hitimana, qu’il conseillait dans le cadre d’un conflit foncier et qui a été arrêté avec lui, a été déclaré coupable de complicité à la même infraction et condamné à deux ans et demi d’emprisonnement et une amende de 500 000 francs burundais. Une audience en appel est prévue le 12 août à la cour d’appel de Ngozi.

Tony Germain Nkina était le représentant de l’APRODH à Kayanza jusqu’à ce que l’organisation soit suspendue par le gouvernement en 2015 dans le contexte d’une répression généralisée contre la société civile, suite à un mouvement d’opposition à la décision du président Pierre Nkurunziza de briguer un troisième mandat controversé. Tony Germain Nkina n’a pas travaillé pour l’APRODH ni pour aucune autre organisation de la société civile burundaise depuis six ans. Il est un avocat bien connu à Kayanza et membre du barreau de Gitega. Toutefois, les autorités à Kayanza pourraient toujours l’associer à l’APRODH, tout particulièrement parce qu’il conduisait son ancienne moto de l’APRODH le jour de son arrestation.

Le procureur l’a accusé, entre autres, d’être allé au Rwanda pour livrer des informations au président de l’APRODH, Pierre Claver Mbonimpa, qui vit en Europe, ainsi qu’à RED-Tabara. Le procureur n’a présenté aucune preuve pour justifier ces allégations.

Tony Germain Nkina serait le seul ancien membre d’une organisation des droits humains actuellement emprisonné au Burundi. Deux autres défenseurs des droits humains ont été libérés plus tôt en 2021.  L’APRODH était l’une des organisations de défense des droits humains les plus actives et les mieux connues au Burundi. Pour en savoir plus sur les difficultés auxquelles font face les ONG au Burundi: Lire la déclaration complète.

Le négationnisme est désormais interdit par la loi en Bosnie-Herzégovine. Depuis le 23 juillet dernier, le code pénal bosnien prévoit en effet des sanctions contre les auteurs de glorification des criminels de guerre, ou de négation des génocides, crimes contre l’humanité ou crimes de guerre. Une avancée d’autant plus importante que ces discours haineux avaient le vent en poupe dans le pays.

Récemment, les propos négationnistes ont pris de l’ampleur dans le débat public en Bosnie-Herzégovine. Ils sont dorénavant punissable par la loi. © TRIAL International

Le 23 juillet 2021, le Haut Représentant pour la Bosnie-Herzégovine (BiH), Valentin Inzko, a introduit des amendements au Code pénal de Bosnie-Herzégovine. Désormais, la glorification des criminels de guerre condamnés par des jugements définitifs et contraignants, ainsi que la négation des génocides, des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre, peuvent être sanctionnés.

« La poursuite des criminels de guerre ne suffit pas à créer un sentiment de justice ‘complète’, en particulier pour les survivants, mais aussi pour la société dans son ensemble », avait déclaré en 2019 Selma Korjenić, responsable du programme BiH de TRIAL International, dans son discours devant le Conseil de sécurité des Nations unies. « Afin de normaliser les relations entre les individus, ainsi qu’entre les communautés, nous devons aussi maintenant lutter contre le déni du fait que de tels crimes ont même été commis. »

 

Lire l’analyse de ForumZFD et TRIAL International sur les répercussions de cette décision (en anglais)

 

Plus d’un quart de siècle après la fin de la guerre, de nombreuses victimes et leurs proches pensent que cette reconnaissance des crimes passés est un ingrédient essentiel d’un avenir pacifique et prospère. « Personne ne peut faire revenir mes parents », déclare Slobodanka Macanovic, qui cherche toujours les restes des membres de sa famille. « Mais cette loi nous donne le respect que nous méritons, ainsi que la promesse que personne, nulle part, ne niera jamais les crimes de guerre qui ont eu lieu. C’est un gage pour les générations futures. »

TRIAL International salue l’adoption de cette loi, d’autant plus qu’elle intervient dans un contexte où les discours négationnistes, toujours plus décomplexés, s’invitent dans la sphère publique bosnienne. Rues rebaptisées, peintures murales à la gloire de criminels de guerre, réécriture des manuels scolaires, associations fascistes, les exemples de ces idéologies ne manquent pas. L’organisation s’est emparée du sujet depuis 2019, notamment en s’associant à forumZFD pour plaider en faveur d’une interdiction de ce type de discours, ainsi qu’en organisant des discussions publiques pour ouvrir le débat sur la place publique et sensibiliser les Bosnien/ne/s.

Les amendements introduits devraient contribuer à l’effort de la BiH pour tourner la page de son passé. Les institutions pourront désormais s’appuyer sur une base solide pour sanctionner les négationnistes ainsi que ceux qui font l’apologie de criminels reconnus.

Après une longue carrière au Comité international de la Croix-Rouge, dont il a été le Directeur général de 2010 à 2020, Yves Daccord travaille sur le thème de la sécurité, du contrat social et du rôle des villes à l’ère de la surveillance numérique et des pandémies. Élu au Comité de TRIAL International en juin 2021, il partage sa vision pour l’organisation.

Pourquoi avez-vous choisi de rejoindre le Comité de TRIAL International ?

Yves Daccord : Je connais Philip Grant et Daniel Bolomey (le Président de TRIAL International de 2018 à 2021, ndlr) de longue date, j’étais donc familier avec le travail de l’organisation. A vrai dire, la justice me fascine depuis toujours : devoir rendre les comptes devant les autres est l’un des meilleurs moyens pour apprendre à vivre ensemble. Je ne vois d’ailleurs pas de raison pour que cela ne s’applique pas aux contextes les plus difficiles, à l’issue d’un conflit par exemple.

Vous avez travaillé pendant longtemps au Comité international de la Croix-Rouge (CICR). Quel lien faites-vous entre l’action humanitaire et la justice internationale ?

Après deux décennies au CICR, parfois dans des pays difficiles (Soudan, Yémen, Tchétchénie…) je travaille aujourd’hui sur la construction de la paix au sens plus large que la simple absence de conflit. Tout l’enjeu est de recréer des liens sociaux, des bases sociales communes dont le droit fait partie. Cela ne veut pas forcément dire être d’accord, mais tout du moins créer un espace où les idées peuvent se confronter.

Y a-t-il un axe de travail de TRIAL dont vous vous sentez le plus proche ?
Géographiquement, l’ex-Yougoslavie m’intéresse beaucoup (TRIAL International travaille depuis 2008 en Bosnie-Herzégovine, ndlr). C’est une région oubliée de la mémoire collective européenne, on en parle très peu alors que ses problèmes sont loin d’être résolus. Un autre axe qui me semble porteur est l’application de la compétence universelle en Suisse, et plus généralement le travail auprès des États pour qu’ils respectent leur obligation de poursuivre les crimes les plus graves.

Selon vous, quels seront les prochaines priorités pour TRIAL International ?

Nous vivons une période de grande polarisation. Je doute que les prochains enjeux de la justice internationale soient le développement de nouveaux instruments juridiques, tels que le Statut de Rome de la Cour pénale internationale. A mes yeux, le défi sera dans la mise en œuvre du cadre existant, son application concrète. En cela, le travail de terrain que fait TRIAL International me semble prometteur.

Et en interne ?

En tant qu’ex-Directeur de la communication au CICR, je vois plusieurs enjeux liés aux relations externes. Il y a par exemple tout un pan de travail à explorer sur le campaigning. Peut-être TRIAL est-elle au stade où elle peut, ou doit, chercher à peser dans les choix publics. Si c’est le cas, l’organisation fera inévitablement face à des résistances, et elle doit y être préparée.

Inversement, qu’espérez-vous apprendre au sein du Comité ?

Je suis curieux de nature et c’est surtout l’humain qui m’intéresse, j’aime découvrir de nouvelles personnes. Je me réjouis de rencontrer les collaborateurs/trices de l’organisation, de comprendre comment ils/elles travaillent concrètement. Et, je l’espère, de tisser de nouveaux liens et de trouver de nouvelles synergies.

Rencontrez les autres membres du Comité

Devenez membre de TRIAL International

Élu au Comité de TRIAL International en juin 2021, Philippe Bovey a plus de 15 ans d’expérience au sein de la société civile suisse. Aujourd’hui Secrétaire général de la Fondation Hirondelle, il espère accompagner TRIAL International dans sa prochaine phase de vie, « où l’élan de ses débuts doit être concilié avec la gestion de sa croissance ». Rencontre.

Entretien avec Philippe Bovey dans les locaux de TRIAL International. ©TRIAL International/Jean-Marie Banderet

« J’ai un profond respect pour l’expertise juridique de pointe de TRIAL International » explique Philippe Bovey quand on lui demande pourquoi il a souhaité rejoindre le Comité. « Depuis l’aide directe aux survivant/e/s jusqu’au renforcement des capacités et à la sensibilisation, TRIAL International propose une approche globale qui me paraît très pertinente. »

Une expertise juridique à laquelle Philippe Bovey souhaite apporter son expérience de management et de gestion, notamment en finances. « Ce n’est peut-être pas ce qui fait le plus rêver », s’amuse-t-il, « mais ce sont des enjeux cruciaux pour une organisation en plein développement. TRIAL International est dans une phase délicate de maturation, où sa croissance doit être maitrisée pour être durable. »

 

Mettre l’État face à ses obligations

Se définissant lui-même comme « un Suisse pure souche », Philippe Bovey est né, a étudié et travaille dans le canton de Vaud. Ce qui ne l’a pas empêché de baigner dans un univers professionnel international.

Après une formation en sciences des religions et en HEC, il découvre le droit international des droits de l’homme à l’Entraide protestante suisse (EPER), dans la défense juridique des réfugié·e·s en Suisse. Avec ses collègues juristes, il porte notamment des affaires devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).

« Dans un monde idéal, le droit met l’État face à ses obligations, que le détenteur d’un droit soit puissant ou particulièrement vulnérable. Dans le monde réel, des ONG et des personnes militantes doivent souvent s’engager pour que cet idéal se concrétise pour les victimes les plus fragiles. Mais leur action ne doit pas servir à tolérer les défaillances des gouvernements ou de la justice. »

 

Droit et information, les bases du vivre-ensemble

« Un défi particulier du droit est qu’ils ne fonctionnent pas « objectivement », contrairement à une opération médicale d’urgence ou à l’irrigation d’un champ. Il faut que les victimes connaissent leurs droits pour pouvoir les faire respecter, aient suffisamment confiance en la justice pour s’en remettre à elle, que la justice enfin soit elle-même suffisamment reconnue dans son rôle par une société pour que le droit puisse s’imposer ».

Une logique qui s’applique aussi à l’information en temps de crise, le cœur de métier de la Fondation Hirondelle dont Philippe Bovey est le Secrétaire général. « L’autre point commun, c’est que le droit et l’information sont des armes pour mettre debout les plus vulnérables. Elles sont fragiles, comme l’est la construction d’un vivre ensemble apaisé. »

Et de conclure : « Ce qui me convainc chez TRIAL, c’est l’ancrage dans des situations concrètes qui sert de point de départ : pas défendre une idée générale, mais une affaire individuelle qui porte en elle un enjeu général. »

 

Le 17 juillet 1998 était adopté le Statut de Rome, traité fondateur de la Cour pénale internationale. Depuis, la date est devenue la Journée de la justice internationale. Mais le combat contre l’impunité va bien au-delà de cette institution, dont la compétence reste limitée. Les États, mais aussi la société civile, jouent un rôle complémentaire et fondamental, notamment grâce à un puissant outil juridique : la compétence universelle.

Pour encourager l’utilisation du principe de compétence universelle par d’autres acteurs, TRIAL International publie depuis 2015 son Rapport annuel sur la compétence universelle (UJAR), qui passe en revue les affaires les plus importantes à travers le monde.@Will Baxter/TRIAL International

Grâce à la compétence universelle, nous disposons d’un levier puissant au service de la justice internationale. Selon ce principe en plein essor, les États ont la possibilité – et parfois l’obligation – de poursuivre les auteur/e/s de crimes internationaux quel soit le lieu du crime et la nationalité des auteur/e/s ou des victimes. Car ces crimes sont tellement graves qu’ils sont une atteinte à tous les êtres humains.

Des verdicts historiques se multiplient, y compris en Suisse. La condamnation pour crimes de guerre d’Alieu Kosiah, ex-commandant d’un groupe rebelle actif au Libéria, est remarquable à bien des égards. Nous espérons désormais que ce procès ouvrira la voie à une politique suisse plus volontaire en la matière.

La compétence universelle est un outil puissant au service des États qui s’en donnent les moyens. Mais le rôle de la société civile n’en reste pas moins essentiel. Car ce sont bien souvent les ONG, présentes sur le terrain et travaillant en réseau, qui enquêtent et documentent les violations graves des droits humains.

Ce sont, elles aussi, qui régulièrement retrouvent la trace de bourreaux et, à l’instar de TRIAL International, alertent les autorités et engagent des procédures au niveau national. Enfin, ce sont elles qui apportent l’expertise juridique et sensibilisent le pouvoir judiciaire en matière compétence universelle.

Sans le travail continu des ONG, la compétence universelle ne serait qu’un intéressant concept juridique. Or, il s’agit aujourd’hui de l’une des plus grandes potentialités juridiques dans la lutte contre l’impunité. Nous profitons donc de cette date symbolique pour rendre hommage à tous nos partenaires, organisations ou individus, qui s’engagent avec passion pour la justice internationale !

Vous êtes toujours plus nombreux/euses à nous suivre et nous soutenir et nous vous en remercions du fond du cœur. Nous vous invitons à relire nos dernières actualités, ainsi que notre Rapport d’activité 2020, qui retrace les succès de l’année. Par ailleurs, le webinaire organisé en juin 2021 et rassemblant six ONG expertes de la compétence universelle est désormais disponible sur Youtube.

Pour que nous puissions continuer notre travail et pour que les survivant/e/s des pires atrocités aient accès à la justice, nous avons besoin de vous. Faites un don en cette journée de la justice internationale et rejoignez, vous aussi, la lutte contre l’impunité !

En reconnaissant le caractère contraignant des actions urgentes du Comité sur les disparitions forcées des Nations Unies, la Cour suprême mexicaine tord le bras des autorités judiciaires nationales. Celles-ci vont devoir faire la lumière sur les 424 affaires en souffrance dans le pays.

Depuis 2009, TRIAL International travaille avec plusieurs organisations pour alerter l’opinion publique sur le crime de disparitions forcées, et dénoncer l’échec des autorités mexicaines à l’enrayer et à poursuivre les responsables en justice. @FJEDD

Le jugement prononcée le 16 juin 2021 par la Première chambre de la Cour suprême mexicaine avait quelque chose d’historique : pour la première fois, , un tribunal national de cette envergure reconnaissait que les actions urgentes émises par le Comité des disparitions forcées des Nations unies (CED) sont obligatoires. Ce qui signifie dans les faits que les autorités de l’Etat – à tous les niveaux – sont dans l’obligation de se presser d’enquêter sur les disparitions forcées, de rechercher les personnes disparues, d’informer les victimes du processus et d’apporter un soutien aux proches des personnes disparues. D’abord annoncé par voie de communiqué, le verdict a ensuite été publié le 13 juillet.

La Cour suprême mexicaine est la première instance nationale de ce niveau à se prononcer sur le caractère obligatoire des actions urgentes du CED. Une première donc, particulièrement significative vu le caractère endémique des disparitions forcées au Mexique. A lui seul, le pays comptabilise en effet 424 demandes d’actions urgentes (sur les 1013 émises depuis la création du CED en 2011). Mais jusqu’à présent, celles-ci sont pour la plupart restées lettres-mortes. Et ce malgré des mesures législatives extrêmement progressistes (connues sous le nom de « Loi générale ») pour lutter contre les disparitions forcées.

« Ce n’est pas seulement un signe positif pour les familles des victimes de disparitions forcées au Mexique, qui ont maintenant une confirmation que leur gouvernement est obligé de donner suite à leurs demandes d’information et de soutien, mais aussi pour les familles de personnes disparues dans les 63 États parties qui ont ratifié la Convention », a déclaré Daniela Buchmann, Responsable de projet auprès de TRIAL International.  Car la décision de la Cour suprême rappelle aux autorités les obligations de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées (ICPED), ratifiée par le Mexique le 18 mars 2008 et entrée en vigueur le 23 décembre 2010. Elle va même plus loin, en reconnaissant le droit pour les victimes à être recherchées comme une condition préalable à leur droit à la vérité et à la justice.

Avant d’arriver devant la Cour suprême, les autorités judiciaires de district avaient longtemps tardé, et tenté de nier le caractère obligatoire des demandes d’actions urgentes de la CED dans l’affaire de la disparition forcée de Víctor Álvarez Damián le 11 décembre 2013 à Veracruz. En août 2020, à l’initiative de I(dh)eas, plusieurs ONG – parmi lesquelles TRIAL International –, des universitaires et des institutions nationales de défense des droits humains, ont soumis plusieurs amici curiae, ces arguments juridiques adressés à la cour pour l’aider à rédiger sa décision. « Nous sommes très satisfaits d’apprendre que la Cour Suprême soit parvenue à la conclusion préconisée par les victimes et les organisations de la société civile, y compris TRIAL International, et de constater que nos arguments légaux figurent dans le verdict », relève Daniela Buchmann.

La décision de la Cour suprême de reconnaître le caractère obligatoire des demandes d’actions urgentes du CED confirme le rôle et la valeur de ce mécanisme international, qui représente souvent le dernier recours pour les familles des victimes qui cherchent à obtenir des informations sur le sort et la localisation de leurs proches. Car bien souvent, les autorités mexicaines ont tardé à réagir, ce qui est d’autant plus problématique dans le cas de disparitions forcées où le temps écoulé est déterminant pour retrouver les personnes vivantes. Elle permet en outre aux familles de personnes disparues de chercher une protection judiciaire au niveau national, au cas où les autorités mexicaines ne mettraient pas en œuvre des actions urgentes. La nature pionnière de cette résolution a d’ailleurs déjà été reconnue dans le monde entier, y compris par le Bureau du Haut-Commissaire aux droits de l’homme.

 

Cet article a été produit avec le soutien financier de l’Union européenne. Son contenu est la seule responsabilité des auteurs et ne reflète pas nécessairement les positions de l’Union européenne.

 

Souvent accusé de patauger, le processus de justice transitionnelle au Népal va-t-il bientôt prendre un nouveau souffle ? Le 15 juillet 2021, le mandat de la Commission d’enquête sur les disparitions forcées de personnes, créée en 2015, pourrait être prolongé. Retour sur quelques enjeux de cet outil censé panser les plaies de la guerre civile qui a ravagé le pays entre 1996 et 2006.

Le conflit armé qui a opposé les rebelles maoïstes aux forces gouvernementales entre 1996 et 2006 a été entaché de nombreuses violations des droits humains et fait des milliers de victimes. @Niranjan Shrestha

Dans un rapport soumis avec l’aide de TRIAL International à la Commission d’enquête sur les disparitions forcées de personnes (CIEDP), le Human Rights and Justice Center (HRJC) a relevé les nombreux dysfonctionnements de cet organe de la justice transitionnelle, à la veille de la fin du mandat des commissaires en place. À commencer par la sélection de ces derniers – hautement politisée – et qui a manqué de transparence lors du renouvellement du printemps 2021. Les nombreux groupes de victimes n’avaient pas été consultés et ont depuis lors manifesté leur opposition à ces élections.

L’absence de résultat ensuite : depuis sa création il y a six ans, la CIEDP n’a fourni aucun résultat tangible. Enfin, l’ensemble du processus de justice transitionnelle n’est pas conforme aux normes internationales, ni à la décision de la Cour suprême népalaise de 2015.

 

À la croisée des chemins

Le 15 juillet 2021, le mandat des actuels commissaires arrive à son terme. Deux scénarios possibles : soit la CIEDP est renouvelée, soit elle sera dissoute.

Le résultat le plus probable est que le mandat de la CIEDP sera renouvelé. Aucune décision n’a pour l’heure été communiquée, mais il existe plusieurs indications dans ce sens. Le HRJC a émis une série de recommandations dans cette éventualité, soulignant l’inefficacité et l’inadéquation des précédentes consultations avec les groupes de victimes, ainsi que les manquements de la CIEDP dans plaintes enregistrées. Le rapport appelle notamment la Commission à consulter les victimes et mettre en place un mécanisme fiable pour leur protection, à clarifier le rôle et les liens que la CIEDP entretient avec les autres acteurs judiciaires du Népal et à renvoyer les affaires qui doivent l’être au Procureur général, ou encore à adapter son cadre législatif avec les normes internationales…

Si en revanche la CIEDP devait être dissoute le 15 juillet, elle devra publier l’état des travaux menés à ce jour, et émettre des recommandations au sujet des enquêtes, des poursuites et des sanctions à l’encontre des responsables de violations graves des droits humains, ainsi que sur les mesures de réparation en faveur des victimes. Il est primordial que la CIEDP sauvegarde les preuves collectées. De même, elle doit s’assurer que ses archives soient préservées de manière sûre et confidentielle, pour que les témoignages des victimes et de témoins ne tombent pas en de mauvaises mains.

Indépendamment du renouvellement de la CIEDP, celle-ci doit absolument mettre sur pied un groupe de travail au sein de ses membres pour étudier les mesures de réparation indiquées par le Comité des droits de l’homme des Nations unies (CDH). Elle devra également préparer une liste de recommandations à faire aux autorités népalaises compétentes pour mettre en œuvre les décisions du CDH, en identifiant clairement les institutions gouvernementales chargées de mettre en œuvre chacune des mesures.

Le 15 juillet prochain pourrait être un tournant pour le Népal, une occasion de prendre à bras le corps des problèmes qui traînent depuis des années. Quel que soit le résultat de ces tractations, il est temps pour le Népal de s’engager dans un processus de justice transitionnelle crédible, qui permette de fournir vérité, justice, réparations et garanties de non-répétition à toutes les victimes du conflit.

 

 

La répression violente d’un rassemblement dans le district de Rupandehi a entraîné la mort de Chandan Patel, âgé de quatre ans. Malgré les efforts de sa famille depuis un an, aucune enquête n’a été ouverte contre les policiers/ères responsables de ce crime. TRIAL International et ses partenaires ont porté l’affaire devant le Comité des droits de l’homme des Nations Unies. 

Chandan Patel, un petit garçon de quatre ans, a été tué lors d’une manifestation le 15 septembre 2015. Le personnel de sécurité responsable de ce décès n’a jamais fait l’objet d’un procès ni même d’une enquête. ©Niranjan Shrestha/TRIAL International

Le 15 septembre 2015 en fin d’après-midi, dans la ville de Gonaha (district de Rupandehi), Mme Anita Devi Kurmi a emmené ses deux enfants au marché : Chandan Patel, quatre ans, et Khushi Kumari, six ans. À cette époque, la ville était le théâtre de grèves et de manifestations. Des agent/e/s de sécurité étaient stationné/e/s aux quatre coins de la ville.

Un incident près du marché a créé un attroupement, auquel se sont joints Mme Devi Kurmi et ses enfants. L’incident était sans gravité et les badauds n’étaient pas des militant/e/s politiques. Mais les forces armées, déjà à cran, ont pris ce rassemblement pour une manifestation et ont ouvert le feu sur la foule en tirant des gaz lacrymogènes, puis à balles réelles, sans discernement. Les tirs ont duré une demi-heure. Aucun avertissement ou mise en garde verbale n’a été émis.

En entendant les coups de feu, Anita Devi Kurmi, Chandan et Khushi ont couru se cacher dans une maison voisine. Alors qu’ils/elles couraient, Chandan a été touché à la tête par une balle. Lorsqu’elle a découvert sa blessure, Mme Devi Kurmi, ne sachant que faire, a emmené le garçon chez son mari, M. Awdhesh, qui travaillait dans une usine voisine.

Vers 18 heures, M. Awdhesh a emmené Chandan à l’hôpital. Ils ont été arrêtés plusieurs fois en chemin par le personnel de sécurité, qui bloquait les routes pour contenir les protestations. Le trajet, qui aurait normalement pris 15 minutes, a duré 1 heure et demie. À l’hôpital, les médecins ont déclaré que Chandan était mort sur le chemin de l’hôpital.

 

Les violences policières restent impunies

Les tirs à Gonaha ont entraîné la mort de six civils autour du marché et même à l’intérieur des maisons. Aucun d’entre eux/elles ne participaient aux manifestations. Les dirigeant/e/s politiques locaux/ales et les défenseurs/euses des droits humains qui avaient suivi les événements ont demandé à la police nationale d’admettre que Chandan et les autres victimes avaient été tué/e/s pendant les manifestations ce jour-là. Malgré cela, le personnel de sécurité responsable de ces décès n’a jamais fait l’objet d’un procès ni même d’une enquête.

De 2015 à 2019, la famille de Chandan a tenté d’obtenir justice au niveau national. Toutes leurs tentatives ont échoué. Le 10 juin 2021, TRIAL International, le Human Rights and Justice Centre de Katmandou et la Terai Human Rights Defenders’ Alliance ont soumis le cas au Comité des droits de l’homme des Nations Unies.

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