Année : 2018
Vendredi 21 septembre, le tribunal militaire de garnison de Bukavu (République démocratique du Congo) a reconnu deux commandants haut-placés coupables de meurtres et actes de torture constitutifs de crimes contre l’humanité. Fait unique en RDC, des vidéos ont été présentées comme preuves à charge. Les ONG TRIAL International, eyeWitness to Atrocities et WITNESS, qui ont collaboré sur ce dossier, saluent cette victoire contre l’impunité dans l’est de la RDC.
La justice a triomphé à Bukavu : deux commandants de la milice rebelle appelée Forces démocratiques de libération du Rwanda (ou FDLR) ont été condamné à perpétuité pour meurtres et actes de torture, constitutifs de crimes contre l’humanité, ainsi que pour pillage et incendie. Les 100 victimes parties à la procédure se sont toutes vues accorder des réparations allant de 5 000 USD à 25 000 USD.
En 2012, les villages de Kamananga et Lumenje (sud Kivu) ont été le théâtre d’attaques barbares des FDLR. Alléguant que les villageois soutenaient une milice locale rivale, des hommes répondant aux ordres des commandants Gilbert Ndayambaje (alias Rafiki Castro) et Evariste Nizeimana (alias Kizito) ont pillé les deux villages, torturé et tué des civils, et incendié plusieurs bâtiments.
« Nous sommes ravis de ce verdict » dit Daniele Perissi, responsable du programme RDC chez TRIAL International. « L’impunité en RDC est extrêmement répandue, y compris au sein du commandement des groupes armés. Cette décision envoie un message clair à quiconque commettrait des abus en pensant que leur pouvoir militaire les place au-dessus des lois. »
Des preuves audiovisuelles utilisées pour la première fois en RDC
Ce succès est le résultat d’une étroite collaboration entre de nombreux acteurs, dont trois ONG : TRIAL International, dont le mandat est de lutter contre l’impunité des crimes internationaux : WITNESS, qui se spécialise dans l’utilisation de vidéos pour défendre les droits humains ; et eyeWitness to Atrocities, qui a développé un outil unique pour enregistrer, archiver et authentifier les vidéos dans le cadre de procédures juridiques. Ensemble, ces organisations ont aidé les avocats des victimes à collecter les preuves à charge les plus incriminantes, dont des vidéos – une première dans toute la RDC.
Isabelle Myabe, chargée de programmes chez WITNESS, explique : « Dans le cadre du processus d’enquêtes, nous avons formé les avocats travaillant sur le dossier aux bonnes pratiques de tournage et d’archivage de preuves vidéo. Pendant une mission de documentation en juillet 2017, l’un des avocats a collecté des preuves de l’existence de fosses communes dans les villages affectés. Un extrait de cette vidéo a été projeté pendant le procès. »
Afin d’être admissibles en preuves, le matériel collecté a été soumis à une rigoureuse procédure de vérification garantissant leur authenticité.
« Pendant les missions de documentation, des informations ont été récoltées avec l’app eyeWitness pour renforcer la valeur de preuve des vidéos présentées »explique Wendy Betts, directrice de projet chez eyeWitness to Atrocities. « L’application permet d’enregistrer des photos et des vidéos avec des information qui attestent où et quand elles ont été prises, et garantir qu’elles n’ont pas été manipulées. Les protocoles de transmissions et le serveur sécurisé mis en place par eyeWitness a créé une chaîne de traçabilité qui rend ces informations utilisables en audience. »
En savoir plus sur l’usage de vidéos comme moyen de preuve
« L’atmosphère en audience a changé du tout au tout »
Sur la base des preuves collectées, TRIAL International a assisté les avocats des victimes dans l’établissement de leur stratégie juridique.
« Quand les vidéos ont été projetées, l’atmosphère dans la salle d’audience a changé du tout au tout », témoigne Guy Mushiata, coordinateur droits humains pour la RDC. « L’image est un vecteur très puissant pour rendre compte de la brutalité des crimes, et du niveau de violence dont les victimes ont souffert. »
TRIAL International, eyeWitness to Atrocities et WITNESS espèrent que cette double condamnation encouragera d’autres avocats à faire usage de preuves audiovisuelles dans des procès pénaux. Les ONG continueront de collaborer pour contribuer à essaimer cette pratique dans l’est de la RDC.
Le travail de TRIAL International sur ce dossier a été mené dans le cadre de la Task ForceJustice Pénale Internationale, un réseau informel d’acteurs internationaux qui collaborent afin de soutenir le travail des juridictions militaires congolaises dans l’enquête et la poursuite des crimes de masse en RDC.
Le travail de TRIAL International sur les dossiers de crimes internationaux en RDC ne serait pas possible sans le soutien du bureau des Affaires étrangères et du Commonwealth du gouvernement britannique, du Département fédéral des affaires étrangères suisse et de la Coopération belge au développement.
Christian: Enlevé, porté disparu, et finalement exécuté
En décembre 2015, au Burundi, des attaques perpétrées par des personnes armées non identifiées ont eu lieu contre quatre bases militaires à Bujumbura et autour de la ville.
A l’issue de ces attaques, les forces de l’ordre ont conduit une campagne de répression d’une ampleur inégalée dans plusieurs quartiers affiliés à l’opposition. Selon certaines estimations, environ 160 personnes auraient été tuées et de nombreuses personnes auraient été victimes d’arrestations arbitraires, de tortures et de viols.
Au lendemain de ces attaques, Christian (nom d’emprunt) a été arrêté par un groupe de policiers et embarqué de force dans une camionnette du SNR (le Service national de renseignement).
Quelques jours plus tard, le corps de Christian a été retrouvé sans vie et sa dépouille présentait de nombreuses marques de sévices et plusieurs impacts de balles.
Procédure
Les proches de Christian, malgré la peur de représailles, ont alerté les autorités avant même que son corps ne soit retrouvé. Bien qu’aucune plainte écrite n’ait été déposée, un dossier a été ouvert par les autorités.
Pourtant, plus de deux ans après les faits, aucune enquête effective n’a été ouverte et aucun acte d’investigation n’a été entrepris.
Ainsi, malgré la mobilisation de nombreux acteurs et malgré un grand retentissement médiatique, le dossier reste bloqué et les auteurs de cette exaction continuent de bénéficier d’une impunité totale.
Il est malheureusement trop tard pour venir en aide à Christian. Mais la souffrance infligée à ses proches du fait de son exécution peut encore être atténuée si justice est faite.
Du fait des violations des droits humains perpétrées à l’encontre de Christian et de ses proches, TRIAL International a saisi une instance internationale.
Début 2018, l’affaire a été déclarée recevable. La procédure est en cours.
Durant l’été 2015, Pascal (nom d’emprunt) a reçu de nombreux appels alarmants l’informant qu’il était activement recherché par la police burundaise.
Depuis avril 2015, la recrudescence d’insécurité au Burundi a engendré de nombreuses violations graves des droits humains, et ce dans une situation d’impunité totale.
En effet, entre avril 2015 et fin avril 2016, les estimations de l’ONU présentaient 348 cas d’exécutions extrajudiciaires, 36 cas de disparitions forcées, 3477 arrestations arbitraires et 651 cas de torture.
Dans ce contexte, Pascal a voulu se renseigner auprès d’un agent étatique pour lever le voile sur sa situation. Ce dernier lui a assuré qu’il ne faisait l’objet d’aucune poursuite.
Pourtant, dans les jours qui ont suivis cet échange, Pascal a été arrêté par un groupe de policiers lourdement armés avant d’être embarqué de force vers une destination inconnue.
Quelques jours plus tard, le corps de Pascal a été retrouvé sans vie et sa dépouille présentait plusieurs impacts de balles.
Procédure
Outre la saisie de plusieurs organisations de droits humains, la famille de Pascal a porté plainte devant les autorités.
Pourtant, près de trois ans après les faits, aucune enquête effective n’a été ouverte et aucun acte d’investigation n’a été entrepris.
Ainsi, malgré l’implication de nombreux acteurs et malgré un grand retentissement médiatique, le dossier reste bloqué et les auteurs de cette exaction continuent de bénéficier d’une impunité totale.
Au vu de l’inertie de la justice nationale, TRIAL International a saisi une instance internationale.
La procédure est en cours.
En avril 2015 au Burundi, de nombreuses personnes sont descendues dans les rues pour manifester contre le renouvellement du mandat du président M. Pierre Nkurunziza.
Quelques mois plus tard, des attaques perpétrées par des hommes armés non-identifiés ont été menées à l’encontre de plusieurs camps militaires. Ces attaques, considérées comme un tournant dans la crise burundaise, ont déclenché une campagne de répression d’une ampleur inégalée dans plusieurs quartiers affiliés à l’opposition.
Dans ce contexte, Sam (nom d’emprunt), membre de l’opposition ayant participé aux manifestations anti-troisième mandat, a été violement arrêté par un groupe de policiers. Après avoir été passé à tabac et brusquement interrogé, Sam a été embarqué de force dans une camionnette de la police.
Sam a été aperçu une dernière fois après son enlèvement, ligoté à bord d’un véhicule de la police. Il était ensanglanté et les marques des sévices qu’il avait subi étaient encore visibles.
Procédure
Promptement alerté de la disparition de Sam, un de ses proches a entrepris de nombreuses démarches afin de le retrouver. Ses recherches sont malheureusement restées infructueuses.
Pire encore, le proche de Sam a commencé à recevoir de nombreuses menaces et a dû couper court aux démarches entamées.
Plus de deux ans après les faits, et tandis que les autorités ont été notifiées de la disparition de Sam, aucune enquête n’a été ouverte et aucun acte d’investigation n’a été entrepris. Ainsi, Sam est encore porté disparu et les auteurs de ces exactions demeurent impunis.
La situation de Sam, qui continu d’être soustrait à la protection de la loi, est extrêmement préoccupante car il n’y a aucun moyen de garantir sa sécurité.
Aux vues de ces circonstances, TRIAL International a saisi une instance internationale.
La procédure est en cours.
Un rapport de l’ONU récemment rendu public pointe la Suisse du doigt : dans deux affaires en cours, le Ministère Public de la Confédération aurait cédé à des pressions politiques. Avec pour conséquence d’énormes retards dans les procédures, au détriment des victimes soutenues par TRIAL International.
Les procureurs de la Confédération seraient-ils trop perméables aux pressions politiques ? Le reproche adressé au Département Fédéral des Affaires Etrangères (DFAE) par le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture, ainsi que par le Rapporteur spécial sur l’indépendance des juges et des avocats est cinglant : « absence de volonté politique d’instruire des crimes internationaux ».
En cause notamment, les atermoiements dans l’affaire Khaled Nezzar. Pour rappel, cet ancien ministre de la défense algérien fait l’objet d’une procédure depuis 2011 au chef de crimes de guerre, pour des faits commis entre 1992 et 1994. Mais en 2017, le Ministère public de la Confédération (MPC) classe l’affaire, au motif qu’il n’y avait pas de conflit armé en Algérie au cours de la guerre civile. La presse avait ensuite appris que pour le bien des relations bilatérales entre la Suisse et l’Algérie –notamment de certains dossiers économiques–, le DFAE avait informé les procureurs que l’enquête serait une « bombe à retardement ».
Une autre affaire en souffrance a par ailleurs attiré l’attention des deux Rapporteurs spéciaux : celle de Rifaat Al-Assad. Une instruction pénale pour crimes de guerre avait été ouverte par le MPC en 2013 contre l’oncle de l’actuel président syrien au nom des victimes du massacre du village de Hama en 1982. Depuis lors, rien. Si bien qu’un recours en déni de justice a été déposé en 2017 devant le Tribunal fédéral. Là encore, le DFAE aurait fait pression sur les procureurs afin que ceux-ci classent l’affaire.
Dans sa réponse, le DFAE nie toute implication dans les affaires du MPC et souligne son indépendance. Selon lui, les « allégations persistantes d’ingérence politiques dans les affaires du MPC ne reposent (…) sur aucun fondement sérieux ». Et de conclure que la Suisse respecte toutes ses obligations internationales.
Depuis qu’elle a déposé les dénonciations qui ont permis l’ouverture des instructions pénales contre Khaled Nezzar et Rifaat Al-Assad –respectivement en 2011 et 2013–, TRIAL International s’est constamment préoccupée de l’avancement de ces deux procédures. L’organisation réitère que seule une enquête prompte, indépendante et efficace sur les crimes graves reprochés à ces deux personnes est à même d’apporter un début de justice aux victimes d’atrocités commises en Algérie et en Syrie.
Conjointement aux ONG FIACAT, CCPR Centre, DefendDefenders, l’OMCT et Protection International, TRIAL International a sponsorisé la déclaration ci-dessous devant le Comité de droits de l’homme des Nations Unies.
Monsieur le Président,
Mesdames et Monsieur les membres de la Commission d’enquête,
Je m’adresse à vous au nom d’une coalition d’ONG burundaises soutenue par le CCPR Centre, la FIACAT, l’OMCT, Protection International et TRIAL International.
Ces organisations remercient la Commission d’enquête pour le travail effectué et pour la présentation de son rapport. Il est particulièrement préoccupant de constater que la Commission conclut à la persistance de graves violations des droits humains dont certaines sont constitutives de crimes contre l’humanité.
Les ONG burundaises signataires, par leur monitoring constant, rejoignent les conclusions de la Commission. Depuis le 30 juin 2018, SOS-Torture / Burundi a ainsi documenté 35 cas d’exécutions extrajudiciaires, 2 viols et 158 arrestations arbitraires notamment contre des opposants présumés ou réels, impliquant parfois des membres Imbonerakure. La Ligue Iteka a quant à elle recensé 16 cas de violences basées sur le genre et 49 cas de torture notamment par le SNR et les Imbonerakure. Ces chiffres ne sont pas exhaustifs et ne représentent pas la totalité des cas documentés par les organisations burundaises.
Les défenseur(e)s des droits humains continuent également d’être persécutés en raison de leur travail. A ce titre, il convient de noter la condamnation à 5 ans d’emprisonnement de Nestor Nibitanga de l’APRODH le 13 août 2018 pour atteinte à la sûreté de l’Etat. D’autre part, Germain Rukuki, ancien comptable de l’ACAT Burundi, condamné à 32 ans de prison pour son travail à l’ACAT est toujours maintenu en détention.
Au vu de ces éléments et en vue des prochaines élections de 2020, il apparait primordial de maintenir un mécanisme international, indépendant et fiable pour enquêter sur les violations des droits humains au Burundi. Un tel mécanisme est d’autant plus essentiel que le Burundi n’a pas coopéré avec le Haut-Commissariat aux droits de l’Homme pour mettre en œuvre la résolution 36/2, qu’il avait pourtant soutenu, et qui mandatait 3 experts à aller au Burundi et offrir une assistance technique et un renforcement des capacités au gouvernement burundais.
Les organisations signataires appellent donc le Conseil des droits de l’Homme à renouveler pour un an le mandat de la Commission d’enquête sur le Burundi conformément à sa propre recommandation et exhortent le gouvernement burundais à coopérer pleinement avec le Haut- Commissariat aux droits de l’Homme et notamment avec la Commission d’enquête sur le Burundi.
Je vous remercie Monsieur le Président.
Dans un communiqué du 15 septembre 2018, le gouvernement congolais a laissé entendre qu’il « n’excluait pas » de se retirer de la juridiction de la Cour pénale internationale (CPI). Un scénario très alarmant dont les victimes seraient les premières perdantes.
TRIAL International est vivement préoccupée par la menace des autorités congolaises de se retirer du Statut de Rome de la CPI. Alléguant que « certains gouvernements exerçaient des pressions sur les juges », le gouvernement pourrait se retirer du premier organe permanent compétent pour juger les crimes les plus graves.
Une collaboration qui renforçait l’image de la CPI
En avril 2004, la République démocratique du Congo (RDC) a été le premier pays à référer la situation dans son propre pays à la Cour pénale internationale. Depuis lors, plusieurs dossiers concernant des crimes commis en RDC ont fait l’objet d’enquêtes et de poursuites devant la Cour.
Cette collaboration entre la RDC et la CPI jusqu’à présent renforçait la crédibilité de la Cour et confirmait l’engagement du gouvernement congolais contre l’impunité de ses dirigeants. La récente déclaration des autorités congolaises semble aller à contre-courant de ses positions et envoie un message extrêmement inquiétant.
Certains crimes pourraient rester impunis
« Si les menaces de Kinshasa étaient suivies par un retrait effectif de la RDC du Statut de Rome de la CPI, le vrai perdant serait le peuple congolais, et indirectement la communauté internationale dans son ensemble. » explique Daniele Perissi, responsable du programme RDC à TRIAL International. « Cela signifierait que certains crimes, dont la RDC ne pourrait ou ne voudrait pas poursuivre les auteurs présumés, pourraient tout simplement demeurer impunis. »
L’exemple du Burundi démontre à quel point le retrait de la CPI est un pas vers l’isolement international et un rejet des principes fondamentaux de la lutte contre l’impunité. Il serait fort malheureux que la RDC emprunte la même voie dans une période aussi cruciale pour l’affirmation de sa bonne gouvernance. Le pays se prépare en effet à élire son nouveau président – une campagne sous haute tension surveillée de près par la communauté internationale.
Le 5 septembre 2018, la Commission d’enquête des Nations Unies sur le Burundi (CoI) a publié un second ensemble de conclusions – qui pourrait être le dernier. La responsable du programme Burundi Pamela Capizzi nous en explique les points saillants.
Quel était le ton général des conclusions de la CoI ?
Pamela Capizzi : Pour une année de plus, la Commission d’enquête a brossé un tableau sombre de la situation des droits humains au Burundi. Dès les premiers paragraphes, la Commission a souligné que les violences initiées en 2015 ont persisté tout au long de 2017 et 2018. Elle a également réitéré dès le début de son rapport le manque de coopération des autorités burundaises.
Malheureusement, ces résultats ne sont pas une surprise : le Burundi a progressivement coupé tous les liens avec la communauté internationale et il n’y a eu aucun signe d’apaisement des violences. La période qui a précédé le référendum de mai, en particulier, a été marquée par des abus et des intimidations.
Les conclusions mentionnent le rôle des Imbonerakure, la ligue de la jeunesse du parti au pouvoir…
Le fait que les Imbonerakure participent à la répression est une allégation récurrente depuis 2015. Ce qui est intéressant, c’est que le rapport constate qu’ils sont « en collusion avec les structures formelles et informelles de répression de l’État » et « ont été utilisés (…) comme supplétifs ou en remplacement des forces de l’ordre ». En d’autres termes, les autorités ont des liens d’organisation, voire de contrôle, sur les actes des Imbonerakure (par. 21-22). Ceci est important parce que l’État burundais pourrait alors être tenu responsable des violations commises par les Imbonerakure.
Mais les obligations de l’État burundais vont au-delà du comportement de ses agents. Il lui incombe également de protéger sa population contre toute forme de violence, qui qu’en soient les auteurs. Ne pas punir les responsables présumés constitue également une violation des obligations internationales du pays. La Commission a également noté « qu’en ne luttant pas contre l’impunité de manière active (…) l’État burundais favorise la répétition des violations des droits de l’homme et des atteintes à ceux-ci. »(par. 28).
La Commission aborde-t-elle les facteurs les plus profonds qui permettent la persistance de la crise des droits humains ?
L’état de déliquescence du système judiciaire est mentionné dans les conclusions, par exemple la nomination arbitraire des juges, le manque d’indépendance financière des tribunaux et l’ingérence politique régulière dans des affaires sensibles (para. 62). Sans mécanismes de responsabilisation crédibles, il n’est pas surprenant que l’impunité prolifère.
Les dysfonctionnements judiciaires perdurent depuis des années, aussi TRIAL International a-t-elle orienter ses procédures judiciaires stratégiques vers les institutions internationales. Bien entendu, le principe de subsidiarité s’applique toujours, mais notre équipe compte désormais davantage sur les organes des Nations Unies que sur les institutions burundaises pour reconnaître le préjudice causé aux victimes. Pour la même raison, nous avons intensifié nos formations aux avocats burundais sur les mécanismes internationaux.
Que vont maintenant devenir ces conclusions ?
La Commission a présenté ces conclusions au terme de son mandat de deux ans – qui prend fin officiellement le 20 septembre 2018. La confirmation que des violations massives des droits de l’homme sont en cours au Burundi rend absolument indispensable le renouvellement du mandat du Col.
Parallèlement, la communauté internationale doit continuer à faire pression sur le Burundi pour qu’il mette en place un système judiciaire indépendant et efficace. En outre, comme l’a recommandé la Commission, le Gouvernement burundais doit mettre en place des mécanismes ad hoc chargés d’enquêter sur les violations des droits humains et de poursuivre les auteurs de crimes internationaux. Ce n’est qu’alors que ces abus graves pourront être poursuivi et, à terme, s’arrêter.
Cette interview a été réalisée sur la base du rapport abrégé du CoI publié le 5 septembre 2018. Cette dernière soumettra son rapport au Conseil des droits de l’homme lors d’un dialogue interactif le lundi 17 septembre 2018.
Le 31 août, le président Jimmy Morales a déclaré que le mandat de la Commission internationale contre l’impunité au Guatemala (CICIG) ne serait pas renouvelé. A l’origine de la disgrâce de la Commission, des enquêtes visant la famille proche du président. L’annonce était accompagnée d’une démonstration de force et d’une mise en scène digne des jours sombres de la dictature –le président donnant sa conférence de presse entouré de policiers et militaires.
TRIAL International a rejoint une coalition d’acteurs de la société civile et signe une lettre commune demandant à l’Union européenne et à ses Etats membres de faire pression sur les autorités du Guatemala pour que la CICIG puisse poursuivre son travail indépendamment et en toute sécurité.
Kamala avait 12 ans quand son père a été emmené par les autorités. Personne ne l’a revu depuis. Étant l’aînée de la fratrie, et comme sa mère était illettrée, c’est la jeune fille qui a assumé la lourde tâche de chercher justice.
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Comment faire son deuil sans dépouille ni date de décès ? Pour de nombreuses familles, la journée internationale des personnes disparues est un anniversaire pour se souvenir des proches qu’ils ont perdu. A Vogosca (Bosnie-Herzégovine), plus de 25 ans après le conflit, la blessure est toujours à vif.
La ville de Vogosca ressemble à des centaines d’autres en Bosnie-Herzégovine. Un centre-ville entouré de collines, quelques magasins, une petite station de bus vétuste. Sur la place centrale, quelques arbres et un monument érigé aux morts de la guerre.
Mais celui-ci ne commémore que les individus dont le décès a été attesté, daté, et dont la famille a pu enterrer le corps. Si leur perte reste douloureuse, celles-ci ont au moins le réconfort de la certitude.
Car il existe à Vogosca un autre type de victimes : les disparus, enlevés du jour au lendemain sans laisser de traces. Ceux dont on ne sait pas s’ils sont vivants ou morts, même si le temps écoulé laisse peu de place au doute.
Une blessure toujours ouverte
Ema Cekic a vu son mari Salih pour la dernière fois en 1992, avant que l’armée serbe ne le fasse disparaitre. Elle est aujourd’hui une vieille femme, mais son souvenir est intact : « La dernière fois que nous nous sommes vus, il a posé sa main sur mon épaule. Parfois je la sens encore. »
L’incertitude quant au sort des disparus maintient leurs proches dans une souffrance particulière, empêchant le processus de deuil. C’est pourquoi les disparitions forcées constituent un crime distinct des meurtres au regard du droit international.
« Tout ce que je veux, ce sont des réponses. Je me battrai jusqu’au bout pour connaître la vérité » poursuit Ema. « Je ne veux pas que mes enfants et petits-enfants portent ce poids à leur tour. Je veux qu’ils puissent tourner la page et aller de l’avant. »
Des roses pour se souvenir
Le mémorial des disparus de Vogosca se trouve quelques kilomètres du centre-ville. Il faut quitter la route asphaltée et s’engager sur un petit chemin pour y accéder. Un endroit serein, proche d’une petite rivière… qui cache une histoire sinistre.
« Deux corps ont été retrouvés dans cette rivière » explique Ema. « Nous pensons que d’autres corps y ont été jetés. Le 30 août, nous jetons des roses dans l’eau. C’est un hommage aux disparus, mais aussi un message aux criminels qui vivent encore parmi nous : nous savons ce qu’ils ont fait et comment ils ont disposé des corps. »
Les roses sont devenues le symbole de la mémoire parmi les familles affectées. « Nous avons planté nous-même les rosiers autour du mémorial. Nous voulions que l’endroit soit beau, puisque c’est la seule sépulture que nous pouvons offrir nos disparus. En été, quand il fait chaud, les familles viennent ensemble arroser les rosiers. Les jeunes tondent la pelouse, puis nous restons à discuter, à prendre le café. Quand nous parlons près des rosiers, c’est un peu comme si nous parlions avec les disparus. »
Année après année, le souvenir perdure. Face à des autorités indifférentes et à une jeune génération désireuse d’oublier le conflit, Ema se sent parfois seule dans sa quête de vérité. Mais sa détermination est inébranlable : « Tous les jours, je me lève en espérant retrouver mon mari. C’est mon seul espoir dans la vie. Je ne vis que pour le jour où je le retrouverai et lui offrirai de vraies funérailles. »
Internés dans des camps pendant la guerre, Ema et son mari ont été séparés de force. 25 ans plus tard, elle espère encore retrouver sa dépouille et l’enterrer dignement. Et voir les responsables punis pour leurs crimes…
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Le 23 août 2018, le Tribunal militaire de garnison de Bukavu s’est rendu à Kalehe pour ouvrir un procès à l’encontre de deux hauts gradés des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), un groupe armé qui opérait sur territoire congolais. Les commandants Kabumbre et Rafiki Castro devront répondre de leur implication dans les attaques sanglantes qui ont visé deux villages du Sud Kivu en mai 2012. Au cœur d’un conflit entre milices et forces armées, les survivants des massacres, soutenus par TRIAL International, demandent justice et réparation.
Lumenje et Kamananga, deux villages terrorisés
Le 5 mai 2012, les FDLR ont attaqué le village de Lumenje : 14 personnes ont été tuées, plusieurs blessées et des maisons ainsi qu’une école primaire ont été incendiées.
Neuf jours après le drame à Lumenje, les FDLR ont mené une attaque au mode opératoire similaire dans le village de Kamananga : plus d’une trentaine de personnes ont été tuées, plusieurs blessées, des maisons ont été pillées et incendiées.
Des menaces de représailles retrouvées sur le corps des victimes
Après chacun des deux drames, une note similaire signée par les commandants Castro, Sabimana, Cristophe, et Guillaume a été retrouvée sur le corps des victimes. Elle menace de représailles la population civile, lui reprochant son soutien à une milice locale, le Raia Mutomboki.
Procédure
Dans le cadre de l’enquête menée sur plusieurs années, 139 victimes et témoins ont témoigné.
Entre 2017 et 2018, l’expertise conjointe de TRIAL International, Witness et eyeWitness a permis de compléter les premières missions de documentation.
Le matériel audiovisuel récolté a été ajouté aux éléments de preuves. S’il est considéré recevable, cela pourrait créer un précédent dans les moyens de documentation et d’enquête en RDC.
En savoir plus sur l’audiovisuel comme moyen de preuve
Preuves et témoignages ont permis d’identifier les deux prévenus : les commandants Kabumbre et Rafiki Castro. Les deux hommes sont détenus à Bukavu et sont poursuivis pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité.
Contexte
Faisant suite à la Conférence sur la Paix, la Sécurité et le Développement au Nord et au Sud Kivu, des opérations ont été conjointement menées en 2008 par les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) et l’armée rwandaise, contre les Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR). Ces opérations ont engendré de fortes tensions et les FDLR ont commencé à se décharger sur la population civile, notamment en réponses aux affrontements avec les Raia Mutomboki.
Avec plusieurs millions de victimes directes et indirectes depuis 1994, le conflit en RDC est le plus meurtrier depuis la fin de la seconde guerre mondiale.
Aimable et Emery ont tous deux connu un sort tristement similaire : victimes de torture par les autorités burundaises en 2006 et 2007, ils ont été contraints à l’exil pour survivre. Après de longues années de batailles juridiques aux côtés de TRIAL International, les décisions du Comité des Nations Unies contre la torture leur ont finalement rendu justice (en janvier 2018 et janvier 2017 respectivement). Emery et Aimable (noms d’emprunt) témoignent de leur expérience, entre satisfaction et frustration.
TRIAL International : Quelle a été votre première réaction quand vous avez appris la décision du Comité contre la torture ?
Emery : « La bataille juridique a été longue et la période d’attente du jugement très pénible. Quand l’avocat m’a appris cette décision, j’étais très ému. C’était vraiment un moment de soulagement de voir une instance internationale reconnaitre et condamner les traitements indignes que j’ai subis. »
Aimable : « Malgré mon impatience, j’ai toujours fait confiance aux instances internationales. En apprenant le verdict favorable, j’ai ressenti un très grand soulagement et un regain d’espoir. La date de la décision restera pendant longtemps gravée dans ma mémoire. »
Qu’attendez-vous à présent ?
Emery : « La décision de justice qui reconnaît le mal que j’ai subi est une victoire partielle, parce que j’ai besoin d’être indemnisé. Ne serait-ce que symboliquement : je ne retrouverai jamais mon corps d’avant. Je lutte quotidiennement pour la survie de ma famille et il n’est pas facile de songer à des projets quand on est en exil. »
Aimable : « J’attends des indemnisations de la part de l’Etat du Burundi. Il est difficile de penser à des projets d’avenir quand on vit dans des conditions misérables, sans aucunes ressources, dans l’angoisse et dans le chagrin, loin des siens. J’attends aussi des sanctions appropriées pour les auteurs pour prévenir de possibles futures violations. »
Votre quotidien reste donc difficile…
Emery : « Ma santé ne s’est toujours pas rétablie et j’ai perdu mon emploi, qui était ma seule source de revenus. J’ai été contraint de fuir, et après mon départ, cela a été le tour de mon épouse d’être menacée et persécutée. La sécurité de ma famille n’était pas garantie : ma femme m’a rejoint en exil et nous avons continué d’être persécuté. »
Aimable : « Les agressions que j’ai subies ont eu des conséquences catastrophiques pour moi et ma famille. Nous avons tous été contraint à l’exil. Mon épouse est décédée en 2008 suite aux mauvaises conditions de vie et au stress. Mes enfants et moi-même sommes réfugiés dans des pays différents, nous souffrons encore d’angoisses terribles et de nostalgies. »
Le mot de la fin ?
Emery : « J’ai toujours eu la foi en la justice internationale. Cette décision me redonne de l’espoir et j’espère qu’un jour, j’obtiendrais la réparation des souffrances physiques et morales qui m’ont été infligées. »
Aimable : « À toutes les victimes en attente de réparation, je lance un message d’espoir et d’encouragement. Le jugement m’a réconforté et m’a redonné de l’espoir. »
Thomas Unger est membre du Comité de TRIAL depuis mai 2018. Il a plus de 15 ans d’expérience dans le domaine de la justice internationale et est Maître de conférence à l’Académie de droit international humanitaire et des droits humains de Genève. Comment est né son intérêt pour la justice internationale ? Quels défis voit-il pour l’avenir ? Et comment rester optimiste dans cette ère de scepticisme ?
TRIAL International : Comment est né votre intérêt pour la justice internationale ?
Thomas Unger : J’étais étudiant dans les années 1990, un âge d’or pour la justice internationale. Ce domaine était en plein essor avec la création des Tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et pour le Rwanda, les premières discussions autour de la Cour pénale internationale, etc. Tout était nouveau et intéressant, beaucoup plus dynamique que les domaines traditionnels du droit. Je voulais faire partie du mouvement !
Mon intérêt a aussi une origine plus personnelle. Ma famille autrichienne a soutenu les Nazis, et plus on essayait de me le cacher, plus je questionnais cet héritage. Cette histoire m’a aussi appris à considérer les choses sous différentes perspectives : ma grand-mère a aussi été victime de violences sexuelles aux mains de l’armée russe, et mon père est né de ce crime. Il est essentiel de se rappeler que les victimes peuvent aussi être des criminels, et pas seulement dans les pays du Sud. Cela s’est aussi passé en Europe. Les crimes perpétrés il y a plusieurs générations ont un impact aujourd’hui, et ils ne disparaitront pas de sitôt. Nous devons nous y intéresser.
Au cours de votre carrière, vous avez travaillé pour des organisations internationales, des ONG et des gouvernements. Quel cadre avez-vous préféré, et pourquoi ?
Chaque expérience a été enrichissante à sa manière et, prises ensembles, elles m’ont donné une vision réaliste de ce que chaque acteur peut apporter à la lutte contre l’impunité. Il est aussi important de comprendre comment chaque institution fonctionne pour espérer changer les choses. Ceci dit, la société civile et le monde universitaire sont mes véritables passions.
L’initiative individuelle tient peu de place au sein des gouvernements ou des organisations internationales : ce sont des lieux hiérarchiques et bureaucratiques, et les actions qu’ils mènent sont parfois en deçà de leurs promesses. La société civile, en revanche, est plus aux prises avec la réalité des choses. Parce que les organisations de société civile ont un fonctionnement ascendant (partant du bas vers le haut), elles permettent une plus grande créativité et une plus grande liberté. Pour leur part, l’université et l’éducation permettent de générer des idées et de contribuer aux changements culturels, elles sont essentielles pour construire un avenir meilleur.
Pourtant, les ONG ont peu de poids sans le bon-vouloir des États … N’est-ce pas décourageant ?
Il y a des hauts et des bas, et je ressens bien sûr la frustration par moments. Mais la société civile a un rôle crucial : celui de nous donner une vision. Les ONG osent imaginer un monde où la justice est accessible à tous. Cela ne deviendra peut-être jamais réalité, mais garder cette perspective, ce rêve est la clé du changement. Et en chemin, des batailles très concrètes – et parfois spectaculaire – sont gagnées.
Je retrouve cet équilibre entre réalisme et utopie chez TRIAL International. D’une part, l’organisation possède une solide expertise juridique et a un véritable impact dans la vie des victimes. D’un autre côté, l’ONG a la vision d’un monde plus juste qu’elle partage avec un large public. Que des criminels sont poursuivis et jugés est une grande source d’inspiration, les gens ont envie de rejoindre ce combat !
Vous êtes membre du Comité de TRIAL International. Quels défis l’organisation pourrait-elle rencontrer à l’avenir ?
TRIAL International s’est développé très rapidement. C’est très positif, mais j’ai été témoin des dommages qu’une croissance soudaine peut causer à une organisation. Nous devons donc établir des priorités, élaborer des stratégies et planifier soigneusement le futur afin que de pas être dépassés par les changements rapides. La durabilité découle également d’une gestion solide, souvent négligée dans le secteur caritatif. Ces recommandations peuvent sembler terre-à-terre, mais c’est ainsi que TRIAL International restera un leader dans son domaine et continuera à inspirer les autres.
À l’attention des Représentants permanents des États Membres et Observateurs du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, Genève (Suisse)
Madame, Monsieur la(le) Représentant(e) permanent(e),
En amont de la 39ème session du Conseil des droits de l’homme de l’ONU (« CDH » ou « Conseil »), nous soussignées, des organisations nationales, régionales et internationales de la société civile, vous écrivons afin d’exhorter votre délégation à soutenir une résolution renouvelant le mandat de la Commission d’enquête (CoI) des Nations Unies sur le Burundi[1]. Une telle résolution devrait également assurer une continuité au travail de la CoI par le biais d’un financement adéquat continu de son secrétariat, y compris son travail crucial d’enquête et de rassemblement de preuves.
Le renouvellement du mandat de la CoI est d’une importance capitale pour améliorer la situation des droits humains au Burundi. Il offrirait un certain nombre d’avantages pratiques et concrets. Entre autres, il permettrait au Conseil :
- D’éviter un vide en termes de surveillance de la situation (« monitoring »), ce qui est d’autant plus important que le Gouvernement burundais continue de refuser de coopérer avec le Bureau du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) et de signer un nouveau Mémorandum d’accord concernant la présence de ce dernier dans le pays[2] ;
- De rendre possible une documentation continue des violations et des atteintes aux droits humains en amont des élections de 2020, via des témoignages de victimes, de témoins, de défenseurs des droits humains et d’autres acteurs opérant dans le pays et à l’extérieur ;
- De s’assurer que des rapports continuent à être présentés publiquement et que des débats ont lieu — alors que les observateurs de l’Union africaine poursuivent leur travail de surveillance de la situation au Burundi en dépit d’un certain nombre de restrictions imposées par les autorités, leurs conclusions ne sont pas rendues publiques. Les dialogues interactifs se tenant pendant les sessions du Conseil fournissent le seul espace régulier de discussion publique des développements en matière de droits humains dans le pays ; et
- De permettre à la CoI de continuer à faire la lumière sur certains aspects sous-documentés de la crise — par exemple, la Commission a signalé l’importance de dédier une attention plus importante aux violations des droits économiques, sociaux et culturels.
Pendant la 36ème session du Conseil (septembre 2017), la CoI a informé le CDH qu’elle avait des « motifs raisonnables de croire que de graves violations et atteintes aux droits de l’homme avaient été commises au Burundi depuis 2015 » et que certaines de ces violations pourraient être constitutives de « crimes contre l’humanité ». Lors des 37ème et 38ème sessions du Conseil (mars et juin-juillet 2018), la CoI a décrit une situation politique, sécuritaire, économique, sociale et en termes de droits humains qui ne s’est pas améliorée depuis septembre 2016. En mars 2018, le président de la Commission, M. Doudou Diène, a souligné que la situation du pays continuait de requérir l’attention « urgente » du Conseil. En octobre 2017, la Cour pénale internationale (CPI) autorisait l’ouverture d’une enquête sur les crimes commis au Burundi depuis avril 2015. Un examen préliminaire de la situation avait été ouvert en avril 2016.
Le référendum constitutionnel qui s’est tenu le 17 mai 2018 a été marqué par les violences et la répression, avec notamment des arrestations arbitraires, des tabassages et des actes d’intimidation des citoyens faisant campagne pour le « non »[3]. Selon la Commission, en juin 2018, des « violations des droits de l’homme, parmi lesquelles des exécutions extrajudiciaires, des disparitions forcées, des actes de torture et autres mauvais traitements cruels, inhumains ou dégradants […], favorisées par un climat continu de menaces et d’intimidations », continuent à être commises sans relâche. La CoI a ajouté : « Le fait que plusieurs personnes disparues n’aient pas été retrouvées et que des corps non identifiés continuent d’être découverts dans divers endroits du pays font craindre la persistance de pratiques consistant à se débarrasser des corps des personnes parfois arrêtées par des individus en uniforme de la police ou identifiés comme étant des agents du Service national de renseignement (SNR) ou des Imbonerakure »[4].
Depuis qu’il est devenu membre du Conseil, le 1er janvier 2016, le Burundi a à de multiples reprises lu des déclarations indiquant clairement son refus de coopérer. Le Gouvernement a régulièrement lancé des attaques, descendant parfois à un niveau personnel, contre le Haut-Commissaire, des représentants de l’ONU et des experts indépendants. Il a publiquement et sans aucune base mis en cause l’indépendance, la compétence, le professionnalisme, l’intégrité et la légitimité du Haut-Commissaire Zeid et de son Bureau, et il a menacé et stigmatisé des défenseurs des droits humains et des organisations de la société civile, et s’est livré à des représailles à leur encontre[5]. Un certain nombre de Burundais ayant cherché protection et refuge à l’étranger ont été soumis à des actes de harcèlement et de persécution, notamment par des membres du Service national de renseignement (SNR) et des Imbonerakure.
Les membres de la CoI continuent de se voir refuser l’accès au Burundi. En outre, au moment où cette lettre est écrite, les autorités burundaises ont retiré leurs visas à l’équipe d’experts mandatée par la résolution 36/2 du CDH, en dépit du fait que celle-ci a été adoptée à l’initiative du Burundi et avec son soutien et celui de membres de son groupe régional. Le comportement du Burundi à cet égard est clairement en violation de ses obligations de membre du Conseil.
Tout en rappelant la lettre qu’un groupe d’organisations de la société civile a écrite en septembre 2017[6], nous exhortons le Conseil, conformément au mandat qui lui a été conféré de répondre aux violations des droits de l’homme, notamment lorsque celles-ci sont flagrantes et systématiques, à préparer le terrain à la reddition de comptes en renouvelant le mandat de la CoI afin de lui permettre de continuer à suivre les développements dans le pays, à rassembler des informations sur les violations et atteintes commises et à faire rapport de façon publique sur la situation.
Nous vous remercions de l’attention que vous porterez à ces préoccupations et nous tenons prêts à fournir à votre délégation toute information supplémentaire dont vous auriez besoin. Nous vous prions de croire, Madame, Monsieur, en l’assurance de notre respectueuse considération.
Action des chrétiens pour l’abolition de la torture – Burundi (ACAT-Burundi)
Amnesty International
Assistance Mission for Africa
Association burundaise pour la protection des droits humains et des personnes détenues (APRODH)
Association for Human Rights in Ethiopia (AHRE)
Centre for Civil and Political Rights (CCPR)
CIVICUS: World Alliance for Citizen Participation
Coalition burundaise pour la Cour pénale internationale (CB-CPI)
Coalition burundaise des défenseurs des droits de l’homme (CBDDH)
Collectif des avocats pour la défense des victimes de crimes de droit international commis au Burundi (CAVIB)
Community Empowerment for Progress Organisation South Sudan (CEPO)
DefendDefenders (the East and Horn of Africa Human Rights Defenders Project)
Eritrean Law Society (ELS)
Eritrean Movement for Democracy and Human Rights (EMDHR)
Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH)
Fédération internationale de l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (FIACAT)
Forum pour la conscience et le développement (FOCODE)
Forum pour le renforcement de la société civile au Burundi (FORSC)
Global Centre for the Responsibility to Protect (GCR2P)
Human Rights Concern – Eritrea (HRCE)
Human Rights Institute of South Africa (HURISA)
Human Rights Watch
Information Forum for Eritrea (IFE)
International Commission of Jurists (ICJ)
International Youth for Africa
Ligue Iteka
Mouvement des femmes et des filles pour la paix et la sécurité (MFFPS)
National Coalition of Human Rights Defenders – Kenya
National Coalition of Human Rights Defenders – Uganda
Organisation mondiale contre la torture (OMCT)
Pan Africa Human Rights Defenders Network
Reporters Sans Frontières
Réseau des citoyens probes (RCP)
Service international pour les droits de l’Homme (SIDH)
SOS-Torture
Tanzania Human Rights Defenders Coalition (THRDC)
The Ecumenical Network for Central Africa (ÖNZ)
TRIAL International
Union burundaise des journalistes (UBJ)
[1] Voir le site Internet de la CoI : www.ohchr.org/EN/HRBodies/HRC/CoIBurundi/Pages/CoIBurundi.aspx
[2] Voir le discours de la Haute-Commissaire adjointe des Nations Unies aux droits de l’homme lors de la 37ème session du Conseil (HCDH, « Introduction to country reports/briefings/updates of the Secretary-General and the High Commissioner under item 2 », 21-22 mars 2018, www.ohchr.org/EN/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=22875&LangID=E, consulté le 20 juillet 2018).
[3] FIDH et Ligue Iteka, « Référendum constitutionnel à marche forcée au Burundi », mai 2018, www.fidh.org/fr/regions/afrique/burundi/burundi-une-reforme-constitutionnelle-repressive-pour-concentrer-les (consulté le 27 juillet 2018).
[4] HCDH, « Présentation orale de la Commission d’enquête sur le Burundi au Conseil des droits de l’homme », 27 juin 2018, www.ohchr.org/EN/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=23274&LangID=F (consulté le 20 juillet 2018).
[5] Voir DefendDefenders, « Fuite en avant : Le comportement du Burundi en tant que membre du Conseil des droits de l’Homme de l’ONU », www.defenddefenders.org/publication/headlong-rush-burundis-behaviour-as-a-member-of-the-un-human-rights-council/#French (consulté le 25 juillet 2018).
[6] “Renewing the Mandate of the Commission of Inquiry on Burundi and Ensuring Accountability for Serious Crimes,” 19 September 2018, www.defenddefenders.org/press_release/hrc36-renewing-the-mandate-of-the-commission-of-inquiry-on-burundi-and-ensuring-accountability-for-serious-crimes/ (accessed 20 July 2018).
Une initiative propose de faire primer la Constitution suisse sur le droit international. Un scenario aux conséquences potentiellement désastreuses pour les droits humains, à laquelle TRIAL s’oppose fermement.
L’initiative prévoit notamment que la Suisse puisse se soustraire aux décisions de la Cour européenne des droits de l’homme. Qualifié par ses détracteurs de « justice étrangère », cet organe constitue au contraire un rempart contre l’arbitraire étatique et veille au respect de la Convention européenne des droits de l’homme.
Si l’initiative était votée, la Suisse renoncerait au principal instrument international garantissant le respect des droits humains. Elle se priverait de l’ultime moyen de recours pour celles et ceux dont les droits auraient été bafoués par la plus haute instance nationale.
Philip Grant, Directeur de TRIAL International, s’insurge : « Nous défendons depuis des années des victimes en Bosnie, au Congo, au Népal ou ailleurs. En ce moment, elles doivent nous prendre pour des dingues : ‘Vous avez patiemment construit un système qui garantit et protège vos libertés, et vous voudriez vous en débarrasser ?’ Les conventions internationales nous protègent. S’en priver, c’est nous enlever nos droits et s’en prendre à nos libertés. »
Pour s’opposer à cette proposition, TRIAL International a rejoint le Comité romand : non à l’initiative anti-droits humains, qui appelle donc les Suisses à voter NON le 25 novembre 2018.
Ce soir, la Haute Cour militaire de la République démocratique du Congo (HCM) a confirmé la condamnation des 11 prévenus dans l’affaire Kavumu. Ces derniers avaient été condamnés en première instance pour viols constitutifs de crimes contre l’humanité – décision à présent confirmée par la plus haute instance militaire du pays.
TRIAL International salue la décision de la HCM, qui confirme la solidité du dossier. Elle se réjouit particulièrement de la condamnation à perpétuité du député provincial, Frédéric Batumike, qui constitue un précédent historique en RDC. Cette décision prouve que personne, indifféremment de son statut social ou politique, n’est au-dessus de la loi.
« La plus haute juridiction militaire de la RDC envoie ainsi un signal clair et bienvenu contre l’impunité » se réjouit Daniele Perissi, responsable du programme RDC de TRIAL International. « Elle enjoint ainsi les autorités à appliquer le droit de la manière la plus large possible, renforçant une justice forte, équitable et accessible à tous. »
Un constat partagé par Karen Naimer, Directrice du programme violences sexuelles en zones de conflit pour Physicians for Human Rights, partenaire de TRIAL International dans le dossier. « Cette affaire prouve l’importance de renforcer les procédures nationales, qui constituent le premier et le plus important niveau de la justice, y compris pour les crimes internationaux comme ceux qui ont été commis à Kavumu. »
La société civile unie et mobilisée
Si ce procès a pu arriver à son terme, c’est entre autres grâce à la mobilisation de la société civile congolaise et internationale. Ensembles, elles ont combiné leurs expertises pour attirer l’attention des autorités nationales et présenter un dossier solide.
TRIAL International soutient les victimes de Kavumu depuis 2015, en tant que membre de la Task Force pour la justice pénale internationale au Sud-Kivu. Dans le cadre de cette dernière, l’ONG a contribué à l’accompagnement juridique des victimes et de leurs familles, notamment dans la documentation des crimes et l’élaboration de la stratégie juridique.
En coopération avec l’organisation Physicians for Human Rights et l’hôpital de Panzi, TRIAL International a également facilité l’organisation d’examens médicaux et psychologiques vidéo-filmés des fillettes violées.
Pas de responsabilité civile pour l’État congolais
Dans son verdict, la HCM n’a malheureusement pas reconnu la faillite de l’État congolais à son obligation de protéger la population civile. Les parties civiles, assistées par TRIAL International, avaient invoquées que les moyens mis en œuvre pour faire cesser les crimes et pour poursuivre les coupables étaient largement insuffisants. Les juges n’ont hélas pas retenu cet argument.
« Nous sommes déçus de cette décision, car peu importe par qui sont commis les crimes de masse : la responsabilité de l’État reste centrale. Il est particulièrement important de le rappeler en RDC, où de nombreux crimes sont commis par des milices ou des groupes non-étatiques », explique Daniele Perissi.
Par ailleurs, la HCM a confirmé les réparations octroyées aux victimes en première instance. Un point positif, mais qui ne couvre pas l’ensemble de leurs besoins, notamment en matière d’accès aux soins. Les réparations restent trop souvent les enfants pauvres du processus pénal, en RDC comme ailleurs.
Malgré ces lacunes, le verdict de l’affaire Kavumu constitue un immense symbole d’espoir pour toutes les victimes d’atrocités dans l’est de la RDC.
Lisez l’arrêt rendu par la Haute Cour militaire.