Le journaliste Egide Mwemero a été torturé en RDC pour des « crimes » commis au Burundi. Une affaire qui illustre le musèlement des médias dans la région.  

La Radio Publique Africaine (RPA), l’un des médias les plus populaires au Burundi, a été dans la ligne de mire du gouvernement dès le début de la crise. Son siège a été saccagé et de nombreux journalistes ont dû fuir le pays. Le directeur de la RPA, Bob Rugurika, a lui aussi eu des démêlés avec la justice.

Mais les journalistes de la RPA, même exilés, ont continué de faire entendre leur voix. En octobre 2015, ils ont créé l’émission Humura, afin de continuer d’informer leurs concitoyens. Grâce à un partenariat avec la radio congolaise Le Messager du Peuple, l’émission est diffusée au Burundi. La radio émet depuis Uvira, une ville proche de la frontière entre RDC et Burundi.

 

Le prix du droit d’informer 

Egide Mwemero est journaliste et technicien à la RPA. Comme de nombreux confrères, il s’était refugié au Rwanda avec sa famille. Le 13 octobre 2015, il a été envoyé à Uvira pour résoudre une panne technique. Le jour même de son arrivée, il a été arrêté sans explication.

Pendant plus de six mois, Egide Mwemero a été détenu et torturé à plusieurs reprises. Il n’a jamais pu rencontrer son avocat. Son calvaire a duré près d’un an. Le 27 septembre 2016, il a enfin été libéré et a pu regagner Kigali auprès de sa femme et de leur bébé.

 

« Justice pour ce que j’ai vécu »

Egide n’a toujours pas obtenu justice, c’est pourquoi TRIAL International a soumis un rapport au Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Le but de cette action est de faire ouvrir une enquête et la poursuite des responsables.

« Je ne demande que justice », explique Egide Mwemero. « J’espère que les responsables seront poursuivis et sanctionnés pour ce qu’ils m’ont fait vivre ».

 

Un op-ed de Manuel Vergara

Manuel Vergara, directeur juridique de la FIBGAR et collaborateur du rapport annuel sur la compétence universelle de TRIAL, s’exprime sur la volonté des victimes, le procès Habré et les revers juridiques.

Le succès que connait la compétence universelle est incontestablement lié à la détermination des victimes d’aller rechercher la justice au-delà des frontières de leur pays. Cette volonté découle elle-même d’une meilleure connaissance du droit international pénal et de ses mécanismes, à la diffusion dans les traités de clauses telles que aut dedere aut judicare* ainsi qu’à l’action de juges et de procureurs indépendants.

La compétence universelle a connu des hauts et des bas. De nombreux observateurs et universitaires ont craint sa disparition lorsque deux des pays les plus actifs dans ce domaine, l’Espagne et la Belgique, sont revenus sur leur pouvoir de poursuivre des criminels internationaux. Pourtant, la compétence universelle a prouvé sa résilience, notamment avec la prolifération de nouvelles affaires en Afrique et en Amérique du Sud, qui représentent un signe encourageant pour l’avenir.

 

Les victimes sont le moteur de la compétence universelle

Le 30 mai 2016, j’ai assisté à la lecture publique du jugement d’Hissène Habré à Dakar (Sénégal) avec le juge Baltasar Garzón**. A la fin de la session, toutes les victimes sont restées silencieuses et ont attendu poliment que les magistrats aient quitté la salle d’audience. Mais aussitôt ces derniers partis, elles ont commencé à pleurer, rire, crier, danser. Certaines d’entre elles sont venues vers le juge Garzón pour partager leur joie et leur soulagement : « Merci. Tout a commencé avec l’affaire Pinochet, c’est d’elle que nous nous sommes inspirés ».

Cela montre le pouvoir de la compétence universelle et la façon dont elle peut aider la justice et encourager des individus ordinaires à lutter contre l’impunité. Les victimes de crimes internationaux sont inévitablement des victimes universelles.

La justice n’est jamais quelque chose de simple. Même la poursuite de crimes ordinaires est confrontée à des problèmes de corruption ou de manque d’indépendance et d’impartialité des juges. Naturellement, la compétence universelle multiplie ce genre de difficultés. Les pressions économiques, politiques ou diplomatiques peuvent décourager les états d’appliquer la compétence universelle. Toutefois, ces problèmes sont ceux du juridique en général, et présentent les mêmes solutions : des institutions solides, un Etat de droit et un engagement sincère envers la justice.

Manuel Vergara, directeur juridique de la FIBGAR

 

* Aut dedere aut judicare, ou “extrader ou poursuivre”, reflète l’obligation de l’Etat soit de punir les crimes présumés, soit de déléguer cette obligation à un autre état en extradant le criminel présumé.

** Le juge Garzón est le juge d’instruction qui a émis le mandat d’arrêt contre Augusto Pinochet en 1998, perçue comme un moment fondateur pour la compétence universelle.

 

Manuel Vergara est le directeur juridique de la Fondation Internationale Baltasar Garzón (FIBGAR). Avocat qualifié, il a travaillé comme conseiller au Bureau du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme à Phnom Penh (Cambodge) et pour l’Organisation internationale du travail à Jakarta (Indonésie). Il enseigne actuellement le droit pénal à l’IE University en Espagne. Ces trois dernières années, Manuel Vergara a été chargé de l’élaboration, la publication, la promotion et la diffusion des Principes de Madrid-Buenos Aires sur la compétence universelle.

 

La Journée internationale de soutien aux victimes de la torture rappelle que ce crime détruit des vies entières. En effet, comment se reconstruire après des actes aussi inhumains ?

« Il y avait deux tables, un baquet d’eau, une poulie et deux bâtons qui ressemblaient à des battes de base-ball. Je me souviens du froid et de la peur qui m’ont envahi. »

Abdennacer Naït-Liman a été torturé dans les prisons tunisiennes pour s’être opposé au régime de Ben Ali. Comme des milliers de victimes à travers le monde, il attend encore de voir ses souffrances reconnues et ses bourreaux condamnés.

Les victimes de torture portent souvent des séquelles à vie. Abdennacer Naït-Liman a failli perdre l’usage d’une main et d’un pied. D’autres cicatrices sont invisibles : « Les souffrances n’étaient pas que physiques : ils ont tenté de briser mon âme aussi, par les menaces, l’isolement, les simulacres d’exécution » se souvient-il.

 

Un mal multiforme

Au Népal, Lakpa Tamang a été torturé alors qu’il n’avait que 11 ans, faussement accusé d’avoir volé des bijoux. S’il a obtenu des compensations, sa vie est loin d’avoir retrouvé son cours normal : il souffre de stress post-traumatique et a dû arrêter ses études. Les victimes qui habitent dans des zones rurales, loin de tout médecin spécialiste, sont souvent peu ou mal accompagnées. Dans des cas extrêmes, les séquelles psychologiques se répercutent sur les générations suivantes.

Les troubles psychologiques peuvent aussi s’accompagner d’isolement social. En RDC, il n’est pas rare qu’une femme victime de violences sexuelles – qui constituent une forme spécifique de torture – soit rejetée par sa famille. Ainsi, N. a été a été mise au ban de sa communauté et abandonnée par son mari suite à son viol par un militaire.

Enfin, la détresse psychologique et l’isolement social placent la victime dans des conditions souvent précaires. Privées de leur cercle de proches, elles peuvent se retrouver sans argent et même sans maison. Il leur est parfois impossible de retrouver du travail, comme cela a été le cas pour André au Burundi. Face à cette indigence, la reconstruction psychologique est souvent reléguée au second plan… empirant encore leur situation.

 

Aller de l’avant

Comment alors reprendre possession de sa vie ? L’accès à la justice est souvent une étape importante de la reconstruction des victimes, selon la psychologue Besima Catic : « Quand quelqu’un vous fait du mal, il est normal de vouloir voir cette personne punie. C’est une étape nécessaire pour les victimes. »

Outre l’importance symbolique et psychologique des poursuites, toute victime a droit à des réparations pour les torts subis. Et ces réparations peuvent aider très concrètement les victimes à retrouver leur dignité : en payant pour des soins médicaux, un accompagnement psychologique, un logement loin des lieux du crime ou une formation pour changer de métier. « Si je n’avais pas reçu cet argent, je ne sais pas comment j’aurais pu acheter mes médicaments et tout le reste, je n’aurais pas eu l’argent nécessaire » témoigne V., une victime en Bosnie-Herzégovine.

C’est pour des victimes de torture comme V., André, Abdennacer et Lakpa que TRIAL International se bat tous les jours. L’organisation les aide à obtenir justice et réparations, et les soutient dans leur réhabilitation.

Soutenir l’action de TRIAL International contre la torture

Lire aussi : Non, M. Trump, la torture ne peut jamais être légale

Me Janvier Bigirimana a participé à une formation de TRIAL International en 2014. Comment ces nouvelles connaissances l’ont-elles aidé dans son combat contre l’impunité ?

Pouvez-vous vous présenter et expliquer votre parcours ?

Janvier Bigirimana: « Je m’appelle Janvier Bigirimana, je suis avocat au Barreau de Bujumbura depuis mai 2011. Je suis spécialiste des droits humains et ai défendu des dossiers impliquant de hautes autorités politiques, policières ou militaires. J’ai notamment été l’un des avocats de Bob Rugurika, le directeur de la Radio publique africaine lorsqu’il était illégalement emprisonné. Mon travail gênait le pouvoir, en sus de mon engagement au FOCODE, une ONG locale de défense des libertés civiles. »

Comment avez-vous entendu parler de la formation de TRIAL International ?

« C’est mon collègue du FOCODE Pacifique Nininahazwe qui m’a parlé de la formation de TRIAL International. Il avait été sollicité pour proposer des participants et ma réponse ne pouvait être que positive. D’abord, parce que la défense des droits humains est ma passion, que ce soit à l’échelle nationale, régionale ou internationale. Ensuite, parce qu’on a toujours besoin d’apprendre. Je n’ai pas été déçu car ce que j’ai appris m’a été d’une utilité inestimable dans mon travail. »

Quels aspects de la formation vous ont le plus intéressé ?

« La saisine des mécanismes onusiens a été l’aspect le plus intéressant, car peu d’avocats burundais connaissent leur fonctionnement et leurs modalités de saisine. Depuis la formation, j’ai d’ailleurs représenté des victimes devant ces mécanismes.

Un autre élément qui m’a plu est que la formation théorique était couplée avec des cas pratiques. Nous apprenions en faisant, ce qui était très utile. Notre promotion a également eu la chance de participer à une session du Comité contre la torture en novembre 2014 à Genève. »

Une crise politique secoue votre pays depuis 2015. Qu’est-ce qui a changé dans l’exercice de votre métier ?

« Comme je faisais souvent des interventions médiatiques, j’ai commencé à recevoir des menaces indirectes, par le biais des membres de la famille. Ils me disaient que j’étais jeune pour prendre des risques, que je devrais entretenir ma famille au lieu de risquer ma vie. Avec l’escalade des violences et de la répression à Bujumbura, les menaces se sont intensifiées et j’ai dû m’exiler. Je travaille maintenant depuis le Rwanda.

Le système judiciaire burundais étant totalement bloqué, nous portons de plus en plus d’affaires au niveau international. Et cela grâce à la formation de TRIAL International ! J’envisage de me spécialiser dans ce domaine, pour qu’au-delà des affaires individuelles je puisse proposer des changements structurels, pour faciliter l’accès à la justice de chaque victime burundaise. »

 

En cette Journée internationale pour l’élimination des violences sexuelles en temps de conflits, la communauté internationale réitère l’importance de la justice pour prévenir les crimes sexuels.

Longtemps ignorées ou minimisées, les violences sexuelles en temps de guerre restent un crime largement invisible. « Ces crimes ont été exposés au grand jour ces dernières années, largement grâce aux efforts de la société civile » explique Lucie Canal, Conseillère juridique sur les violences sexuelles. « Mais il reste beaucoup à faire : seule une minorité de crimes sexuels sont punis, et d’innombrables criminels courent toujours. »

TRIAL International est convaincue qu’un système judiciaire fort peut prévenir les abus futurs. Plus les chances d’être poursuivi et puni sont hautes, moins les crimes sont susceptibles d’être commis. Mais la lutte contre les violences sexuelles n’en est qu’à ses balbutiements, et contribue donc peu à dissuader de potentiels criminels.

« Nous devons construire une justice suffisamment robuste pour punir les violences qui ont déjà eu lieu, mais aussi pour prévenir de nouvelles atrocités », conclut Lucie Canal.

Que fait TRIAL International contre les violences sexuelles ?  

  • Elle plaide auprès de la communauté internationale pour faire avancer les droits de survivants de violences sexuelles.

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Dans une Communication à la Cour pénale internationale (CPI), TRIAL a avancé que le Burundi manque à son obligation d’enquêter sur les crimes graves et de punir les coupables. Elle demande l’ouverture d’une enquête de la CPI.

Le 25 avril 2016, le Bureau du Procureur (BDP) de la CPI a ouvert un examen préliminaire sur la situation au Burundi. Bien que ce dernier se soit entre-temps retiré de la Cour (la décision ne prend effet qu’un an plus tard) le BDP poursuit son examen qui devrait déterminer l’ouverture ou non d’une enquête.

 

Le principe de complémentarité

Afin de déterminer si une enquête est justifiée, le BDP doit examiner plusieurs éléments dont celui de la complémentarité. Ce principe fondamental pose que les Etats sont les premiers responsables de la poursuite de crimes internationaux. La CPI n’intervient qu’en complément de leur action.

Si les autorités d’un pays font preuve d’une inaction totale, aucune analyse n’est nécessaire : le critère de complémentarité est rempli. Mais la simple ouverture de procédures nationales ne suffit pas non plus : l’Etat doit prouver qu’il enquête réellement sur les crimes et que les coupables sont effectivement poursuivis. Si la justice reste purement formelle, le BDP peut conclure que l’Etat ne peut ou ne veut pas remplir ses obligations, et déclarer en conséquence que le principe complémentarité est satisfait. Où se situe le Burundi sur ce spectre ?

 

Le Burundi a entrepris très peu d’enquêtes…

Dans une Communication confidentielle au BDP, TRIAL International a mis en lumière l’inaction du Burundi, ou son absence de volonté de mener sérieusement l’enquête sur un échantillon d’affaires documentées par l’organisation.  Vu les crimes concernés, les affaires pourraient prima facie tomber sous la juridiction de la Cour.

Dans la plupart des affaires documentées par TRIAL, les autorités burundaises n’ont entrepris aucune action, bien qu’elles aient clairement eu connaissance des crimes.

Par exemple, M.P. (pseudonyme) était membre des Forces défense nationale quand il a été arrêté en août 2015. Il a passé plus d’un mois à être torturé avant d’être transféré en prison. Le même mois, il a dénoncé ces abus auprès d’un procureur, puis auprès de juges lors d’une audience publique. Malgré cela, 19 mois plus tard aucune enquête n’a été ouverte.

 

… et celles-ci sont restées au point mort

Il arrive parfois qu’une enquête soit ouverte, généralement au terme de pressions d’acteurs extérieurs. Mais même dans ces cas, cela n’est pas suivi d’effet.

O.S. (pseudonyme) a été arrêté par des membres de la police et des Imbonerakure et n’a plus été revu depuis. Sous la pression de média et après qu’une première plainte ait été « perdue », le Procureur a ouvert un dossier en janvier 2017. Depuis lors rien n’a bougé, en dépit de nombreuses relances et visites de l’avocat de la victime. Les faits autour de la disparition d’O.S. restent mystérieux et les responsables courent toujours.

Qu’une enquête soit ouverte ou non, l’inaction des autorités burundaises ne pourrait pas être plus évidente. Des milliers de victimes sont donc dépendantes d’un système judiciaire sclérosé qui perpétue l’impunité. Cela pourrait changer si le BDP ouvrait une enquête de la CPI, qui pourrait mener à l’ouverture d’un procès.

Abdennacer Naït-Liman a vécu l’enfer des prisons tunisiennes. Ses tortionnaires n’ont jamais été condamnés. Le 14 juin, TRIAL International défendra son cas devant la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).

Une jeunesse militante

Abdennacer Naït-Liman: « Je suis né l’été 1957 à Jendouba, une ville au nord-ouest de la Tunisie, le cadet de huit enfants. Je me suis engagé en politique alors que j’avais 25 ans. Les années 1980 ont été marquées par une opposition croissante au régime du président Bourguiba. Le mouvement islamique d’opposition (ndlr : aujourd’hui le parti Ennahdha) défendait alors le respect de la dignité, de la liberté d’expression et des droits fondamentaux. Des valeurs qui parlaient au jeune homme que j’étais.

Avec le coup d’état de Ben Ali en 1987, la situation a changé. Surveillance, arrestations arbitraires et tortures sont devenues monnaie courante. Je ne me sentais plus en sécurité. »

Place Garibaldi

« Alors que la répression s’intensifiait, je suis parti quelque temps en Italie. J’ai poursuivi mon engagement à distance, au travers d’une association de défense des droits humains.

L’une de nos plus belles réussites fut une campagne pour dénoncer les graves violations des droits humains par les agents de sécurités en Tunisie. Des affiches sur la place Garibaldi de Parme montrait, de manière assez crue, les victimes de torture tunisiennes. C’était alors la grande époque du tourisme italien en Tunisie et suite à cette campagne, de nombreuses personnes ont annulé leur voyage. Nous avions fait mouche et cela a déplu ! »

Le jour où ma vie a basculé

« Peu après, j’ai appris que la police italienne me recherchait. Je me suis alors spontanément présenté à la gendarmerie. C’était le 22 avril 1992. Ce jour-là, ma vie a basculé.

C’est le service de la sécurité d’Etat qui a traité mon dossier. Ils m’ont demandé de les suivre, m’ont confisqué mes papiers d’identité et m’ont enfermé dans une pièce, sans m’expliquer de quoi il en retournait. J’étais très inquiet, d’autant que je ne pouvais avertir ma femme, enceinte de 6 mois. Quelques jours plus tard, les policiers italiens m’ont conduit à bord d’un avion pour Tunis où ils m’ont remis aux mains de la police tunisienne en leur disant ‘voici votre marchandise’. »

La « salle des opérations »

« Au ministère de l’Intérieur de Tunis, la valse des interrogatoires a commencé : une dizaine de personnes m’ont interrogé, puis j’ai été conduit à « la salle des opérations ». C’était une petite pièce dont les murs étaient couverts de sang. Des morceaux de chair collaient aux murs ici ou là.  Il y avait deux tables, un baquet d’eau, une poulie et deux bâtons qui ressemblaient à des battes de base-ball. Je me souviens du froid et de la peur qui m’ont envahi.

J’ai dû me déshabiller. On m’a ligoté et attaché en position du « poulet rôti » (ndlr : une posture recroquevillée et suspendue, fréquemment employée par les tortionnaires). Les douleurs que j’ai ressenties étaient inhumaines. Les coups de battes et de câbles électriques pleuvaient sur mon corps. Je ne savais pas qu’on pouvait ressentir tant de douleurs.

40 jours durant, j’ai été torturé, matin et soir. Mon corps n’était que souffrance au point d’avoir failli perdre à tout jamais l’usage d’une main et d’un pied. Les souffrances n’étaient pas que physiques : ils ont tenté de briser mon âme aussi, par les menaces, l’isolement, les simulacres d’exécution.»

Survivre

« L’amour pour mes proches, la foi et la solidarité entre détenus m’ont permis de survivre. Je pensais tous les jours à ma femme enceinte et à mes parents, je récitais le Coran, je m’accrochais à chaque bribe d’humanité et de dignité.

A l’extérieur, mes proches ont soulevé des montagnes pour me retrouver. Amnesty International s’est mobilisée et a fait pression pour qu’on retrouve ma trace. Les autorités ont fini par m’octroyer la liberté provisoire en juin 1992 après avoir obtenu des « aveux » sous la torture. J’avais l’interdiction de quitter le territoire jusqu’au jugement.

En novembre 1992, la Cour d’appel m’a condamné à 18 mois de prison ferme. Je savais ce que l’emprisonnement voulait dire : j’avais failli y rester durant 40 jours de détention. Dix-huit mois, je n’en sortirai pas vivant. J’ai choisi de fuir. »

L’exil

« Il a fallu échapper à la surveillance des mouchards du régime pour sortir du quartier. Puis les longs mois d’errance ont commencé. 150 km en taxi jusqu’à Tunis, puis 550 km en train et enfin un second taxi, jusqu’à la frontière libyenne. Ma femme et nos deux enfants en bas âge m’ont rejoint à Tripoli. De là, nous avons gagné la Turquie puis la Suisse, où nous sommes entrés en juin 1993 et avons déposé notre demande d’asile.

Les premières années en Suisse ont été très dures pour ma femme et moi, mais le soutien de nombreuses personnes nous ont aidé à voir le bout du tunnel. En 1995, avons obtenu le statut de réfugié. Cela fait maintenant plus de vingt ans que nous vivons à Versoix (canton de Genève) où nous avons trouvé une forme de quiétude. »

Retrouver sa dignité

« A Genève, j’ai créé une association de soutien aux victimes tunisiennes de torture. En 2001, j’ai déposé une première plainte pénale contre l’ancien ministre qui avait ordonné mes tortures. Cette plainte a été un acte fondateur pour retrouver ma dignité. J’ai su qu’il me fallait poursuivre ma quête de justice par toutes les voies légales possibles.

Plainte au civil, recours au Tribunal fédéral, puis à la Cour européenne des droits de l’homme. Je m’étais préparé à ce que la route soit longue, mais pas à ce point. La justice a jusqu’à présent estimé qu’il n’appartenait pas à la Suisse de statuer sur mon cas, les tortures ayant été commises dans un pays tiers. Mais où donc puis-je obtenir justice si ce n’est dans le pays qui m’a accueilli comme réfugié justement en raison des tortures subies ? La Suisse m’a reconnu comme victime, mais m’a nié le droit de n’être pas qu’une victime. »

La fin du chemin

« Mercredi 14 juin 2017, ma quête de justice arrivera à son étape ultime, après 15 ans de combat. Mon cas sera soumis aux 17 juges de la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme.

Leur décision aura bien sûr un fort impact sur moi, mais aussi sur d’autres victimes de torture sur le sol européen qui pourront légitimement requérir justice depuis le pays où elles ont obtenu l’asile. Ce combat a aussi pris une portée plus large que celle de ma propre histoire. Plusieurs centaines de prisonniers politiques sont morts dans les geôles de Ben Ali.

La nouvelle génération de militants en Tunisie dispose d’outils que nous n’avions pas il y a vingt ans. Grâce au web et aux réseaux sociaux, elle peut faire circuler l’information et dénoncer les exactions bien plus que nous ne pouvions le faire. Je les encourage à en faire bon usage et à combattre la violence avec les armes de la justice, de la liberté et du respect d’autrui. A mes enfants aussi, j’ai souhaité transmettre le goût de la justice plutôt que de la vengeance. »

TRIAL international a débuté un partenariat avec l’ONG WITNESS pour offrir une formation unique en RDC: l’utilisation de vidéos pour poursuivre les crimes internationaux.

Comment l’idée de donner des formations sur la vidéo en RDC vous est-elle venue ?

Daniele Perissi, responsable du programme RDC chez TRIAL International : La RDC un pays immense, dont les infrastructures laissent à désirer. Quand des crimes sont commis dans la jungle, à plusieurs heures de la ville la plus proche, présenter des preuves lors d’un procès peut être compliqué. Grâce aux vidéos, collecter et partager des preuves serait plus rapide et facile, et aiderait à constituer des dossiers plus solides.

Par exemple, faire venir des victimes pour témoigner devant une cour peut être compliqué, humainement et logistiquement. Les filmer anonymement et dans un environnement familial serait moins traumatisant et donnerait de meilleurs résultats. Les images des scènes de crimes et des alentours permettraient aussi de placer leur récit dans leur contexte, avec de nombreux détails.

Y a-t-il des risques à utiliser la vidéo ?

Kelly Matheson, Avocate senior et responsable de programme chez WITNESS : La vidéo est un outil puissant pour exposer la vérité. Mais il a ses limites et peut faire plus de mal que de bien, s’il n’est pas utilisé avec précaution. Lors de notre formation, nous fournissons une liste de questions pour évaluer la pertinence de la vidéo. La sécurité est bien sûr fondamentale : la sécurité de la personne qui filme, de celle qui est filmée et de la communauté où le tournage a lieu.

La vidéo est-elle une pratique émergente dans le domaine juridique ?

Kelly Matheson : Pas du tout, les vidéos sont utilisées depuis longtemps dans des procédures nationales et internationales. Des films des camps de concentration ont été projetés aux procès de Nuremberg. Ce sont surtout les auteurs des vidéos qui ont évolué : les gens ordinaires filment désormais plus que les professionnels. En Syrie par exemple, la majorité des vidéos sont prises par des activistes et non des journalistes.

Nanjala Nyabola, responsable du programme Afrique chez WITNESS : Cette transition signifie une augmentation massive du nombre de vidéos, et cette tendance va s’accélérer. Notre défi concerne maintenant la vérification. Si n’importe qui peut filmer et diffuser n’importe quel contenu, établir sa crédibilité devient primordial.

L’est de la RDC (où la formation sera délivrée) est une région peu avancée technologiquement. Comment surmonter cette difficulté ?  

Nanjala Nyambola : WITNESS a l’habitude de délivrer des formations dans des environnements peu technologisés. Nous adaptons nos sessions aux technologies disponibles sur place, en montrant comment les exploiter au mieux. Par exemple, les smartphones sont très répandus en RDC : nous expliquerons comment cet outil peut aussi servir à la récolte de preuves.

Daniele Perissi : La formation a été conçue spécialement pour la RDC, ainsi les limites technologiques ont été prises en considération depuis le début. Nous formons les participants à filmer avec des smartphones, très répandus. Nous prêterons également de vraies caméras. En format des groupes restreints sur une longue période, chaque participant aura une chance de tester les outils pendant la formation.

Kelly Matheson : De plus, la formation va au-delà de la question des technologies. Ce qui donne aux gens le pouvoir de changer les choses, c’est de savoir quand, quoi et comment filmer : le matériel et le réseau sont juste des outils.

 

TRIAL International fête aujourd’hui ses 15 ans d’existence. 15 années de combat incessant contre l’impunité et de soutien sans failles aux victimes d’atrocités. L’organisation demeure fidèle à la mission qui est la sienne depuis ses débuts, mais a renforcé son impact et élargi son champ d’intervention. Ses 15 ans sont aussi marqués par un autre changement : celui de son Président. Daniel Bolomey, ancien Secrétaire général d’Amnesty Suisse, succède ainsi au Président sortant Giorgio Malinverni. C’est avec enthousiasme et conviction que l’infatigable défenseur des droits humains prend la présidence de TRIAL international. Il partage avec nous sa vision.

TRIAL international : Comment est né votre engagement pour les droits humains ?

Daniel Bolomey: C’est un combat de longue date pour moi, qui s’inscrit dans la culture militante des années 1970 : les luttes de libération nationales, la mobilisation contre la guerre du Vietnam et contre le fascisme toujours présent en Europe (Grèce, Espagne et Portugal) et en Amérique latine. J’y ai été sensibilisé au contact des travailleurs immigrés en Suisse et des personnes qui avaient dû fuir leur pays. La Suisse était à l’époque une terre plus accueillante pour ces derniers. J’ai ainsi milité très tôt pour le respect des droits fondamentaux, ainsi que pour les droits sociaux et culturels. Cela s’est traduit notamment par mon engagement auprès de la Ligue suisse des droits de l’homme et dans le mouvement syndical.

Vous êtes connu pour votre rôle de Secrétaire général de la Section suisse d’Amnesty International… 

En effet, mon parcours au sein d’Amnesty a duré plus de 25 ans ! D’abord comme chargé de campagne et porte-parole, puis de responsable de la communication, avant de prendre la tête de l’organisation en Suisse en 2001. Après 10 années passées au poste de Secrétaire général, j’ai souhaité laisser la place à d’autres, d’autant qu’une brillante relève était assurée ! J’ai ensuite travaillé deux ans auprès du Secrétaire général international, à Londres.

Quels ont été vos combats le plus marquants en faveur des droits humains durant cette période ?

Ils ont été nombreux ! Je me souviens en particulier de l’affaire Pinochet, dont l’arrestation a eu lieu alors que l’on fêtait le 50e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Je me suis alors dit : si on peut arrêter Pinochet, la lutte contre l’impunité n’est pas un vain mot. Cette affaire a été un moteur pour moi, tant le coup d’état qui avait mis Pinochet au pouvoir m’avait marqué.

L’ouverture du mandat d’Amnesty aux droits sociaux et culturels a aussi fait partie de mes engagements. A l’issue d’un débat de plusieurs années, le mandat a été officiellement élargi à Dakar en 2001 : cela a été une immense satisfaction pour moi, en phase avec mes convictions. Enfin, la cause qui m’a sans doute le plus tenu à cœur, c’est la lutte contre les violences faites aux femmes. Dans les années 1990, je me suis fortement investi pour la campagne mondiale d’Amnesty qui dénonçait les viols de masse commis en ex-Yougoslavie. J’ai beaucoup œuvré pour qu’à l’interne aussi, Amnesty progresse sur les questions de genre.

Y-a-t-il eu des causes oubliées ?

Le Rwanda représente à mes yeux le grand échec de la communauté internationale. Je me suis rendu au Rwanda un an après le génocide et j’en suis revenu complètement bouleversé. Nous portons tous une part de responsabilité face à cette tragédie.

Vous reprenez à présent la présidence de TRIAL International. Pourquoi ?

C’est une continuité de mes engagements. Cela fait quatre ans que je suis membre du Comité de TRIAL international et durant cette période, j’ai pu constater la pertinence du travail accompli. La détermination des équipes force l’admiration et fait écho à mon propre engagement. Je suis heureux de contribuer à cette organisation pour laquelle j’ai le plus profond respect. C’est un grand défi que de prendre la présidence alors que l’organisation arrive à sa maturité. Je me réjouis de présider TRIAL International à ce moment charnière et de pouvoir l’accompagner dans son développement.

Qu’est-ce qui vous touche en particulier dans la mission et le travail accompli par
TRIAL International ?

Le combat pour la justice est fondamental à mes yeux, tout comme la lutte pour que les victimes obtiennent réparation. J’aime aussi le fait que TRIAL travaille sur des dossiers concrets, qu’elle obtienne des résultats et fasse bouger le curseur de la jurisprudence à l’échelle internationale. TRIAL International tisse enfin des relations étroites et respectueuses avec les victimes qu’elle défend, c’est une déontologie qui me tient à cœur.

Comment envisagez-vous votre rôle de Président et quelle nouvelle dimension souhaitez-vous lui apporter ?

Je n’envisage pas ma fonction comme un rôle honorifique, mais comme une responsabilité que j’endosse avec sérieux. Je compte mettre mon expérience au service de l’organisation, notamment au niveau du renforcement de la gouvernance ainsi que de son développement à l’international.

Je souhaite de plus que nous renforcions notre engagement en faveur de la responsabilité des entreprises, car l’économie mondialisée pèse de tout son poids sur les questions de justice.

Quels seront les défis majeurs pour TRIAL International dans le futur et quels combat l’organisation devra-elle selon vous mener en priorité ?

Nous vivons une époque complexe où la notion même de droit est régulièrement attaquée, par les populismes notamment. Dans un tel climat, le combat des victimes n’est pas assez entendu ni compris. Il faudra donc se battre pour que le droit, en particulier le droit international, demeure un principe cardinal. Ce combat n’est pas aisé, car il doit être mener à tous les niveaux : éducation, sensibilisation, politique, judiciaire, etc.

J’ai confiance dans le fait que TRIAL International emploiera les forces nécessaires dans cette bataille, dans les limites de sa mission (ndlr : la lutte contre l’impunité pour les crimes internationaux). En outre, les ONG ne peuvent et ne doivent pas en être les seuls acteurs : il est indispensable de sensibiliser la jeunesse et de la former à avoir davantage d’esprit critique. Le rôle du politique est tout aussi fondamental, il faut ramener de l’intelligence dans cette arène et garantir l’indépendance de la justice tout en  lui donnant les moyens d’agir, c’est une condition de la démocratie. C’est en conjuguant nos forces que nous nous assurerons que la justice demeure une valeur universelle, qui nous concerne tous et qui s’applique à tous.

 

TRIAL International a obtenu 12 décisions positives devant le Comité des droits de l’homme de l’ONU (CDH). Mais la bataille pour leur application est loin d’être terminée.

Au cours des huit dernières années, TRIAL International a porté douze affaires de disparitions forcées devant le CDH. Pas moins de 53 proches de 26 personnes disparues ont été représentées.

Chacune de ces douze affaires ont abouti à des décisions positives. Mais malgré ce succès, leur mise en œuvre a été très limitée.

« Le CDH ne possède pas de mécanisme d’exécutions de ses décisions, cette tâche incombe aux Etats », explique Adrijana Hanušić Bećirović, conseillère juridique pour TRIAL à Sarajevo. « Plusieurs obstacles entravent leur mise en œuvre en Bosnie-Herzégovine, notamment un retard considérable dans les crimes de guerre encore à instruire, la difficulté technique de retrouver des personnes disparues et des ressources insuffisantes qui mènent à une absence de compensations. A cela s’ajoute un manque indéniable de volonté politique. »

En mars 2017, le CDH a exprimé son inquiétude quant à l’inertie de la Bosnie face à ses décisions. Une fois de plus, il a appelé l’Etat à garantir le droit des victimes à la vérité, la justice et les recours effectifs. Il a également demandé l’établissement d’un mécanisme d’exécution et de suivi.

Plaidoyer pour un mécanisme de coordination efficace

TRIAL International plaide pour une application des décisions du CDH depuis qu’elles ont été formulées. L’organisation a rencontré entre autres des représentants du Bureau du Procureur, de l’Institut des Personnes Disparues, du ministère pour les Droits Humains et les Réfugiés et la Commission des droits humains du parlement fédéral.

En 2016, TRIAL International a rencontré l’Ombudsman pour les droits humains et un parlementaire, leur demandant de soulever devant le Conseil des ministres la non-application des décisions du CDH. Suite à la rencontre avec l’Ombudsman, une plainte a été déposée.

L’Ombudsman et le parlementaire ont tous deux demandé une explication au ministère pour les Droits Humains et les Réfugiés. Ce dernier a récemment répondu qu’il soumettrait un projet de loi sur l’application des recommandations des organes internationaux de droits humains. Il consultera pour cela le ministère de la Justice et le Bureau du représentant de la Bosnie-Herzégovine devant la Cour européenne des droits de l’homme.

« Nous sommes très satisfaits de ces avancées », conclut Adrijana Hanušić Bećirović. « Nos efforts pour faire appliquer les décisions seront grandement facilités par un mécanisme de coordination. Avec cette procédure, les choses pourraient enfin bouger pour les victimes. »

Un op-ed de Valérie Paulet

Depuis 6 ans, la communauté internationale n’a pas su à mettre un terme au massacre de civils en Syrie. La poursuite des bourreaux au niveau international a été entravées à plusieurs reprises. Ces crimes resteront-ils pour autant impunis ? Pas nécessairement. En effet, plusieurs États ont pris cette impunité à bras le corps et initié des poursuites au niveau national, grâce à la compétence universelle.

Certains crimes, comme le bombardement de civils, l’utilisation d’armes chimiques ou la torture, sont trop odieux pour rester impunis. Ils réveillent les consciences et menacent la paix et la sécurité internationales. Les auteurs doivent être traduits en justice.

Mais la Cour pénale internationale (CPI) n’agit que sur un mandat spécifique, axé sur la poursuite des États qui ont ratifié ou accepté le Statut de Rome.

Même parmi ses membres, la CPI n’est compétente que si les États ne veulent ou ne peuvent pas poursuivre les auteurs présumés. Le niveau volonté d’un est d’ailleurs difficile à évaluer : en Colombie, par exemple, la CPI n’a jamais affirmé sa compétence puisque certains coupables – FARC et paramilitaires – avaient bien été jugés devant les tribunaux nationaux.

Ces restrictions laissent ainsi des milliers de victimes en dehors de la protection de la CPI – y compris les victimes syriennes, puisque le pays n’a pas ratifié le Statut de Rome. Cependant, ces restrictions ont également ouvert une voie aux États qui souhaiteraient intervenir.

 

La compétence universelle en action

Grâce au principe de compétence universelle, les États peuvent poursuivre les criminels qui se trouvent sur leur territoire, quel que soit l’endroit où les crimes ont été commis ou la nationalité des auteurs et des victimes. La compétence universelle s’applique aux crimes de génocide, crimes contre l’humanité, crimes de guerre, à la torture et aux disparitions forcées. L’intérêt de ces procédures pour des régions de non-droit, comme la Syrie, est évident.

En mars 2017, TRIAL International a publié son troisième rapport annuel sur la compétence universelle, Make Way for Justice #3. En examinant 47 cas dans 13 pays différents, le rapport reflète la réalisation d’une promesse faite par plusieurs États : ces crimes internationaux ne peuvent rester impunis.

Des affaires éminentes du rapport – comme l’ex-dictateur tchadien Hissène Habré – montrent que la juridiction universelle porte ses fruits. En 2016, 11 suspects de crimes de guerre syriens ont été arrêtés et quatre d’entre eux ont été condamnés. Entre la Finlande, l’Allemagne et la Suède, trois ressortissants irakiens ont été condamnés pour crimes de guerre et quatre autres sont actuellement en procès.

Sans compétence universelle, ces auteurs n’auraient jamais eu à répondre de leurs actes. Des criminels de bas-rangs aux États non-membres de la CPI, la compétence universelle est un outil précieux pour les victimes et ouvre une nouvelle voie vers la justice.

 

CPI et compétence universelle : deux voies pour un combat

Parce que la CPI ne peut traiter que d’un nombre limité de cas, le Bureau du Procureur de la CPI devrait faire de la coopération avec les États le pilier central de sa stratégie.

Leur objectif est le même : que les criminels internationaux ne puissent leur échapper.

Un certain nombre d’États ont créé des unités de crimes de guerre : des unités spécialisées de police, de poursuites et d’immigration chargées d’enquêter sur les crimes internationaux.

Mais ces unités sont confrontées à des défis extraordinaires, et leurs ressources sont bien inférieures à la complexité de leur tâche : recueillir des preuves en zone de guerre, contacter les victimes et les témoins de crimes commis à l’étranger il y a des années, composer avec une coopération internationale difficile, les problèmes de traduction, etc.

Les unités de crimes de guerre bénéficieraient sans doute de l’expertise et les ressources des enauêteurs spécialisés du Bureau du Procureur. Cela est particulièrement vrai lorsque les autorités nationales effectuent des enquêtes dans la même zone de conflit que la CPI.

Le mécanisme nouvellement créé sur les crimes commis en Syrie offrira d’excellentes occasions aux États d’affirmer leur compétence. Il est temps pour tous les acteurs de la scène internationale de collaborer dans la lutte contre l’impunité et d’allouer des moyens suffisants à cette cause.

Valérie Paulet, Coordinatrice de TRIAL Watch,

@valeriepaulet

Article originellement publié sur le site de la Coalition pour la Court Pénale Internationale

 

 

 

Quatre représentants d’ONG burundaises étaient de passage à Genève. Pour TRIAL International, Pierre-Claver MBONIMPA (Président de l’APRODH), Me Armel NIYONGERE (Président de l’ACAT-Burundi et Directeur de SOS-Torture Burundi), Me Janvier BIGIRIMANA (Secrétaire général du FOCODE) et Gordien NIYUNGEKO (Secrétaire exécutif du FOCODE) ont fait le point sur une situation bien sombre de leur pays.

C’est un plaisir d’être à Genève et de rencontrer personnellement nos partenaires, dont TRIAL International. Nous sommes en Suisse pour faire part au Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires de la situation alarmante au Burundi, notamment des cas documentés par nos organisations. Mais les rencontres avec d’autres acteurs-clés de la communauté internationale sont tout aussi importantes : nous avons besoin de partenaires et d’interlocuteurs institutionnels pour relayer notre lutte.

Nous sommes très satisfaits qu’une Commission d’enquête ait été constituée par les Nations Unies. Son existence prouve l’existence d’un problème de fond que les autorités burundaises s’obstinent à nier.

Le refus de notre gouvernement de coopérer avec la communauté internationale est un aveu de faiblesse et de leur manque d’arguments. Cela prouve aussi que les dirigeants craignent les conséquences de leurs actes !

 

Des conditions difficiles

Aujourd’hui, nous vivons tous en exil. Les premiers mois de la crise, nous restions sur place pour dénoncer les abus. Mais en tant que figures connues de de la société civile, nous étions dans la ligne de mire du gouvernement. L’étau se resserrait et nous avons dû fuir avec nos familles.

De nombreux défenseurs des droits humains vivent encore au Burundi. Ils sont moins clairement identifiés par le gouvernement, mais restent très exposés. Nous sommes en contact quotidien avec eux, notamment via WhatsApp et d’autres réseaux sociaux.

En tant qu’exilés, notre rôle est d’amasser des preuves et de témoigner. Comme nous sommes hors du pays, nous pouvons voyager librement pour alerter la communauté internationale.

Notre combat est difficile et les victoires sont rares. Mais à chaque visite à Genève, nous contribuons à remettre la crise burundaise sur le devant de la scène.

Nous ne pouvons pas baisser les bras. Peu importe la longueur de la nuit le soleil finira par se lever !

Pierre-Claver MBONIMPA, Président de l’APRODH
Me Armel NIYONGERE, Président de l’ACAT-Burundi et Directeur de SOS-Torture Burundi
Me Janvier BIGIRIMANA, Secrétaire général du FOCODE
Gordien NIYUNGEKO, Secrétaire exécutif du FOCODE

 

Un op-ed de Giorgio Malinverni

Giorgio Malinverni a été le Président de TRIAL International pendant les six dernières années. Alors que son mandat touche à sa fin, il revient sur l’évolution de l’ONG et la situation des droits humains en général.

Durant toute ma carrière, les droits humains ont été mon cheval de bataille. Je me souviens que la Suisse venait de ratifier la Convention européenne des droits de l’homme, alors que je débutais comme professeur à la Faculté de droit de l’Université de Genève. La Convention a été une source d’inspiration très forte et je n’ai eu de cesse de l’analyser et de l’expliquer à mes étudiants. Mon travail de juge à la Cour européenne des droits de l’homme m’a, par la suite, ouvert un nouveau pan des droits humains.

Depuis 2011, j’ai eu le plaisir et l’honneur de présider TRIAL International. J’ai assisté avec fierté à son essor et je demeure profondément attaché à sa mission fondamentale, menée dans des contextes pourtant sensibles. Aujourd’hui, TRIAL compte avec une structure forte et une équipe formidable, de quoi relever les défis de l’avenir.

 

Les obstacles à la justice peuvent être surmontés

Le moment est en effet proche où il faudra poursuivre les nombreux crimes des conflits qui font rage en Syrie, en Irak, au Yémen ou ailleurs. Les difficultés seront nombreuses et complexes. La justice internationale est tour à tour critiquée pour sa lenteur, son manque d’efficacité ou au contraire son ingérence.

Pourtant, il faut se souvenir que les droits humains ont fait des pas de géant depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Jamais l’arsenal juridique n’a été aussi complet pour lutter contre l’impunité. A nous de nous saisir de ces outils et d’être inventifs !

Alors que je m’apprête à quitter la présidence de TRIAL International, je souhaite transmettre un message d’encouragement à cette organisation et à ceux qui la soutiennent. Continuez d’élargir vos horizons, ne vous laissez pas abattre par les revers temporaires. Mener des enquêtes et déposer des plaintes à l’encontre d’Etats, de multinationales ou d’individus requiert de l’audace et de la persévérance. TRIAL n’en a jamais manqué. 

 

Giorgio Malinverni
Président sortant de TRIAL International
Ancien Juge à la Cour européenne des droits de l’homme
Professeur honoraire à la Faculté de droit de l’Université de Genève

 

Genève, le 3 mai 2017 – Le Tribunal des mesures de contrainte du canton de Berne a confirmé le maintien en détention d’Ousman Sonko. L’ex-ministre de l’Intérieur et bras droit du dictateur gambien Yahya Jammeh est soupçonné de crimes contre l’humanité.

Ousman Sonko a été arrêté en Suisse le 26 janvier 2017, suite à une dénonciation pénale de TRIAL International pour des faits de torture. Au vu des forts soupçons pesant contre lui, il a été placé pendant trois mois en détention provisoire.

Au terme de ces trois mois, le Ministère public de la Confédération a obtenu que la détention soit prolongée de 3 mois. « Nous saluons cette décision qui prouve que les autorités prennent au sérieux les soupçons contre M. Sonko », dit Philip Grant, Directeur de TRIAL International. « Nous espérons que l’enquête pourra faire la lumière sur certaines exactions du régime Jammeh. »

 

Deux victimes ont déjà porté plainte

Depuis son arrestation, deux victimes soutenues par TRIAL International ont déposé des plaintes pénales contre Ousman Sonko. Toutes deux ont été torturées par les autorités gambiennes alors que le suspect était en charge des services sécuritaires, en tant qu’Inspecteur général de la Police puis en tant que ministre de l’Intérieur. Ousman Sonko est accusé d’avoir lui-même participé à ces actes de tortures. D’autres plaintes pourraient encore suivre.

« Les victimes qui ont porté plainte contre Ousman Sonko ont attendu trop longtemps que justice soit faite », conclut Philip Grant. « Nous espérons que cette procédure leur donnera enfin l’occasion de faire entendre leur voix. »

Un op-ed de Pamela Capizzi

Face aux nombreux cas de disparitions forcées, TRIAL International demande au Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires des Nations Unies (GTDFI) de se rendre au Burundi.

Au début du mois, le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Zeid Ra’ad Al Hussein, a rapporté « une nette augmentation des cas de disparitions forcées entre novembre 2016 et mars 2017, et la découverte de dizaines de corps non identifiés dans de nombreuses régions du pays ».

TRIAL International porte plusieurs affaires de disparitions forcées au Burundi, notamment devant le Groupe de travail.

Outre les affaires individuelles, le GTDFI a aussi la possibilité d’effectuer des visites dans les pays concernés. Depuis 2009, il sollicite une invitation du Burundi, sans succès*.

 

Le GTDFI a un rôle constructif à jouer

La visite des experts du Groupe de travail aurait pour but d’améliorer le dialogue entre les familles des disparus et les autorités nationales. Elle pourrait également encourager le déclenchement d’enquêtes sur les nombreux cas allégués.

Le gouvernement n’a donné aucune suite à la demande du GTDFI. Pourtant, en répondant favorablement, le Burundi prouverait sa volonté de collaborer avec la communauté internationale. Et choisir enfin la voie de l’apaisement.

La dernière sollicitation d’invitation du GTDFI remonte au 27 novembre 2015. TRIAL International lui demande de renouveler sa demande : une telle visite ne pourrait qu’encourager la recherche de la vérité et mettre un terme aux souffrances des familles.

Pamela Capizzi, Conseillère juridique
@PamelaCap1

*Le 27 mars 2017, le GTDFI a vu sa demande refusée par le gouvernement Burundais

 

Reed Brody a lutté aux côtés des victimes d’Hissène Habré jusqu’à ce que sa culpabilité soit confirmée en appel en avril. Alors qu’il était l’invité de TRIAL International, il a livré les éléments-clé de cette saga judiciaire.

L’arrestation d’Augusto Pinochet à Londres en 1998 a été un tournant pour la justice internationale. Cela a créé un effet papillon et a donné aux gens l’espoir de poursuivre leurs propres dictateurs. L’idée que les survivants pouvaient avoir accès à la justice internationale était nouvelle, puissante et enthousiasmante. Je ne savais pas grand-chose sur Hissène Habré lorsque des ONG tchadiennes m’ont contacté en 1999 pour que je les défende. Mais c’était le moment propice, et les survivants avaient une telle soif de justice !

 

Les victimes sont la pierre angulaire de la justice internationale

Dans les crises impliquant des violations des droits humains aujourd’hui, les victimes restent souvent dans l’ombre. Qui a déjà entendu le récit des survivants du Soudan du Sud, par exemple ?

L’affaire Habré constitue un excellent contre-exemple. Le courage et la ténacité des victimes ont été incroyables. Le fait qu’ils aient été à l’origine de la poursuite d’Habré est l’un de plus beaux aspects de cette aventure.

Avec le temps, j’ai développé des liens personnels avec de nombreuses victimes. Certains ont été hébergés par ma famille, nous leur avons fourni des soins médicaux. Voir Habré sur le banc des accusés est devenu une mission personnelle ! Lorsque les victimes ont foi en vous, il est difficile d’abandonner. Quand Habré a été arrêté pour la première fois, mon fils n’était même pas encore né. Aujourd’hui, il a 17 ans.

C’est grâces aux victimes que nous avons été capables de surmonter chaque obstacle. Quand la Belgique a abrogé sa loi sur la compétence universelle, Souleymane Guengueng, le fondateur du collectif des victimes, a raconté son histoire aux autorités belges et a sauvé la situation. Ils lui mangeaient dans la main !

 

Alimenter la flamme

Le procès Habré a commencé le 20 juillet 2015. C’était la première affaire de compétence universelle devant un tribunal africain. Le fait qu’une cour d’un pays jugent l’ancien chef d’Etat d’un autre pays pour des crimes graves était une première mondiale.

C’est pourquoi de nombreuses personnes nous ont dit que ça ne pourrait pas marcher. Mais plus les gens nous disaient qu’il n’y avait pas d’espoir, plus nous voulions leur prouver qu’ils avaient tort. Leur incrédulité a servi à alimenter la flamme qui nous habitait !

 

La ténacité paye

Le 27 avril 2017, les juges d’appel des Chambres extraordinaires africaines de la Cour du Sénégal ont confirmé la peine de perpétuité d’Habré pour crimes contre l’humanité, torture et crimes de guerre. Ils ont également chargé un fond pour localiser et saisir les biens d’Habré pour compenser les victimes.

La plus grande leçon que nous puissions tirer du procès Habré est que la justice est à portée de main, y compris pour des personnes ordinaires. Chaque survivant peut être Souleymane Guengueng ; chaque activiste peut être un « chasseur de dictateur ».

 

L’espoir naît de la création de précédents

Tout comme l’affaire Pinochet, le procès d’Hissène Habré a engendré une vague d’espoir. Lorsque les gens voient les victimes traîner leur dictateur en justice, ils commencent à se dire qu’ils peuvent le faire eux aussi.

Après la chute de Yahya Jammeh en Gambie, j’ai reçu des lettres me demandant si ce dernier pouvait aussi être traduit en justice. Nous nous sommes rendus à Banjul avec les représentants des victimes d’Habré et un avocat de TRIAL. Notre réponse était simple : oui, si nous nous retroussons les manches.

Reed Brody

Plus d’informations sur le travail de TRIAL International en Gambie
Plus d’informations sur des affaires clés de compétence universelle

 

 

Lorsque les victimes se sont vues accorder une indemnisation au terme d’une procédure longue et éprouvante, leurs difficultés touchent-elles enfin à leur fin ? Pas toujours. L’application des décisions des tribunaux reste très inégale en Bosnie-Herzégovine.

TRIAL international a fourni une assistance juridique gratuite à plusieurs victimes dans le cadre de procédures pénales, qui ont toutes abouti à l’octroi de réparations. Toutefois, malgré ces décisions favorables, les victimes attendent toujours leur dû.

« Le défi n’est pas uniquement de généraliser la réparation des victimes dans le cadre de procédures pénales. Il consiste également à obtenir que les indemnités soient effectivement versées » explique Adrijana Hanusic Becirovic, conseillère juridique de TRIAL en Bosnie-Herzégovine.

Si la loi bosnienne reste vague à ce sujet, il existe tout un éventail de sources juridiques internationales et européennes offrant des directives en la matière, notamment la Convention européenne relative au dédommagement des victimes d’infractions violentes ou la Convention des Nations Unies contre la torture. Or, ces textes sont contraignants pour la Bosnie-Herzégovine, tenue de garantir le dédommagement réel des victimes de la guerre.

 

Une responsabilité partagée

Les garanties énoncées par ces instruments prévoient entre autres l’intervention de l’État lorsque les coupables n’ont pas les moyens d’indemniser les victimes.

« En vertu du droit européen et du droit international, la Bosnie-Herzégovine est tenue de mettre en place des mécanismes nationaux au cas où les responsables ne peuvent ou ne veulent pas remplir leurs obligations », rappelle Adrijana Hanusic Becirovic. « Un tel système permettrait de résoudre le problème des réparations octroyées, mais jamais versées ».

L’intervention de l’État revêt également une dimension symbolique. Comme l’affirme une survivante : « L’État est responsable au même titre que les auteurs des crimes. Ces derniers ont commis les crimes, mais l’État ne les a pas empêchés».

 

Pour des mécanismes d’application plus efficaces

Dans sa dernière publication, TRIAL analyse les obligations internationales de la Bosnie-Herzégovine et formule des recommandations sur les moyens les plus efficaces pour que le droit des victimes à des réparations soit respecté. En s’inspirant d’autres pays, l’organisation offre des solutions concrètes pour l’application de ce droit.

« Nous espérons que cette publication ouvrira la voie à des changements législatifs en Bosnie-Herzégovine », conclut Selma Korjenic, responsable du programme de TRIAL dans le pays. « Les victimes en attente de réparations ont lutté trop longtemps, elles méritent d’être indemnisées sans avoir à se battre davantage ».

Pour lire le résumé de la publication de TRIAL (en anglais)
Pour lire la publication dans son intégralité (en bosnien)
Pour en apprendre plus sur le droit à réparation en Bosnie-Herzégovine