Déclaration conjointe de la société civile

Le 20 mai 2020, le peuple burundais est appelé aux urnes pour une triple élection, présidentielle, législative et municipale. Les organisations burundaises et internationales expriment de fortes inquiétudes face à la multiplication d’actes de violence au cours de la campagne, qui constituent déjà des germes de contestation et d’escalade des troubles électoraux lors du scrutin.

Au Burundi, un climat de peur risquant de déboucher sur des confrontations plus grandes pendant et après le scrutin inquiète la société civile. ©Landry Nshimiye

Depuis le début de la campagne électorale, la société civile observe avec préoccupation la recrudescence des cas de violation des droits humains, des discours de haine ethnique, d’usage excessif de la force, des cas d’intolérance politique, des affrontements entre des membres des partis politiques, des intimidations et menaces à l’encontre des personnes assimilées ou membres de ces partis.

(…) Au cours des dernières semaines, le bilan en matière des droits humains est devenu très préoccupant. Des allégations de violations (…) font état d’au moins 22 personnes tuées, dont sept cas d’exécutions extrajudiciaires et 10 corps sans vie retrouvés, six personnes enlevées, deux victimes de violences sexuelles, 18 torturées et 67 arrêtées arbitrairement. (…) Parmi les victimes enregistrées figurent trois femmes et deux mineurs tués, deux mineurs enlevés, deux femmes torturées et quatre femmes arrêtées arbitrairement.

 

Un climat de peur, de provocation et de calomnie

Toutes ces violences sont accompagnées de nombreuses entraves et de blocages multiples lors des déplacements de certains candidats de l’opposition politique et à des interdictions d’organiser des rassemblements dans certaines localités ou enceintes. Un climat de peur, de provocation et de calomnie règne, ce qui risque de déboucher sur des confrontations plus grandes pendant et après le scrutin. Cette situation n’est pas de nature à préserver la paix et ramener la confiance entre les différents acteurs sociopolitiques.

(…) Les organisations signataires souhaitent rappeler aux autorités burundaises et aux différents partenaires internationaux du Burundi qu’une enquête a été ouverte par le bureau du procureur de la Cour pénale internationale sur la situation qui prévaut dans le pays depuis 2015, notamment sur les violations des droits humains et du droit international humanitaire. Il est donc crucial que l’ensemble des parties prenantes consacre une attention particulière à toute dérive qui pourrait surgir au cours du scrutin à venir.

 

Signataires :

  • TRIAL International
  • Organisation Mondiale Contre la Torture (OMCT)
  • Collectif des associations contre l’impunité au Togo (CACIT)/Togo
  • Mouvement Ivoirien des Droits Humains (MIDH)/ Côte d’Ivoire
  • Observatoire des Femmes actives de Côte d’Ivoire (OFACI)/ Côte d’Ivoire
  • Center for Human Rights and Democracy in Africa (CHRDA)/ Cameroun
  • Alliance pour l’Universalité des Droits Fondamentaux (AUDF)/ RDC
  • Réseau des Défenseurs des Droits de l’Homme (RDDH)/ RDC
  • Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT/TCHAD)
  • SOS Torture Burundi/ Burundi
  • Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT-Burundi)
  • Collectif des Avocats pour la Défense des Victimes de Crimes de Droit International commis au Burundi (CAVIB)/ Burundi

Condamné l’année dernière pour un viol commis pendant la guerre en Bosnie-Herzégovine, un homme a payé à sa victime l’indemnisation fixée par le tribunal cantonal de Novi Travnik, en Bosnie centrale. Le 16 mars 2020 constitue donc une date charnière, puisque c’est la première fois qu’une indemnisation ordonnée dans le cadre d’une procédure pénale est effectivement versée au niveau des cantons du pays.

Le verdict d’indemnisation d’une victime prononcé par le tribunal cantonal de Novi Travnik est une incitation à répandre cette pratique, pour les victimes et pour décourager les auteurs de violences sexuelles. ©Kantonalni sud Novi Travnik

L’avocate qui a représenté la victime de viol dans cette affaire, a souligné que le respect volontaire de la décision rendue par le tribunal devrait être la norme. Mais dans la pratique, ce n’est souvent pas le cas.

Selon plusieurs autres survivantes de crimes similaires, l’indemnisation n’est pas seulement importante au sens économique, mais elle l’est tout autant pour que ce type de crimes ne se reproduise plus dans le futur. La possibilité d’obtenir une indemnisation donne aux victimes plus de confiance pour aller de l’avant et se battre pour que justice soit faite, jusqu’au bout.

Le procureur dans cette affaire, considère pour sa part le paiement par l’auteur de l’indemnité comme une incitation importante pour le développement de cette pratique et le droit des victimes à l’indemnisation. « Je suis sûr que le verdict du tribunal cantonal de Novi Travnik aura des effets positifs, notamment sur la pratique consistant à accorder des demandes d’indemnisation aux survivants du temps de guerre dans les affaires pénales portées devant les tribunaux de la Fédération de Bosnie-Herzégovine ainsi que de la Republika Srpska. » Le verdict a été communiqué aux bureaux des procureurs des cantons et des districts pour servir d’exemple.

 

Précédent au niveau fédéral

En 2015, la Cour de BiH avait établi un précédent révolutionnaire, en accordant des dommages et intérêts aux survivants du temps de guerre dans plusieurs affaires pénales. Mais malgré de nombreuses améliorations depuis lors, les obstacles au paiement effectif de ces compensations demeurent nombreux. Il est difficile de garantir que les victimes reçoivent le paiement d’indemnisations ordonnées par les tribunaux, car dans 95 % des cas, les auteurs condamnés disent ne pas avoir l’argent, ou avoir déjà disposé de leurs biens.

« Dans la plupart des cas, lorsque les auteurs ne sont pas propriétaires de biens ou les vendent au cours du procès – qui dure parfois longtemps –, le bureau du procureur peut imposer dès l’ouverture de la procédure des mesures temporaires qui interdisent à l’accusé de vendre ses biens. Cette solution s’est avérée efficace, mais elle n’est que rarement utilisée. C’est pourquoi les procureurs doivent intensifier leurs efforts pour mener des enquêtes financières et sécuriser ces biens », a déclaré Lamija Tiro, conseillère juridique auprès de TRIAL International.

TRIAL International travaille à l’amélioration de la pratique d’octroi des demandes d’indemnisation dans les procédures pénales depuis 2015. L’organisation s’est fixée pour but de continuer à faciliter d’autres affaires et de plaider pour l’octroi et le paiement de dommages et intérêts. TRIAL International poursuit par ailleurs ses formations destinées aux juges, procureurs et avocats à ce sujet.

Robert Bachmann est Conseiller en sécurité humaine à l’Ambassade de Suisse de Kinshasa (RDC). Dans le cadre de l’engagement suisse dans la promotion de la paix, il collabore avec TRIAL International, dont les actions dans la région sont financées, entre autres, par le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) de la Suisse. Ce dernier vient d’ailleurs de renouveler son soutien. Il nous livre ici son analyse de la situation en RDC, la lutte contre l’impunité et la collaboration avec les ONG.

Robert Bachmann (à droite) et Guy Mushiata (au centre avec le micro), coordinateur en RDC chez TRIAL International, lors d’une table ronde autour du documentaire « Chasseurs de crimes ». ©DFAE

 

Comment TRIAL International contribue-t-elle aux objectifs du DFAE dans la région des Grands Lacs africains ?

Robert Bachmann : Depuis plus de 20 ans, la RDC connaît des cycles de violence avec un nombre dramatiquement élevé de victimes. La prévention et la transformation des conflits communautaires et la défense des droits humains, y compris la lutte contre l’impunité, sont des priorités du DFAE dans la région. La coopération au développement et l’aide humanitaire suisses s’engagent pour réduire la pauvreté et sauver des vies.

Les activités de TRIAL International s’inscrivent dans ces priorités. Elles permettent de démontrer aux professionnels de la justice que, malgré le contexte difficile, il est possible d’obtenir gain de cause avec une préparation adéquate. Les procès qui aboutissent à des condamnations sont un début de réparation pour les victimes. Il s’agit également d’un message adressé aux auteurs présumés de crimes internationaux.

 

Quels liens voyez-vous entre le mandat de TRIAL International et la paix et la stabilité dans la région ?

Le lien est évident : les cycles de violence et la persistance des groupes armés, l’un des plus grands drames et défis de la région, sont un frein à tout établissement de la paix et du développement. Pour sortir de ce cycle de violence, la Suisse s’engage, au travers de partenaires locaux, à accroître la résilience des communautés face aux préjugés et aux manipulations qui souvent nourrissent la violence. La lutte contre l’impunité, comme message adressé aux auteurs présumés de ces crimes, est un élément clé de l’instauration d’une paix durable.

 

Quels aspects du travail de TRIAL International vous paraissent particulièrement porteurs ?

Les formations sur la collecte et l’analyse des preuves et sur les stratégies juridiques sont particulièrement nécessaires. De l’avis des bénéficiaires, et au vu des condamnations obtenues dans des dossiers pourtant sensibles, ces formations sont grandement appréciées.

D’autre part, l’accès à la justice pour les victimes de violences sexuelles en tant que crimes internationaux est central aux activités de TRIAL International. L’intégration des droits humains et de la dimension de genre est assurée dans toutes les phases de leurs projets.

 

Comment le DFAE envisage-t-il la collaboration avec les organisations de la société civile, notamment les ONG ?

Nous voyons les ONG comme des partenaires pour atteindre nos objectifs communs. Nous tenons à avoir un échange régulier et franc sur la mise en œuvre des projets et nous nous impliquons directement, là où c’est possible, pour atteindre ces objectifs.

J’apprécie le professionnalisme de TRIAL International et de tous ses collaborateurs que j’ai rencontrés – en RDC et en Suisse. Ce sont des facteurs cruciaux pour que les victimes, mais aussi leurs avocats et les institutions, prêtent à l’organisation la confiance nécessaire pour travailler sur des sujets aussi sensibles et délicats.

Le DFAE suisse soutient généreusement les activités de TRIAL International dans les Grands Lacs africains depuis 2010.

 

Comment les différents pays poursuivent-ils les disparitions forcées, le génocide, la torture, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre ? En collaboration avec Open Society Justice Initiative (OSJI), TRIAL International a travaillé sur une analyse approfondie des lois et pratiques de huit pays en matière d’enquêtes et de poursuites de crimes relevant de la compétence universelle. Les deux organisations publient une série de rapports comparant les systèmes juridiques de l’Allemagne, du Canada, de la Finlande, de la France, de la Norvège, des Pays-Bas, de la Suède et de la Suisse.

Open Society Justice Initiative et TRIAL International publient une série de rapports comparant les systèmes judiciaires de 8 pays. @TRIAL International | Landry Nshimiye

La compétence universelle permet de poursuivre les auteurs de crimes quel que soit le lieu où ils ont été commis et quelle que soit la nationalité des victimes et des auteurs. Dans ce cadre, chaque pays définit les crimes spécifiques qui peuvent être poursuivis à l’intérieur de ses frontières dans le cadre de la compétence universelle. Conditions d’application de la compétence universelle, différentes étapes de la procédure, éléments de preuve requis, protection des témoins et des victimes ou réparations pour les victimes, autant d’éléments qui varient souvent d’un pays à un autre. Ces rapports ont pour but d’aider les avocats et les ONG représentant les victimes des crimes les plus graves à demander justice dans un pays dont ils ne connaissent ni la loi ni les pratiques.

 

Du point de vue des praticiens

La recherche est principalement appuyée sur une analyse du système juridique effectuée par des avocats locaux, à partir d’un questionnaire compilé par OSJI et TRIAL International. Cette étude est complétée par des entretiens avec des experts juridiques : procureurs des unités chargées des crimes de guerre, avocats dans les affaires de compétence universelle, universitaires spécialisés en droit pénal international et ONG luttant contre l’impunité. Cette perspective pratique permet de construire une analyse du cadre juridique dans chaque pays étudié. Bien que tous les efforts aient été faits pour assurer l’exactitude des informations présentées, celles-ci peuvent avoir changé et ne plus être à jour. Les lecteurs sont donc priés de confirmer l’actualité des dispositions citées.

 

Même cadre juridique, pratiques différentes

Cette recherche révèle que certains pays, comme la France, l’Allemagne et les Pays-Bas, utilisent activement ce mécanisme juridique pour enquêter sur les crimes internationaux et en poursuivre les auteurs. La France et l’Allemagne ont même uni leurs forces pour renforcer leur capacité d’enquête sur les crimes commis en Syrie.

Cette recherche attire l’attention sur le fait que la règle de la compétence universelle varie d’un pays à l’autre, ce qui rend très difficile la constitution de dossiers par les praticiens. Les conditions d’exercice de la compétence universelle varieront en fonction de divers aspects, tels que la nature du crime ou le lien avec le pays. TRIAL International espère que cette recherche aidera les avocats et les ONG à s’orienter dans les différents systèmes juridiques étudiés.

 

Lire les rapports complets (en anglais) sur

Suite à de récentes attaques visant la Cour pénale internationale (CPI), la Coalition pour la CPI a appelé tous les États parties à réitérer leur soutien. La Coalition pour la CPI est un réseau global de la société civile composé de plus de 2’500 organisations membres dans 150 pays, dont TRIAL International.

La CPI doit être libre de mener à bien son mandat, sans représailles ni faveurs, sur la base des exigences juridiques énoncées dans le Statut de Rome. ©Wikimedia Commons

Les organisations (de la Coalition pour la CPI) demandent (…) à tous les États Parties au Statut de Rome d’affirmer leur soutien au système du Statut de Rome et la Cour pénale internationale, notamment face aux menaces sur son indépendance et son mandat. Bien que les menaces à l’encontre de la justice internationale, y compris dans le cadre de la CPI, ne soient pas nouvelles, il est particulièrement important aujourd’hui de protéger la CPI face à l’escalade des hostilités envers la Cour.

Le rôle essentiel de la CPI de complémenter la primauté des tribunaux nationaux ne saurait être sous-estimé. Nous reconnaissons que la CPI bénéficierait de changements pour renforcer sa performance, mais l’assurance d’une Cour équitable, efficace et indépendante dépend du soutien des États Parties. (…) Nous invitons instamment les États Parties à faire respecter le système du Statut de Rome en exprimant leur soutien de manière forte et concrète, et à la défendre en condamnant les menaces sans équivoque. Les défis auxquels fait face la Cour n’exigent rien de moins.

 

Ni représailles, ni faveurs

Le 20 janvier 2020, un mois après que la Procureur de la CPI ait annoncé que la situation en Palestine justifiait une enquête, M. Benjamin Netanyahu, le Premier ministre israélien, a demandé des « sanctions contre la cour internationale, ses fonctionnaires, ses procureurs, tout le monde. »

Le 17 mars 2020, le Secrétaire d’État des États-Unis M. Michael Pompeo a menacé d’imposer des mesures punitives contre deux membres du personnel de la CPI, qu’il a nommé explicitement, ainsi que d’autres collaborateurs de la CPI et leur famille. Ses remarques ont été prononcées après que la CPI ait autorisé l’ouverture d’une enquête sur la situation en Afghanistan. Ces attaques sont les dernières d’une série qui menacent la Cour elle-même et intimident son personnel afin de protéger des intérêts politiques au détriment de la justice internationale.

Cette combinaison de menaces et la politique d’interdiction de visa des États-Unis visent à saper la capacité de la Cour à rendre justice aux victimes chaque fois que les États ne veulent pas ou ne peuvent pas enquêter et poursuivre les crimes couverts par le Statut de Rome. La CPI doit être libre de mener à bien son mandat, sans représailles ni faveurs, sur la base des exigences juridiques énoncées dans le Statut de Rome – et non sur la base de considérations politiques.

Lire la déclaration complète.

TRIAL International salue le verdict de la Cour suprême du Népal qui réaffirme son opposition à l’amnistie pour les violations massives des droits humains.

De nombreux acteurs internationaux et locaux ont appelé le gouvernement à aligner le droit népalais aux standards internationaux. ©TRIAL International

Le 27 avril 2020, la Cour suprême du Népal a rejeté une demande du gouvernement népalais de revoir son verdict dans l’affaire Suman Adhikari v. Nepal Government.

Rendue le 26 février 2015, cette décision constitue une pierre angulaire du processus de justice transitionnelle au Népal. Elle reconnaît en effet que l’acte fondateur des deux mécanismes nationaux (la Commission vérité et réconciliation et la Commission d’enquête sur les disparitions forcées) est contraire aux standards internationaux. La Cour suprême demandait dans sa décision l’amendement de cet acte adopté en 2014. A ce jour, il n’en est rien.

 

« Une manœuvre de plus pour contourner le vrai problème »

Les Accords de paix ont été signés il y a 14 ans. Depuis, le gouvernement n’a pris que des décisions hautement contestables : celle de ne pas amender ses lois, par exemple, ou de faire des nominations politiques au sein des deux mécanismes de justice transitionnelle. Demander à la Cour suprême de revoir sa décision n’était qu’un ralentissement supplémentaire dans un processus déjà dans l’impasse.

« La demande du gouvernement népalais à la Cour suprême était une manœuvre de plus pour contourner le vrai problème : la reddition pour les violations massives des droits humains » a déclaré Cristina Cariello, Responsable du programme Népal chez TRIAL International. « Nous sommes satisfaits que la Cour suprême ait tenu bon, et réaffirmé l’importance de mécanismes de justice transitionnelle justes et efficaces. »

Outre la Cour suprême, de nombreux acteurs ont appelé le gouvernement à aligner le droit népalais aux standards internationaux : Le Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations Unies, des instances nationales et internationales, des organisations de la société civile et des associations de victimes.

Lire la déclaration conjointe de TRIAL International, Amnesty International, Human Rights Watch et ICJ (en anglais)

Le procès contre Anwar Raslan et Eyad al-Gharib, deux anciens officiers de l’appareil sécuritaire du gouvernement syrien, accusés de crimes contre l’humanité, s’est ouvert le 23 avril 2020 devant la Cour régionale supérieure de Coblence, en Allemagne. Il s’agit du premier procès au monde qui vise à juger la torture d’Etat en Syrie.

Un procès pionnier dans la lutte contre l’impunité qui ne se limite pas aux seuls deux accusés, mais sur les violations graves commises par le régime de Bachar Al-Assad dans leur ensemble. ©Amnesty International

TRIAL International et Amnesty International saluent l’ouverture du procès de deux anciens officiers des services de renseignements généraux syriens. « Un pas important vers la justice », selon les deux organisations. Anwar Raslan comparait pour torture, viol et violence sexuelle aggravée. Eyad al-Gharib est quant à lui accusé de complicité dans une trentaine de cas de torture.

« Ce procès est une avancée historique dans la lutte en faveur de la justice pour les dizaines de milliers de personnes détenues illégalement, torturées et tuées dans les prisons et les centres de détention du gouvernement syrien », a déclaré Alain Bovard, juriste et porte-parole de la section suisse d’Amnesty International. « Un procès qui n’aurait pas pu voir le jour sans le courage et les sacrifices des victimes syriennes, des familles des victimes et de nombreuses autres personnes et organisations qui ont réclamé sans relâche justice et vérité, bien souvent au péril de leur vie. » Les organisations tiennent à saluer en particulier le travail de l’organisation allemande ECCHR, et les organisations syriennes SCLSR et SCM.

 

JUGER EN DEHORS DES FRONTIÈRES

Basé sur le principe juridique de compétence universelle, ce procès place l’Allemagne au rang des pionniers dans la lutte contre l’impunité. En effet, l’enquête menée par les autorités allemandes ne se limite pas aux seuls deux accusés, mais sur les violations graves commises par le régime de Bachar Al-Assad dans leur ensemble. Autrement dit, les preuves récoltées par les enquêteurs outre-Rhin pourront aussi servir de base de données pour des poursuites futures contre d’autres responsables du régime syrien. Il n’est pas à exclure que ces preuves soient également partagées avec les autorités de poursuite d’autres pays qui en feraient la demande.

« Nous espérons que ce précédent donnera envie et courage à d’autres juridictions d’utiliser la compétence universelle », a déclaré Philip Grant, directeur de TRIAL International. L’organisation qui lutte contre l’impunité publie un rapport annuel sur la compétence universelle, dans lequel les crimes commis par les deux accusés figurent en bonne place. « Ce procès est la matérialisation d’un principe qui prend indéniablement de l’essor, et pourrait continuer d’en prendre. La compétence universelle est un outil concret et tangible, qui pourrait être utilisé bien davantage pour rendre justice aux victimes des pires atrocités. »

 

UN MODÈLE À SUIVRE, PAR LA SUISSE AUSSI

Les deux organisations appellent également les États à suivre l’exemple donné par l’Allemagne en engageant des procédures similaires contre les personnes soupçonnées de crimes internationaux, notamment en dotant leurs unités spécialisées de ressources, humaines et financières, suffisantes.

La Suisse aussi a un rôle important à jouer dans la lutte contre l’impunité. Le Ministère Public de la Confédération a entre ses mains une opportunité unique d’avancer dans un autre dossier syrien en souffrance, déposé par TRIAL International en 2013. Cela fait plus de six ans qu’une procédure contre Rifaat al-Assad, l’oncle du Président syrien, est en cours. « Seuls quelques témoins ont été entendus dans cette procédure, qui devrait pourtant être conduite avec célérité et efficacité au vu de l’âge du prévenu, de son rôle et de l’importance de l’affaire », a déclaré Jennifer Triscone, conseillère juridique au sein de TRIAL International. En cause notamment, les sous-effectifs des autorités en charge de la poursuite des crimes internationaux. Et sans doute un manque de volonté politique.

Georges (nom d’emprunt) a été arbitrairement arrêté au Burundi et torturé en détention. TRIAL International a porté son cas devant les instances internationales, pour que ses bourreaux répondent enfin de leurs actes.

Pendant deux semaines, Georges a subi une incarcération dans des conditions insalubres, des privations de nourriture et de visites ainsi que des séances de torture. ©Aaron Gilson

Depuis avril 2015, le Burundi a été le théâtre d’une effrayante escalade de violence et de très nombreuses violations des droits humains à l’encontre d’opposants au gouvernement, ou de personnes perçues comme tels. Georges (nom d’emprunt) a été l’une des nombreuses victimes de cette escalade de violence.

Arrêté et emmené de force par des agents de l’État, il n’a pas eu le temps de comprendre ce qui se passait. Au poste, il a été forcé de rester au sol, à plat ventre, puis couvert d’insultes et sommé « d’avouer » son appartenance à un groupe armé d’opposition. Georges a nié, mais cela n’a pas empêché ses bourreaux de le rouer de coups.

 

Le début d’une longue souffrance

Pendant ses deux semaines de détention, Georges a subi les pires abus : incarcération dans des conditions insalubres, privation de nourriture et de visites, séances de torture… Les agents de l’État vont jusqu’à lui briser les os avant de lui refuser les soins nécessaires.

Quand enfin Georges a été présenté aux autorités judicaires, plus de deux semaines après son arrestation, il n’avait toujours pas vu son avocat. Son corps portait encore les marques des tortures subies. Malgré cela, Georges a été placé en détention préventive avant de faire l’objet d’une lourde condamnation pour « participation aux mouvements insurrectionnels ».

 

A la merci de nouveaux abus

Depuis, Georges reste incarcéré au Burundi. Malgré sa plainte pour les mauvais traitements subis, rien n’a bougé. Une instruction, ouverte au bout de plusieurs mois, n’a jamais été suivie d’action. En conséquent, Georges demeure à la merci de nouveaux abus en prison. La fracture subie pendant les séances de tortures continue de le faire souffrir.

Pour mettre un terme à ce cauchemar, TRIAL International a porté son cas au niveau supranational. L’affaire est en cours.

Malgré les progrès significatifs accomplis ces dernières années, de nombreux survivants de violences sexuelles commises en temps de guerre continuent d’être stigmatisés en Bosnie-Herzégovine (BiH). Une formation pour les procureurs et les juges, organisée par TRIAL International, a traité de cette stigmatisation, des stéréotypes que les survivants rencontrent au cours des procédures pénales, et a enseigné aux participants comment les éviter.

Les stéréotypes discriminatoires portent atteinte à la dignité et à la crédibilité des victimes et constituent une ingérence flagrante dans leur courageuse décision de dénoncer le crime. ©TRIAL International/Will Baxter

« D’après des études, pour un viol déclaré, on en recense entre 15 et 20 non déclarés. Les raisons qui étayent cette statistique sont notamment la longueur des procédures judiciaires et les faibles condamnations des auteurs, deux éléments qui conduisent les victimes à se méfier du système judiciaire », déclare Milanko Kajganić, Procureur au bureau du procureur de Bosnie-Herzégovine.

Les victimes de violences sexuelles sont confrontées à toute une série de difficultés lorsqu’elles osent évoquer ce crime. Par exemple, les sentiments de honte et de culpabilité imposés par la société et intériorisés, ou encore la crainte d’être jugées par le public. Cependant, la discrimination ne s’arrête pas là. Ce schéma se poursuit également au sein même des tribunaux, selon Milanko Kajganić. Ces stéréotypes sont perpétués par les questions posées au sein des tribunaux, le langage utilisé dans les verdicts, la qualification des crimes, l’admission de certaines preuves, l’imposition de mesures de protection et l’acquittement des auteurs.

« Tout le processus peut être très difficile pour la victime et provoquer un nouveau traumatisme. C’est pourquoi la préparation et le soutien sont cruciaux pour les plaignants. Ils doivent être encouragés », explique Andrea Masic, psychologue à la Cour de Bosnie-Herzégovine.

 

Grâce à la sensibilisation, des signes prometteurs

Ces stéréotypes discriminatoires portent atteinte à la dignité et à la crédibilité des victimes et constituent une ingérence flagrante dans leur courageuse décision de dénoncer le crime. On observe toutefois des progrès, insiste Božidarka Dodik, juge à la Cour suprême de la Fédération de Bosnie-Herzégovine.

« Cela se reflète dans les commentaires et les réactions des juges et des procureurs qui suivent des formations. Nous pouvons également le constater dans les décisions rendues par les tribunaux entre le début des ateliers de sensibilisation et aujourd’hui », dit M. Dodik.

Cependant, le problème de la stigmatisation ne s’arrête pas au verdict final. Même si les victimes obtiennent la satisfaction de voir leurs agresseurs condamnés, elles doivent faire face à cette stigmatisation quotidiennement en dehors de la salle d’audience. Il est donc vital que tous les secteurs de la société travaillent à améliorer la condition des survivants de violences sexuelles. Chaque individu et institution doit s’impliquer dans la lutte contre la stigmatisation.

Un message de Philip Grant, Directeur exécutif

 

Chères amies, chers amis,

Depuis plusieurs semaines, notre quotidien est profondément bouleversé par la pandémie de coronavirus. La crise sanitaire s’accompagne d’une crise financière sans précédent, qui met en péril la mission de nombreuses organisations non-gouvernementales.

Notre équipe reste mobilisée auprès des victimes et continuera de les soutenir dans leur quête de justice. © TRIAL International/Will Baxter

Pourtant, les victimes de crimes internationaux ont toujours besoin de nous ! Ne les oublions pas en cette période où la solidarité est plus importante que jamais.

Cette crise affecte de nombreuses personnes, et nous sommes conscients que vous êtes très sollicités, voire directement impactés. J’ai donc beaucoup hésité à vous transmettre ce message. Mais je ne peux pas me résoudre à ce que des victimes qui ont déjà tant souffert passent, une fois de plus, au second plan.

Les besoins qui me remontent du terrain sont urgents : « Le contexte anxiogène ravive les troubles psychiatriques de certains survivants, mais ils se voient refuser des soins car les hôpitaux sont surchargés » rapporte ma collègue Selma Korjenic depuis la Bosnie-Herzégovine.

Je ne vous le cache pas : les prochains mois s’annoncent extrêmement difficiles pour TRIAL International. Notre équipe reste mobilisée auprès des victimes et continuera de les soutenir dans leur quête de justice. Mais ce n’est qu’avec votre soutien que nous y parviendrons.

Aidez nous à poursuivre notre action auprès des plus vulnérables ! Pour eux, votre solidarité fait toute la différence.

Merci du fond du cœur,

Philip Grant
Directeur exécutif

PS : Avez-vous pensé au don régulier ? En nous soutenant de quelques francs chaque mois, vous nous permettez d’accompagner durablement les victimes de crimes internationaux.

Que peuvent avoir en commun une grand-mère serbe, un enfant congolais et une ex-reine de beauté gambienne ? Tous trois, comme des milliers d’autres victimes à travers le monde, ont subi des violences sexuelles dans le contexte de conflits armés. En Afrique comme en Europe, oser s’avancer, prendre la parole et dénoncer de tels crimes est un véritable acte de courage.

La culpabilité et la honte générées par nombre d’idées reçues découragent souvent les victimes d’en parler. ©Mikel Oibar

Les survivants de violences sexuelles doivent faire face à une stigmatisation profondément ancrée. Celle-ci peut prendre place à un niveau personnel, au sein de la famille ou de la communauté, mais aussi à un niveau institutionnel, dans le système judiciaire. La culpabilité et la honte générées par nombre d’idées reçues découragent souvent les victimes d’en parler. Néanmoins, malgré la difficulté de témoigner, TRIAL International se bat pour que les violences sexuelles en temps de guerre ne restent pas impunies.

 

Une stigmatisation au sein même des communautés

En République démocratique du Congo (RDC), oser parler d’agression sexuelle peut avoir des conséquences désastreuses pour les survivants. Souvent, les femmes mariées sont répudiées par leurs maris et l’ensemble de la famille les rejette. Dans un pays où les prestations sociales sont pratiquement inexistantes, et où la solidarité familiale est une question de survie, les victimes se retrouvent vulnérables et sans ressources. Par peur de se retrouver sans soutien matériel et émotionnel, beaucoup de victimes préfèrent se taire.

Cette stigmatisation repose en partie sur l’idée que les violences sexuelles sont dégradantes pour la victime, non pour l’agresseur. Le fardeau de la honte est porté par les victimes, hommes et femmes, qui sont considérées comme souillées. Les femmes risquent de ne pas pouvoir se marier et les hommes, atteint dans leur virilité, subissent la stigmatisation et la honte dans toute leur violence.

Marginalisées au sein de leur communauté, sans revenus, sans protection et sans soutien moral, les survivants de violences sexuelles nécessitent un encadrement spécial et une aide holistique : soins médicaux, soutien psychologique, aide financière, etc. Lorsque une victime le souhaite, TRIAL International et ses partenaires locaux les accompagnent dans leurs démarches juridiques.

A revoir : Le récit de Gloria, une success story en RDC.

 

Une stigmatisation institutionnelle : le cas de la Bosnie-Herzégovine

Dans les années 1990, plus de 20’000 femmes et plusieurs milliers d’hommes ont été violés en Bosnie-Herzégovine pendant la guerre. Alors que le pays travaille encore sur son passé, un rapport publié par TRIAL International expose les stéréotypes institutionnalisés dans le système judiciaire. Parmi les plus communs, l’idée que la victime doit résister physiquement à son agresseur ou encore qu’elle a une part de responsabilité dans les sévices subis.

Ces mythes imprègnent la pratique des juges, procureurs et avocats en Bosnie-Herzégovine, mais sans doute également ailleurs. Souvent inconsciemment, ces derniers perpétuent ainsi la stigmatisation des survivants de violences sexuelles et inhibe les démarches de victimes qui pourraient vouloir obtenir justice.

Ces stéréotypes se glissent jusque dans le choix des mots utilisés pour désigner l’agression. Dans ses jugements, il arrive que la Cour fasse référence aux violences sexuelles comme une « une attaque à l’honneur de la femme » ou « la pire des choses qui puissent arriver à une femme », accentuant l’idée que l’acte est salissant pour la victime. Encore une fois, c’est l’honneur de cette dernière qui est atteint, pas celui du coupable. Ces expressions, en voulant marquer la gravité du crime, alimentent en réalité la stigmatisation qui en découle pour les victimes.

 

Vers plus de justice

Au niveau institutionnel, la sensibilisation des acteurs juridiques et des défenseurs des droits humains sont fondamentales pour fournir aux victimes un encadrement complet et sécurisant. C’est pourquoi, TRIAL International organise plusieurs formations sur ce sujet, en Afrique comme en Europe.

Par ailleurs, les victoires judiciaires qui condamnent les auteurs de violences sexuelles envoient un message fort. Dans certains cas, à l’instar de Fatou Jallow, ex-reine de beauté gambienne, dénoncer les crimes publiquement libère aussi la parole, encourage d’autres victimes à s’exprimer, et contribue à changer les mentalités.

A relire : Gambie, trois femmes accusent l’ex-président de violences sexuelles

Le dernier Rapport annuel sur la compétence universelle (UJAR) salue l’augmentation des affaires fondées sur la compétence universelle dans le monde entier. Il souligne aussi une tendance alarmante : la poursuite d’atrocités en tant que terrorisme, et non en tant que crimes internationaux.

Poursuivre les atrocités comme crimes internationaux, et non comme terrorisme, a des conséquences directes pour les victimes. © Nicole Tung

En 2019, la compétence universelle a gagné du terrain. L’année écoulée a vu un nombre sans précédent d’affaires fondées sur ce principe : 16 pays ont des poursuites en cours, 11 accusés sont actuellement devant la justice et plus de 200 suspects pourraient bientôt l’être également.

Lire le Rapport annuel sur la compétence universelle 2020 (en anglais)

La compétence universelle est désormais un principe juridique bien établi, aussi le débat a-t-il évolué. La question n’est plus s’il faut en faire usage, mais comment l’utiliser au mieux. Et un phénomène inquiétant est en train d’émerger…

 

Charges de terrorisme ou de crimes internationaux ?

La lutte contre le terrorisme est devenue une priorité politique pour de nombreux gouvernements, et les poursuites pour terrorisme ont crû en conséquence. Mais, compte tenu de ressources limitées, cela a eu une incidence négative sur les poursuites pour crimes internationaux.

Un détail ? Pas du tout. Les conséquences sont bien réelles : d’abord, le spectre de crimes poursuivis est réduit car les charges de terrorisme sont moins inclusives que celles de génocide, crimes de guerre ou crimes contre l’humanité. Ce qui est compris comme « terrorisme » varie également beaucoup d’un pays à l’autre.

« Le terrorisme n’a pas de définition internationalement reconnue » commente Valérie Paulet, Éditrice du UJAR. « Contrairement aux crimes de génocide, de torture, de crimes de guerre ou de disparitions forcées, aucun traité international ne définit clairement le terrorisme. En conséquence, chaque État a inventé sa propre définition, souvent influencée par l’actualité et l’opinion publique. »

 

Des bases juridiques bien distinctes

Autre conséquence : les victimes sont moins présentes dans les procédures, puisque le terrorisme est avant tout une atteinte à un État, et non à des individus. Difficile à justifier pour tant de survivants, pour qui accéder à la justice est un moyen de tourner la page.

L’absence de consensus sur la définition du terrorisme a une autre conséquence plus insidieuse. Elle ouvre la porte à l’arbitraire étatique, alors que les traités qui codifient les crimes internationaux (comme les Conventions contre le génocide ou les Conventions de Genève) sont précisément fondés sur la collégialité et l’édiction des standards les plus rigoureux. Autrement dit, la tendance actuelle pourrait in fine ébranler les fondements de notre droit international au lieu de la renforcer.

La volonté sans précédent des États à punir les pires atrocités est extrêmement positive. A présent, les autorités ne doivent pas céder aux pressions politiques et les poursuivre uniquement sous des charges de terrorisme. Avec le soutien de la société civile, et sur des bases rigoureuses issues du droit international, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et de génocide doivent être poursuivis pour ce qu’ils sont. Ni plus, ni moins.

Lire le Rapport annuel sur la compétence universelle 2020 (en anglais)

 

Le Rapport annuel sur la compétence universelle (UJAR) est la principale publication juridique de TRIAL International. Il a été rédigé par Valérie Paulet, en collaboration avec REDRESS, le European Center for Constitutional and Human Rights (ECCHR) et la Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH). Il a bénéficié du généreux soutien de la Ville de Genève, de la Oak Foundation et de la Taiwan Foundation for Democracy.

Entre 2014 et 2017, la Gambie a exporté pour près de 163 millions de dollars de bois de rose, une essence rare et précieuse, à destination de la Chine. Pendant cette période, Westwood, une société gambienne vraisemblablement détenue par le ressortissant suisse Nicolae Bogdan Buzaianu et l’ancien Président gambien Jammeh, avait la licence exclusive pour exporter du bois de rose. Le bois qu’elle exportait était abattu illégalement en Casamance voisine où un groupe armé séparatiste combat l’armée sénégalaise depuis des décennies. TRIAL International a déposé une dénonciation pénale auprès du Ministère public de la Confédération contre M. Buzaianu, l’accusant d’avoir pillé du bois de conflit.

Le bois précieux abattu en Casamance était transporté à travers la frontière, puis entreposé dans des dépôts à ciel ouvert avant d’être vendu à des négociants en Gambie. ©TRIAL International

Selon la dénonciation pénale déposée par TRIAL International, l’entreprise de l’homme d’affaire suisse Nicolae Bogdan Buzaianu aurait été impliquée dans le commerce illégal de bois précieux entre 2014 et 2017. Durant cette période, la société Westwood Company Ltd – que M. Buzaianu aurait cofondée avec l’ancien Président gambien Yahya Jammeh – possédait le monopole des exportations de bois de rose, un bois tropical précieux. Or les réserves gambiennes de cette essence étant presque épuisées, l’essentiel de ce bois était en réalité importé depuis la Casamance, une région du Sénégal à la frontière sud de la Gambie. Depuis plusieurs décennies, de grandes portions de cette région sont aux mains d’un groupe armé, le Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC).

«Exploiter des ressources naturelles issues d’une zone de conflit porte un nom : il s’agit de pillage. Et aux yeux du droit international humanitaire, le pillage constitue un crime de guerre», a déclaré Montse Ferrer, Conseillère juridique senior et Coordinatrice responsabilité des entreprises de TRIAL International. «Malgré les nombreux cas de pillage, avérés et documentés, pas une seule condamnation n’a été prononcée depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale.»

TRIAL International a déposé une dénonciation pénale pour pillage contre M. Buzaianu en juin 2019. « Nous avons attendu jusqu’à ce jour pour la rendre publique, car nous voulions donner à l’autorité de poursuite pénale le temps nécessaire pour examiner les preuves soumises et prendre, le cas échéant, des mesures décisives à l’encontre de M. Buzaianu. Nous espérons que de telles mesures ont été prises et que le Ministère public de la Confédération enquête sur cette affaire », a ajouté Montse Ferrer.

LA DÉFORESTATION AU PROFIT D’UN GROUPE ARMÉ

L’importance du trafic de bois est telle que certaines estimations indiqueraient une perte pour le Sénégal équivalente à 40 000 hectares de forêt par an, dont plusieurs dizaines d’hectares perdus en raison de l’exploitation illégale de bois de rose qui sévit en Casamance. Cette déforestation sélective a entraîné une baisse des précipitations et accentué la désertification de la région. Elle est par ailleurs à l’origine de conflits entre les rebelles et les communautés locales qui ne peuvent plus utiliser les forêts pour s’assurer des moyens d’existence durables.

L’exploitation illégale de bois précieux est d’autant plus regrettable qu’elle saborde les efforts de reforestation entrepris dans la région. Selon l’Institut international pour l’environnement et le développement (IIED), «dans le village de Koudioube, la restauration de la forêt communautaire a aidé à surmonter les conflits». L’exploitation forestière illégale a cessé, les fruits et la faune sauvage sont abondants, les populations locales sont à nouveau en mesure de vendre des produits forestiers. Les communautés qui auparavant se battaient entre elles travaillent maintenant ensemble.

Une grande partie du trafic et de la coupe se déroulait ainsi directement sur les territoires occupés par le MFDC depuis près de trente ans. «L’activité illicite de Westwood est d’autant plus grave qu’elle a contribué à un commerce illégal de bois qui a historiquement financé le MFDC. Ce qui est dramatique, c’est que ce commerce a des conséquences néfastes sur la vie des populations locales et contribue directement à la déforestation de la région», a déclaré Jennifer Triscone, Conseillère juridique pour TRIAL International. Le groupe exerce un contrôle de fait sur la filière du bois précieux, et ce en délivrant des autorisations pour la coupe ainsi que des permis de transport, ou en assurant la sécurité de ce dernier. Les rebelles exploitent et vendent illégalement le bois issu de feuillus précieux pour acheter des armes: un commerce illégal alimenté par la demande du marché mondial des bois feuillus tropicaux..

 

  Lire le dossier de presse

Chers amis et partenaires,

Les cas rapportés de Covid-19 sont en augmentation. Alors que des mesures anti-contamination sont mises en place dans le monde entier, TRIAL International fait tout son possible pour maintenir ses activités tout en assurant la sécurité de ses collaborateurs, partenaires et bénéficiaires.

Notre organisation s’est rapidement adaptée pour poursuivre sa mission : lutter contre l’impunité des crimes internationaux et apporter justice aux victimes. TRIAL International est consciente que ses bénéficiaires comptent sur son soutien, peut-être plus encore qu’en temps normal. Notre première obligation est de répondre à leurs besoins du mieux que nous le pouvons.

Conformément aux directives locales, TRIAL International a mis en place une série de mesures pour s’assurer que ses collaborateurs puissent poursuivre leur travail en toute sécurité :

  • Les collaborateurs de TRIAL International à Genève travaillent depuis chez eux. Les réunions et événements avec des tiers sont annulés.
  • Les collaborateurs de TRIAL International à Sarajevo (Bosnie-Herzégovine) travaillent depuis chez eux. Les réunions et événements avec des tiers sont annulés.
  • Les consultants et experts déployés dans d’autres pays européens travaillent à temps partiel.
  • Le personnel de la structure partenaire de TRIAL International à Katmandou (Népal) travaillent depuis chez eux à compter du 23 mars 2020. Les réunions et événements avec des tiers sont annulés.
  • Les bureaux de TRIAL International à Bukavu et Goma (République démocratique du Congo) fonctionnent comme d’habitude, avec des mesures sanitaires renforcées. Les déplacements à l’intérieur du pays sont suspendus et les rendez-vous avec des personnes tierces limitées au stricte nécessaire. Une consultante a été mandatée pour accompagner le personnel local en cas d’évolution de la situation.
  • Toutes les missions de terrain sont suspendues jusqu’à nouvel ordre.
  • Une personne référente a été désignée en interne. Elle doit être alertée immédiatement en cas d’apparition des symptômes du Covid-19. Les collaborateurs sont informés quotidiennement de l’évolution de la situation.

Malgré tous nos efforts, des facteurs externes ont inévitablement modifié notre calendrier d’activités : fermeture de tribunaux, modification des agendas juridiques et politiques, restrictions de mouvements de personnes, etc. Nous comptons sur votre compréhension pour ces circonstances indépendantes de notre volonté.

En cette période difficile, nous sommes convaincus que la solidarité est plus importante que jamais : nous vous remercions de votre confiance et de votre soutien, qui nous permettent de faire la différence auprès des plus vulnérables. Nous espérons que vous et vos proches êtes en bonne santé et restez vigilants.

Nous mettrons régulièrement cette page à jour pour tenir compte des dernières évolutions. En attendant, pour toute question, vous pouvez nous écrire à info@trialinternational.org

Avec nos meilleures salutations,

L’équipe de TRIAL International

Christina Lamb, principale correspondante à l’étranger du Sunday Times, fait les comptes dans un livre-tribune, et dévoile les histoires de femmes inconnues qui ont été victimes de violences sexuelles en temps de conflits. Ses recherches incluent l’affaire Kavumu (RDC), dans laquelle TRIAL International a joué un rôle.

«Le viol et la guerre entretiennent une histoire longue et douloureuse, et aujourd’hui, cette histoire n’a pas changé» affirme Christina Lamb. ©WilliamCollins

Christina Lamb a travaillé dans des zones de combat pendant plus de 30 ans et a été témoin de nombreuses atrocités. Son dernier livre, Our Bodies, Their Battlefield: What War Does to Women, entend porter la voix des femmes victimes de la guerre et relayer leurs histoires. Il appelle à ce que les auteurs de viols de guerre soient punis et exige que l’on regarde en face les vérités qui dérangent.

« Le viol est devenu un crime de guerre international en 1919, et pourtant la Cour pénale internationale n’a rendu qu’une seule condamnation ; le problème reste minimisé » affirme Christina Lamb. « Le viol et la guerre entretiennent une histoire longue et douloureuse, et aujourd’hui, cette histoire n’a pas changé. Le viol est une composante cruelle, insidieuse et croissante de la guerre, utilisée contre des centaines de milliers de femmes, souvent dans le cadre d’une stratégie militaire barbare ».

 

Un exemple poignant en RDC

Parmi nombre d’exemples, le livre de Christina Lamb revisite les crimes commis à Kavumu (RDC) et le rôle que TRIAL International et ses partenaires ont joué pour traduire les auteurs des crimes en justice.

Le chapitre s’ouvre sur l’atroce description des viols de très jeunes enfants, et sur l’impuissance des parents pour mettre un terme aux attaques. Il raconte ensuite comment les différents acteurs, du Prix Nobel de la Paix Denis Mukwege aux ONG Physicians for Human Rights et TRIAL International, ont travaillé de concert pour monter un dossier et le faire passer en justice.

« L’un des problèmes était qu’en raison de leur jeune âge, de la brutalité des crimes et du fait qu’ils se soient déroulés de nuit, une seule des enfants était capable d’identifier son agresseur. À l’époque, aucune preuve n’avait été prélevée et jusqu’à trois ans s’étaient déjà écoulés. Cependant, grâce à des détails tels que la taille des agresseurs, leurs habits ainsi que la langue parlée, des liens ont pu être établis. » (Extrait de Our Bodies, Their Battlefield, p. 342)

Voir toutes les ressources disponibles sur l’affaire Kavumu

 

La bataille se poursuit

Même si l’affaire s’est conclue par un verdict positif, Christina Lamb insiste sur le traumatisme irréversible dont souffrent toujours les jeunes victimes. Certaines familles continuent de se sentir en danger, malgré l’arrestation des principaux coupables.

La mère d’une fille violée se souvient : « J’étais très heureuse quand ces personnes ont été condamnées et j’espère qu’elles resteront en prison pour toujours, mais depuis ce jour ma fille est sans cesse malade, et se plaint de douleurs à l’utérus. Je ne pense pas que son avenir soit radieux, car tout le monde sait ce qui lui est arrivé. » (Extrait de Our Bodies, Their Battlefield, p. 344)

En faisant la lumière sur la situation des familles après le procès, Christina Lamb soulève un problème fondamental : l’après-verdict, en particulier le versement de réparations, est un aspect de la justice souvent négligé.

Pourtant, les réparations sont essentielles pour la reconstruction des victimes, tant symbolique que physique. Dans le cas des filles de Kavumu, cela pourrait faire la différence entre une vie digne et une vie de paria. TRIAL International reste au contact des familles touchées pour les aider à obtenir les réparations ordonnées par la cour.

Vous pouvez apporter votre aide dès aujourd’hui en faisant un don à TRIAL International

Le rassemblement très controversé de Tchetniks membres du mouvement Ravna Gora était censé se dérouler à Visegrad le 13 mars 2020. Il a été annulé par les autorités suite aux mesures de précaution mises en place contre le Coronavirus. Bien que l’édition 2020 soit repoussée, TRIAL International condamne fermement le rassemblement du mouvement Ravna Gora. Ce groupe ultra-nationaliste incite publiquement à la haine et distille la peur parmi les citoyens.

Les rassemblements de Tchetniks font l’apologie d’une idéologie fasciste et créent une atmosphère d’intolérance ethnique et religieuse. © courtesy of Fokus.ba

Le fait que l’événement se déroule à Visegrad, une ville profondément marquée par les crimes atroces commis durant la guerre, est particulièrement dérangeant. La mémoire collective porte encore les stigmates des massacres, viols et actes de torture commis dans cette ville, comme le meurtre particulièrement violent de 57 personnes, enfermées dans une maison et brûlées vives en 1992. De telles manifestations ne font que raviver les souffrances des survivants de la guerre et attiser les clivages déjà présents en Bosnie Herzégovine (BiH).

« Ces rassemblements et manifestations font l’apologie d’une idéologie fasciste, basée sur la haine religieuse et ethnique. Elles créent une atmosphère de discorde et d’intolérance », a déclaré Lamija Tiro, Conseillère juridique à TRIAL International. « Le droit pénal bosnien permet de punir de tels actes. Néanmoins, aucune action concrète de la part des institutions judiciaires n’a jusqu’à présent été entreprise. Il n’y a eu à ce jour aucune poursuite pénale contre les organisateurs de tels événements, ni aucune interdiction formelle prononcée contre ces associations négationnistes. »

La tendance actuelle semble être au laxisme lorsqu’il s’agit de lutter contre le négationnisme en BiH. Nommer un nouveau dortoir en l’honneur du criminel de guerre Radovan Karadžić, exposer des photographies de criminels de guerre dans des assemblées publiques ou permettre à des associations de porter des noms de criminels de guerre, les exemples récents de ce type de laisser-aller ne manquent pas. TRIAL International dénonce fermement toute forme de négationnisme. L’organisation a récemment pris position sur cette problématique grave en publiant le rapport « Calling War Atrocities by Their Right Name », en collaboration avec Forum ZFD.

TRIAL International appelle les autorités, aussi bien au niveau national que local, à interdire tout rassemblement du mouvement Ravna Gora. L’organisation maintient également la pression pour que le bureau du Procureur de Bosnie Herzégovine prenne rapidement des mesures adéquates concernant la plainte pénale déposée, il y a un an déjà, contre ce même événement.

chirée et exsangue depuis la chute du colonel Kadhafi, la Libye est le paradis de tous les trafics. Une enquête de Public Eye et TRIAL International révèle comment le négociant zougois Kolmar Group AG a fait affaire, entre 2014 et 2015, via Malte, avec un puissant réseau de contrebande de gasoil en provenance de Libye, dont les principaux acteurs sont devant la justice en Italie.

Vue de Marsaxlokk. À l’arrière plan, des entrepôts de carburant. ©Francesco Bellina

Malgré plusieurs demandes, Kolmar Group SA n’a pas répondu aux questions posées par Public Eye et TRIAL International durant leur enquête. Elle a toutefois demandé un droit de réponse au présent rapport, publié ici à bien plaire, TRIAL International n’étant pas un média à caractère périodique. TRIAL International maintient sa présentation des faits.


Public Eye et TRIAL International ont enquêté pendant plus d’un an entre la Suisse, Malte et la Sicile sur les activités hautement problématiques de Kolmar Group AG. Entre le printemps 2014 et l’été 2015, ce négociant installé à Zoug, a reçu plus de 50 000 tonnes de gasoil en provenance de Libye. La raffinerie de Zawiya, d’où provient le carburant, était sous le contrôle de la brigade Shuhada al-Nasr, accusée par les Nations Unies d’exploitation et d’abus de migrants. Nous avons pu retracer le parcours de trois tankers pétroliers qui, venus des côtes libyennes, ont déversé à vingt-deux reprises leurs cargaisons dans les citernes que Kolmar louait alors à Malte.

La société suisse s’approvisionnait auprès d’un réseau d’individus au profil douteux : Fahmi Ben Khalifa, condamné pour trafic de drogue en Libye, et ses partenaires maltais Darren et Gordon Debono, qui affrétaient les tankers. Un document bancaire dont nous avons eu copie fait état de versements totalisant plus de 11 millions de dollars, effectués entre le 18 juin et le 22 juillet 2015 par Kolmar vers une petite société maltaise, Oceano Blu Trading Ltd. Celle-ci était alors contrôlée par Darren Debono. Presque aux mêmes dates, des livraisons de carburant ont été effectuées dans les citernes de Kolmar.

Dès mars 2016, le groupe d’experts de l’ONU sur la Libye a identifié Fahmi Ben Khalifa comme étant à la tête de l’un des réseaux de contrebande de carburant les plus actifs dans le pays. Un business très lucratif : depuis la chute de Kadhafi, la Libye importe une grande partie des produits raffinés destinés à sa consommation intérieure, qui sont massivement subventionnés. Les contrebandiers peuvent les racheter à bas prix et les revendre à l’extérieur du pays, en réalisant d’énormes marges.

Le réseau de contrebande prenait sa source à Zawiya. De petites embarcations, puis des tankers maltais voguaient ensuite au large de Malte et déversaient leur cargaison dans les entrepôts de la société suisse Kolmar active à Malte. ©TRIAL International / Public Eye

A l’automne 2017, la police financière sicilienne a démantelé ce réseau dans le cadre de l’opération « Dirty Oil », très médiatisée. Fahmi Ben Khalifa, Darren et Gordon Debono sont aujourd’hui poursuivis pour « conspiration transnationale en vue de blanchir du gasoil d’origine illicite et fraude ». Leur procès est toujours en cours à Syracuse, en Sicile. Durant leur enquête, les policiers italiens ont identifié Kolmar comme un « partenaire proche de Gordon et Darren Debono ». La société zougoise n’a toutefois pas été inquiétée par la justice italienne. Approchée à plusieurs reprises, Kolmar n’a pas répondu à nos questions.

Cette affaire illustre la propension des certains négociants helvétiques à tirer profit des contextes les plus risqués. Alors que la guerre civile faisait rage en Libye et que les groupes armés se disputaient le contrôle du secteur pétrolier, Kolmar n’a pas hésité à faire affaire avec une obscure structure maltaise, sans expérience dans le business pétrolier. La contrebande de gasoil libyen était pourtant connue dans le milieu, tout comme le rôle joué par Malte dans ce trafic.

Afin d’empêcher que des sociétés suisses offrent, par négligence ou par complicité, un débouché commercial à des matières premières « sales », obtenues illégalement ou en violation de droits humains, il est impératif de les soumettre à des devoirs de diligence contraignants.


   Lire le rapport complet (en anglais)


Lire le Droit de réponse de Kolmar