Auteur/autrice : Communication Department
Un op-ed de Valérie Paulet
L’importance de la compétence universelle contre la torture ou le génocide a été largement reconnue ces dernières années. Il est maintenant temps que ce principe s’applique aussi aux crimes sexuels.
Lors de sa prise de pouvoir en 2014, la procureure de la Cour pénale internationale (CPI) Fatou Bensouda a affirmé que sa priorité serait la lutte contre les violences sexuelles. Cette année, deux grandes affaires très médiatisées ont mis ce sujet en lumière.
D’une part, le chef de guerre congolais Jean-Pierre Bemba a été condamné à 18 ans de prison pour viol comme crime de guerre et crime contre l’humanité.
D’autre part, le procès de Dominic Ongwen s’est ouvert ce mois-ci sur un message fort du Bureau du Procureur : l’ancien commandant en chef de l’Armée de résistance du Seigneur n’est pas seulement accusé d’avoir ordonné mariages forcés, viols, actes de torture et esclavage sexuel. Il devra également répondre de crimes sexuels perpétrés directement contre ses épouses forcées.
Ces affaires sont d’une importance cruciale, mais elles ne sont que la pointe de l’iceberg. Le mandat de la CPI est limité à certaines situations et à la poursuite des plus hauts dignitaires. Des milliers de criminels sexuels échappent donc à son contrôle.
Les Etats doivent faire face à leur passé
La CPI est fondée sur le principe de la subsidiarité, ce qui signifie que la responsabilité de poursuivre les crimes internationaux incombe avant tout aux Etats. En 2016, le Guatemala a rempli ses obligations avec le procès de Reyes Giron.
La détermination des victimes à amener le Colonel devant la justice a fini par payer. Il a été condamné à 120 ans de prison et $65 000 de compensation pour chaque victime pour violence sexuelle, esclavage sexuel et esclavage domestique pendant la guerre au Guatemala. C’est la première fois – dans le monde entier – qu’une court nationale retient les charges d’esclavage sexuel dans un conflit armé.
La volonté du Guatemala de faire face à son sombre passé, doit être saluée et devrait servir d’exemple pour les autres pays en phase de transition post-conflit. La question est maintenant : la Syrie, l’Irak, le Yémen ou le Nigéria suivront-ils cet exemple? Poursuivront-ils les violences sexuelles commises sur leur territoire ? Les chances sont minces.
Une autre voie vers la justice
Le fait est que la poursuite des crimes sexuels en conflits armés reste exceptionnelle. La réticence des Etats, le silence des victimes et la compétence limitée de la CPI sont autant de facteurs limitatifs.
Mais nous avons assisté cette année à une démonstration spectaculaire que la justice peut triompher malgré tout : la condamnation d’Hissène Habré au Sénégal. Après 17 ans de lutte, l’ancien dictateur tchadien a enfin été amené devant la justice, grâce au principe de compétence universelle. Il été le premier chef d’état à être condamné pour viol.
D’innombrables victimes d’Afrique Centrale ou du Burundi ont vu dans ce procès comme une lueur d’espoir. Les refuges pour les criminels sexuels se réduisent comme peau de chagrin, mais malheureusement pas assez vite. Il est grand temps que les Etats reconnaissent le potentiel immense de la compétence universelle pour lutter contre la violence sexuelle à travers le monde.
Valérie Paulet, Coordinatrice Trial Watch
@valeriepaulet
Le projet de loi visant à pénaliser la torture comporte des failles, comme le montre le cas fictif de Bilash, défenseur des droits humains.
Le Népal a adhéré à la Convention des Nations Unies contre la torture (UNCAT) en 1991, s’engageant ainsi à pénaliser et empêcher la torture, et à accorder réparation aux victimes.
Or, jusqu’à présent, le pays ne s’est pas conformé à cette obligation : des actes de torture sont toujours commis à un rythme alarmant au Népal. Depuis 2000, près de 1000 plaintes ont été enregistrées par la Commission nationale des droits de l’homme. Etant donné les difficultés structurelles pour déposer une plainte, il y a fort à parier que le nombre réel de cas est plus élevé.
Actuellement, le parlement examine enfin un projet de loi contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants. Une brillante victoire ? Pas tout à fait.
Un projet de loi bienvenu mais incomplet
Le projet de loi est indéniablement un pas en avant ; mais les normes qu’il pose sont bien en-deçà des recommandations du Comité des Nations Unies contre la torture.
Il ne s’agit pas là d’un obscur débat juridique : dans sa forme actuelle, la loi comporte d’importantes lacunes qui excluraient de nombreuses victimes de son champ d’application – les empêchant, de fait, d’obtenir justice.
Les failles du projet de loi peuvent être illustrées concrètement à l’aide du cas de Bilash. Bien que l’exemple suivant soit purement fictionnel, il est assez réaliste pour montrer les difficultés que les victimes pourraient rencontrer si la loi venait à être adoptée telle quelle.
Torturé dans sa propre maison
Bilash est un défenseur des droits humains à Katmandou. Il écrit régulièrement pour un journal local, critiquant ouvertement le gouvernement. Il est dans la ligne de de mire des autorités depuis un moment.
Un après-midi, trois policiers locaux frappent à sa porte. Dès qu’il l’ouvre, les officiers entrent de force et verrouillent la porte derrière eux. Ils commencent à l’insulter, le qualifient de traitre. Puis l’un des policiers le gifle ; très vite la violence s’intensifie jusqu’au coups de poing et de matraque des policiers. La bastonnade dure encore une heure. Juste avant de perdre connaissance, Bilash entend les policiers menacer de s’en prendre à sa famille.
Bilash se réveille à l’hôpital. Sa femme l’a trouvé dans une mare de sang et l’y a immédiatement conduit. Il reste deux mois à l’hôpital où il reçoit des soins que sa famille peut à peine prendre en charge. Puisque Bilash ne peut pas travailler dans son état, le couple survit grâce au maigre salaire de sa femme.
Trop peu de temps pour les victimes…
Durant le mois suivant sa sortie d’hôpital, Bilash a trop peur de signaler l’attaque dont il a été victime. Mais sa femme réussit finalement à le convaincre de dénoncer son agression. Elle craint que les policiers ne continuent de le harceler s’il ne dit rien.
Or, au poste de police, Bilash apprend qu’il est trop tard pour agir : le délai pour porter plainte en cas de torture est de 90 jours. Bilash explique qu’il a été grièvement blessé, qu’il avait peur et qu’il ne pouvait pas venir plus tôt, mais les autorités sont catégoriques : au-delà de 90 jours après les faits, les coupables ne peuvent plus être poursuivis.
A présent, modifions un peu le scénario : Bilash se rétablit plus vite et se rend au poste de police dans le temps imparti. Lorsque les autorités lui demandent « la période et la raison de sa détention », il est abasourdi : il n’a pas été arrêté mais a été torturé chez lui. Or, la loi ne s’applique que pour des actes de torture commis lors d’une détention, et sans information sur ladite détention, il est impossible de déposer plainte. Là encore, Bilash ne peut pas recourir à la justice.
Changeons à nouveau notre récit : Au lieu de le torturer chez lui, les policiers emmènent Bilash en prison pour le passer à tabac. Le lendemain, ils le laissent devant chez lui où sa femme le trouve et appelle les urgences. La victime récupère assez rapidement pour porter plainte dans les délais. Elle fournit des informations sur sa détention, et dépose une plainte qui mène à l’ouverture d’un procès.
… trop peu de conséquences pour les coupables
Le jour du procès, Bilash espère que ses agresseurs iront en prison et ne pourront plus lui faire de mal. Mais à l’issue de l’audience, les policiers ne sont condamnés qu’à une amende de 500 000 roupies (environ 5 000 $ US). Bilash est choqué qu’aucune peine d’emprisonnement n’ait été prononcée, mais le juge a bel et bien le droit de sanctionner un acte de torture d’une simple amande.
Bilash espère au moins obtenir une compensation. Il n’a pu travailler depuis son agression et ses examens médicaux coûteux pèsent sur ses finances. Il souffre également de troubles du sommeil et peine à se concentrer, alimentant ainsi les commérages de ses voisins qui prennent leurs distances. Par ailleurs, Bilash vit dans la crainte constante de représailles de la police.
Or, le juge ne lui octroie que 500 000 roupies. C’est le montant maximal, et pourtant cela ne couvre ni ses pertes de gain, ni ses frais d’hôpitaux, sans parler de la douleur, de l’humiliation et du traumatisme causés. En dehors de cette somme, aucune autre forme de réparation, d’ordre phycologique, juridique ou social, ne lui est proposée.
Il est encore temps de rectifier le tir
Le projet de loi est actuellement débattu au parlement népalais, les conséquences désastreuses pour les victimes peuvent donc encore être évitées.
Cette semaine, TRIAL et quatre autres ONG ont soumis un rapport au Rapporteur spécial sur la torture et autre peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Ce rapport détaille les lacunes et autres particularités de la loi.
« Nous encourageons le Rapporteur spécial à transmettre nos préoccupations au gouvernement népalais », a déclaré Helena Rodríguez-Bronchú Carceller, chef du programme Népal de TRIAL International. « Nous incitons aussi le parlement népalais à prendre en considération lesdites préoccupations à l’heure des délibérations. »
En 1992, alors qu’elle était encore mineure, K. (pseudonyme) a été violée à plusieurs reprises par des soldats de l’armée Republika Srpska. Aujourd’hui âgée d’une quarantaine d’années, elle est plus déterminée que jamais à voir ses agresseurs poursuivis et punis.
Notre entretien avec K. a été organisé dans un restaurant de la petite ville calme du nord-est de la Bosnie où elle habite. Dès son arrivée, deux impressions émanent de K. : force et résistance. La ténacité dont elle fait preuve, malgré son agression alors qu’elle n’était qu’une enfant, impose le respect. C’est avec une franchise étonnante qu’elle nous parle du système judiciaire bosnien, et ses espoirs pour le futur du pays.
Une détermination inflexible depuis 23 ans
La quête de justice de K. a commencé dès 1994, quand a rapporté aux autorités les viols qu’elle avait subis (un acte d’un grand courage surtout au vu de son jeune âge). Mais la guerre faisait alors rage en Bosnie-Herzégovine et sa plainte a rejoint des milliers d’autres pour violences sexuelles. Elle est peu à peu tombée dans l’oubli.
K. ne cache pas sa frustration de l’époque, d’autant plus qu’elle avait déjà identifié certains de ses agresseurs : « Je n’étais pas du tout satisfaite du travail du Procureur. Je me demandais ce qui pouvait prendre tant de temps».
Pendant des années, son cas est resté au point mort. En 2013, c’est toujours avec la même détermination que K. a contacté TRIAL International afin que justice soit rendue. Grâce au soutien de l’ONG, une enquête a enfin été ouverte.
Qu’est-ce qui l’a motivée à persévérer pendant tant d’années ? K. nous confie que les expériences d’autres victimes lui ont donné du courage. « Quand j’entends des histoires semblables à la mienne, où des victimes ont reçu des réparations et ont fait poursuivre leurs agresseurs, cela me donne de la force et je reprends confiance ».
Des réparations synonymes d’émancipation
Lorsqu’on touche au sujet des compensations, K. insiste sur la différence entre réparations et condamnation. Elle estime que les réparations sont une expiation bien plus personnelle. Comme l’explique une autre victime, « les agresseurs sont punis par l’Etat, mais les réparations sont la punition que les victimes obtiennent ».
« Je pense que les coupables devraient verser des réparations aux victimes en plus de purger leur peine », dit K. vivement. « S’ils ne peuvent pas payer, ils peuvent peut-être échanger des années d’emprisonnement contre de l’argent, et je ne trouve pas ça juste. Une condamnation ne peut pas remplacer des réparations, et vice versa ».
Pour cette raison, K. estime que les pensions d’Etat versées aux victimes de la guerre ne sont pas des réparations. « Les pensions sont des aides sociales, elles ne nous rendent pas justice », dit-elle avec un haussement d’épaule. D’autres victimes auxquelles nous avons parlé étaient également de cet avis. Elles estiment que les pensions sont importantes, mais qu’elles ne donnent pas aux victimes le même sentiment d’émancipation, et celles-ci se retrouvent une fois de plus dans une posture passive.
Plus important encore, les pensions ne sont pas versées par les coupables. Pour K., ce n’est pas l’aspect financier qui importe le plus, mais plutôt le lien qu’établissent les réparations entre les victimes et leurs agresseurs, en rappel d’un crime qui ne sera oublié par aucune des parties.
« À chaque fois que les coupables me verseront de l’argent, cela les renverra à leurs crimes. C’est une mesure symbolique très importante, un outil de dissuasion pour le futur. Ces crimes ne peuvent pas se reproduire. »
Alors que notre entretien touche à sa fin, K. insiste une fois de plus sur sa confiance en la justice : « Cela a beau faire 23 ans, je pense vraiment qu’un jour mes agresseurs seront arrêtés et condamnés. J’y crois profondément. »
Lire le rapport complet : Compensating Survivors in Criminal Proceedings, Perspectives from the field (en anglais et bosnien uniquement)
Un op-ed de Giorgio Malinverni
La journée internationale des droits de l’homme est célébrée au terme d’une rude année pour la justice internationale. Malgré ces revers, nous devons continuer de croire que les droits humains – et le droit à la justice en particulier – sont à portée de main.
Depuis plus d’un demi-siècle, le 10 décembre est une journée importante pour tous les défenseurs des droits humains. A travers le monde, d’innombrables militants, juristes, politiciens et membres de la société civile réaffirment leur engagement pour que tous jouissent des libertés fondamentales.
L’accès à la justice fait partie des droits inscrits dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, dont nous fêtons aujourd’hui l’adoption. En effet, sans justice, comment veiller à l’application des autres droits ? Comment entendre et reconnaître les victimes ? Et comment punir les auteurs pour éviter de nouvelles violations ?
Mais nous assistons actuellement à un affaiblissement de la lutte contre l’impunité : certains Etats quittent la CPI ou la désavouent publiquement ; la CEDH fait face à des résistances similaires. Certains Etats se réfugient dans des programmes politiques qui prônent l’entre-soi et le retour à l’Etat tout-puissant.
Un recul passager ne doit toutefois pas cacher un mouvement de fond
Dans ce climat morose, il est tentant de voir l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’homme comme un état de grâce révolu. Mais souvenons-nous que cette période de progrès historiques est survenue au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale. D’autres avancées dans la protection des droits humains se sont produites en réaction à des épisodes d’une cruauté innommable.
Cela montre d’une part que le passé n’est pas aussi rose qu’il n’y paraît, et d’autre part que des avancées spectaculaires peuvent suivre les périodes les plus décourageantes.
Par ailleurs, les revers occasionnels ne doivent pas nous faire oublier que le mouvement contre l’impunité n’a cessé de prendre de l’ampleur. Jamais les ONG n’ont été aussi nombreuses à dénoncer les abus ; tous les jours, des femmes et des hommes courageux défendent leurs droits et ceux des autres.
En tant que militants des droits humains, ne cédons pas au pessimisme. Même si la route est tortueuse, profitons de cette journée internationale pour réaffirmer notre confiance en l’avenir des droits humains et de la lutte contre l’impunité.
Ancien juge à la Cour européenne des droits de l’homme, Giorgio Malinverni est président de TRIAL International depuis 2012.
Un op-ed d’Adisa Fisic
Alors que la Convention contre le génocide fête son 68e anniversaire, la Bosnie-Herzégovine peine à faire face à sa propre histoire.
En tant qu’individu vivant dans une société post-conflit, je me suis toujours demandé comment quelqu’un pouvait vouloir détruire un groupe entier de personnes pour la simple raison qu’elles appartiennent à une autre ethnie ou religion. Et comment est-il possible qu’au XXe siècle nous n’avons pas pu éviter des massacres de masse comme ceux perpétrés dans les Balkans ?
En quoi le génocide est-il un crime différent des autres ?
En raison de ses terribles caractéristiques, le génocide est souvent décrit comme la plus grave des violations du droit international, « le crime des crimes ». La Convention pour la prévention et de répression du génocide (1948) qualifie le génocide comme un crime « commis dans l’intention de détruire, totalement ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux. »
Ce qui distingue le génocide d’autres crimes est l’existence d’une intention génocidaire. Il faut prouver que les crimes en question (assassinats, dommages physiques et mentaux, contrôle des naissances dans le groupe visé, etc.) ont été commis avec pour but final la destruction, totale ou en partie, d’un groupe spécifique. L’intention génocidaire étant difficile à prouver dans les procédures judiciaires, les condamnations pour génocide sont relativement rares.
Le génocide est aussi un concept extrêmement connoté moralement. Jusqu’à aujourd’hui, le mentionner déchaîne le discours public dans les Balkans. Une affaire comportant des charges de génocide sera largement couverte par les médias et les experts passeront l’affaire au crible pour évaluer l’impact du verdict sur le processus de réconciliation.
Les divisions ethniques restent bien vivantes en Bosnie aujourd’hui
Le génocide de Srebrenica est considéré comme le pire massacre commis en Europe depuis la Shoah. Malgré cela, l’ignorance et le déni de cet épisode (où 8 000 hommes et garçons ont été massacrés) sont toujours très vivaces dans les Balkans. Il n’est pas rare que des personnalités politiques serbes et de la Republika Srpska clament que les crimes de Srebrenica n’étaient pas un génocide et rejettent ce qualificatif.
Par exemple, en 2007, la Cour internationale de justice a jugé que la Serbie avait violé la Convention contre le génocide en n’empêchant pas les massacres de Srebrenica. C’était la première fois qu’un Etat était reconnu d’une telle violation de la Convention. Malgré cela, 3 ans plus tard, le parlement serbe a adopté une résolution condamnant les événements de Srebrenica, mais sans le qualifier de génocide.
Refuser d’employer ce terme n’est pas seulement une distinction juridique. Malheureusement, cette approche reflète le manque de compréhension et de consensus sur les guerres en ex-Yougoslavie. Ainsi, l’instrumentalisation politique des faits est encore aujourd’hui monnaie courante. Même des faits établis par les cours internationales sont rejetés comme de la propagande, et des criminels reconnus sont encensés comme des héros nationaux.
Ces divisions sont visibles, et accentuées, dans le système éducatif. Certaines écoles adoptent encore la politique de « deux écoles sous un même toit » : les différents groupes ethniques étudient dans des classes différentes avec des méthodes et des manuels différents. Sans la possibilité d’interagir et de se découvrir pour mieux se comprendre, comment les générations futures pourraient-elles dépasser ces divisions qui ont provoqué la guerre ?
Je suis profondément inquiète que des enfants nés après la guerre grandiront avec une compréhension totalement différente de l’histoire récente. L’humanité a complètement échoué à prévenir les génocides dans les années 1990. Mais il n’est pas encore trop tard pour que les futures générations réussissent ce pari.
Adisa Fisic, Conseillère juridique
@AdisaFisic
Pouvez-vous imaginer qu’à l’heure actuelle, plus de 20 femmes sont violées chaque jour en République démocratique du Congo (RDC) ? C’est pourtant le drame quotidien que vivent de nombreuses populations en zone de conflit. Les violences sexuelles sont une arme de guerre destinée à détruire les individus et les fondements même de la communauté. Les blessures physiques infligées aux victimes n’ont d’égales que les souffrances invisibles qu’elles endurent tout au long de leur vie.
Face au risque de représailles et de stigmatisation, la plupart d’entre elles gardent le silence. Leurs agresseurs, quant à eux, restent impunis. « Le sentiment d’impunité a fini par banaliser l’agression sexuelle. J’entends des histoires d’enseignants qui violent leurs élèves, de juges qui agressent des plaignants » constate Daniele Perissi, responsable de programme en RDC. « C’est le signe d’une société qui a totalement perdu ses repères moraux. Voilà ce qu’il faut reconstruire. En commençant par de vraies sanctions ».
Parce que de telles souffrances sont inacceptables, l’équipe de TRIAL International s’engage auprès des victimes pour les aider à obtenir justice et à lutter contre l’impunité des responsables de ces crimes. Depuis 2009, nous avons défendu plus de 160 survivants de violences sexuelles dans le cadre de nos programmes en Bosnie-Herzégovine, en RDC et au Népal. En outre, notre équipe a formé plus de 100 avocats et défenseurs des droits humains aux techniques de documentation et aux mécanismes de droit international.
Alors que l’année 2016 touche à sa fin, TRIAL est particulièrement fière de deux victoires emblématiques remportées aux cours des derniers mois. En RDC, un tribunal militaire de Bukavu a condamné un soldat à 15 ans de prison pour le viol de Sylvie et Yvette[1] commis en 2013. Avec le soutien de TRIAL International, les deux femmes ont entrepris un périple de 3 jours depuis leur village reculé afin de venir témoigner contre leur agresseur.
En Bosnie-Herzégovine, où au moins 20 000 femmes ont été violées durant le conflit, le travail de TRIAL International a récemment permis d’obtenir les premières réparations financières jamais accordées devant une juridiction locale. Une décision qui fait suite aux premières compensations octroyées devant les juridictions nationales en 2015, déjà obtenues grâce à un long travail de notre équipe sur place. Ces précédents ouvrent la voie à de nombreuses victimes en quête de justice et nous nous en réjouissons.
Le renforcement de notre travail sur les violences sexuelles ces cinq dernières années répond à un besoin indéniable. Il est urgent de lutter de manière plus systématique et efficace contre les crimes sexuels et d’adapter notre intervention à de nouveaux contextes.
Les victimes ont besoin d’un relais solide sur lequel s’appuyer pour faire entendre leur voix. Ce relais existe désormais et vous en êtes l’un des maillons ! Ensemble, nous pouvons offrir un soutien juridique aux victimes et plaider encore plus efficacement en leur faveur. Nous avons besoin de vous pour faire avancer la justice.
[1] Prénoms d’emprunt
Un op-ed de Sandra Delval
La Cour d’assises de Bobigny (France) a confirmé la culpabilité de Pascal Simbikangwa pour génocide et crime contre l’humanité. Au-delà du soulagement des victimes, ce verdict doit servir d’exemple aux États européens qui hésitent encore à s’investir dans la lutte contre l’impunité.
Pascal Simbikangwa a été condamné, en appel, à 25 années de réclusion criminelle pour sa participation au génocide rwandais de 1994. Ce procès est le premier en France fondé sur la compétence extraterritoriale des juridictions mené en présence de l’accusé.
Il s’agit également de la première affaire renvoyée aux Assises par le Pôle crimes contre l’humanité, crimes et délits de guerre du Tribunal de Grande Instance de Paris. Ce Pôle créé en janvier 2012 visait justement à accélérer les procédures relatives aux crimes internationaux.
Pascal Simbikangwa, ancien militaire et employé au Service Central de Renseignements du Rwanda en 1994, s’était réfugié à Mayotte où il a été arrêté pour une infraction de droit commun en 2009. Après une procédure d’instruction qui a duré quatre ans, il a été renvoyé devant la Cour d’assises de Paris et jugé en première instance en février et mars 2014.
Il avait alors été déclaré coupable d’avoir apporté un concours actif au fonctionnement des barrières meurtrières de Kigali pendant le génocide, en fournissant des armes aux gardiens de son quartier et aux Interahamwe. Il leur a également donné directement des instructions pour qu’ils exterminent sur le champ les Tutsi susceptibles de se présenter aux barrières. L’accusé avait fait appel de cette décision, qui vient d’être confirmée en appel.
La France montre l’exemple
La bonne tenue de ce procès permettant vraisemblablement à cette procédure d’arriver à son terme et l’engagement de poursuites dans des dossiers similaires démontrent que la France se montre à la hauteur de ses engagements sur la lutte contre l’impunité. Pour le moment, seules des procédures liées au génocide rwandais ont été jusqu’au stade du procès. Certes la majorité des affaires traitées par le Pôle sont liées à ces évènements mais l’accroissement actuel du nombre de conflits devrait contribuer à l’élargissement de son champs d’activités, tel qu’en attestent les dossiers qui arrivent actuellement au Pôle et qui concernent des zones géographiques variées.
Le procès de Pascal Simbikangwa démontre par ailleurs que la compétence extraterritoriale n’engendre pas de difficultés insurmontables. [1]
Les difficultés découlent du peu de connaissance de la Cour sur le contexte des crimes sur lesquels elle doit statuer, puisqu’ils ont été commis dans un autre pays. La cinquantaine de témoins et experts appelés à la barre et venus déposer sur le contexte historique et politique du Rwanda, sur la personnalité de l’accusé, puis sur son parcours professionnel, ses liens avec l’ex-président Habyarimana, son rôle dans les médias, ses relations avec les milices Interahamwe et enfin sur les faits qualifiés de complicité de crime contre l’humanité et crime de génocide, a permis au jury populaire d’avoir toutes les informations nécessaires pour replacer ses actes dans leur contexte.
L’aboutissement de ce procès est une victoire pour les victimes qui demandent que leurs bourreaux réfugiés en Europe soient traduits en justice. Nombreux sont les criminels qui y vivent encore en toute impunité.
Sandra Delval, Conseillère juridique.
@SandraDelvalT
[1] Cette compétence donnant la possibilité à une Cour française de statuer sur des crimes commis à l’étranger, par et sur des ressortissants étrangers, se justifie par l’extrême gravité des crimes en cause. Ces crimes sont d’une gravité telle qu’ils portent atteinte à l’ensemble de la communauté internationale.
Largement condamné – à juste titre – par la communauté internationale, le retrait du Burundi de la Cour pénale internationale (CPI) pourrait avoir des résultats positifs inattendus.
Le 25 avril 2016, la CPI annonçait l’ouverture d’un examen préliminaire sur le Burundi. Six mois plus tard, le pays se retire de la Cour.
Et si ce revers diplomatique était au contraire une opportunité pour la justice internationale ? En souhaitant s’en écarter, le Burundi pourrait au contraire s’y confronter plus vite que prévu.
Pamela Capizzi, conseillère juridique en charge du programme Burundi de TRIAL International, explique comment dans la Revue des Droits de l’Homme.
Genève, 29 novembre 2016 – L’affaire Naït-Liman a connu un revirement important ce 29 novembre 2016, après plus de 12 ans de procédure. A la demande de M. Naït-Liman, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a jugé que l’affaire méritait d’être renvoyée devant la Grande Chambre de la Cour, dont les juges auront désormais le dernier mot. Un jugement qui pourrait faire jurisprudence en matière de torture, permettant à de nombreux réfugiés qui ne peuvent obtenir justice dans leur pays d’origine d’intenter une action en justice dans leur pays d’accueil sur le sol européen.
TRIAL International accompagne Monsieur Naït-Liman dans sa quête de justice depuis plus d’une décennie. Ce ressortissant tunisien, devenu depuis citoyen suisse, avait été torturé durant plus d’un mois par les autorités tunisiennes. Ne pouvant obtenir justice en Tunisie, M. Naït-Liman avait introduit avec l’aide de TRIAL International une action en justice en Suisse contre un ancien ministre de l’intérieur tunisien aux fins d’obtenir réparation. TRIAL International avait recouru jusqu’au Tribunal fédéral, avant de porter l’affaire devant la CEDH, qui a elle aussi rejeté la requête en juin dernier.
« M. Nait-Liman est très heureux que son cas soit examiné par la plus haute instance judiciaire Européenne. Cela montre qu’il existe un besoin de clarification juridique », explique Me François Membez, qui représente la victime. « Cela constitue aussi une avancée pour les victimes de violation des droits de l’homme, dont les besoins de protection sont grandissants. »
« Il est plutôt rare que la Cour juge une affaire suffisamment importante pour être renvoyée devant la Grande Chambre », rappelle Philip Grant. « C’est un signal positif pour l’affaire et TRIAL International va tout faire pour que la Grande Chambre rende un jugement favorable à M. Naït-Liman. Il est temps que justice lui soit enfin rendue », ajoute le Directeur de TRIAL International.
Chronologie de l’affaire
En avril 1992, alors qu’il vivait en Italie, M. Naït-Liman est arrêté et remis aux autorités tunisiennes. Durant quarante jours il est alors arbitrairement détenu et soumis à diverses tortures : privé de sommeil, il est roué de coups et accroché à une barre de fer disposée entre deux tables, durant toute sa détention. M. Naït-Liman a vécu cet enfer dans les locaux mêmes du Ministère de l’Intérieur de la République de Tunisie.
En 1995, M. Abdennacer Naït-Liman obtient l’asile en Suisse, en raison des tortures qui lui ont été infligées durant ces quarante jours.
En février 2001, profitant de la présence de l’ancien ministre de l’intérieur M. Abdallah Kallel sur le territoire genevois, M. Naït-Liman dépose une plainte pénale contre ce dernier pour lésions corporelles graves. Le plaignant lui reprochait d’avoir ordonné les tortures physiques et psychologiques qu’il a subies directement dans les locaux du Ministère de l’intérieur. L’ancien ministre parvient toutefois à quitter la Suisse juste avant que la justice genevoise s’intéresse à son cas.
En juillet 2004, soutenu par TRIAL International, M. Naït-Liman introduit à Genève une action en justice visant à obtenir de M. Kallel et de la Tunisie la réparation du dommage subi en raison des tortures infligées. Défendu par Me François Membrez, vice-président de TRIAL International, M. Naït-Liman se trouve en effet dans l’impossibilité de retourner dans son pays sous peine de graves risques pour son intégrité. Le seul lieu où il peut faire valoir ses droits est Genève, où il est domicilié depuis des années.
Valablement convoqués, les défendeurs refusent de prendre part à la procédure. Le Tribunal de première instance, puis la Cour de justice en appel, déclarent cependant la demande irrecevable, soit en raison de l’immunité dont jouirait M. Kallel pour les faits commis dans le cadre de ses fonctions, soit en raison de l’absence d’un lien suffisant avec Genève.
Naït-Liman saisit alors le Tribunal fédéral d’un recours visant à faire reconnaître qu’il existe un «for de nécessité» à Genève, tel que prévu par l’article 3 de la loi fédérale sur le droit international privé. Selon cette disposition, il doit en effet être possible d’agir en Suisse lorsqu’une «procédure à l’étranger se révèle impossible ou qu’on ne peut raisonnablement exiger qu’elle y soit introduite», les autorités judiciaires «du lieu avec lequel la cause présente un lien suffisant» étant alors compétentes.
Le 22 mai 2007, le Tribunal fédéral rejette dans un arrêt le recours en raison de l’insuffisance de ce lien, laissant ouverte la question de savoir si l’immunité d’un ancien ministre de l’intérieur pourrait également faire obstacle à l’affaire.
En novembre 2007, M. Naït-Liman saisit la CEDH d’une requête visant à reconnaître qu’il avait subi une violation de l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme en raison du refus des tribunaux suisses d’examiner sa demande d’indemnisation suite en raison des conséquences sur sa santé des tortures subies.
Le 21 juin 2016, par 4 voir contre 3, la CEDH rejette sa requête. La Cour reconnaît que la Suisse avait le droit de limiter son droit d’introduire une procédure civile. La Cour estime que les autorités suisses étaient autorisées à considérer sa résidence à long terme en Suisse, l’octroi du statut de réfugié dans ce pays, l’acquisition de la nationalité suisse et le fait que la personne suspectée d’avoir ordonné la torture ait été trouvée sur le territoire suisse comme ne constituant pas des liens suffisants. En conséquence, la Suisse pouvait restreindre le droit de M. Naït-Liman de saisir la justice d’une demande en réparation.
Le 29 novembre 2016, un panel de 5 juges accepte la demande formulée par M. Naït-Liman et TRIAL International que l’affaire soit renvoyée devant la Grande Chambre de la Cour. La procédure devant les 17 juges de la Grande Chambre peut désormais commencer.
La journée internationale contre les violences faites aux femmes, célébrée le 25 novembre, met en lumière le fléau des violences sexuelles. Seule une justice forte pourra jouer un rôle dissuasif et mettre un terme à ces atrocités.
Des dizaines de femmes brûlées vives après avoir été violées au Soudan du Sud. Plus de 1 500 femmes et fillettes Yazidi encore prisonnières de Daesh. Près de 70 accusations de violences sexuelles en 2015 contre des Casques Bleus, supposés protéger les populations civiles.
En cette journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, le bilan est glaçant. De la Colombie à la République Démocratique du Congo, les récits de violences sexuelles sont innombrables. Et pourtant, seule une infime proportion de victimes ose dénoncer ces abus, ce qui laisse imaginer l’ampleur réelle du phénomène.
Certes, les violences sexuelles peuvent également être commises contre les garçons et les hommes. Mais la prévalence de ces crimes envers les femmes pendant les conflits armés mérite une attention particulière.
Paix et justice sont intimement liées
Trop souvent, les violences sexuelles sont perçues comme un corollaire regrettable mais inévitable des conflits armés. C’est faux : les violences sexuelles, comme les autres crimes, peuvent reculer si la justice joue son rôle dissuasif. « L’impunité quasi-totale des violeurs constitue une des principales causes de la récurrence de ces crimes et fragilise les efforts/processus de réconciliation. Il existe donc un lien étroit entre justice et paix durable. » explique Lucie Canal, conseillère juridique experte sur les violences sexuelles.
Tous nos efforts doivent dès lors converger pour construire une justice forte : des lois qui punissent toutes les formes de violences sexuelles, des enquêtes performantes, des procureurs et des juges sensibles au trauma des victimes, et des réparations adéquates effectivement versées à ces dernières.
Le mouvement est en marche
Ces dernières années, une prise de conscience croissante a émergé à l’échelle internationale. Nous devons pour cela rendre hommage au courage des victimes qui refusent de s’enterrer dans la honte et le silence, et à l’infatigable activisme des défenseurs des droits humains.
La reconnaissance d’un droit à la justice pour les victimes de violences sexuelles s’est progressivement affirmée. « La condamnation de Jean-Pierre Bemba par la Cour pénale internationale (CPI), en août 2016, pour viol en tant que crime de guerre et crime contre l’humanité, est une des plus récentes illustrations. Le développement d’outils tels que le Protocole international relatif aux enquêtes sur les violences sexuelles dans les situations de conflit est un autre exemple. », dit Lucie Canal.
Le mouvement contre les violences sexuelles est en marche. Poursuivons nos efforts et appelons à une action internationale renforcée pour garantir enfin le droit de toutes les victimes à la justice.
Un rapport de TRIAL International compile les témoignages de victimes sur le thème des réparations. Il met en lumière la nécessité d’un programme national de soutien pour les victimes en Bosnie-Herzégovine.
En droit international, les victimes de crimes internationaux ont droit à des réparations. En Bosnie-Herzégovine, où il n’existe aucun système national dans ce sens, les victimes doivent faire valoir leur droit devant les cours civiles et pénales. Mais plusieurs obstacles, comme l’absence de soutien financier et d’accompagnement psychologique complet, entravent l’accès des victimes aux réparations.
Forte de plus de 8 ans d’expériences dans la représentation des victimes, TRIAL International est fière de publier son rapport Compensating Survivors in Criminal Proceedings: Perspectives from the Field (en anglais et bosnien uniquement)
Cette publication cherche à comprendre l’indemnisation du point de vue de la victime. Elle illustre les bénéfices des réparations et les difficultés des victimes à y accéder. Pendant 4 mois, l’équipe de TRIAL a interviewé des survivants, psychologues, travailleurs sociaux, professionnels juridiques, représentants du gouvernement, chercheurs et représentants d’ONG.
« Les réparations sont un sujet complexe et multidimensionnel, seule une approche pluridisciplinaire pouvait rendre compte de l’ampleur de l’expérience des survivants », explique Kyle Delbyck, auteure du rapport et collaboratrice chez TRIAL International.
Les survivants doivent jouer un rôle actif dans les procédures
L’immense majorité des victimes interviewées dans le rapport expliquent que les procédures de réparations vont bien au-delà de l’argent perçu : elles représentent un moyen de reprendre le contrôle et de clore enfin ce chapitre de leur vie. Pour certaines, les procédures de réparations sont la seule opportunité de raconter leur histoire devant une cour avec leurs propres mots.
En effet, lors de procédures pénales, les victimes sont appelées comme témoins pour répondre à des questions spécifiques. Elles ont peu de temps pour raconter leur expérience. Leur témoignage peut être remis en question par la Défense pendant le contre-interrogatoire. De ce fait, beaucoup de victimes ressortent blessées et déçues des audiences.
Les procédures d’indemnisations, au contraire, sont organisées autour des victimes et pour celles-ci. Elles sont en mesure de faire des déclarations liminaires et finales, de fournir des preuves, d’appeler des témoins, etc. « La victime a la possibilité de participer activement aux procédures et d’adresser des requêtes, lui donnant le sentiment qu’elle n’est pas qu’un rouage dans la procédure » dit Nedzla Sehic, une avocate qui représente des victimes de violences sexuelles.
Ce rôle actif peut être cruciale pour tourner enfin la page et aider les victimes à reprendre contrôle sur leur propre vie. « Pour elles, c’est le signe qu’elles ne sont plus dans une position de survivant qui ne fait qu’attendre » explique la directrice de l’ONG Medica Zenica, Sabiha Husic.
La voix des victimes comme outil de plaidoyer
Le rapport analyse également les pistes offertes aux victimes peuvent obtenir justice, et les limites de chacun de ces mécanismes. En l’absence d’un programme complet de réparation à échelle nationale, les victimes doivent se débrouiller face à un système judiciaire complexe. Nombre d’entre elles n’accèderont jamais à des réparations.
En mettant en lumière leurs lacunes et en partageant les bonnes pratiques, ce rapport est à la fois un outil de plaidoyer et de renforcement des capacités. « Nous espérons qu’il favorisera la mobilisation politique afin que même les survivants les plus vulnérables aient la possibilité d’obtenir réparation », conclut Selma Korjenic, responsable du programme BiH de TRIAL.
Lire le rapport
En savoir plus sur les succès de TRIAL en matière de compensations des victimes
Monsieur Nepali était journaliste au Maoist Daily pendant la guerre civile qui a opposé les forces népalaises de sécurité à la guerilla Maoïste. Militant politique, Monsieur Nepali était aussi membre du parti communiste du Népal Maoïste (PCN-M). Il vivait à Katmandou avec son épouse. En sa qualité de membre de l’opposition, il a été arrêté et interrogé, ainsi que son épouse, à plusieurs occasions sans toutefois être sérieusement menacé.
Le 21 mai 1999, sa vie a basculé lorsque que six ou sept policiers se sont présentés et lui ont demandé de les suivre pour être questionné. Monsieur Nepali les a suivis sans résistance et a été emmené dans un mini-van vers une destination inconnue. Cette fois, il n’est jamais revenu.
Sa femme, témoin de son arrestation, a remué ciel et terre pour savoir où il avait été amené. Elle s’est fréquemment rendue à la station de police locale, en vain. Finalement, des semaines après l’arrestation de son époux, elle a reçu un appel anonyme l’informant qu’il était retenu au quartier général de la police à Naxal, Katmandou.
Le jour suivant, Madame Basnet s’est rendu à Naxal et a demandé à voir son mari. La police a refusé mais a accepté de prendre le linge propre qu’elle lui avait apporté. Cet acte a donné un regain de courage à l’épouse, prenant cela comme un signe que son mari était bien détenu à Naxal et était encore en vie.
Après avoir quitté le poste de police, Mme Basnet a escaladé une butte voisine et a pu apercevoir Monsieur Nepali à l’intérieur du complexe. Il était escorté par un policier alors qu’il se rendait aux toilettes et, bien que menotté, il semblait en bonne forme physique. Madame Basnet a crié pour attirer son attention, mais elle était trop loin et il ne l’a pas entendue.
C’est la dernière fois qu’elle, ou quiconque, a vu Monsieur Nepali.
Procédure
L’année suivante, la Cour Suprême a rejeté à deux reprises les demandes de remise en liberté (respectivement le 12 juillet 1999 et le 5 juillet 2000). Dans les deux décisions, la Cour a considéré que la police ayant nié toute détention, aucune remise en liberté ne pouvait être prononcée.
Le combat de Madame Basnet ne s’est pas limité au volet juridique. Avec les familles d’autres individus disparus, elle a tenu une conférence de presse et lancé un appel au grand public et aux autorités gouvernementales de lui signaler toute information sur la localisation de M. Nepali. Elle a également présenté un appel écrit au Parlement et a cofondé l’Association pour les familles des victimes de disparition d’État (AFVDE).
En juillet 2009, la cause de Madame Basnet était même soutenue par Amnesty International, qui a lancé deux appels urgents en août 1999 et en février 2000. Le gouvernement du Népal est resté inflexible.
En mai 2012, TRIAL International a porté l’affaire devant le Comité des droits de l’homme de Nations Unies (CDH).
Le 1er novembre 2016, le CDH a transmis une décision dans laquelle il considère que les droits de Mme Basnet avaient, en effet, été violés et a enjoint le gouvernement du Népal :
- D’enquêter sur la disparition forcée de Monsieur Nepali
- Dans le cas où il serait mort, de localiser son corps et de remettre sa dépouille à sa veuve
- De poursuivre et de punir les coupables
- De garantir une indemnisation et un suivi psychologique à Mme Basnet
Le CDH a également enjoint l’Etat de prévenir tout cas similaire, en s’assurant que les disparitions forcées donnent lieu à des enquêtes et que la législation nationale permette de poursuivre et de punir les auteurs.
Le combat n’est pas terminé
Le prochain défi pour Madame Basnet est de transformer cette décision en changements effectifs. Une quête qui promet d’être longue et difficile, et dans laquelle TRIAL l’accompagnera. En effet, les recommandations du CDH sont souvent restés lettres mortes au Népal, ce qui constitue une nouvelle violation des droits des victimes.
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Lire une autre histoire de disparition forcée au Népal
En RDC, les victimes de crimes graves peuvent désormais chercher justice devant les juridictions civiles. Des débuts timides mais encourageants qui pourraient mettre un terme à l’impunité généralisée dans le pays.
Depuis ses débuts en 2002, la lutte contre l’impunité pour les crimes internationaux en RDC a été placée exclusivement entre les mains des tribunaux militaires du pays. Mais malgré quelques victoires, de nombreux obstacles entravent les victimes dans leurs démarches. D’importantes lacunes dans le code militaire perpétuent également l’impunité des plus hauts gradés.
Par exemple, les militaires congolais ne peuvent être jugés que par des pairs ayant un grade égal ou supérieur au leur. Vu l’absence quasi-totale de généraux parmi les procureurs et juges militaires, ce principe engendre, de fait, une impunité pour les gradés les plus hauts placés.
De plus, les magistrats militaires sont soumis aux interférences directes du pouvoir exécutif et du commandement militaire. Les poursuites peuvent être interdites ou soumises à l’autorisation préalable du commandement militaire, ce qui équivaut souvent à un abandon des poursuites.
Les exemples d’impunité chez les militaires sont pléthores : dans l’affaire Kabungulu, un magistrat trop zélé a été muté en cours d’instruction, sans aucune justification, alors qu’il examinait la responsabilité de personnalités politiques. L’affaire est encore bloquée à ce jour. Dans une autre affaire, un colonel accusé de viol est protégé par ses supérieurs sous prétexte qu’il participe à des opérations militaires importantes.
La RDC enfin en phase avec les standards internationaux
Face à ces injustices flagrantes, les standards internationaux préconisent que les affaires de droits humains soient confiées à des juridictions civiles. La RDC s’est finalement alignée à ces standards en 2013, au terme d’une longue campagne menée par la société civile. Désormais, la compétence pour les crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide se partage entre les tribunaux militaires et les cours civiles.
En septembre 2016, la cour d’appel de Lubumbashi (province du Katanga) a fait usage de cette nouvelle loi pour la première fois. Dans un procès sans précédent, elle a condamné quatre prévenus pour génocide.
Prenant appui sur ce précédent, les magistrats civils du Sud Kivu viennent d’ouvrir à leur tour une première enquête. « Nous avons beaucoup insisté pour que les juridictions civiles se saisissent de l’affaire, explique Daniele Perissi, responsable du programme RDC chez TRIAL International. La cour d’appel de Bukavu sera sans doute mieux adaptée qu’un tribunal militaire pour mener cette enquête et organiser rapidement un procès. »
Dans cette affaire de crimes contre l’humanité, TRIAL International assiste et représente gratuitement* les dizaines des victimes qui cherchent justice et réparation.
* Les activités de TRIAL International sur ce dossier font partie d’un projet mis en œuvre en collaboration avec l’Union européenne et le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) qui prévoit le renforcement des juridictions civiles congolaises dans la répression des crimes internationaux.
TRIAL International et six ONG dénoncent le calvaire vécu par des milliers de familles de personnes disparues au Mexique qui cherchent à obtenir des aides sociales et des réparations.
En théorie, le Mexique dispose du système législatif et de toutes les institutions nécessaires pour garantir des aides sociales et des réparations aux familles de personnes disparues. Mais derrière cette façade, des milliers de familles se retrouvent seules pour affronter la disparition de leurs proches, et le bouleversement émotionnel et financier qui en découlent.
Les hommes victimes de disparitions forcées sont souvent les piliers financiers de leurs familles, aussi leur disparation est source de souffrances également pour leurs femmes et leurs enfants. Chaque disparition bouleverse donc des familles entières. La garantie d’un emploi et d’un logement est donc crucial afin qu’elles puissent continuer leurs recherches, et tout simplement pour qu’elles survivent.
Un labyrinthe bureaucratique inhumain
Le droit international oblige les États à accorder des réparations et des aides sociales aux familles de personnes disparues.
Mais au Mexique, celles-ci se retrouvent piégées dans un vrai labyrinthe bureaucratique. Les institutions supposées les soutenir entravent leurs démarches : les officiers sont souvent réticents ou incapables d’assister convenablement les victimes ou à leurs proches.
Pire encore, de nombreuses familles souffrent de re-victimisation, ce qui les dissuade de lutter pour leurs droits. Des épouses d’hommes disparus se sont entendues dire qu’elles devraient trouver un travail plutôt que de « mendier », puisque leurs maris ne reviendraient de toute façon pas.
Il en va de même pour des familles qui avaient demandé un suivi médical et psychologique. Cette aide leur a été refusée car elles étaient incapables de prouver le traumatisme qu’elles avaient enduré. Faux renseignements et pertes de dossiers font également partie de la liste des mauvais traitements infligés aux familles.
Pour s’en sortir, les sont parfois obligées d’avancer des frais de suivi médical, parfois au prix d’un endettement. Pour peu que les autorités mexicaines tardent à rembourser ces frais – ce qui est souvent le cas – les familles s’enfoncent dans la pauvreté, humiliées et marginalisées.
Les étrangers ont encore moins de droits que les autres
La situation est pire encore pour les familles qui ne vivent pas au Mexique – une situation loin d’être inhabituelle puisque les immigrés d’Amérique centrale transitent par le Mexique pour à gagner les États-Unis ou le Canada. Chaque année, des milliers d’entre eux sont victimes de disparitions forcées. Bien que les familles étrangères aient les mêmes droits que les familles mexicaines au regard de la loi, les obstacles se révèlent en pratique trop nombreux.
D’une part, les familles doivent choisir un représentant au Mexique, ce qui est parfois très difficile pour une personne résidant en-dehors du territoire mexicain. D’autre part, les familles ne peuvent pas se rendre elles-mêmes Mexique car elles n’en ont ni les moyens, ni le visa.
Les quelques personnes qui réussissent à s’enregistrer officiellement comme « victimes » devraient accéder aux aides sociales, mais elles en bénéficient rarement. Le fils de Mme E.E. a disparu au Mexique en 2011 alors qu’elle vivait au Salvador. Après 4 longues années, elle a enfin été officiellement reconnue comme victime au Mexique. Pour accéder à son suivi médical et psychologique, elle a été contrainte de se rendre au Mexique… pour s’entendre dire sur place qu’elle ne remplissait pas toutes les conditions pour y avoir droit. Renvoyée au Salvador les mains vides, elle n’a toujours pas de réponse quant au sort de son fils. Chaque jour, d’innombrables parents et frères et sœurs endurent les mêmes humiliations.
En novembre 2016, TRIAL International et six ONG ont dénoncé ces situations inhumaines au Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires (GTDF). Le rapport illustre, exemples à l’appui, les obstacles auxquels font face des milliers de familles de personnes disparues.
Le GTDFI devrait maintenant demander des explications au Mexique et émettre ses recommandations.
Lire le rapport complet (en espagnol)
Lire le résumé (en anglais)
Un op-ed de Philip Grant
La sortie du Burundi de la Cour pénale internationale (CPI), suivi par l’Afrique du Sud et la Gambie, a fait couler beaucoup d’encre ces dernières jours. Pour éviter d’autres retraits, les Etats membres doivent réaffirmer leur soutien à la justice internationale.
Le 27 octobre 2016, le Burundi a officiellement quitté la CPI. Quelques jours auparavant, c’était l’Afrique du Sud – autrement moins isolé que le Burundi sur la scène internationale – qui annonçait son départ de la Cour, rapidement suivie par la Gambie.
Et pourtant, ces trois Etats avaient très rapidement ratifié le Statut de Rome, s’engageant contre l’impunité avec un courage qui manquait à nombre de pays occidentaux. Les gouvernements africains ont soutenu le projet d’une Cour pénale internationale avant même qu’elle voit le jour et ont activement participé à sa mise en place.
Comment expliquer le soudain volte-face du Burundi, de la Gambie et de l’Afrique du Sud ?
La réponse est qu’une justice internationale forte dérange. Ces Etats pensaient sans doute qu’une institution de leur propre création ne pourrait pas se retourner contre eux, qu’elle se bornerait à enquêter sur leurs opposants. En ouvrant un examen préliminaire sur le Burundi au mois d’avril, la CPI a montré qu’il n’en était rien.
Elle avait déjà agi de la sorte en inculpant six hauts dignitaires kenyans, dont certains sont encore au pouvoir aujourd’hui. Depuis lors, le Kenya compte parmi les plus ardents critiques de la Cour. La même chose s’est produite en Côte d’Ivoire, quand le Procureur s’est penché sur les crimes commis par le parti du président actuel. Combien de pays ont renouvelé leur soutien indéfectible à la Cour après que leurs dirigeants (et non des opposants politiques) soient inquiétés ? Aucun.
Une justice forte et crédible
Pourtant, une justice internationale qui s’attaque aussi aux plus puissants est une justice forte et crédible. C’est le signe que la CPI – institution encore très jeune – prend de l’ampleur et de l’assurance.
Il convient maintenant de dépasser le débat stérile et faux autour d’une Cour qui ne s’en prendrait qu’aux Africains. La CPI est plus diverse que cela. La Colombie, la Géorgie et la Palestine sont également dans le collimateur de la Cour. Une puissance européenne fait l’objet d’un examen préliminaire : la Grande-Bretagne, pour des exactions commises par son armée en Iraq. Et des rumeurs grandissantes circulent que l’Afghanistan pourrait aussi être concerné, notamment pour les actes commis par les troupes étasuniennes.
D’autres développements sont des plus prometteurs. Ainsi, la Procureure a récemment mis en avant sa volonté de s’en prendre plus activement aux crimes économiques, notamment environnementaux. La Cour devrait également pouvoir bientôt poursuivre le crime d’agression. Les George W. Bush et les Tony Blair du futur tomberont alors dans son viseur.
Ces exemples montrent que la justice est en marche. Mais le pouvoir de frappe de la CPI continuera à dépendre tant de la coopération des Etats parties au Statut de Rome, que du soutien critique de la société civile. Pour ne pas perdre 20 ans de progrès en matière de justice internationale, il faut s’engager – et pousser nos gouvernements à s’engager – dans ce sens.
Philip Grant, Directeur de TRIAL International
Jusqu’à aujourd’hui, les victimes Bosniennes ne recevaient aucune aide de l’Etat pour obtenir des indemnités lors de procédures pénales. La Bosnie-Herzégovine a enfin amendé son droit pour se conformer à ses obligations internationales.
En 2015, pour la première fois dans l’histoire du pays, TRIAL international a aidé des victimes de crimes de guerre à obtenir une indemnisation lors d’un procès pénal. Depuis ces décisions phares, la pratique s’est rapidement répandue.
Reconnaissant que le droit des victimes à des réparations était impossible sans aide juridique, le Bureau du Procureur et les tribunaux ont depuis orienté les victimes vers des organisations non gouvernementales, qui les assistaient gratuitement dans leurs démarches. Les moyens de ces organisations s’avéraient cependant largement insuffisants.
L’Etat face à ses obligations
C’est pourquoi TRIAL International a fait campagne pour l’établissement d’un régime d’aide gratuite pour les victimes. Le 27 octobre, l’assemblée parlementaire de Bosnie-Herzégovine a finalement adopté des amendements en ce sens.
A présent, le ministère de la Justice doit implémenter la nouvelle loi relative à l’aide légale et s’assurer que les victimes accèderont enfin aux voies de recours qui leurs sont ouvertes. La loi se limite au niveau étatique, ces changements affectent donc le Bureau du Procureur de Bosnie-Herzégovine et la Cour de Bosnie-Herzégovine.
Seules les victimes qui remplissent d’autres conditions (situation financière précaire ou victimes de violences fondées sur le genre) pourront bénéficier de l’aide juridique gratuite.
Tej Bahadur Bhandari est porté disparu depuis 2011. Son fils, Ram Bhandari, n’a jamais cessé de lutter pour la justice. Il est aujourd’hui un important défenseur des droits humains au Népal. Voici son histoire.
« Mon père a disparu en 2001. J’avais alors 23 ans. J’étais à l’université lorsque j’ai reçu l’appel téléphonique de ma mère : elle était affolée, elle a dit que mon père avait été enlevé par la police. J’ai immédiatement redouté le pire : certains de mes amis à l’université avaient été emprisonnés, enlevés ou torturés par les autorités. Je savais de quoi ils étaient capables.
Je me suis empressé de rentrer chez moi dès le lendemain pour être avec ma mère. Ensemble, nous nous sommes rendus au poste de police. Les policiers ont nié avoir enlevé mon père, mais certains témoins nous ont relaté une histoire bien différente : mon père a été passé à tabac en plein jour, au milieu de la rue, jusqu’à perdre connaissance. Les policiers lui ont ensuite bandé les yeux et attaché les mains, et l’ont emmené. Nous ne l’avons pas revu depuis. »
Une famille brisée
« Comme je refusais de me taire et continuais d’interpeller les autorités, j’ai commencé à recevoir des menaces. J’ai même été emprisonné pendant quelques jours. Comme ma mère s’inquiétait pour notre sécurité, nous avons décidé de déménager dans une autre ville. Nous avons laissé derrière nous notre entreprise familiale et tous nos proches. Dans cette nouvelle ville, nous ne connaissions personne. Ma mère ne pouvait pas travailler, elle était extrêmement angoissée et a dû être hospitalisée.
Les liens familiaux sont très importants au Népal. La place d’une femme dans la société est liée à son mari. C’est également lui qui apporte un revenu, la femme restant à la maison et s’occupant des enfants. Au moment où mon père a été enlevé, ma mère n’a donc pas été en mesure de se débrouiller seule. C’est le cas de nombreuses épouses d’hommes disparus.
Ces femmes ne peuvent même pas recevoir des fonds de veuvage, car elles ne sont pas en mesure de fournir un corps ou une date de décès. Elles se trouvent dans une position ambiguë que leur communauté ne comprend pas, ce qui entraîne leur rejet et leur stigmatisation. Les enfants souffrent également : en raison du manque de ressources, ils ne peuvent pas aller à l’école ou être soignés correctement. Lorsqu’un homme est victime de disparition forcée, toute sa famille est confrontée à l’exclusion sociale et à de grandes souffrances psychologiques. »
Chercher justice au niveau supranational
« Ma mère et moi étions déterminés à savoir ce qui était arrivé à mon père. Nous sommes allés voir la police, les juridictions, les politiciens, nous avons écrit des lettres, nous avons rassemblé des preuves… en vain. Je pensais que nous étions à nos limites lorsque j’ai entendu parler de TRIAL International pour la première fois. Ils m’ont expliqué que les procédures ne s’arrêtaient pas au niveau national, que nous pourrions porter l’affaire devant les Nations Unies. Nous avons retrouvé espoir quand nous avons appris que nous allions pouvoir continuer notre combat malgré le manque de coopération des autorités népalaises !
En 2014, le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a pris notre défense et a demandé au Népal de rendre justice. Enfin, notre souffrance, de même que le caractère illégal de ces évènements, étaient reconnus.
Malheureusement, rien n’a été fait par les autorités népalaises depuis la décision du Comité. Nous ne savons toujours pas pourquoi mon père a été enlevé, ce qui lui est arrivé, ni même s’il est encore vivant. »
Du préjudice individuel à l’action collective
« Je dédie désormais ma vie à la défense des victimes de disparitions forcées. Avec le Réseau national népalais des familles des disparus, nous informons les personnes sur leurs droits. Nous expliquons les procédures, nous les aidons à récolter les preuves les plus convaincantes, et nous leur parlons des procédures devant les Nations Unies si la justice népalaise fait la sourde oreille.
Ces familles sont trop nombreuses à ne pas connaître leurs droits. Souvent, elles sont issues d’un milieu rural et vivent dans le dépouillement. Beaucoup d’entre elles ont peur, ou pensent que demander justice ne servira à rien. Elles ne rapportent pas toujours les disparitions forcées, ce qui signifie qu’un grand nombre de ces crimes ne sont toujours pas enregistrés et passent inaperçus. Nous nous efforçons de changer cela. Nous encourageons ces personnes à se manifester, car c’est notre action collective qui changera les choses et nous permettra d’obtenir justice.
Nous faisons également un travail didactique sur les disparitions forcées, en expliquant la torture psychologique que subissent les victimes. Nous espérons que, dans le futur, les familles de disparus seront moins stigmatisées et mieux comprises. Je ne veux plus voir de femmes mise au banc comme ma mère l’a été. »
En savoir plus sur l’affaire Tej Bahadur Bhandari
Visitez le site de notre campagne pour la justice au Népal