Le Tribunal fédéral (TF) a confirmé la condamnation d’Erwin Sperisen à 15 ans de prison. Le 27 avril 2018, la justice genevoise avait reconnu l’ancien chef de la police guatémaltèque (PNC) coupable de complicité dans l’assassinat de sept détenus dans la prison de Pavón en 2006. L’ONG TRIAL International, qui travaille sur le dossier depuis bientôt dix ans, se réjouit de ce que justice ait enfin été rendue et que le verdict soit maintenant exécutoire. Selon les informations disponibles à l’heure où nous écrivons, Erwin Sperisen aurait d’ores-et-déjà été écroué.

Après trois procès à Genève et deux recours devant le Tribunal fédéral, Erwin Sperisen devra purger ce qui lui reste de sa peine de 15 ans de prison. ©AP Photo/Moises Castillo

«Cette décision a été accueillie avec un énorme soulagement par les proches des victimes qui obtiennent enfin justice et pourront désormais panser leurs plaies», a déclaré Philip Grant, directeur exécutif de TRIAL International. « C’est également un grand jour pour la justice au Guatemala. »

 

UN VERDICT HISTORIQUE ET SANS APPEL …

Arrêté en 2012, Erwin Sperisen, avait été condamné lors d’un troisième procès en 2018 à 15 ans de prison. C’est contre ce verdict que l’accusé avait fait recours devant le TF. En confirmant la condamnation d’Erwin Sperisen, celui-ci écarte la dernière tentative de la défense en balayant les multiples théories du complot avancées par M. Sperisen et ses défenseurs.

Ainsi, selon le TF, qui balaie, dans un arrêt de 69 pages, les griefs de la défense: « La condamnation de l’intéressé comme complice de sept assassinats et la peine de 15 années de privation de liberté ne prêtent pas le flanc à la critique. » La Cour reprend également les constatations de la Cour de Justice genevoise, selon laquelle Erwin Sperisen « avait accepté d’apporter son concours à une entreprise consistant (…) à éliminer comme des animaux nuisibles des hommes (…) qui ne lui avaient rien fait et qu’il ne connaissait d’ailleurs pas, mais qui étaient placés sous la protection de l’État, et donc sous la sienne. »

Pour Bénédict De Moerloose, responsable du programme Procédures et enquêtes internationales de TRIAL International, cette décision est historique. L’avocat et son équipe n’ont en effet pas compté les heures passées à constituer le dossier contre M. Sperisen depuis que TRIAL International s’est saisie de l’affaire en 2009. Un travail de longue haleine que l’ONG n’aurait pas pu fournir sans l’aide des organisations partenaires au Guatemala. «Cette décision grave dans le marbre le fait qu’Erwin Sperisen a participé à une opération d’élimination de prisonniers. Cette décision est également un hommage aux organisations de la société civile aux côtés desquelles TRIAL International a combattu dès le début », souligne l’avocat.

 

… ET DES RÉPERCUSSIONS AU GUATEMALA

Pour tous ceux qui luttent contre l’impunité au Guatemala également, cette décision apportera certainement une lueur d’espoir. Le besoin d’une justice indépendante et impartiale y est en effet plus criant que jamais, alors que la Commission internationale contre l’impunité au Guatemala (CICIG), a été dissoute le 3 septembre 2019, suscitant les pires craintes pour le fonctionnement de la justice, et que le nouveau président, un proche d’Erwin Sperisen, a notamment été élu sur la promesse de rétablir la peine de mort.

 

Le Népal n’a fait aucun progrès réel sur les questions de justice, de vérité et de réparation pour les victimes de violations massives des droits humains et d’abus commis pendant ses dix années de conflit, ont déclaré aujourd’hui la Commission internationale de juristes (CIJ), Amnesty International, Human Rights Watch (HRW) et TRIAL International. L’Accord de paix pour le Népal visant à mettre fin à la guerre a été signé le 21 novembre 2006.

Le déni de justice reste fréquent pour les victimes du conflit. © Kaushal Raj Saptoka

Deux commissions ont été mises en place pour examiner les atrocités commises en période de conflit mais elles n’ont pas été efficaces. L’impunité et le déni d’accès à la justice aux victimes restent omniprésents. Les quatre organisations de défense des droits humains s’interrogent particulièrement sur les mesures récentes du gouvernent qui suggèrent qu’il procédera à la nomination des commissaires sans mettre en place les réformes nécessaires du cadre juridique.

« La semaine dernière a marqué le 13e anniversaire de l’Accord de paix qui a mis fin au conflit au Népal. Il est étonnant de constater que très peu de progrès ont été réalisés pour répondre aux préoccupations et aux demandes clairement exprimées par les victimes du conflit » a déclaré Frederick Rawski, Directeur de la CIJ pour l’Asie et le Pacifique. « Ces exigences comprennent un processus transparent et consultatif pour la nomination des commissaires et un véritable effort de la part des dirigeants politiques et des législateurs pour remédier aux graves faiblesses du cadre juridique existant. »

 

Une absence de consultation adéquate et de transparence

Le 18 novembre 2019, un comité de cinq membres (formé par le gouvernement pour proposer des commissaires pour la Commission vérité et réconciliation et à la Commission d’enquête sur les disparitions forcées) a publié une liste des candidats. Les victimes et les organisations de la société civile craignent que le gouvernement se contente de renouveler le mandat d’anciens commissaires, voire de procéder à des nominations politiques, insuffisamment impartiales et indépendantes.

« Il est profondément décevant que le gouvernement ait tenté, à maintes reprises, de nommer les commissaires sans consultation adéquate et sans transparence. Les commissions ne gagneront pas la confiance des victimes et de la communauté internationale si les partis politiques continuent d’interférer dans le processus de nomination »a déclaré Biraj Patnaik, directeur pour l’Asie du Sud à Amnesty International.

La dernière mesure prévoit que les commissions soient reconstituées sans modifier le cadre juridique régissant le processus de justice transitionnelle. Rien ne prévoit non plus qu’il soit conforme aux obligations internationales du Népal en matière de droits humains, comme l’a demandé la Cour suprême et comme l’exigent la société civile et les victimes.

 

Des bases juridiques solides et une réelle volonté politique

Les victimes et les organisations de la société civile ont publié une déclaration indiquant clairement leur opposition à toute nomination avant la modification du cadre juridique. Notamment, la Commission nationale des droits de l’homme, dans sa déclaration commémorant le 13e anniversaire de l’accord de paix global, a déclaré que « la Commission ne soutiendra aucune décision, travail ou activité qui pourrait nuire au caractère sensible des victimes des conflits. »

« La décision du gouvernement est non seulement allée à l’encontre du rôle des victimes dans le processus de justice transitionnelle, mais a également remis en question son engagement à respecter ses obligations internationales et à garantir la justice pour les crimes du conflit » a déclaré Tomás Ananía, Responsable du programme Népal de TRIAL International.

La CIJ, Amnesty International, Human Rights Watch et TRIAL International ont exprimé, à maintes reprises, leur préoccupation quant au fait que des mécanismes efficaces de justice transitionnelle exigent des bases juridiques solides, conformes au droit international et aux bonnes pratiques, et une réelle volonté politique de soutenir les victimes du conflit.

Les quatre organisations ont réaffirmé leur appel à modifier la loi de 2014 sur la justice transitionnelle pour la rendre conforme aux décisions de la Cour suprême et aux normes internationales de droits humains. Elles ont également appelé à engager un véritable processus consultatif et transparent pour la nomination des commissaires.

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Pour sa première initiative dans la région du Kasaï, TRIAL International s’est associé à l’ONG médicale Physicians for Human Rights. L’objectif ? Renforcer l’accès à la justice en combinant expertise juridique et médicale.

La crainte d’être stigmatisé et la méfiance envers le système judiciaire expliquent le faible nombre d’affaires au Kasai. © TRIAL International / Will Baxter

Forte de ses expériences concluantes dans l’est de la RDC, TRIAL International étend ses actions dans le pays au Kasaï, une région frontalière avec l’Angola et ravagée par la violence.

Pour lutter contre l’ampleur et à la gravité des crimes qui y sont commis, l’organisation a développé un partenariat avec Physicians for Human Rights (PHR), une ONG qui collecte des preuves médicales pour documenter les violations des droits humains. Le projet se poursuivra jusqu’en 2022 et devrait contribuer à mettre des centaines de bénéficiaires sur la voie de la justice et des réparations.

« Notre première collaboration avec PHR dans l’affaire Kavumu a prouvé que l’expertise juridique et médico-légale contribuent grandement à la lutte contre l’impunité » explique Guy Mushiata, coordinateur national de TRIAL International en RDC. « Nous espérons maintenant renouveler cette collaboration fructueuse au Kasaï, où tant de victimes souffrent encore de l’absence de justice. »

Une expertise complémentaire, délivrée gratuitement

Ensemble, TRIAL International et PHR mettent à profit leurs ressources ainsi que leur expertise juridique et technique pour aider les victimes de crimes internationaux à obtenir justice. Une assistance est fournie gratuitement aux survivants, indépendamment de leurs origines et de leur ethnie, langue et religion. Une attention particulière est accordée aux victimes de violence sexuelle et sexiste.

En outre, les deux organisations assurent la formation d’un large éventail de praticiens du Kasaï. Les initiatives de renforcement des capacités s’adressent, entre autres, aux avocats et aux juges, au personnel médical, aux défenseurs des droits humains et aux ONG locales, aux fonctionnaires de police et aux procureurs.

Méfiance et peur entravent encore le processus de justice

Entre 2016 et 2017, le Kasaï a connu l’une des montées de violence les plus dramatiques de l’histoire congolaise. Celle-ci a causé la mort de plus de 3’000 personnes, et plus de 80 fosses communes ont déjà été découvertes. Des milliers de cas de tortures et de viols ont également été signalés.

En dépit de ces chiffres, la crainte d’être stigmatisé – en particulier dans les cas de crimes de violences sexuelles– accompagnée d’une méfiance généralisée envers le système judiciaire, justifient le nombre étonnamment faible d’affaires pénales. TRIAL et PHR espèrent changer ces attitudes et prouver que la justice est possible.

« Nos organisations ont des mandats différents, mais du point de vue des victimes, elles forment un ensemble cohérent : leur garantir les meilleurs soins et un soutien holistique ; documenter les crimes d’une manière complète mais respectueuse ; former des praticiens locaux afin qu’ils puissent émuler les bonnes pratiques. Tous ces éléments contribuent à rendre la justice plus efficace et plus accessible. » résume Daniele Perissi, responsable du programme Grands Lacs chez TRIAL International.

Le Kasaï reste l’une des régions les moins développées de la RDC. Malgré l’abondance de ressources naturelles, l’économie de la région est en ruine depuis des décennies en raison du faible investissement de l’État dans les services de base, engendrant une pauvreté extrême et un sous-développement chronique.

En savoir plus sur PHR et la première collaboration de TRIAL en RDC

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Trois ex-miliciens, dont le tristement célèbre chef de guerre Kokodikoko, ont été condamnés pour crimes contre l’humanité. L’État congolais a également été reconnu coupable de n’avoir pas protégé les populations civiles. Un verdict exemplaire qui satisfait des centaines de victimes… si tant est qu’il soit appliqué.

Le 19 novembre 2019, le tribunal militaire de garnison de Bukavu (Sud Kivu) a reconnu trois anciens miliciens coupables de crimes contre l’humanité. Tous ont écopé de lourdes peines de prison allant de 15 ans à la perpétuité pour le chef de milice, Kokodikoko. Les juges ont notamment retenu les crimes de meurtres, disparitions forcées, torture, violences sexuelles et esclavage infligés sur les populations civiles de plusieurs villages du Sud Kivu.

Ce procès est le septième en cinq ans visant des milices de l’est de la RDC  © TRIAL International

Les victimes, elles, se sont vues accorder des réparations financières et des soins médico-sociaux. Plus de 300 d’entre elles avaient été recensées au début du procès, dont la majorité pour des violences sexuelles. Bien que certaines aient renoncé à témoigner pour des raisons sécuritaires, la tenue d’audiences sur les lieux des crimes a largement favorisé leur participation.

Retour sur un procès aux proportions titanesques

Une décision exemplaire : l’État congolais civilement responsable

Malgré le fait que les accusés appartiennent à des groupes non-étatiques, l’État congolais a également été reconnu responsable. Il devra indemniser les victimes si les trois coupables ne le font pas. La raison : il n’a pas fourni les efforts nécessaires pour prévenir ces crimes, manquant ainsi à son devoir de protéger sa propre population.

La mesure n’est pas anodine, puisque Kokodikoko et ses acolytes ne pourront sans doute pas indemniser les victimes. Les autorités devront combler ce manque pour que les réparations prononcées ne restent pas lettre morte.

« Cette décision est un pas dans la bonne direction, reste à savoir si elle sera suivie d’effets » s’inquiète Chiara Gabriele, Conseillère juridique de TRIAL International à Bukavu. « Des précédents ont montré que l’État était réticent à indemniser les victimes, même lorsque cela est demandé par les juges. »

C’est pour cela que TRIAL International poursuit son accompagnement auprès des victimes bien au-delà du procès pénal. « Une justice forte ne se contente pas de punir : elle inclut aussi une dimension de réhabilitation » conclut Chiara Gabriele.

 

Une victoire de plus dans la lutte contre les groupes armés

Le président Felix Tshisekedi, élu fin 2018, a fait de la lutte contre les milices armées un pan important de son programme. Cette nouvelle condamnation – la septième depuis cinq ans – contribue à imposer l’État de droit dans des zones qui restaient, jusqu’alors, à la merci des seigneurs de guerre locaux.

TRIAL International, dans le cadre de la Task force pour la justice internationale, participe à cet effort de longue haleine. Elle a en effet apporté son concours dans plusieurs affaires incriminant des milices de l’est congolais : Marocain et son acolyte « 106 », Mutarule, Minova, le procès Sheka en cours au Nord Kivu et bien sûr la très célèbre affaire Kavumu en 2017.

« Toutes ces victoires montrent que la justice est possible en RDC. L’impunité n’est pas une fatalité mais il faut que les autorités congolaises, avec le soutien de tous ses partenaires, se donnent les moyens d’agir » martèle Guy Mushiata, Coordinateur pour TRIAL International en RDC.

Rappelons que le principal prévenu, Kokodikoko, a été arrêté au printemps 2019 lors d’une opération de pacification menée entre FARDC et la MONUSCO.

 

Edit 05/06/2024 : En juin 2024, la Cour Militaire du Sud-Kivu a confirmé la condamnation des ex-miliciens pour crimes contre l’humanité.

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Silvia Lorenzi est psychothérapeute à Banjul, la capitale gambienne. Depuis trois ans, elle collabore avec TRIAL International pour apporter un soutien psychologique à trois victimes de l’ancien ministre de l’Intérieur, Ousman Sonko, sous enquête en Suisse pour crimes contre l’humanité. Portrait.

«D’habitude, les gens ont peur de parler d’affaires personnelles, car les histoires circulent vite et en quelques minutes, ton voisin sera au courant de tes moindres secrets.» © Silvia Lorenzi

Il y a quatre ans, elle débarquait à Banjul depuis son Italie natale. Ce projet, Silvia Lorenzi le caressait depuis longtemps avec son mari gambien dont elle porte aujourd’hui le patronyme : Jawneh. Mais avant de pouvoir réaliser son rêve africain, il a d’abord fallu qu’elle termine sa spécialisation en psychologie clinique. Puis qu’elle attende que leurs trois enfants soient prêts pour le voyage.

A son arrivée en Gambie, elle trouve un pays dans lequel la notion même de soutien psychologique est vague. Les gens en parlaient, se souvient-elle, sans réellement savoir ce dont il s’agissait. Un fossé, seulement partiellement comblé par la médecine, qui se contentait le plus souvent de solutions médicamenteuses pour soigner les troubles de l’âme. A sa connaissance, elle est toujours à l’heure actuelle la seule psychothérapeute de Gambie. Ses collègues psychologues se comptent littéralement sur les doigts d’une main, et ils ne sont pas actifs dans le domaine clinique, mais enseignent à l’université.

 

Créer une atmosphère de confiance

C’est donc dans un secteur tout à fait nouveau, vierge de toute concurrence, que Silvia Lorenzi ouvre son cabinet en 2015 à Banjul. Une salle calme, cachée de la rue derrière de hauts murs où le temps semble s’arrêter. Assez rapidement, elle commence à recevoir quelques personnes, d’abord expatriées. Puis progressivement, des Gambiens commencent à lui rendre visite, mais essentiellement de la capitale et de ses proches environs, et exclusivement des jeunes. Des premiers contacts plus simples qu’elle ne l’aurait imaginé, car son statut d’étrangère avait pour effet de délier les langues.

La Gambie est un petit pays et sa communauté est très resserrée. Ma position, en marge de celle-ci, a facilité les premiers contacts, raconte-t-elle pour expliquer la rapidité avec laquelle ses patients lui ont fait confiance. D’habitude, les gens ont peur de parler d’affaires personnelles, car les histoires circulent vite et en quelques minutes, ton voisin sera au courant de tes moindres secrets. Par ailleurs, les Gambiens ont aussi tendance à faire confiance plus facilement aux personnes blanches, analyse-t-elle. Pour contourner les problèmes de langues qui surgissent parfois, il arrive qu’une interprète assiste aux séances.

 

Un passé particulièrement lourd à porter

Parmi la quinzaine de patients qu’elle reçoit chaque semaine, trois ont un statut bien particulier à ses yeux. Il y a bientôt trois ans, TRIAL International l’a approchée pour qu’elle prenne en charge trois personnes que l’ONG soutenait. Des victimes de l’ère Yahya Jammeh, le dictateur qui a tenu la Gambie d’une main de fer de 1994 à 2016. Sous ce régime autoritaire, tortures, viols, exécutions extrajudiciaires et un nombre incalculable d’autres violations des droits humains ont eu lieu. Et les membres de l’appareil d’État sont nombreux à avoir été impliqués. C’est en récoltant les témoignages de victimes de l’un d’eux arrêté en Suisse, que les équipe de TRIAL se sont rendues compte du besoin d’un suivi psychologique. Pour les victimes, raconter ce qu’elles avaient vécu avait rouvert un traumatisme. Il leur fallait donc de l’aide, là où elles résident.

Depuis qu’elle les suit, Silvia Lorenzi a vu ses patientes traverser des hauts et des bas. Le processus de guérison pour des personnes qui ont vécu des événements aussi traumatisants est forcément un travail de longue haleine, glisse-t-elle. Et la vie qu’elles mènent aujourd’hui a aussi de fortes influences sur leur état psychologique. Certaines sont confrontées aujourd’hui à des problèmes financiers, ou ont du mal à retrouver une place dans la société.

Silvia Lorenzi fait tout ce qui est en son pouvoir pour les aider à réaliser, que malgré l’héritage de ces années sombres, elles ont pouvoir de prendre leur santé en main, de tirer un trait sur leur passé et d’aller de l’avant.

 

Le tribunal militaire de Bukavu a condamné un sergent des Forces armées de la RDC (FARDC) à 14 ans de prison et à 15’000 USD d’indemnisations pour le viol d’une fillette de 13 ans. Une victoire pour TRIAL International qui lutte contre l’impunité des auteurs de violences sexuelles, peu importe leur rang.

Par peur des représailles, la famille a du faire profil bas pour un temps. ©CreativeCommons

En septembre 2016, Judith (nom d’emprunt) a été violée dans un camp militaire basé à Shabunda, au Sud Kivu. Elle avait été attirée dans la tente de Twari Bahizi Theoneste, membre de l’armée congolaise (FARDC), au moyen de menaces. Ce dernier avait ensuite abusé d’elle par la force. A 13 ans, Judith est tombée enceinte suite au viol.

 

Des menaces de représailles

Le père de Judith a tenté d’obtenir justice en dénonçant le crime auprès des supérieurs hiérarchiques du sergent. Malheureusement, la démarche n’a pas abouti, et pire encore, l’auteur du viol a ensuite menacé la famille de la victime. Par peur des représailles, la famille a alors fait profil bas pour un temps.

C’est finalement avec l’aide d’une ONG locale et partenaire de TRIAL International, l’ACPD, que les parents de la victime ont déposé une plainte en avril 2017.

 

Un accompagnement sous plusieurs formes

Après cela, Judith et sa famille ont bénéficié de l’aide d’un avocat formé par TRIAL International. Celui-ci a fourni une assistance juridique à la famille et documenté les preuves du crime. Grâce à ces bases juridiques solides, l’auditeur militaire à Bukavu a finalement ouvert un procès contre Twari Bahizi Theoneste en juillet 2018 pour viol sur mineure. L’avocat est resté aux côtés de la victime et sa famille tout le long du procès.

Autre soutien d’importance : TRIAL International a facilité le voyage de Judith de Shabunda à Bukavu pour qu’elle puisse témoigner en personne lors des audiences. Un voyage de plus de 320 kilomètres qui auraient pu la dissuader, surtout au vu des difficultés de se déplacer dans l’est de la RDC.

Au-delà d’un accompagnement strictement juridique, la victime a également été accueillie gratuitement à l’hôpital Panzi. Elle y a reçu des soins après la naissance de l’enfant issu du viol, ainsi qu’une formation d’apprentissage des petits métiers. Ces formations, souvent dispensées aux survivantes de violences sexuelles, permettent aux victimes de s’autonomiser économiquement et de s’assurer ainsi de meilleures perspectives d’avenir.

 

Une condamnation, enfin

Trois ans après les faits, fin octobre 2019, le tribunal militaire de Bukavu a rendu son verdict : le sergent Twari Bahizi Theoneste a été reconnu coupable de viol avec violence sur mineure. Il a été condamné à 14 ans de prison et à 15’000 USD d’indemnisations pour la victime. L’État congolais, considéré comme civilement responsable, a été condamné à payer cette somme solidairement avec le prévenu. Autrement dit, c’est l’État qui devra indemniser Judith si le sergent ne peut pas s’acquitter de la somme.

TRIAL International continue d’épauler la victime en cas d’appel de l’accusé, et aborde d’ores et déjà la longue phase des réparations. A ce jour, l’État congolais n’a jamais versé de réparations à des victimes de violences sexuelles, même quand il y a été condamné.

 

Le 5 novembre 2019, TRIAL International a eu l’occasion de s’adresser au Conseil de sécurité à propos de la situation en Bosnie-Herzégovine. Un privilège rare pour une organisation issue de la société civile. Par la voix de sa responsable de programme à Sarajevo, l’organisation a brossé un portrait nuancé des avancées de la justice en faveur des victimes de la guerre dans le pays.

Rares sont les organisations de la société civile qui ont accès à cette tribune. ©Manuel Elias

« Où en est la Bosnie-Herzégovine aujourd’hui, comment fait-elle face à son passé », a demandé Selma Korjenić, responsable du programme Bosnie-Herzégovine de TRIAL International en introduction de son discours. « Pour un touriste de passage, la Bosnie-Herzégovine est un pays d’une grande beauté naturelle, dotée d’un riche patrimoine culturel. […] Mais nous sommes aussi un pays où certaines des pires atrocités commises en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale ont eu lieu. Nous sommes un pays dans lequel la vie quotidienne est profondément affectée par la guerre qui a pris fin il y a 24 ans. Nous sommes un pays qui porte toujours le fardeau de son passé. »

Par ces mots, TRIAL International entendait donner sa vision de la situation que connaît la Bosnie-Herzégovine en matière de justice et de réconciliation. L’invitation du Conseil de Sécurité est une reconnaissance du travail de longue haleine mené sur le terrain aux côtés des survivants. Forte d’une présence de plus de 12 ans aux côtés des victimes de la guerre, l’organisation est aux premières loges pour constater les améliorations, mais aussi les défis que le pays doit encore relever.

 

Le négationnisme s’invite dans la sphère publique

La Bosnie-Herzégovine connaît comme tant d’autres pays une montée des discours nationalistes. Ainsi, l’organisation s’est dite préoccupée par la négation des crimes de guerre ou de génocide dans la sphère publique, fréquente lorsque les victimes de ces crimes appartenaient au « camp adverse » pendant la guerre.

Des lieux publics sont également nommés d’après des criminels de guerre, des portraits de certains d’entre eux sont brandis lors de manifestations ou de rassemblements politiques, d’autres sont glorifiés dans des manuels scolaires. Certains retrouvent même des fonctions officielles, comme ce criminel de guerre condamné et pourtant élu maire d’une localité de l’ouest de la Bosnie-Herzégovine. Les autorités quant à elles ne semblent pas pressées de mettre un terme à ce négationnisme. Ce qui fait constater à Selma Korjenić : « Trois générations ont gouté le poison de la haine. Mais presque rien n’est entrepris pour que la suivante ne fasse pas de même. »

TRIAL International a profité de cette tribune pour demander que les Nations Unies exigent le respect des décisions de justice, qu’elles soient nationales ou internationales, qu’elles veillent à ce que le déni des crimes de la guerre soit banni et à ce que les réparations accordées aux victimes ne restent pas des paroles en l’air. Mais elle a aussi adressé un message d’espoir sur la capacité de la société civile bosnienne à jeter des ponts sur les fossés que la guerre a creusés.

 

 

Lisez le discours complet de Selma Korjenić devant le Conseil de sécurité (en anglais)

Le 30 octobre 2019, Radomir Šušnjar, aussi connu sous le nom de « Lalco » a été reconnu coupable du meurtre de 57 Bosniaques à Višegrad, une ville de l’est de la République serbe de Bosnie. En 1992, ces personnes avaient été brûlées vives dans une maison de la rue Pionirska. La Cour de Bosnie-Herzégovine a condamné l’ex-soldat bosno-serbe à 20 ans de prison.

Après la fin de la guerre, l’ancien soldat bosno-serbe s’était caché en France pour échapper à la justice. © DR

« La justice a ratrappé Radomir Šušnjar », s’est réjoui Philip Grant, directeur exécutif de TRIAL International. « Malgré ses tentatives d’y échapper et sa fuite à l’étranger, il est maintenant l’heure pour lui de faire face à ses actes, commis il y a plus de 27 ans. »

Durant l’été 1992, les victimes, principalement des femmes, des enfants et des personnes âgées, ont été enfermées dans une maison de la rue Pionirska à Višegrad, et brûlées vives. Celles qui ont essayé de s’échapper ont été abattues sur place. Seules quelques personnes ont survécu et ont réussi à échapper à une mort certaine.

Les huit survivants, dont deux sont décédés quelques années plus tard, avaient ensuite témoigné devant le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie à La Haye. « Lalco » est accusé d’avoir personnellement verrouillé la pièce dans laquelle se trouvaient les civils et d’y avoir mis le feu.

Plus de deux décennies de cavale

Après la guerre, Šušnjar s’était caché en France pendant de nombreuses années. En 2014, TRIAL International avait réussi à retrouver sa trace. L’organisation avait alors informé les autorités bosniennes et françaises, conduisant à son extradition en juin 2018 après plusieurs appels contre cette décision. En 2017, un acte d’accusation avait été déposé devant la cour de Bosnie-Herzégovine contre Šušnjar, l’accusant d’avoir agi en violation des dispositions de la Convention de Genève sur la protection des civils pendant la guerre. Deux ans plus tard, la Cour de Bosnie-Herzégovine l’a donc reconnu coupable de crimes de guerre à l’encontre de civils et condamné à 20 ans de prison.

L’équipe de TRIAL International en Bosnie-Herzégovine se réjouit de ce verdict, malgré une peine relativement clémente au vu de la gravité des faits. Le jugement représente tout de même un succès significatif dans la lutte contre l’impunité pour les crimes commis pendant la guerre. « Ce résultat confirme qu’une coopération internationale efficace joue un rôle important dans le processus de poursuite des auteurs de crimes de guerre », a déclaré Berina Žutić Razić, conseillère juridique de TRIAL International à Sarajevo.

Le 20 mars 2020, la Chambre d’appel de la Cour de Bosnie-Herzégovine a confirmé le verdict de première instance.

De grands procès dans l’est de la RDC tels que Kokodikoko, Mutarule ou encore Kavumu, partagent tous une pratique commune : les audiences foraines. Accès aux victimes, célérité de la justice et effet dissuasif, explications autour de cette pratique qui se développe rapidement.

Un tour de force logistique qui entraîne le mouvement de plusieurs dizaines de personnes. Ici, pour le procès Kokodikoko. ©Alain-Likota / MONUSCO

Plusieurs gros procès en RDC prennent une forme bien particulière : celle d’audiences foraines. Ces audiences hors du commun ne se déroulent pas dans le palais de justice d’une grande ville, mais dans les territoires directement concernés par les crimes jugés. Autrement dit, l’entier de la cour, avec ses procureurs, greffiers, avocats et prévenus, se déplace au plus près des victimes. Un tour de force logistique qui entraîne le mouvement de plusieurs dizaines de personnes.

 

Un cas concret : Le procès Kokodikoko

Le procès du chef de guerre Frédérique Masudi Alimasi – dit Kokodikoko – en automne 2019, est un bon exemple de cette pratique. Kokodikoko et ses hommes ont persécuté la population de plus de 15 villages répartis dans deux territoires reculés de la province du Sud Kivu.

Le tribunal militaire de Bukavu, en se saisissant de l’affaire, a décidé de délocaliser certaines audiences dans les deux territoires concernés. Comment, autrement, entendre plus de 300 victimes réparties sur une superficie presque aussi étendue que la Suisse!

 

De multiples bénéfices

Ces audiences foraines sont bénéfiques pour au moins quatre raisons. Tout d’abord, elles facilitent l’accès au procès pour les victimes. Physiquement, puisque ces dernières n’ont pas à se déplacer pour témoigner, mais aussi psychologiquement. En effet, un environnement familier et sécurisant peut faciliter leur prise de parole. Cela est d’autant plus important lorsque les crimes sont récents ou stigmatisants, à l’instar des violences sexuelles.

Comme dans l’affaire Kokodikoko, les crimes commis dans l’est de la RDC touchent des zones reculées, où l’État est rarement incarné, stable et visible. Lorsque la cour se déplace, c’est donc le symbole de l’État, et notamment son pouvoir régalien de rendre justice, qui se déplace avec elle. Une dimension pédagogique et dissuasive accompagne donc cette pratique. Aussi bien les victimes que les criminels sur place, voient concrètement la justice suivre son cours : personne n’est au-dessus des lois.

Troisièmement, puisque les juges se trouvent à l’endroit même des crimes commis, ils peuvent mieux appréhender comment les crimes se sont déroulés. La compréhension du contexte socio-économique et sécuritaire est essentielle à la qualité de leur verdict.

Enfin, en raison de la logistique impliquée, les audiences foraines se tiennent sur un temps court, généralement quelques jours. Contrairement à des procédures classiques, où plusieurs affaires sont traitées parallèlement, le tribunal se consacre là exclusivement au procès en cours, ce qui bénéficie donc à la célérité de la justice.

 

La question cruciale de la sécurité

Malgré les nombreux bénéfices engendrés, les audiences foraines ne sont pas sans défis, dont le principal est sécuritaire. La protection des témoins et des victimes fait l’objet d’une stratégie détaillée lorsque la cour est présente dans un territoire. En revanche, comment garantir la continuité des mesures de sécurité une fois les audiences terminées ? Le témoignage expose malheureusement presque toujours la victime qui s’exprime, aussi bien dans un tribunal que sur une place de village.

En poursuivant son soutien aux victimes bien après la décision des juges, TRIAL et ses partenaires œuvrent pour qu’aucun individu ne subisse les conséquences de sa décision courageuse de chercher justice.

Quatre ans après avoir subi de graves tortures, Miriam en porte toujours les séquelles psychologiques. De plus, les autorités burundaises n’ont jamais enquêté sur ces crimes et ses tortionnaires jouissent ainsi d’une impunité totale.

Miriam a été placée en garde à vue pendant une dizaine de jours, au cours desquels son droit à l’attention médicale lui a été nié. ©ThomasMartin

En décembre 2015, des attaques commises par des personnes armées non identifiées sur des bases militaires ont provoqué une vague de répression de la part des forces de l’ordre burundaises. Les plus touchés par cette répression ont été les opposants au gouvernement.

Miriam (nom d’emprunt) était membre d’un parti de l’opposition au Burundi. Au lendemain des attaques, et sans aucune autorisation, des militaires se sont présentés à son domicile pour effectuer une fouille. Lors de cette fouille, l’un d’entre eux a « trouvé » une arme, dont Miriam a nié connaître la provenance.

Malgré ses protestations, Miriam a été embarquée par les militaires puis remise à un groupe de policiers qui l’ont passée à tabac avec une matraque et menacée de mort. Elle a ensuite été placée en garde à vue pendant une dizaine de jours, au cours desquels son droit à l’attention médicale et son droit de s’entretenir avec sa famille et un avocat lui ont été systématiquement niés. Elle a ensuite été conduite devant les autorités judiciaires, où elle a été interrogée et placée en détention préventive.

Le procès de Miriam s’est soldé par une lourde condamnation pour détention illégale d’armes à feu, et ce malgré le fait qu’elle ait continuellement nié connaître la provenance de l’arme prétendument « trouvée » à son domicile.

 

Des faits dénoncés, mais toujours pas reconnus

Miriam a dénoncé les tortures subies à plusieurs reprises. Cependant, aucune investigation n’a été entreprise par les autorités burundaises pour reconnaître ces actes ou en identifier les responsables. Presque quatre ans plus tard, Miriam continue de souffrir des séquelles psychologiques de ces violations.

Vu l’impunité totale dont bénéficient ses tortionnaires, il n’est pas exclu qu’un jour, Miriam ou ses proches fassent l’objet de représailles. Tenant compte de cette situation et face aux obstacles de la justice nationale, TRIAL International a porté l’affaire devant une instance internationale. Elle demande, d’une part, que des mesures de protection lui soient accordées et d’autre part, que l’affaire de Miriam soit enquêtée et les responsables, sanctionnés.

 

Sonja Maeder-Morvant a rejoint le Comité de TRIAL International en mai 2019. Avocate au Barreau de Genève, elle se spécialise dans les crimes économiques et l’entraide internationale en matière pénale.

Sonja Maeder Morvant ©TRIAL International

Quel a été votre parcours avant d’arriver au Comité de TRIAL International ?

Je suis née en Allemagne et ai fait toute ma scolarité en Suisse. Je me suis ensuite installée à Genève pour faire mes études de droit, c’est d’ailleurs là que j’ai rencontré Philip Grant pour la première fois ! Depuis, j’ai principalement fait ma carrière à Genève : après avoir passé le Barreau, puis être restée un peu moins d’une année au Ministère public de la Confédération,  je me suis progressivement spécialisée dans les affaires de crimes économiques : responsabilité des entreprises, blanchiment d’argent, corruption, etc.

Après m’être mise à mon compte, j’ai souhaité renouer avec mes premiers amours, les droits humains. C’est à ce moment-là que j’ai appris que TRIAL International cherchait à renouveler son Comité.

 

Que saviez-vous de l’organisation alors ?

Comme mentionné, j’ai connu Philip Grant pendant nos études à la Geneva Academy. A l’époque, j’avais même contribué à la base de données Trial Watch, mon mémoire portant sur la loi d’amnistie en Sierra Leone.

Depuis, je suivais de loin ce que faisais TRIAL International. Même de l’extérieur, j’admirais qu’une petite organisation partie de rien obtienne de tels résultats. Avec beaucoup de patience et peu de moyen, elle s’est imposée sur la scène de la société civile genevoise.

 

Quel aspect du travail de TRIAL International vous parle le plus ?

En tant qu’avocate, le côté concret de sa mission me plait. Mener des enquêtes, engager des poursuites, obtenir des décisions concrètes… cela me parle plus que la rédaction de rapports et le renforcement des capacités, même si ces aspects sont importants aussi.

Parmi les crimes dont traite TRIAL, je suis particulièrement intéressée par la défense des droits des femmes et la lutte contre les violences sexuelles.

 

A votre avis, quel est le plus gros défi de la lutte contre l’impunité ?

Sans hésiter, les interférences politiques dans les procédures juridiques. Quand des dossiers juridiquement forts, qui objectivement auraient de bonnes chances de succès, s’enlisent et ne mènent à rien…. C’est incroyablement frustrant. Et pourtant cela peut arriver dans le monde entier, parfois d’une manière flagrante et parfois de façon plus subtile.

 

Que pensez-vous apporter au sein du Comité de TRIAL International ?

J’espère que mon expérience pratique sera utile à l’organisation, par exemple auprès des autorités de poursuite ou la gestion de dossiers pénaux comportant une dimension internationale. Enfin, j’espère renforcer les liens entre l’organisation et l’ordre des avocats.

 

Au Burundi, l’opposition à la candidature du président Pierre Nkurunziza pour un troisième mandat a suscité une vague de répression dans tout le pays. En première ligne, les militants et activistes politiques frontalement opposés au parti au pouvoir.

Le retour au pays est bien souvent synonyme de dangers pour les exiles burundais qui deviennent suspects aux yeux des autorités. ©LandryNshimiye

Francis (nom d’emprunt) était membre d’un parti politique activement engagé contre le troisième mandat présidentiel. Comme nombre de ses collègues, il s’est exilé dans un pays voisin pour échapper à l’étau des services de sécurité.

 

Un premier retour au pays soldé par une arrestation

Son premier exil a duré quelques semaines. Francis a ensuite cherché à regagner le Burundi, mais a été rapidement arrêté et emprisonné par la milice du parti au pouvoir, les Imbonerakure. Pendant une semaine, il a été passé à tabac à plusieurs reprises. Aussitôt relâché, craignant pour sa vie, Francis est reparti en exil.

Quelques mois plus tard, Francis a reçu ce qui aurait pu être une sortie de secours : une bourse d’étude pour l’étranger. Seul hic : il devait pour cela renouveler ses documents d’identité… à Bujumbura, la capitale du Burundi.

 

Disparu sans laisser de traces

Francis a pris toutes les précautions pour entrer dans le pays sans attirer l’attention des forces de l’ordre. S’il a pu passer la frontière sans problème, des échauffourées ont malheureusement éclaté près de là où il effectuait une halte. Les forces de l’ordre ont effectué une descente et arrêté plusieurs personnes perçues comme fauteuses de trouble. Bien que Francis ait été totalement étranger à la situation, il a été emmené par des policiers.

La suite est incertaine : il semblerait qu’il ait été emmené hors de la ville à bord d’un véhicule de la police, mais il n’a plus jamais été revu depuis. Malgré les efforts de sa famille pour le retrouver, Francis est toujours porté disparu.

Face à l’inaction des autorités burundaises pour faire la lumière sur cette affaire, TRIAL International a porté l’affaire devant une instance internationale. La procédure est en cours.

 

Le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a prolongé le mandat de la Commission d’enquête sur le Burundi pour une année de plus. TRIAL International est convaincue de l’importance de ce mécanisme pour répondre à la crise des droits humains du pays.

La Salle des droits de l’homme et de l’alliance des civilisations au Palais des Nations. ©UN Photo / Jean-Marc Ferré

Le 27 septembre 2019, les Nations Unies ont voté à Genève la prolongation du mandat de la Commission d’enquête (CoI) de 12 mois supplémentaires. Ce mécanisme mène un travail d’investigation et de documentation sur la situation des droits humains au Burundi, pays gangrené depuis plusieurs années par une oppression politique et de graves abus. La CoI a été créée en septembre 2016 et a déjà été renouvelée à deux reprises.

TRIAL International s’est prononcée explicitement en faveur du renouvellement du mandat de la CoI. Dans une allocution co-signée en aout 2019, elle a rappelé que la Commission était le seul dispositif d’observation indépendant sur le Burundi :

« Le travail mené par la CoI fournit un aperçu crucial de la situation des droits humains au Burundi. […] Au cours de l’année qui vient de s’é­cou­ler, le Gouvernement burundais a forcé le Bureau de la Haute-Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme (HCDH) à quitter le pays, […] suspendu la licence de Voice of America et révoqué celle de la British Broadcasting Cor­pora­tion (BBC) et forcé au moins 30 organisations non-gouvernementales internationales à met­tre un ter­me à leurs activités. »

Lire toute la lettre conjointe adressée au Conseil des droits de l’homme.

 

La communauté internationale doit maintenir sa vigilance sur le Burundi

Prolonger le mandat de la Commission d’enquête maintient l’attention de la communauté internationale sur le Burundi. La mission de la CoI n’a jamais été aussi importante puisqu’il a déjà été annoncé qu’avec l’approche des élections en 2020 « les huit facteurs de risque associés aux atrocités criminelles identifiés par les Nations Unies sont présents au Burundi. »

En savoir plus sur les dernières conclusions de la CoI.

Enfin, si documenter les atrocités commises peut sembler futile dans le contexte présent, cette démarche reste essentielle pour permettre aux victimes d’accéder un jour à la justice.

Et à Pamela Capizzi, experte du Burundi à TRIAL International de conclure, « Ce travail de documentation permettra le moment venu de poursuivre les auteurs des crimes, y compris par d’autres voies légales qui ne sont pas envisagées aujourd’hui, de rétablir l’état de droit et de prévenir d’autres crises au Burundi

Lire l’op-ed de Pamela Capizzi sur les voies vers la justice qui s’offrent aux victimes burundaises

Un op-ed de Pamela Capizzi 

Retrait de la Cour pénale internationale, refus de collaborer avec l’ONU, isolement politique… Le Burundi semble tourner le dos à tous les organes susceptibles de rendre justice à sa population opprimée. Mais pour Pamela Capizzi, experte du Burundi à TRIAL International, la justice peut être rendue si chacun joue son rôle.


Malgré l’isolement du Burundi sur la scène internationale, il existe d’autres mécanismes vers lesquels peuvent se tourner les victimes d’atrocités. © Landry Nshimiye

 

« TRIAL Inernational travaille sur le Burundi depuis 2011. Conformément à ses principes, notre organisation a longtemps cherché à porter des affaires devant les cours nationales, au plus près des victimes défendues.

Malheureusement, nous avons constaté que les dysfonctionnements de la justice burundaise sont nombreux et profonds. La crise actuelle, qui perdure depuis 2015, ne fait qu’aggraver cet état. Des dossiers ont été « égarés », d’autres n’ont jamais donné lieu à une enquête efficace. Dans d’autres cas encore, des décisions de libérer des opposants politiques ont été tout simplement ignorées.

Face à ce constat sombre, faut-il abandonner tout espoir de justice ? Je ne le pense pas. D’autres voies existent pour les victimes que nous soutenons. »

 

Les instances internationales et régionales

« La voie la plus importante à l’heure actuelle est sans aucun doute l’enquête la Cour pénale internationale (CPI) sur Burundi. Celle-ci a été ouverte en 2017 et porte sur des crimes contre l’humanité commis d’avril 2015 à octobre 2017. Cependant, sous certaines conditions, l’enquête pourrait être élargie, pour inclure d’autres crimes et/ou une période plus étendue.

Malgré tout, au vu de l’impunité généralisée qui prévaut au Burundi, la CPI ne pourra pas, seule, représenter une réponse efficace. En effet, la Cour limite son action à ceux qui portent la plus grande responsabilité pour les atrocités commises et non à l’ensemble des acteurs impliqués.

 D’autres mécanismes, dits « quasi-judiciaires », existent au niveau international et régional pour rendre redevable l’État du Burundi lui-même, et non certains individus.

Les instances les plus importantes sont certainement la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples et le Comité des Nations Unies contre la torture. Pourtant, la faiblesse principale de ces mécanismes reste la nature non-contraignante de leurs décisions : il revient à l’État de les mettre en œuvre. Improbable, au vu de l’isolement croissant du Burundi sur la scène internationale et de la partialité avérée de son système judiciaire. »

 

 

Des poursuites à l’étranger grâce à la compétence universelle

« Et si la solution résidait alors dans les États eux-mêmes ? Grâce au principe de compétence universelle, plusieurs pays se sont dotés d’un arsenal permettant de poursuivre les responsables présumés de crimes internationaux, où que ceux-ci aient été commis. Ainsi, des criminels burundais pourraient rendre compte de leurs actes devant des tribunaux suisses, sud-africains ou canadiens.

La compétence universelle a fait ses preuves, mais il n’est pas non plus sans faille et plusieurs conditions doivent être réunies pour qu’il s’applique. Il demeure cependant une voie innovante vers la justice, à ce jour peu voire pas explorée pour les crimes internationaux commis au Burundi. »

 

 

Une nécessité commune : documenter les crimes dès aujourd’hui

« Au vu des limites que présente chacun des mécanismes envisageables, il est aujourd’hui fondamental de continuer à assurer une documentation rigoureuse et indépendante, notamment en renouvelant le mandat de la Commission d’enquête.

Ce travail de documentation permettra le moment venu de poursuivre les auteurs des crimes, y compris par d’autres voies qui ne sont pas envisagées aujourd’hui, de rétablir l’état de droit et de prévenir d’autres crises au Burundi. »

 

Pamela Capizzi, Conseillère juridique

@PamelaCap1

 

Ils ont terrorisé une quinzaine de villages au Sud Kivu. Arrêtés en avril 2019, le chef de guerre Frédéric Masudi Alimasi (dit Kokodikoko) et quatre de ses complices doivent à présent répondre de leurs actes. Un procès titanesque qui compte plus de 300 victimes, dont la majorité pour violences sexuelles.  

Kokodikoko et ses hommes ont persécuté la population dans plus de quinze villages ©Sylvain Liechti

Le tribunal militaire de garnison de Bukavu (Sud Kivu) juge depuis le 12 septembre 2019 cinq membres d’un groupe armé tristement célèbre en RDC, Raia Mutomboki Kokodikoko. Leur chef, Frédéric Masudi Alimasi alias Kokodikoko, a été capturé par l’armée en avril 2019, lors d’une opération de pacification dans le territoire de Shabunda.

De février à septembre 2018, Kokodikoko et ses hommes – parfois en coalition avec d’autres factions de Raia Mutomboki – ont persécuté la population dans plus de quinze villages : meurtres, viols, esclavage sexuel, tortures, privation de liberté, pillage et destruction de propriété. Des crimes qui ont fait plusieurs centaines de victimes dans deux territoires de la province du Sud Kivu (Mwenga et Shabunda) et qui pourraient constituer des crimes contre l’humanité.

Présentés aux juges pour la première fois le 3 septembre 2019, les cinq prévenus ont reconnu appartenir au groupe armé Kokodikoko. Kokodikoko lui-même en était le commandant de brigade, tandis que Kaburi Wazi Samitamba était l’Administrateur logisticien du groupe. Les trois autres prévenus étaient de simples combattants.

 

Documenter rapidement les crimes, dans l’espoir d’un procès

Dans ce dossier, TRIAL International et ses partenaires* avaient déjà commencé à documenter les crimes commis par le groupe avant l’arrestation de Kokodikoko. Une méthode fréquente, qui permet de recueillir des preuves dont la valeur probante diminue avec le temps, tels que des éléments médicaux ou des témoignages.

« Si l’on attendait l’ouverture d’un procès pour documenter les crimes de masse, un grand nombre de preuves nous échapperaient » explique Chiara Gabriele, Conseillère juridique pour TRIAL International en RDC. « Quand les conditions sécuritaires nous le permettent, nous documentons donc les crimes rapidement après leur commission, pour pouvoir réagir vite quand les suspects sont arrêtés. »

En apportant son assistance aux victimes, TRIAL a également contribué à des missions d’enquêtes menées par le parquet.

 

Des audiences foraines dans trois lieux différents

Dans le souci de rapprocher la justice des populations affectées, une partie des audiences dans l’affaire Kokodikoko aura lieu sur les lieux des crimes.

C’est notamment l’expertise de TRIAL International qui a contribué à établir que les crimes commis dans les territoires de Mwenga et de Shabunda étaient le fait du même groupe. Constatant un mode opératoire similaire et sur la base des éléments de preuve récoltés, les crimes commis sur les deux territoires ont été joints au même dossier. TRIAL International reste très impliqué dans la stratégie juridique et dans le suivi des avocats représentant les victimes.

 

* Le travail de TRIAL International sur ce dossier est mené dans le cadre de la Task Force Justice Pénale Internationale, un réseau informel d’acteurs internationaux qui collaborent afin de soutenir le travail des juridictions militaires congolaises dans l’enquête et la poursuite des crimes de masse en RDC.

 

L’ancien policier bosno-serbe Darko Mrđa devra purger une peine de 20 ans de prison pour crimes contre l’humanité. Le 17 septembre, le Groupe spécial de la Cour de Bosnie-Herzégovine chargé de l’examen des crimes de guerre a confirmé l’arrêt rendu en première instance, ajoutant cinq années supplémentaires à la peine initiale.

Originalement fixée à 15 ans, la peine contre l’ex-policier a été élevée à 20 ans par la Cour de Bosnie-Herzégovine. ©DR

En décembre 2018, la Cour de Bosnie-Herzégovine a condamné Mrđa à 15 ans de prison pour les crimes contre l’humanité commis à Prijedor. La Chambre d’appel de la Cour a confirmé la sentence, en tenant compte en outre d’une autre condamnation à 17 ans prononcée par le Tribunal pénal pour l’ex Yougoslavie, pour le meurtre de 12 civils à Korićanske Stijene. En conséquence, une peine combinée de 20 ans de réclusion a été prononcée.

En collaboration avec l’Association des femmes de Prijedor « Izvor », TRIAL International a soutenu des familles de personnes disparues dans la région de Prijedor. L’ONG a soumis 50 cas à la Cour constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine, dont l’affaire Said Sadić, l’une des victimes tuées par Mrđa. Entre 2012 et 2013, la Cour constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine a ordonné aux autorités locales de mener une enquête approfondie dans ces affaires qui a permis d’inculper Darko Mrđa.

Portraits de bénévoles #5

Depuis 2018, 12 bénévoles s’occupent spécifiquement de traduire les actualités du site de TRIAL International. Pour les remercier de leur engagement précieux, la série « Portraits de bénévoles » leur donne la parole. Pour le cinquième épisode, Daniel Eck nous parle de son expérience.

Daniel avait une expérience en traduction freelance avant de rejoindre TRIAL ©Daniel Eck

Pourriez-vous vous présenter ?

J’ai grandi à Strasbourg (France) en tant que trilingue français, allemand et anglais. J’ai poursuivi mes études en droit européen et international au Royaume-Uni et aux Pays-Bas. Puis mes expériences dans les droits humains, le droit pénal international et l’humanitaire m’ont fait voyager dans plusieurs pays. En ce moment, je suis traducteur avec l’organisation médiatique Euractiv à Bruxelles (Belgique). Mes centres d’intérêt sont la lecture, le voyage et la composition musicale.

Comment avez-vous connu TRIAL ?

J’ai découvert l’organisation car j’ai longtemps été interessé par la justice internationale et cherchais des opportunités dans ce domaine. Ayant déjà eu des mandats en traduction freelance, rémunérée ou non, son offre de bénévolat m’a rapidement intéressé. Depuis mes débuts en 2016, j’ai renforcé mes compétences en communication, gestion du temps et traduction.

Quels aspects de la mission de TRIAL vous parlent le plus ?

TRIAL se concentre sur les poursuites aux niveaux national et régional, une approche avec laquelle je m’entends. J’ai pu constater par moi-même l’importance de la justice au niveau local. Mon expérience à la Cour pénale internationale m’a montré les limites de cette institution, c’est un processus lent qui manque parfois d’efficacité.

Je pense par ailleurs que mon expérience chez TRIAL profitera à ma carrière car j’ai l’intention de poursuivre dans les affaires européennes ou internationales. Le domaine humanitaire m’intéresse beaucoup.

 

Lire l’interview d’Alice Murgier 

Lire l’interview de Stéfanie Ujma

 

Conditions de travail inhumaines, travail des enfants, pollution: Inimulti, l’initiative pour des entreprises responsables déposée en 2016, veut mettre un terme à ces pratiques inacceptables. A la veille de son examen par le Conseil des États, une nouvelle affaire éclabousse une entreprise suisse, déjà mise en cause par TRIAL International dans le passé.

Le Conseil des États planche actuellement sur sa version d’un contre-projet à l’initiative Inimulti. © Kovi

 

Siège de nombreuses multinationales, la Suisse a la responsabilité et la possibilité de montrer l’exemple. Pourtant, les scandales qui défraient la chronique montrent que les mesures volontaires ne suffisent pas.

Dernière en date, la révélation des liens entre la raffinerie Argor-Heraeus SA et un fournisseur d’or colombien publiée le 10 septembre 2019 par Action de carême. Selon l’ONG, de 2009 à 2018, le raffineur tessinois a acheté entre cinq et neuf tonnes d’or par an au fournisseur colombien, pourtant sous le coup d’accusations de blanchiment d’argent, enrichissement illégitime et association criminelle.

L’entreprise n’en est pas à son coup d’essai. En 2013, elle avait été mise en cause pour avoir raffiné de l’or pillé en République démocratique du Congo.

 

Obliger les entreprises à rendre des comptes

TRIAL International lutte depuis des années contre l’impunité des entreprises en matière de droits humains. L’organisation soutient donc cette initiative qui prévoit l’introduction dans la loi suisse d’un devoir de diligence des entreprises.

Celui-ci obligerait les sociétés à vérifier si leurs activités à l’étranger conduisent à des violations des droits humains ou des standards environnementaux, à prendre des mesures pour y remédier et à rendre des comptes.

Si les sociétés enfreignent leur devoir de diligence, elles pourront être amenées à répondre de leurs manquements devant les tribunaux suisses. Les coûts financiers et les dégâts d’image qui pourraient en résulter suffiront à convaincre la plupart des entreprises de prendre les mesures adéquates et d’assumer leurs responsabilités.

 

Le Conseil fédéral opposé aux initiants

L’initiative a fait déjà l’objet de deux contre-projets, le premier émanant du Conseil National. Quant au second, la proposition de la conseillère fédérale Karin Keller-Sutter, il réduit considérablement la réglementation autour du devoir de diligence des multinationales.

La balle est de retour dans le camp du Parlement : c’est maintenant au Conseil des États de plancher sur sa propre contre-proposition.