Faits

Yahya Jammeh est né en 1969 à Kanilai en Gambie. En 1984, il s’engage dans la gendarmerie, et gravit peu à peu les échelons jusqu’à parvenir au poste de commandant de la police militaire qu’il dirige entre 1991 et 1992. Le 22 juillet 1994, il accède au pouvoir à la suite d’un coup d’état militaire. Un gouvernement transitoire est alors mis en place jusqu’en 1996 où il devient président de la République de Gambie. Pendant 22 ans, il règne sans partage jusqu’à sa défaite en décembre 2016 face à Adama Barrow, candidat de l’opposition et actuel président de la République de Gambie. Il conteste cependant le résultat des élections et refuse de quitter le pouvoir. En janvier 2017, face à la pression de la communauté internationale, Jammeh quitte le pays le 21 janvier 2017 et s’exile en Guinée équatoriale.

Selon les défenseurs des droits de l’homme, son régime aurait été sanglant et marqué par l’utilisation systématique de la torture, des exécutions sommaires, des détentions arbitraires et des disparitions forcées contre ses opposants. Parmi les crimes qui lui sont reprochés, Jammeh est accusé d’être impliqué dans le massacre de plus de 50 migrants d’Afrique de l’Ouest en juillet 2005. D’après une enquête menée par les organisations non-gouvernementales Human Rights Watch et TRIAL International, un groupe paramilitaire, nommé « les Junglers » et contrôlé par l’ancien président gambien, aurait exécuté sommairement plus de 50 migrants.

Les migrants, qui étaient en route pour l’Europe, auraient été soupçonnés par le gouvernement gambien d’être des mercenaires. Les migrants auraient été arrêtés sur une plage de Barra, et auraient ensuite été transférés aux quartiers généraux de la marine gambienne à Banjul. Ils auraient été répartis en différents groupe et exécutés sommairement par des membres des « Junglers ». Certains auraient été exécutés près de Banjul, d’autres le long de la frontière sénégalaise.

 

Procédure

En octobre 2017, des victimes du régime de Jammeh, soutenues par des organisations non-gouvernementales locales et internationales se sont réunies à Banjul pour demander la possibilité qu’il soit traduit en justice. Une campagne visant à traduire en justice Jammeh et ses complices a été lancée à cette occasion par des organisations gambiennes et internationales, y compris Human Rights Watch et TRIAL International.

Parallèlement à cette initiative, l’Assemblée Nationale gambienne a adopté une loi visant à la création d’une Commission vérité, réconciliation et réparations le 13 décembre 2017, acte approuvé par le président le 13 janvier 2018.

Le 16 mai 2018, Martin Kyere – unique survivant connu du massacre des migrants en juillet 2005 -, plusieurs familles de victimes et une coalition d’ONGs locales et internationales se sont réunis à Accra afin de demander aux autorités ghanéennes d’ouvrir une enquête contre l’ancien président gambien sur le massacre de juillet 2005. Les résultats de l’enquête menée par les ONGs TRIAL International et Human Rights Watch ont également été transmis aux autorités ghanéennes. L’Inspecteur général de police ghanéenne, et par la suite le gouvernement, à travers son Ministre de l’Information, ont déclaré que le « gouvernement avait donné pour tâche au Ministère des Affaires étrangères et au Procureur Général d’étudier la requête » et de « conseiller le gouvernement sur le chemin à suivre ». L’enquête est en cours dans un contexte fortement affecté par l’importante campagne demandant de traduire l’ancien président gambien et ses complices en justice.

En décembre 2018, Jammeh a été désigné persona non grata par les États-Unis tant pour des faits de corruption à grande échelle que pour les graves violations de droits humains qui lui sont reprochées. Sa femme ainsi que ses enfants ont également été désignés persona non grata.

En mars 2019, l’organisation Organized Crime and Corruption Reporting Project a publié un rapport selon lequel durant sa présidence, Jammeh et son cercle rapproché auraient détourné au moins 975 millions de dollars. Plus de deux tiers de cette somme seraient issus de fraude et de revenus illicites obtenus grâce à la vente de bois.

En juillet 2020, des familles de victimes et 11 organisations de droits humains ont appelé à une enquête internationale sur le massacre de migrants ouest-africains.

En même temps, dans son rapport intermédiaire au gouvernement gambien d’avril 2020, la Commission Vérité, Réconciliation et Réparations (TRRC) a annoncé qu’elle tiendrait des audiences sur l’affaire des migrants avant la fin de son mandat. En raison du covid-19, le mandat de la TRRC a été étendu jusqu’au 30 juin 2021.

En février et mars 2021, la TRRC a tenu des audiences publiques sur l’affaire des migrants. Les témoignages ont révélé de nouveaux éléments et confirmé des informations existantes, renforçant encore les liens entre l’ancien président Jammeh et ces meurtres.

La TRRC a remis son rapport final au président gambien le 25 novembre 2021. Ce rapport comprend des recommandations visant à poursuivre les personnes qui portent la plus grande responsabilité dans les violations et les atteintes aux droits de l’homme.

Lors de la dernière session du Conseil des droits de l’homme en septembre 2021, le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires (GTDF) a présenté son rapport de suivi concernant la Gambie. Le GTDFI a souligné l’importance du travail de la TRRC ainsi que la nécessité de poursuivre les responsables des crimes commis sous Jammeh. Plus précisément, le GTDFI s’est penché sur le massacre de migrants ouest-africains en 2005 et a appelé à une enquête diligente et transparente pour faire la lumière sur le sort des personnes disparues de force.

Depuis 2015, plusieurs opposants politiques et militants ont disparu sans laisser de traces. En proie à une crise des droits humains depuis plusieurs années, les autorités Burundaises ont jusqu’à présent omis d’investiguer sur ces abus. TRIAL International accompagne les familles des victimes dans leurs démarches et appelle le nouveau président, Evariste Ndayishimiye, à s’éloigner des pratiques de l’ère Nkurunziza. Il est grand temps de faire toute la lumière sur les crimes du passé.

TRIAL International travaille avec les victimes de disparitions forcées et leurs familles pour mettre un terme à ces pratiques au Burundi. ©Stringer/TRIAL International

Être membre d’un parti d’opposition n’est pas sans danger au Burundi. Les cas d’Aurélien et de Nathan (noms d’emprunts) en sont la triste illustration.

En 2015, alors qu’Aurélien se rendait au travail en bus, le véhicule a été arrêté par des agents étatiques qui l’ont fait sortir. Sans présenter de mandat d’arrêt, les agents l’ont emmené vers une destination inconnue. Il n’a plus été revu depuis. Victime de disparition forcée, Aurélien a laissé derrière lui un enfant âgé de quatre ans au moment de sa disparition, ainsi que son épouse qui était enceinte de plusieurs mois.

L’histoire se répète pour Nathan, enlevé en 2016 par des personnes lourdement armées et en tenue de police. Là encore, aucun mandat d’arrêt n’a été présenté et Nathan n’a plus jamais été revu par sa famille. Ses proches l’ont cherché dans tous les lieux de détention connus, en vain.

 

Procédures

Les familles des victimes sont souvent menacées et harcelées lorsqu’elles posent trop de questions ou entament des démarches. Au vu des blocages judiciaires au Burundi, TRIAL International a donc saisi une instance internationale pour que le sort d’Aurélien et de Nathan soit élucidé. Les deux affaires sont en cours.

L’élection d’un nouveau gouvernement au Burundi à l’été 2020 pourrait incarner un mince espoir pour que le pays renoue avec la communauté internationale.

Les familles de plus de 50 migrants d’Afrique de l’Ouest tués en Gambie et au Sénégal il y a 15 ans n’ont pas encore appris toute la vérité ni obtenu justice, ont déclaré aujourd’hui 11 organisations de défense des droits humains. Alors qu’il est de plus en plus évident que les meurtres ont été perpétrés par des membres des forces de sécurité gambiennes agissant sur ordre du président Yahya Jammeh, les groupes ont appelé à une enquête internationale sur le massacre.

Pas moins de 12 Junglers auraient été impliqué dans les massacres de 2005. ©DR

« Une enquête internationale crédible est nécessaire si nous voulons faire toute la lumière sur le massacre des migrants ouest-africains de 2005 et créer les conditions pour traduire les responsables en justice », a déclaré Emeline Escafit, Conseillère juridique de TRIAL International. « Jusqu’à présent, l’information est sortie au compte-gouttes, année après année et par l’intermédiaire de différentes sources. »

Le 22 juillet 2005, les forces de sécurité gambiennes ont arrêté les migrants –qui ont accosté en Gambie sur leur chemin vers l’Europe–, les soupçonnant d’être impliqués dans une tentative de coup d’État. Au cours des dix jours suivants, presque tous les migrants, dont environ 44 Ghanéens, 9 Nigérians, 2 Togolais et des ressortissants de Côte d’Ivoire et du Sénégal ont été tués en Gambie ou emmenés au Sénégal et abattus, leurs corps jetés dans des puits abandonnés.

Malgré les aveux de plusieurs soldats gambiens concernant leur implication dans les meurtres ordonnés par Yahya Jammeh, les circonstances qui ont conduit à ces assassinats ne sont pas claires. On ne sait toujours pas où exactement les migrants ont été enterrés au Sénégal, et on ne connaît pas non plus l’identité de toutes les victimes, dont huit des neuf Nigérians. La Gambie a renvoyé six corps au Ghana en 2009, mais les familles ont exprimé des doutes quant à leurs identités.


Plusieurs tentatives pour élucider le massacre ont échoué au cours de ces 15 dernières années. © Jean-Marie Banderet / TRIAL International

 

Enquêtes avortées

Les efforts déployés par le passé pour enquêter sur le massacre ont été à plusieurs reprises entravés ou faussés. Après une première campagne menée par Martin Kyere, les familles et les groupes de défense des droits humains, le Ghana a tenté d’enquêter sur les massacres en 2005 et 2006. Mais le gouvernement de Yahya Jammeh a refusé l’entrée sur son territoire aux enquêteurs ghanéens. En 2009, un rapport des Nations Unies et de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a conclu que le gouvernement gambien n’était pas « directement ou indirectement complice » des décès et des disparitions, en l’imputant à des éléments « incontôlés » des services de sécurité gambiens « agissant de leur propre chef ». Puis, en 2018, Human Rights Watch et TRIAL International ont découvert que les migrants avaient été détenus par les plus proches associés de Jammeh dans l’armée, la marine et la police, puis exécutés sommairement par les « Junglers », une unité de soldats gambiens opérant sous les ordres de Jammeh. Enfin, en juillet 2019, trois anciens « Junglers » ont témoigné publiquement devant la Commission Vérité, Réconciliation et Réparations (TRRC) qu’ils avaient, avec douze autres « Junglers », perpétré les meurtres sur ordre de Jammeh.

Comme les crimes ont eu lieu dans deux pays –la Gambie et le Sénégal–, qu’ils impliquent des victimes de six pays et qu’un suspect principal – Yahya Jammeh– réside actuellement en Guinée équatoriale, une enquête internationale serait la meilleure solution pour découvrir tous les faits. Puisque ni la Gambie, ni d’autres pays comme le Ghana ne veulent mener une enquête transnationale, les groupes devraient soutenir une enquête indépendante qui pourrait enquêter dans tous les pays concernés.

A l’origine de cet appel, se trouvent les organisations suivantes: Africa Center for International Law and Accountability (ACILA) , African Network against Extrajudicial Killings and Enforced Disappearances (ANEKED), Amnesty International Ghana,  Commonwealth Human Rights Initiative, Gambia Center for Victims of Human Rights Violations, Ghana Centre for Democratic Development, Human Rights Advocacy Centre, Human Rights Watch, Media Foundation for West Africa, POS Foundation, et TRIAL International.

Lire le communiqué de presse

 

Cet article a été produit avec le soutien financier de l’Union européenne. Son contenu est la seule responsabilité des auteurs et ne reflète pas nécessairement les positions de l’Union européenne.

Un message de Daniel Bolomey, Président de TRIAL International

 

Le 17 juillet 1998 était adopté le Statut de Rome, traité fondateur de la Cour pénale internationale (CPI). Depuis, le 17 juillet est devenu la Journée de la justice internationale. Mais, si la date est liée à l’histoire de la CPI, le combat contre l’impunité va bien au-delà de cette institution.

Pour que la justice ne reste pas un vain mot, de nombreux praticiens du droit, organisations non-gouvernementales et activistes se mobilisent quotidiennement. ©CC

Depuis 1998 de nombreuses voies vers la justice ont été ouvertes, dont la CPI est seulement un élément, très important certes, mais loin d’être le seul.

La CPI repose en effet sur un principe de subsidiarité, c’est-à-dire qu’elle ne peut intervenir que si les États eux-mêmes ne peuvent ou ne veulent pas le faire. La Cour n’a jamais eu vocation à répondre à toutes les demandes de justice : les juridictions nationales, mais aussi les organisations régionales et les mécanismes onusiens jouent également un rôle important. Au-delà des institutions, de nombreux praticiens du droit, organisations non-gouvernementales et activistes se mobilisent quotidiennement pour que la justice ne reste pas un vain mot. Réduire la Journée de la justice internationale à la fondation de la CPI cacherait les grandes avancées obtenues à la marge de celle-ci, parfois de haute lutte.

Aujourd’hui, je voudrais donc souligner d’autres visages de la justice internationale : la compétence universelle et la tendance à poursuivre les crimes internationaux en tant qu’actes de terrorisme ; le devoir de mémoire, alors que le 25e anniversaire du massacre de Srebrenica vient d’être commémoré en Bosnie-Herzégovine ; l’exploration de stratégies juridiques inédites pour faire la lumière sur des crimes commis en Gambie. Je vous invite également à relire notre Rapport d’activité 2019, qui retrace nos succès de l’année passée. Ils ont été rendus possibles grâce à nos généreux donateurs, que nous remercions chaleureusement !

 

Daniel Bolomey,

Président de TRIAL International

 

Il y a tout juste 25 ans, le monde découvrait avec horreur que la barbarie n’appartenait pas au passé. En l’espace de quelques jours et dès le 11 juillet 1995, les Serbes de Bosnie menés par Ratko Mladić ont exterminé plus de 8 000 Bosniaques dans l’enclave de Srebrenica, sous les yeux de la communauté internationale. Que reste-t-il aujourd’hui de ce traumatisme ? Quel impact le plus grand massacre commis en Europe depuis la Seconde guerre mondiale a-t-il sur les personnes qui défendent les droits des victimes de ce conflit ? Eléments de réponse avec les membres du bureau de TRIAL International à Sarajevo.

Plus de 8 000 Bosniaques ont été exterminés à Srebrenica, mais le devoir de mémoire n’est pas au goût de tous. ©Jelle Visser/CC

Il est difficile pour quelqu’un qui n’a pas grandi en Bosnie-Herzégovine (BiH) de comprendre combien les histoires liées à la guerre font partie de votre vie quotidienne, à travers les gens autour de vous, la télévision, l’éducation, les films, explique Amina Hujdur, chargée de communication pour TRIAL International à Sarajevo. « Pendant mon enfance, il me semblait que le génocide de Srebrenica était présent partout », se souvient-elle. En grandissant, elle a pris conscience de l’importance des événements qui se sont produits, en particulier lorsque, jeune journaliste, elle a couvert le procès de Ratko Mladić devant le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie. « Je me souviens qu’un jour, j’ai été chargée d’interviewer les familles des personnes tuées lors du génocide de Srebrenica. J’ai ressenti le fardeau que représente la tâche de raconter les histoires de ces personnes qui ont tant souffert. Je me sentais démunie, inadéquate. J’ai demandé à l’une des femmes ce que le verdict du lendemain signifiait pour elle. ‘Je veux juste que les gens sachent. Et demain, tout le monde saura’, a répondu la femme. »

Le devoir de mémoire n’est pourtant pas du goût de tous, surtout ces dernières années qui ont vu une hausse des discours négationnistes. « Bien que le génocide de Srebrenica ait défini l’histoire de la Bosnie-Herzégovine et montré au monde entier l’ampleur des atrocités qui se sont produites entre 1992 et 1995, ces événements sont aujourd’hui souvent niés publiquement », déclare Lamija Tiro, conseillère juridique de TRIAL International. Le génocide de Srebrenica est souvent présent dans son esprit, assure-t-elle, et alimente sa motivation pour lutter contre l’impunité, la négation des crimes de guerre et la glorification des criminels de guerre.

« J’ai grandi pendant la guerre en Bosnie-Herzégovine, et je vis et travaille dans une société post-conflit », témoigne Berina Žutić Razić, conseillère juridique chez TRIAL International à Sarajevo. « Je me suis toujours sentie motivée pour aider les survivants des atrocités de la guerre. » Son engagement, elle l’explique par son désir d’aider les habitants de son pays à se réconcilier, et à fournir une assistance aux victimes de la guerre.

Malgré les preuves innombrables et les décisions unanimes de plusieurs tribunaux internationaux, la négation du génocide de Srebrenica est toujours très présente, 25 ans après les faits. Il est donc crucial que la société bosnienne reconnaisse tous les crimes qui se sont produits pendant la guerre, y compris le génocide de Srebrenica. Ce n’est qu’en affrontant son passé que la BiH pourra construire son avenir. Un avenir dans lequel de telles atrocités ne se reproduiront plus.

Une Opinion de Valérie Paulet

 

La lutte contre le terrorisme est devenue une priorité politique pour de nombreux gouvernements, et le nombre de poursuites pour des crimes de terrorisme est en augmentation. Mais que désignent exactement les charges de « terrorisme » ? Et plus important, quels actes en sont exclus ? Le Rapport annuel sur la compétence universelle 2020 (UJAR) analyse cette tendance aux conséquences potentiellement graves.

Les poursuites pour terrorisme se multiplient au détriment de celles pour crimes internationaux. Un choix pragmatique, mais problématique. ©Constantin Gouvy / TRIAL International

Paris, le 5 décembre 2019. Mounir Diawara et Rodrigue Quenum sont reconnus coupables de participation à une organisation terroriste et condamnés à 10 ans de prison. Les deux accusés apparaissaient sur des photos prises en Syrie, l’un d’eux brandissant une tête coupée.

Une victoire qui punit les pires atrocités ? Pas exactement. Mounir Diawara et Rodrigue Quenum répondaient de charges de terrorisme, et non de crimes internationaux. Ce qui semble de prime abord un simple détail de procédure reflète en réalité une tendance juridique profonde, inquiétante et porteuse de multiples conséquences.

Lire le Rapport annuel sur la compétence universelle 2020

 

Terrorisme et crimes internationaux, quelles différences ?

Les crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide – communément appelés crimes internationaux – partagent des similitudes avec le terrorisme. Mais prouver des charges de terrorisme est bien plus simple que de démontrer l’existence de crimes internationaux. Par exemple, des condamnations pour appartenance à une organisation terroriste ont été obtenues grâce à des éléments aussi simples que des liens avec un terroriste connu, ou le fait de voyager dans une zone contrôlée par cette organisation terroriste.

De ce fait, les États poursuivent de plus en plus souvent les suspects pour des crimes de terrorisme, et non de crimes internationaux. Dans un contexte où les ressources sont limitées, c’est un jeu à somme nulle : les poursuites pour terrorisme se multiplient au détriment de celles pour crimes internationaux. Un choix pragmatique, mais il y a un mais.

 

La lutte contre l’impunité ne se limite pas aux poursuites pour terrorisme

Le premier écueil du terrorisme est qu’il n’a pas de définition internationalement reconnue. Contrairement aux crimes de génocide, de torture, de crimes de guerre ou de disparitions forcées, aucun traité international ne définit clairement le terrorisme. En conséquence, chaque État a inventé sa propre définition, souvent influencée par l’actualité et l’opinion publique. 

De plus, poursuivre des suspects sous des charges de terrorisme est parfois présenté comme le seul rempart contre l’impunité. Mais ces charges excluent de nombreuses violations des droits humains, qui sont au contraire couvertes par les définitions internationales des crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide.

Un exemple concret : le ciblage de groupes ethniques, comme c’est le cas des Yézidis dans les territoires contrôlés par l’État Islamique, ne constitue pas en soi un crime de terrorisme. Dans l’affaire contre Mounir Diawara et Rodrigue Quenum, ces derniers auraient pu répondre d’outrage à la dignité de la personne, constitutif de crime de guerre d’après les Conventions de Genève. Mais cette occasion n’a pas été saisie, puisque leur accusation portait sur des crimes de terrorisme.

En savoir plus sur les grandes affaires de 2019

 

Une brèche dans la protection des droits humains

A plus long terme, l’omission de charges de crimes internationaux ouvre une brèche dans la protection qu’offre le droit international pénal. En ratifiant des conventions contre le génocide, les crimes internationaux, etc., les États acceptent de se plier aux plus hauts standards de lutte contre les atrocités de masse. Recourir à des charges de terrorisme – définies au niveau national sans aucun consensus international – signifie tourner le dos à des normes établies collégialement pendant des décennies.

La compétence universelle est elle-même le produit de cet effort collectif, et des milliers de personnes ont obtenu justice grâce à ce principe. Une prétendue « efficacité » à court-terme justifie-t-elle d’ébranler ce précieux héritage légal commun ?

 

Valérie Paulet est Conseillère juridique sur la compétence universelle et éditrice du Rapport annuel sur la compétence universelle.

Suivez-là sur Twitter : @valeriepaulet

 

Télécharger le dernier Rapport annuel sur la compétence universelle

Soutenir la lutte contre l’impunité en faisant un don

Un message de Selma Korjenic, Responsable du programme Bosnie-Herzégovine

Chères amies, chers amis,

Je m’adresse à vous depuis le bureau de TRIAL International à Sarajevo, en Bosnie-Herzégovine. C’est le plus ancien programme régional de TRIAL International. Nous nous battons depuis plus de 12 ans auprès des victimes dans leur quête de justice.

Votre soutien est fondamental pour poursuivre notre combat contre l’impunité ! ©TRIAL International / Jean-Marie Banderet

Particulièrement attentifs aux violences sexuelles en temps de guerre, nous mettons tout en œuvre pour que les victimes de ces crimes obtiennent justice et réparation.

Notre dernière victoire en date ? En mars 2020, la survivante d’un viol commis pendant la guerre a finalement été dédommagée. Elle a obtenu que les indemnisations ordonnées dans une procédure pénale soient effectivement versées. Malgré cette belle avancée, beaucoup reste à faire. En effet, l’octroi de dédommagement et leur versement effectif sont encore loin d’être la norme en Bosnie-Herzégovine !

Trop de victimes sont encore en attente de réparations ! Votre soutien est fondamental.

La lutte contre l’impunité est un combat de longue haleine. En matière de violences sexuelles, les survivantes et survivants font face à de nombreuses idées reçues qui restreignent leur accès à la justice. Nous les accompagnons aussi longtemps qu’il le faut et sensibilisons les acteurs judiciaires pour encourager les bonnes pratiques.

Fiers de nos victoires passées, nous ne laisserons pas les difficultés actuelles, les stéréotypes et les discours ultranationalistes toujours plus présents entraver le chemin vers la justice.

C’est pourquoi nous avons besoin de vous maintenant. Le sort des victimes des pires atrocités dépend de votre solidarité.

Au nom de toute l’équipe de TRIAL International, je vous remercie du fond du cœur d’avoir été à nos côtés jusqu’à présent et j’espère que vous continuerez de soutenir notre mission.

Selma Korjenic
Responsable du programme Bosnie-Herzégovine

Le 19 juin marque la Journée internationale pour l’élimination de la violence sexuelle en temps de conflit. A cette occasion, il est important de se rappeler que les déclarations ne suffisent pas. Des mesures concrètes sont nécessaires pour améliorer les droits des survivants, tant par les autorités compétentes que par la société dans son ensemble.

Selon les Nations Unies, entre 20 000 et 50 000 femmes et hommes ont subi des viols ou des agressions sexuelles pendant la guerre qui a déchiré la Bosnie-Herzégovine (BiH) entre 1992 et 1995. Malgré des progrès significatifs par rapport aux pays voisins, les survivants rencontrent de nombreux obstacles lorsqu’ils tentent de faire valoir leurs droits. Ce qui soulève une question fondamentale : pourquoi les survivants de violences sexuelles en temps de guerre sont-ils toujours confrontés aux mêmes problèmes systémiques, 25 ans après la guerre ?

Quels obstacles entravent l’accès à la justice ?

La stigmatisation au sein de la société, les problèmes psychologiques dus à des traumatismes non traités, le manque d’informations sur la manière de naviguer dans le processus juridique, le manque de moyens pour bénéficier d’une assistance juridique, les auteurs qui vivent toujours dans les mêmes communautés – ce ne sont là que quelques-uns des obstacles qui dissuadent les survivants de parler des crimes qu’ils ont subis. Les statistiques parlent d’elles-mêmes : sur 15 à 20 cas, un seul est signalé.

Même lorsqu’ils décident de saisir un tribunal, les survivants sont confrontés à des problèmes, souvent causés par le système judiciaire complexe et dysfonctionnel de la BiH qui ne protège pas suffisamment les droits et la dignité des victimes. A l’origine de ces dysfonctionnements, des blocages politiques et un manque patent de ressources – avec comme effet des victimes privées d’un accès complet et efficace à la justice, à la vérité et aux réparations. Et ce alors que la garantie de ces droits fondamentaux incombe à l’État de BiH, afin d’aider les survivants à surmonter des traumatismes inimaginables et de leur permettre de construire une nouvelle vie.

 

L’action de TRIAL International

Depuis de nombreuses années, TRIAL International est engagée pour améliorer la situation des survivants et à défendre leurs droits. L’organisation a fourni un soutien juridique à 36 survivants de violences sexuelles en temps de conflit. Grâce à ses efforts, 9 auteurs ont été condamnés.

Malgré les progrès significatifs réalisés ces dernières années, les problèmes rencontrés par les survivants restent souvent sans réponse. Il appartient à tous les individus, organisations et institutions de faire connaître leurs droits aux survivants, notamment en luttant contre l’impunité des auteurs et en éliminant la stigmatisation. Et ainsi, rétablir la confiance des victimes dans le système judiciaire et la société dans son ensemble.

TRIAL International publie aujourd’hui son Rapport d’activité 2019. Entre de belles victoires et un soutien toujours plus étroit aux victimes, l’organisation est entrée dans une phase de maturité et de stabilité.

Notre combat aux côtés des victimes exige de l’endurance. © Will Baxter/TRIAL International

Au cours des dernières années, TRIAL International a rapidement développé ses activités, intervenant dans de nouveaux contextes et dépassant la barre budgétaire des 3 millions de francs suisses en 2019.

Lire le Rapport d’activité 2019

Cet essor nous a permis de faire une réelle différence pour de nombreux bénéficiaires. Mais nous sommes aussi conscients des défis que cela représente. La croissance ne saurait l’emporter sur la stabilité, et tout développement doit être contrebalancé par des phases de consolidation.

TRIAL International s’est fixé pour mission d’avoir un impact durable : notre combat aux côtés des victimes exige de l’endurance.

L’année 2019 a été celle de la maturité pour notre organisation. Renonçant aux sirènes d’une croissance insoutenable, nous nous sommes concentrés sur le renforcement de nos capacités opérationnelles et organisationnelles pour mener notre mission sociale le plus efficacement possible. Pour ce faire, notre vaste réseau de donateurs et de partenaires a été d’un soutien inestimable.

Lire le Rapport d’activité 2019

La pandémie de coronavirus a mis notre résilience à rude épreuve, et continue de le faire. Bien que ses effets ne soient pas à négliger, nos racines sont suffisamment profondes pour les affronter.

Avec votre précieux soutien comme point d’ancrage, nous pouvons continuer de changer la vie de milliers d’individus qui ont soif de justice. Merci !

L’inculpation aux États-Unis, le 11 juin 2020, d’un ancien membre présumé des « Junglers » pour des actes de torture est une étape importante pour les victimes gambiennes et la justice internationale, ont déclaré plusieurs organisations de défense des droits humains le 12 juin 2020. Selon elles, cette nouvelle est une avancée majeure vers la justice pour les victimes des abus commis sous le régime de Yahya Jammeh.

Michael Correa est le premier membre des escadrons de la mort de Yahya Jammeh à faire l’objet de poursuites judiciaires dans le monde. © Département de la Justice des États-Unis

Michael Sang Correa, 41 ans, était un membre présumé du célèbre escadron de la mort appelé « Junglers », des troupes de choc formées par l’ancien président gambien Yahya Jammeh, au milieu des années 1990. Les 22 années de règne de Jammeh ont été marquées par de nombreuses violations des droits humains, notamment des disparitions forcées, des exécutions extrajudiciaires, des violences sexuelles, des actes de torture et des détentions arbitraires. Yahya Jammeh se trouve actuellement en Guinée équatoriale, où il a fui après avoir perdu l’élection présidentielle de 2016 au profit d’Adama Barrow.

« Je veux que justice soit faite pour moi et pour tous les autres qui ont été victimes de Yahya Jammeh et de ses forces de sécurité », a déclaré Baba Hydara, fils de Deyda Hydara, le rédacteur en chef du journal The Point assassiné lors d’une opération de 2004 à laquelle Correa aurait participé. « Il est important de veiller à ce que de tels abus ne se reproduisent plus jamais en Gambie, ni ailleurs. »

 

UNE LONGUE LISTE DE CRIMES

Dans son acte d’accusation présenté devant le tribunal de district du Colorado, le Département de la Justice des États-Unis (DOJ) allègue que Michael Correa est responsable de la torture d’au moins six personnes en 2006, suite à une tentative de coup d’État contre Jammeh. Selon l’acte d’accusation, Correa et d’autres Junglers ont battu leurs victimes avec des tuyaux, des fils et des branches en plastique, leur ont couvert la tête avec des sacs en plastique et soumis certaines d’entre elles à des chocs électriques. Une victime aurait été suspendue dans un sac de riz et battue sévèrement, alors que les bourreaux versaient du plastique fondu ou de l’acide sur le corps des autres victimes.

Correa est également impliqué dans d’autres crimes du gouvernement Jammeh. En Gambie, d’anciens Junglers ont déclaré à la Commission vérité, réconciliation et réparations (TRRC) que Correa a non seulement torturé des personnes accusées d’avoir planifié le coup d’Etat, mais qu’il aurait également participé à l’exécution de l’ancien chef des services de renseignement Daba Marenah et de quatre de ses associés en avril 2006. Outre ces faits et le meurtre de Deyda Hydara, d’anciens membres des Junglers l’ont également accusé d’avoir participé au meurtre du journaliste Chief Ebrima Manneh, de neuf détenus en août 2012 et de deux binationaux Gambiens et Américains, Alhagie Mamut Ceesay et Ebou Jobe, en 2013.

Depuis 2019, la TRRC documente les violations des droits humains commises sous le régime de Yahya Jammeh, y compris les crimes présumés commis par les Junglers. Le gouvernement gambien, qui a coopéré avec les enquêteurs américains, a reporté les poursuites contre la plupart des auteurs de crimes présumés jusqu’à ce que la TRRC ait terminé son travail.

En septembre 2019, les services américains de l’immigration et des douanes ont arrêté Correa au Colorado parce que la validité de son visa était échue. Depuis son arrestation, une coalition de victimes et d’organisations de défense des droits humains ont demandé à la justice américaine d’enquêter sur des allégations qu’elle jugeait crédibles de graves crimes internationaux commis par Correa en Gambie. Le 18 février, les sénateurs américains Patrick Leahy et Richard Durbin ont également exhorté le gouvernement à enquêter sur Correa et, si nécessaire, à le poursuivre en justice aux États-Unis.

 

LE PREMIER « JUNGLER » POURSUIVI

L’inculpation de Correa est la première poursuite d’un membre des escadrons de la mort de Jammeh dans le monde, ont déclaré les groupes de défense des droits humains, parmis lesquels the African Network Against Extrajudicial Killings and Enforced Disappearances, le Center for Justice and Accountability, le Gambia Center for Victims of Human Rights Violations, le Guernica Centre for International Justice, Human Rights Watch, la fondation Solo Sandeng, et TRIAL International. L’ancien ministre de l’intérieur gambien Ousman Sonko, un autre associé de Yahya Jammeh, est toujours en détention préventive en Suisse, où il fait l’objet d’une enquête pour crimes contre l’humanité.

Si elle progresse, l’affaire Correa ne sera que la deuxième affaire à être jugée par des fonctionnaires américains en vertu du Code des États-Unis, depuis l’adoption en 1994 de son paragraphe sur la torture commise hors du pays. Cette loi érige en infraction pénale des actes de torture commis à l’étranger pour toute personne présente aux États-Unis, qu’elle soit ou non citoyenne américaine, et s’applique quelle que soit la nationalité de la victime. Seul précédent : Charles « Chuckie » Taylor Jr, le fils de l’ancien président libérien Charles Taylor, condamné en 2008 par un tribunal de Miami et qui purge une peine de 97 ans.

« Utiliser la loi américaine sur la torture pour poursuivre l’un des principaux hommes de main de Jammeh est un moment important pour la justice en Gambie », a déclaré Ya Mamie Ceesay, la mère de l’homme d’affaires Alhagie Mamut Ceesay. « Les auteurs de crimes internationaux doivent être tenus pour responsables où qu’ils se trouvent. »

Pierre Nkurunziza est décédé le 8 juin 2020 d’un arrêt cardiaque, selon les sources officielles. Que signifie cette mort soudaine pour ce petit pays en proie à une grave crise depuis plus de cinq ans ?

Le décès de Pierre Nkurunziza ne signifie pas la fin de la lutte contre l’impunité au Burundi. ©Landry Nshimiye

Pierre Nkurunziza a été le président du Burundi pendant 15 ans. Les cinq dernières années de son mandat ont été marquées par une forte augmentation des pires violations des droits humains : disparitions forcées, arrestations arbitraires, tortures, violences sexuelles, etc. C’est d’ailleurs la décision de Pierre Nkurunziza de briguer un troisième mandat qui avait déclenché le chaos politique en avril 2015, qui s’est ensuite mué en une « crise normalisée ».

 

Quel avenir pour les victimes en quête de justice ?

Certaines victimes des exactions commises sous l’ère Nkurunziza ont senti que la justice pourrait leur échapper. C’est le cas de Pierre-Claver Mbonimba, défenseur des droits humains plusieurs fois incarcéré et torturé : « J’ai été victime de ce gouvernement, alors si le chef du gouvernement n’est plus, c’est à dire qu’il sera difficile de le poursuivre devant la justice. C’est cela qui me fait mal. On attendait la justice, mais maintenant, ce sera difficile », a-t-il témoigné au micro de Deutsche Welle.

Pourtant, la lutte contre l’impunité ne s’arrête pas avec la mort de Pierre Nkurunziza. « Tous les membres de l’appareil étatique qui se seraient rendus coupables d’exactions doivent être tenus pour responsable. Cela va des hauts gradés de l’armée aux policiers, en passant par les agents du Service national de renseignement » explique Pamela Capizzi, Coordinatrice nationale pour le Burundi à TRIAL International.

Par ailleurs, les affaires portées contre l’État du Burundi lui-même, en tant qu’entité juridique, restent actuelles. « Les instances onusiennes ou la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples ne condamnent pas des individus mais des États » clarifie Pamela Capizzi.

 

Une opportunité à saisir ?

Indépendamment des causes du décès du président – certaines sources allèguent que c’est le coronavirus qui a emporté Pierre Nkurunziza – la question de son héritage politique reste entière. Il y a quelques semaines, les élections ont désigné son successeur à la présidence, Evariste Ndayishimiye. Mais Pierre Nkurunziza serait resté influent même après la passation de pouvoir prévue en août, en tant que « guide suprême du patriotisme ».

« Le Burundi a peut-être aujourd’hui une chance de tourner la page de la présidence Nkurunziza, de renouer avec la communauté internationale et de faire la lumière sur les crimes du passé » conclut Pamela Capizzi. « L’avenir dira si ses successeurs saisiront cette opportunité ».

Les 25 et 26 mai 2020, plusieurs médias congolais ont rapporté que TRIAL International soutenait la saisine de la Cour pénale internationale sur la situation au Kasaï. Cette information est erronée. S’il est vrai que l’impunité pour les crimes de masse est répandue dans cette province, TRIAL International croit que la réponse doit avant tout se situer au niveau local et national.

La CPI joue un rôle complémentaire dans la lutte contre l’impunité et n’intervient que si les États ne peuvent pas ou ne veulent pas poursuivre les suspects. ©TRIAL International/Will Baxter

TRIAL International soutient pleinement l’action de la Cour pénale internationale (CPI). Elle reconnaît également qu’à l’heure actuelle, l’accès à la justice pour les victimes de crimes internationaux au Kasaï est extrêmement difficile. Mais l’organisation ne demande pas pour autant la saisine de la CPI.

 

Que fait TRIAL International au Kasaï ?

En conformité avec la Politique nationale de réforme de la justice adoptée par le gouvernement congolais en 2017, TRIAL International s’investit pour le renforcement du système judiciaire congolais afin d’aboutir à la sanction des responsables des crimes internationaux et à la protection des droits des victimes devant les juridictions congolaises.

Au Kasaï, l’action principale de TRIAL International est le renforcement des capacités des acteurs judiciaires locaux, tels que des avocats, défenseurs des droits humains et magistrats. Son partenaire sur place, l’ONG Physicians for Human Rights, utilise la preuve médicale pour documenter les violations des droits humains. Dans ce sens, elle renforce les capacités du personnel médical et des officiers de police locaux.

En savoir plus sur le projet au Kasaï

 

Quel est le rôle de la Cour pénale internationale ?

La CPI joue un rôle crucial mais limité dans la lutte contre l’impunité. Elle est fondée sur la subsidiarité avec les États, c’est-à-dire qu’elle n’intervient que si ces derniers ne peuvent pas ou ne veulent pas poursuivre les suspects.

Le maintien de l’État de droit et l’application de la justice pénale reste avant tout entre les mains des États. De plus, les capacités limitées de la CPI ne lui permettent pas de se saisir de toutes les situations de violations généralisées et systématiques des droits humains.

Relire l’Opinion de Philip Grant, Directeur exécutif de TRIAL International, en soutien à la CPI

Le 21 mai 2020, TRIAL International a déposé une dénonciation pénale pour complicité de pillage contre Kolmar Group AG auprès du Ministère public de la Confédération (MPC). Selon un rapport conjoint publié par TRIAL International et Public Eye le 2 mars 2020, la société de négoce basée à Zoug avait acheté du gasoil de contrebande en provenance de Libye. TRIAL International a analysé les preuves récoltées durant l’enquête, et en conclut que le négociant suisse pourrait s’être rendu complice du crime de guerre de pillage. La balle est désormais dans le camp du MPC pour faire la lumière sur les agissements du négociant zougois.

Le gasoil acheté par Kolmar Group AG était pillé par un réseau de contrebande, ce qui pourrait entraîner une responsabilité pénale pour l’entreprise selon le droit suisse. ©Francesco Bellina

L’enquête menée par TRIAL International et Public Eye avait permis de reconstituer le réseau transnational de contrebande de gasoil subventionné en provenance de Libye. Pour rappel, le carburant était détourné des cuves libyennes grâce à la complicité d’un groupe armé, transbordé depuis des bateaux de pêche libyens vers des navires affrétés par deux hommes d’affaires maltais dans les eaux internationales, puis acheminé vers Malte. Et c’est à ce stade que le nom de Kolmar Group AG apparaît : selon les éléments de l’enquête, le négociant suisse aurait acheté plus de 50 000 tonnes de ce gasoil entreposé dans les réservoirs de la capitale maltaise entre 2014 et 2015. L’entreprise suisse n’a pas nié l’achat de ce carburant lorsqu’elle a demandé à faire valoir sa position par la voie d’un droit de réponse, publié le 2 avril 2020.

 

NÉGLIGENCE OU COMPLICITÉ ?

Selon l’ONG, qui a procédé à une analyse légale des preuves récoltées notamment grâce à C4ADS, ces achats pourraient constituer une complicité de crimes de guerre.

« Il existait un nombre important d’indicateurs, tous au rouge, qui auraient dû dissuader Kolmar d’effectuer ces transactions. Les preuves récoltées nous paraissent suffisantes pour justifier de saisir aujourd’hui le Ministère public de la Confédération, qui devrait maintenant examiner si Kolmar a sciemment ignoré ces signaux. Dans l’affirmative, la société pourrait s’être rendue complice d’un crime de guerre », a déclaré Philip Grant, Directeur exécutif de TRIAL International.

En effet, si une entreprise achète des matières premières volées à un pays en guerre en connaissance de cause, elle peut être reconnue coupable de complicité de pillage, un crime de guerre tant selon le Statut de Rome de la Cour pénale internationale que d’après le droit pénal suisse.

Or, le gasoil acheté par Kolmar Group AG était pillé par un réseau de contrebande, avec l’appui d’un groupe armé alors que la Libye était déchirée par des affrontements entre factions rivales. Mais pour que ce vol soit rentable, le réseau avait besoin d’acheteurs internationaux. C’est précisément là que la société suisse aurait contribué à la contrebande, ce qui – si les faits sont avérés – pourrait entraîner sa responsabilité pénale.

Plusieurs responsables de la contrebande sont actuellement en procès en Italie. En déposant cette dénonciation pénale, TRIAL International espère que le MPC fera lui aussi toute la lumière sur cette affaire afin de déterminer si les agissements de Kolmar à Malte ont respecté le droit. Quel que soit le résultat de l’enquête que le MPC devrait mener, cette affaire démontre la nécessité d’adopter des règles plus strictes, telles que celles  prônées par l’Initiative pour les multinationales responsables, pour prévenir à l’avenir toute participation d’entreprises suisses au financement de groupes armés.

Dans une nouvelle publication, TRIAL International analyse les répercussions du coronavirus sur la lutte contre l’impunité et la quête de justice. Intitulé La justice au temps du coronavirus, le document passe en revue les conséquences multiples et parfois indirectes de la pandémie sur les bénéficiaires de TRIAL International à travers le monde.

Le contexte d’urgence sanitaire s’est déjà montré propice aux abus. Des États autoritaires et des acteurs non-étatiques profitent du chaos créé par la situation de crise pour commettre des violations des droits humains. ©UN Photo/Harandane Dicko

Dans la communication qui entoure la pandémie de coronavirus, il ne semble y avoir que des urgences : urgence sanitaire, urgence économique, urgence sociale, etc. Tous ces aspects sont indéniablement importants, mais aucun ne peut être résolu sans être ancré dans le bien le plus élémentaire de tous : les droits humains.

 

La justice a un rôle à jouer dès à présent

Le contexte d’urgence sanitaire s’est déjà montré propice aux abus. Des États autoritaires foulent au pied les droits de leurs citoyens, font un usage disproportionné de la force et passent des lois liberticides ; des acteurs non-étatiques commettent les pires crimes, misant sur le chaos ambiant pour échapper à la justice.

Lire l’analyse complète dans La justice au temps du coronavirus

Philip Grant, Directeur exécutif de TRIAL International, met en garde : « La lutte contre l’impunité ne saurait attendre la fin de la crise. La justice a un rôle unique et vital dès à présent, pour la protection de tous et surtout des plus vulnérables. »

Malheureusement, les systèmes judiciaires à travers le monde sont eux-mêmes directement impactés par la situation extraordinaire. La justice au temps du coronavirus examine trois aspects de la justice internationale affectés par le coronavirus : l’augmentation des risques de violations des droits humains ; la dénonciation des crimes et les enquêtes ; et la conduite de procédures juridiques.

Le document offre également un aperçu rapide de la pandémie dans les principaux pays d’actions de TRIAL International : la Bosnie-Herzégovine, le Népal, le Mexique, la Gambie, le Burundi et l’est de la République démocratique du Congo (RDC). Il se conclut par une réflexion sur l’état de la société civile pendant et après la crise.

Lire La justice au temps du coronavirus

TRIAL International et son partenaire à Katmandou, le Human Rights and Justice Centre (HRJC), ont soumis une analyse détaillée de la législation népalaise portant sur les violences sexuelles. Si des progrès sont à saluer dans les textes de loi, ils sont en pratique rarement suivis d’effets.

Au Népal, le viol n’est pas encore criminalisé comme un crime de guerre ni comme un crime contre l’humanité. ©Kaushal Sapkota

Les deux organisations ont rédigé leur rapport à l’invitation de la Rapporteur spéciale des Nations Unies sur les violences faites aux femmes, leurs causes et leurs conséquences (ci-après « la Rapporteur spéciale »). Les informations recueillies soutiendront un rapport thématique sur la reconnaissance du viol comme violation grave et systématique des droits humains et des violences faites aux femmes. La sortie du rapport est prévue courant 2020.

 

Omission de certaines violences et certaines victimes

Le rapport note d’abord un biais de genre généralisé dans la législation népalaise. En conséquence, les hommes, garçons et personnes transgenres sont exclus des victimes potentielles de viol. De même, une définition restrictive du viol omet nombre de crimes sexuels, qualifiés à la place de « harcèlement sexuel ». Mais les peines pour harcèlement sexuel sont plus légères et ne reflètent souvent pas la gravité des actes…

Autre limite de la législation : les délais de prescription (c’est-à-dire la limite après laquelle une action en justice devient impossible) concernant le viol et autres violences sexuelles. Selon la situation, la victime a entre 35 jours – notamment pour les violences sexuelles en temps de conflit – et un an pour porter plainte. Après, il est trop tard.

Imposer un délai de prescription sur les violences sexuelles ne tient pas compte de la peur et de la stigmatisation auxquelles sont exposées les victimes. TRIAL International et le HRJC partagent l’avis des mécanismes de protection des droits humains, notamment le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, qui recommandent l’abandon de toute prescription pour ces crimes.

Enfin, les organisations rappellent dans leur rapport qu’au Népal, le viol n’est pas criminalisé comme un crime de guerre ni comme un crime contre l’humanité.

 

Un gouffre entre la théorie et la pratique

D’autres aspects du droit sont satisfaisants sur le papier, mais la réalité est toute autre.

Par exemple, la pratique de « réconcilier » les victimes et leurs agresseurs n’est pas reconnue dans la loi mais reste courante. Souvent, les victimes s’y prêtent sous la contrainte ou la menace, ce qui non seulement nuit directement à leur bien-être mais favorise l’impunité des coupables. Facteur aggravant : la police est officiellement chargée de de la protection des victimes, or c’est souvent elle qui facilite ces « réconciliations ».

 

Traiter le problème à la racine

Lors de sa visite au Népal en 2018, la Rapporteur spéciale avait dénoncé un environnement propice aux violences et à l’impunité. Elle avait déclaré « les violences faites aux femmes est omniprésente dans tout (le Népal), dans la sphère privée comme dans la sphère publique. Elle est aggravée par des attitudes patriarcales, des stéréotypes de genre et des pratiques nocives profondément ancrées. » Aucune des recommandations de la Rapporteur spéciale sur la justice transitionnelle n’a été mise en œuvre à ce jour.

« Les autorités népalaises ont négligé leur devoir de combattre les violences sexuelles, et en particulier celles liées au conflit » a expliqué Cristina Cariello, Responsable du programme Népal de TRIAL International. « Un investissement sincère de l’État est nécessaire pour traiter ce problème à la racine et initier un changement structurel. Ce n’est pas la seule condition, mais c’est une condition indispensable. »

« Nous sommes en contact avec de nombreuses victimes de violences sexuelles en temps de conflit. Leur subsistance n’est pas assurée, pas plus que leurs besoins fondamentaux comme l’accès aux soins. L’État échoue à les reconnaitre et à répondre à l’ensemble de leurs besoins » a conclu Salina Kafle, Chargée des droits humains au HRJC.

Lire le rapport complet (en anglais)

En savoir plus sur les violences sexuelles au Népal